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jeudi 12 novembre 2020

BIDEN, L’IRAN, LE NUCLÉAIRE ET LES AUTRES


En septembre dernier, Joe Biden a pris position à l’égard de l’accord nucléaire avec l’Iran, dit aussi JCPOA, conclu en 2015 à Vienne par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, dont Trump a sorti les États-Unis en mai 2018. Il a présenté comme un échec la politique de « pression maximale » qui a suivi. De fait, la multiplication des sanctions américaines a infligé des coups terribles à l’économie et à la population iraniennes, mais n’a pas ramené la République islamique à la table de négociations, comme le calculait la Maison-Blanche. L’Iran a finement joué en demeurant au sein du JCPOA, tout en mettant en place une série d’infractions calculées à l’accord, sur lesquelles il s’est dit prêt à revenir si les choses s’arrangeaient. Ces infractions, en somme modérées, l’ont néanmoins rapproché de la capacité à se doter, s’il en prenait la décision, de l’arme nucléaire. Et dans cette période, les cinq autres pays parties à l’accord ont plutôt été du côté de l’Iran, mettant en lumière la solitude de Washington. 

Les attentes de Joe Biden 

Biden a donc manifesté l’intention de ramener les États-Unis dans le JCPOA si l’Iran en respectait à nouveau scrupuleusement les termes. Mais il veut aussi que ce retour ouvre une nouvelle séquence diplomatique. Il s’agirait d’abord d’améliorer le texte avec les autres parties à l’accord en renforçant ses dispositions protectrices à l’égard des tentations de prolifération de Téhéran. L’Iran devrait en outre libérer les Américains injustement détenus, progresser en matière de droits de l’Homme, et reculer dans ses « entreprises de déstabilisation » de la région. Biden enfin souligne qu’il continuera d’user de sanctions ciblées pour contrer les violations des droits de l’Homme, le développement du programme balistique et « le soutien au terrorisme ». 

Côté iranien, la réponse est mesurée. Le Guide suprême ne s’est pas prononcé. Le Président Hassan Rouhani a déclaré que les États-Unis devaient « réparer leurs erreurs passées et revenir au respect de leurs engagements internationaux ». Son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Djavad Zarif, a fait savoir qu’il n’était pas question de renégocier les termes du JCPOA. Son porte-parole a ajouté que les États-Unis devraient garantir l’Iran contre le risque d’une nouvelle sortie de l’accord. Il faudrait alors qu’ils ratifient le JCPOA -- mais le Congrès sera difficile à convaincre --, ou du moins qu’ils fassent adopter par le Conseil de sécurité une résolution donnant à l’accord une force obligatoire. Quant aux autres sujets -- droits de l’Homme, terrorisme, programme balistique, influence régionale --, l’on voit mal l’Iran accepter de lever la barrière qu’il a posée entre le nucléaire et ces autres sujets sur lesquels ses interlocuteurs, en particulier le Président Macron, ont déjà tenté de l’entraîner. De telles questions échappent d’ailleurs à la compétence du ministère des affaires étrangères, qu’il s’agisse du balistique et des opérations régionales, chasse gardée des Pasdaran, ou des droits de l’Homme, à la merci du système judiciaire. 

Les autres acteurs, aux États-Unis et ailleurs 

Biden va devoir aussi compter avec d’autres acteurs. D’abord l’administration finissante de Donald Trump, en place jusqu’au 19 janvier. Celle-ci a tout récemment multiplié les sanctions contre l’Iran et fait passer le message qu’elle pourrait continuer jusqu’au dernier moment, avec l’idée de rendre indémêlable le dense dispositif mis en place. À noter que les dernières vagues de sanctions ont été pour l’essentiel lancées au nom de la lutte contre le terrorisme ou la violation des droits de l’Homme. Or, la mise en œuvre du JCPOA n’avait entraîné que la levée – partielle -- des sanctions liées au nucléaire. Même si ces sanctions nucléaires, rétablies par Trump, sont bien levées à nouveau par Biden, toutes les autres sanctions, touchant à des domaines vitaux comme le pétrole ou les banques, resteront en place, neutralisant le bénéfice attendu du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. Biden aura certes la capacité de revenir aussi sur ces autres sanctions, du moins pour celles dont la levée n’obligerait pas à solliciter l’accord du Congrès, mais il sait également que tout mouvement en ce sens serait aussitôt dénoncé par son opposition comme une démission en matière de lutte contre le terrorisme ou de défense des droits de l’Homme. 

Ajoutons que le service du Trésor chargé de l’élaboration et de l’application des sanctions, le redoutable OFAC (Office of Foreign Assets control), est peuplé à tous les étages de « faucons » ayant mis tous leurs talents de juristes au service de la lutte contre l’Iran. Ce sont eux qui ont déjà saboté la mise en œuvre du JCPOA durant la brève période allant de son adoption au départ d’Obama, en interprétant a minima les obligations des États-Unis. Joe Biden ne pourra donc pas faire l’économie d’une reprise en main de cette administration. Et il devra persuader ses équipes qu’il ne suffit pas d’abroger des textes pour effacer les dommages provoqués par une politique. Il y faut aussi une volonté active de relance et de coopération. 

Et puis, Biden devra également compter avec les réactions d’Israël et des pays de la Péninsule arabique, à commencer par l’Arabie saoudite. Il pourra peut-être passer par pertes et profits le froid qui s’installera dans la relation avec le royaume wahhabite, sachant que ce pays a, de toutes façons, trop besoin de l’Amérique. Il se prépare d’ailleurs à lui faire avaler une pilule autrement amère : la fin du soutien de Washington à la «désastreuse guerre au Yémen ». 

Avec Israël, l’entreprise sera plus difficile, en raison des liens qui unissent l’État hébreu avec de larges segments de l’électorat américain. Avant d’agir il faudra s’expliquer et tenter de convaincre. Les interlocuteurs de la nouvelle Administration, s’ils ne peuvent bloquer le changement de ligne, monnayeront au plus haut leur abstention. Et déjà circule en Israël l’idée qu’il faudra peut-être en venir à intervenir seul contre l’Iran. Est-ce crédible ? Cette menace avait déjà été agitée entre 2010 et 2012, mais l’état-major s’était fermement opposé à ces projets en raison de l’incertitude des résultats. Il devrait en être de même aujourd’hui. D’ailleurs, alors que circule aussi aux États-Unis l’idée que Trump pourrait, avant de partir, frapper l’Iran pour créer une situation irréversible, tout laisse à penser que l’État-major américain marquerait son refus. Il l’avait déjà fait aux derniers temps de l’administration de George W. Bush lorsque cette hypothèse avait été un moment caressée. 

L’échéance des présidentielles iraniennes 

Comment, pour Joe Biden, composer avec tous ces éléments ? Il en est un avec lequel il devra au premier chef compter. Des élections présidentielles se tiendront en Iran en juin prochain. À ce jour, tout va dans le sens de la victoire d’un conservateur, voire d’un radical parmi les conservateurs, tant ceux-ci ont verrouillé la vie politique en tirant profit de la déception de la population a l’égard du JCPOA. Le Président Rouhani s’en est trouvé discrédité, et avec lui, l’ensemble des réformateurs et modérés. Cela s’est vu aux élections législatives de février dernier, qui ont amené une majorité écrasante de conservateurs au parlement. Or les États-Unis, comme l’Europe, ont tout intérêt à ce que réformateurs et modérés, quels que soient leurs graves insuffisances, continuent de compter dans la vie politique iranienne. Eux seuls en effet souhaitent une relation, sinon amicale, du moins apaisée avec l’Occident. D’où l’intérêt de préserver l’avenir, en offrant à Rouhani -- qui ne pourra se représenter après deux mandats -- et à ses amis, une ultime occasion de se refaire une santé politique. 

Il faudrait pour cela poser les bases d’une relance bénéfique à la population durant le bref intervalle de quatre mois allant de l’investiture de Joe Biden à la campagne présidentielle iranienne. Il ne sera pas possible en si peu de temps de mener à terme le plein retour des États-Unis dans le JCPOA et d’effacer les effets ravageurs des sanctions de Donald Trump. Mais il devrait être possible, d’abord de libérer toutes les capacités d’aide humanitaire dont l’Iran a besoin en urgence dans la grave crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Ensuite d’accorder sans attendre un montant significatif d’exemptions, ou waivers, aux sanctions sur le pétrole et aux transactions financières internationales, en échange de gestes iraniens également significatifs sur la voie d’un retour au strict respect de ses obligations découlant du JCPOA. Ces mesures partielles mais pragmatiques permettraient d’éclairer l’avenir et de faciliter la suite.

Article paru le 12 novembre 2020 sur le site 

Boulevard Extérieur


jeudi 18 juin 2020

L’Iran, le nucléaire, et les autres : l’Accord de Vienne dans la tourmente

(publié le 17 juin 2020 par le site Orient XXI)

Depuis deux ans, depuis la sortie des États-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne, dit aussi JCPOA, l’Administration américaine guette les signes d’un effondrement de l’économie iranienne, prélude à la mise à genoux de la République islamique. Les plus acharnés y croient encore, persuadés que le garrot des sanctions progressivement resserré sur les personnes, les institutions et les entreprises produirait les effets d’un blocus. Il les a produits en effet, mais sans atteindre le but ultime recherché. Certes, l’Iran n’exporte pratiquement plus de pétrole, mais la part des hydrocarbures dans son produit intérieur brut a régulièrement diminué sur longue période, n’atteignant aujourd’hui que 15%. L’économie a donc d’autres ressorts, d’autres ressources, et dispose de la masse critique d’une population de 80 millions d’habitants. Certes, cette population souffre. Récemment, le pays a connu à deux reprises des manifestations violentes, mais celles-ci n’ont jamais vu la jonction décisive des classes populaires et des classes moyennes, aucun leader charismatique n’y a émergé, elles ont pu être matées sans états d’âme par le Régime.

La fureur des États-Unis contre l’Accord de Vienne

La frustration de Trump et de ses partisans tourne donc à l’exaspération. Sachant qu’il serait suicidaire d’aller à la guerre à la veille de l’élection présidentielle, ils s’en prennent à présent à l’Accord de Vienne lui-même, avec l’idée de le réduire en miettes. Peu importe les conséquences. On aurait cru l’Accord protégé par la volonté des six participants restants, Iran compris, de continuer à l’appliquer, protégé aussi par son adossement à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en approuvant tous les termes. Cette résolution présentée par les États-Unis eux-mêmes, a été parrainée et adoptée le 20 juillet 2015 par les quinze membres du Conseil dans la foulée de la conclusion de l’Accord. Mais cette construction était fragile. D’abord parce que le JCPOA lui-même était rédigé, à la demande des Américains, comme une simple déclaration commune d’intentions. Un accord en bonne et due forme aurait dû être ratifié par le Congrès, où l’Administration d’Obama ne détenait pas de majorité. Ensuite, parce que la résolution du Conseil de sécurité était tournée, là encore à la demande des Américains, de façon à ne rendre en aucune façon obligatoire, au sens de la Charte des Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord par les participants et par tous les États-membres de l’ONU. C’est ainsi que Trump a pu s’en extraire par une simple décision.

Ceci fait, le JCPOA a néanmoins continué sa route, clopin-clopant, avec l’allure d’une bête blessée, reproche vivant à ceux qui l’avaient quitté. Les Iraniens ont d’abord veillé à en respecter scrupuleusement les termes, ce qu’ont attesté les rapports trimestriels des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Et ceci malgré l’incapacité des Européens, des Russes et des Chinois à les récompenser par des échanges commerciaux réguliers. L’action dissuasive des sanctions américaines, l’empire du dollar sur les règlements en devises, ont en effet découragé les entreprises susceptibles de travailler avec l’Iran.

Les choix transgressifs de l’Iran

Déjà en mai 2019, un an après sa sortie de l’Accord, l’Administration américaine, ne voyant aucun fléchissement du côté de Téhéran, portait un premier coup à l’architecture de l’Accord de Vienne. Elle met fin alors aux dérogations qui permettaient à l’Iran d’exporter ses productions d’uranium légèrement enrichi et d’eau lourde lorsque les stocks accumulés dépassaient les limites posées par l’Accord. Ces plafonds avaient été mis en place pour empêcher l’Iran de constituer des provisions importantes de deux matières pouvant contribuer à la production de l’arme nucléaire. Dès lors, l’Iran n’a d’autre choix, pour respecter le plafond de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, en vérité le plus critique en termes de prolifération, que d’arrêter tout ou partie de ses centrifugeuses, ou encore de rediluer son uranium légèrement enrichi au fur et à mesure de sa production. Mais il choisit une troisième voie, transgressive celle-là, en s’affranchissant de ce plafond, et donc en accumulant progressivement un stock d’uranium enrichi qui à ce jour, au bout d’un an, a été multiplié par huit. L’Iran précise toutefois qu’il n’a pas l’intention de sortir de l’Accord de Vienne et qu’il reviendra à une stricte application de l’accord dès que les autres parties lui permettront d’en tirer les bénéfices attendus. Et pour faire pression sur ses partenaires, toujours impuissants à contrer les menées de Washington, il donne de deux mois en deux mois de nouveaux coups de canif au JCPOA : franchissement du taux d’enrichissement maximal de l’uranium autorisé par l’Accord, qui passe de 3,67% à 4,5%, reprise des activités de recherche et de développement pour la mise au point de centrifugeuses plus performantes, relance de l’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, que l’Accord de Vienne avait mis en sommeil. Le JCPOA semble alors à l’agonie.

Une entourloupe à l’horizon

Mais en avril dernier, le Secrétaire d’État Mike Pompeo redonne du grain à moudre aux soutiens de l’Accord par une nouvelle provocation. Il déclare en effet vouloir absolument empêcher que soit prochainement levé l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran instauré par le Conseil de sécurité antérieurement à la conclusion du JCPOA, et que le Conseil s’était engagé par sa résolution de juillet 2015 à abolir en octobre 2020. Il annonce donc que les États-Unis vont prochainement présenter au Conseil un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment ces sanctions. Il annonce surtout qu’au cas où cette résolution serait rejetée -- hypothèse fort probable en raison notamment du soutien à l’Iran de la Russie et de la Chine, détentrices du droit de veto --, il n’hésiterait pas à faire jouer la clause dite de snap-back, contenue dans la résolution de juillet 2015, permettant à tout participant au JCPOA de rétablir par son seul vote tout ou partie des sanctions de l’ONU précédemment infligées à l’Iran.

Le raisonnement fait alors scandale. Il s’appuie en effet sur une entourloupe juridique, la résolution de juillet 2015 ne précisant pas expressément qu’un pays désigné comme « participant » au JCPOA, en l’occurrence les États-Unis, cesserait de l’être au moment où il se retirerait de l’Accord. La manœuvre paraît indigne d’un pays sérieux. Pourrait-elle néanmoins réussir ? Assistera-t-on à une révolte de tout ou partie des membres du Conseil de sécurité ? L’on en saura plus dans les semaines ou les mois à venir.

Haro sur les coopérations nucléaires avec l’Iran

Mais en attendant, Mike Pompeo, décidément acharné à poursuivre la destruction du JCPOA, remet fin mai le couvert. Il annonce que les États-Unis vont mettre bientôt fin aux dérogations, ou waivers, qui protégeaient des sanctions américaines la coopération instaurée par l’Accord entre l’Iran et ses partenaires pour réorienter certains projets nucléaires iraniens posant de sérieux risques de détournement à des fins militaires. C’est ainsi que l’Iran avait commencé à bénéficier d’une aide pour modifier les plans d’un réacteur de recherche en cours de construction près de la ville d’Arak de façon à réduire drastiquement sa production de plutonium. Or le plutonium offre la deuxième voie d’accès à la bombe aux côtés de l’enrichissement de l’uranium. Pompeo annonce aussi que les États-Unis empêcheront de fournir à l’Iran le combustible à base d’uranium enrichi à 20% nécessaire au fonctionnement du petit réacteur de recherche de Téhéran, vendu dans les années 1960 à l’Iran par les Américains eux-mêmes. À noter que Mike Pompeo n’a pas évoqué dans sa déclaration les quelque mille centrifugeuses du site enterré de Fordo qui devaient être réaffectées à d’innocentes activités de recherche et de production d’isotopes médicaux, la coopération internationale en cette affaire ayant été interrompue par la décision iranienne d’utiliser à nouveau ces centrifugeuses pour la production d’uranium enrichi.

La décision américaine apparaît ainsi à tout le monde comme une sorte de « pousse-au-crime », et du côté iranien, renaissent les déclarations évoquant la possibilité de sortir définitivement du JCPOA, ou même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il est clair en tous cas dès à présent que l’Iran ne laissera pas passer une nouvelle humiliation au Conseil de sécurité sans une réaction de première grandeur. Et l’une des réactions possibles à cette nouvelle vague de punitions pourrait être de reprendre sur son sol l’enrichissement d’uranium à 20%, auquel avait mis fin l’Accord de Vienne. L’on se rapprocherait alors dangereusement des hauts enrichissements à visée militaire.

Les timidités de l’Europe

Comment ont réagi à ces attaques américaines les autres partenaires du JCPOA ? Les Russes ont été jusqu’à présent les plus clairs pour condamner les derniers projets américains. Les Chinois, empêtrés dans bien d’autres querelles avec les États-Unis, sont restés plus discrets, mais ne manqueront pas le moment venu d’agir comme les Russes. Quant aux Européens, ils n’ont pas encore officiellement indiqué comment ils réagiraient au cas où les Américains pousseraient leurs projets au Conseil de sécurité. Peut-être comptent-ils sur les Russes et les Chinois pour les bloquer. À ce jour, seul Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, a marqué publiquement sa désapprobation de la mise en œuvre de la procédure de snap-back par les États-Unis. En ce qui concerne le retour des sanctions contre les activités nucléaires iraniennes bénéficiant d’une coopération internationale, les trois Européens participant au JCPOA – Allemand, Britannique et Français -- ont inauguré la formule d’une déclaration commune « regrettant profondément »’la décision américaine, déclaration émise toutefois, non par les ministres avec le Haut représentant de l’Union européenne, mais par les porte-parole de leurs administrations respectives. Façon de se défausser sur des fonctionnaires subordonnés de la responsabilité de de mettre en cause les États-Unis.

Ceci augure mal de la volonté européenne de poursuivre malgré les sanctions américaines une coopération fort utile pour la non-prolifération. Elle pourrait pourtant continuer, au moins en mode dégradé, dans la mesure où elle est sans doute portée par une majorité d’entreprises de service public, peut-être mieux à même de résister aux sanctions, dans la mesure aussi où un certain nombre d’activités de coopération pourrait ne pas se traduire en flux financiers, cible principale des sanctions, mais en soutiens pratique et intellectuel. Osera-t-on ainsi finasser ? Rien n’est moins sûr.

Encore au moins cinq mois de crise

Et puis, la suite dépend aussi du comportement de l’Iran. Celui-ci est en ce moment en délicatesse avec l’AIEA, car lui refusant l’accès à deux sites non déclarés, suspectés d’avoir abrité des activités ou des équipements nucléaires clandestins, et refusant aussi de s’expliquer sur la découverte en un autre site par les inspecteurs de l’Agence de particules d’uranium d’un type introuvable dans la nature, donc témoignant d’une activité humaine. Si le conflit ne se résout pas, l’affaire pourrait en principe atterrir sur la table du Conseil de sécurité, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran.

Tout laisse donc augurer dans les mois à venir de relations chahutées en matière nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, mais aussi entre l’Iran et ses partenaires du JCPOA, enfin entre ces derniers et les États-Unis. Sans oublier l’AIEA, vouée à naviguer dans une mer semée d’écueils. À ceci s’ajoutent les tensions politiques dans le Golfe persique, et les tensions encore plus graves parcourant le Proche-Orient. Israël, mais aussi l’Arabie saoudite, restent en embuscade pour favoriser tout ce qui pourrait déstabiliser l’Iran. C’est donc un chemin chaotique que la diplomatie internationale va devoir parcourir jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dont il faut espérer qu’elle débouchera sur de plus souriantes perspectives.

jeudi 12 décembre 2019

L’Iran a-t-il intérêt à mettre fin à l’accord nucléaire de Vienne ?


La République islamique d’Iran s’est réveillée il y a quelques semaines dans une ambiance toute nouvelle pour elle. Dissipée, la jubilation générée par le succès spectaculaire des frappes à la mi-septembre sur des installations pétrolières saoudiennes. Évanoui, le plaisir à savourer l’expansion au fil des ans de l’influence iranienne du Yémen à la Méditerranée. Ses amis du Hezbollah ont brusquement perdu aux yeux des Libanais en colère leur prestige de combattants de la Résistance pour n’être plus qu’un élément d’un système politique inefficace et corrompu. En Irak, les jeunes patriotes se font tuer pour obtenir une démocratie libérée des jeux de factions, la fin des détournements massifs de la richesse nationale, et aussi la levée de la mainmise iranienne sur leur vie politique. En Iran même, les gens, excédés de leurs difficultés quotidiennes croissantes, sont descendus dans la rue pour mettre en cause le régime, entraînant de sa part une répression féroce. 

Et dans sa relation avec le monde extérieur sur le dossier hautement sensible du nucléaire, les choses ne vont guère mieux pour la République islamique. Sa stratégie d’infractions calculées à l’accord nucléaire de Vienne -- dit aussi JCPOA --, lancée l’été dernier, était censée pousser les Européens à desserrer l’étau des sanctions américaines. Mais leur seule réaction a été de menacer l’Iran de déclencher le processus de règlement des différends prévu par le JCPOA. Or ce processus aurait toutes les chances de déboucher sur le rétablissement des sanctions des Nations unies : sanctions mises en place entre 2006 et 2010 pour faire céder l’Iran, et levées en juillet 2015 dans le sillage de la conclusion de l’accord de Vienne. Les efforts des Français pour entraîner au moins une légère détente entre Américains et Iraniens semblent s’être enlisés. Donald Trump, dont les électeurs détestent l’Iran mais refusent l’idée d’une nouvelle guerre dans une région lointaine, n’a que l’arme des sanctions pour les satisfaire. Il n’est pas prêt à l’abandonner. De tous côtés, l’Iran se trouve coincé. 

Bénéfices et risques d’une sortie de l’accord de Vienne 

Une échappatoire lui reste ouverte. Mais elle débouche sur de graves inconnues. Ce serait de se retirer du jour au lendemain de l’accord de Vienne, comme l’a fait Donald Trump en mai 2018. S’il agissait avant le déclenchement du dispositif de règlement des différends contenu dans le JCPOA, il en récolterait un bénéfice immédiat, celui d’échapper à la redoutable procédure simplifiée de rétablissement des sanctions des Nations unies. Selon ce mécanisme exceptionnel, inventé pour l’occasion, la voix d’un seul membre permanent du Conseil de sécurité suffit pour punir le pays récalcitrant partie à l’Accord. Mais pour fonctionner, encore faut-il que ce pays soit toujours là. Une fois l’Iran sorti du JCPOA, plus d’engagements de sa part, et donc plus de violation d’engagement offrant prise à rétablissement immédiat des sanctions. Quand Trump, d’ailleurs, est sorti de l’Accord, chacun a bien dû admettre que les États-Unis étaient aussitôt libérés des engagements qu’ils y avaient contractés. Le même raisonnement vaut pour l’Iran. 

Mais pour ce bénéfice, que de risques ! Le premier serait de voir le Conseil de sécurité mettre en œuvre sa procédure habituelle d’imposition de sanctions. Elle est toutefois beaucoup plus lourde que celle qui avait été taillée sur mesure pour le JCPOA, puisqu’il faudrait, cette fois-ci, qu’aucun des cinq membres permanents du Conseil ne s’y oppose. Or l’Iran pourrait espérer la protection de la Russie ou la Chine, traditionnellement plus indulgentes à son égard que les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. Le second risque serait de voir les Européens rejoindre les États-Unis pour punir l’Iran avec des sanctions proprement européennes, comme ils l’avaient fait dans la période 2010-2012. Mais plus sérieux encore, une fois l’Iran sorti du JCPOA, toute avancée de son programme nucléaire, en principe civil, pourrait être aisément présentée comme une nouvelle course à l’arme atomique, avec le risque de voir les États-Unis, peut-être Israël, d’autres encore, peut-être même certains Européens, considérer le moment venu de détruire du ciel les installations nucléaires iraniennes, et sans doute plus encore. 

Les éléments d’une nouvelle donne 

l’Iran pourrait néanmoins neutraliser tous ces risques par une simple déclaration affirmant son intention de respecter, désormais sur une base purement unilatérale et volontaire, les engagements auparavant souscrits dans le cadre de l’accord de Vienne : notamment limitation de ses activités d’enrichissement et, bien entendu, maintien des contrôles renforcés de l’Agence internationale de l’énergie atomique. 

L’on entrerait alors dans une période peut-être plus favorable à la négociation et au dialogue que la période actuelle, dont les vertus semblent s'être épuisées. L’Iran gagnerait en liberté de manœuvre avec la faculté de jouer sur l’évolution, à la baisse ou à la hausse, de ses engagements volontaires, en fonction de l’attitude des autres parties. Les Européens échapperaient enfin aux sarcasmes de l’Iran visant leur impuissance à résister aux sanctions américaines. Ils échapperaient aussi aux reproches de Washington sur leur absence de solidarité avec l’Amérique. N’étant plus, les uns dans l’Accord, les autres dehors, il serait plus aisé aux Européens de se rapprocher de l’administration américaine, voire de présenter avec elle un front commun. Et Donald Trump, qui a toujours expliqué qu’on ne pourrait négocier utilement avec l’Iran qu’après le démantèlement du JCPOA, verrait enfin son vœu exaucé. En somme, du mal pourrait sortir le bien, ou du moins un espoir de bien. Et surtout, avec la perspective d’un allègement des sanctions, un peu de bien pour la population iranienne, qui en a bien besoin.

article publié le 11 décembre 2019 sur le site 




jeudi 30 mai 2019

Crise du nucléaire iranien : encore temps d’éviter le pire


(article paru le 27 mai 2019 dans "la Croix")

Les dernières attaques de Washington contre l’accord nucléaire de 2015, dit JCPOA, visent pour la première fois le cœur du dispositif. Elles menacent en effet d’interdire à l’Iran d’exporter l’uranium légèrement enrichi et l’eau lourde qu’il produirait au-delà des plafonds fixés par le JCPOA. De plus, le Département d’État demande à l’Iran « de mettre fin à toutes ses activités sensibles… y compris l’enrichissement de l’uranium. » Nous revoilà à la case départ, en 2003, quand John Bolton, déjà lui, harcelait les Européens pour qu’ils obtiennent de Téhéran l’acceptation de la fameuse formule « zéro centrifugeuse ». Les chances étaient égales à zéro. Elles le sont encore aujourd’hui.

Primum non nocere

Les partenaires de l’Iran restés dans le JCPOA après le départ américain (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Chine, Russie) doivent d’abord désamorcer toute tension. Inutile de parler d’« ultimatum  quand le Président Rouhani annonce qu’il va revenir sur certains engagements faute d’un allègement rapide des sanctions américaines. C’est plutôt un appel au secours.

L’Iran doit aussi faire un effort. Pour se protéger des dernières menaces américaines, il peut rediluer en uranium naturel l’uranium enrichi excédentaire qu’il ne pourrait plus exporter. De même pour son eau lourde excédentaire, qui pourrait être rediluée en eau ordinaire. l’Iran n’a aucun besoin d’accumuler, avec ses centrifugeuses obsolètes, d’importantes quantités d’uranium légèrement enrichi dont il n’a pas d’usage à court terme. Mieux vaudrait se concentrer, comme le permet le JCPOA, sur la mise au point de centrifugeuses plus performantes. Et au lieu de relancer la construction du réacteur à uranium naturel auquel il a renoncé en adhérant au JCPOA, il ferait mieux d’inciter ses partenaires à accélérer la construction du réacteur de remplacement qu’ils lui ont promis.

Vers une sortie de crise ?

Mais l’essentiel du problème est à Washington, où s’entend la volonté d’en découdre. La tension monte dans le Golfe persique. Les Européens peuvent-ils modifier le cours des choses ? Ils ne convaincront pas les États-Unis de réintégrer le JCPOA, ni les Iraniens de le renégocier. Mais ils peuvent mettre à profit l’aspiration de Donald Trump à démontrer son « art du deal » par un arrangement avec Téhéran, si possible avant l’élection présidentielle de 2020. Un accord limité ferait l’affaire, s’il profite à l’Amérique et réduit le risque iranien de prolifération. Les Européens ont là un rôle d’« honnête courtier » à jouer.

Ce que les Américains peuvent donner

Washington pourrait, par exemple, ne plus bloquer la vente à l’Iran d’avions commerciaux, qui avait été autorisée par le JCPOA. Avant la sortie américaine de l’accord, Boeing et Airbus avaient commencé à négocier la livraison d’une centaine d’avions chacun. La relance de cette affaire bénéficierait à l’Iran, dont la flotte a été mise à mal par de longues sanctions, mais aussi à Boeing, qui vit une passe difficile. La perspective de milliers d’emplois nouveaux dans l’industrie aéronautique serait bienvenue en année électorale américaine. Et l’économie européenne y gagnerait aussi.

Mais pour acheter des avions, il faut des dollars. Les Américains pourraient donc desserrer leurs sanctions sur le pétrole iranien. La tension baisserait sur les marchés internationaux et le prix de l’essence aux pompes américaines baisserait aussi : encore un point utile à la veille d’élections.

Pour payer des avions, il faut enfin un système bancaire. Il serait donc logique de desserrer aussi les sanctions sur les banques iraniennes, une fois l’Iran en conformité avec les normes internationales sur le financement du terrorisme.

Ce que les Iraniens peuvent donner

Que pourraient offrir les Iraniens en échange ? Sur le dernier point, l’adoption de normes anti-terroristes fait polémique à Téhéran. Au Guide de débloquer la situation. Mais ce ne serait pas assez pour les Américains.

Comme la lettre volée d’Edgar Poe, la solution est sous nos yeux. Puisque l’Iran, en vertu du JCPOA, ne peut conserver plus de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, nul besoin de faire tourner les 5.000 centrifugeuses qu’autorise cet accord. 1.500 suffiraient amplement. À nouveau, l’intérêt de l’Iran n’est pas d’activer un maximum de centrifugeuses d’un modèle des années 1970, mais de développer un modèle plus performant pour le jour où le JCPOA arrivera à expiration. Téhéran peut arrêter sans frais les deux tiers de ses centrifugeuses tant que les Américains tiendront leurs propres promesses.

Un accord pragmatique est donc à portée. Donald Trump proclamerait avoir tiré de l’Iran plus qu’Obama, sans avoir rien donné qui n’était déjà dans le JCPOA. Rouhani dirait avoir obtenu un allègement des sanctions américaines sans obérer l’avenir du programme nucléaire. Si les Européens parvenaient à nouer tous ces fils, ils auraient désamorcé une sérieuse crise de notre époque.


mercredi 18 octobre 2017

SORTIR PAR LE HAUT DE LA CRISE NUCLÉAIRE AVEC L'IRAN


Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il peut le faire de sa propre initiative.

maintenir en vie l'accord de Vienne

L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il le fait quand il se sent agressé.

Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, Président Rouhani en tête.

Une initiative pour l'Europe

Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des Iraniens.

     Le premier serait de ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à quoi aspire l'Iran.

·   Le deuxième geste serait de ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.

      Le troisième geste serait d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.

vers une solution régionale

Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.


Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.

mercredi 21 décembre 2016

Alep, point haut de l'aventure iranienne en Syrie

le Général Pasdar Soleimani en compagnie
 de miliciens chiites irakiens à Alep
La République islamique d'Iran savoure en ce moment l'accomplissement de "la promesse divine" qu'est la victoire d'Alep. En son sein, les Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution, ont beaucoup donné d'eux-mêmes depuis cinq ans, soutenant à bout de bras la vacillante armée de Bachar el Assad, formant des forces d'appoint sur place, et surtout faisant venir du Liban des milliers de combattants du Hezbollah, d'Irak des miliciens chiites, ou encore d'Iran et d'Afghanistan de pauvres Afghans en quête de subsistance et de statut.

L'Iran, au cas où il aurait parfois douté, se trouve conforté dans ses objectifs et ses analyses : pas question, bien entendu, de laisser s'installer en Syrie des sortes de néo-Talibans, qui ne manqueraient pas, une fois aux commandes, d'écraser toutes les minorités du pays, puis de revendiquer le Liban, d'aller aussi déstabiliser l'Irak voisin pour y détruire les sanctuaires les plus sacrés du chiisme, et d'arriver enfin aux portes de l'Iran : tout ceci avec le soutien plus ou moins avoué, mais en tous cas massif, de l'Arabie saoudite, obsédée par la menace perse et chiite.

Les Iraniens ne se font pourtant pas d'illusions sur la personnalité de Bachar. Ils l'ont critiqué à mots à peine couverts pour la brutalité de sa réaction en 2011, lorsque le soulèvement populaire était encore pacifique. Ils lui ont au moins une fois proposé, en vain, de l'installer ailleurs. Mais comme leurs dirigeants le disent régulièrement à leurs interlocuteurs occidentaux : s'il part demain, qui mettez-vous à sa place ? Et devant le silence qui leur répond, ils poursuivent : si vous vous en remettez alors au résultat d'un processus de transition, pourquoi l'en éliminer d'emblée ? S'il est aussi haï que vous le dites, notamment chez les Sunnites arabes, qui forment plus de 60% de la population syrienne, pourquoi refuser de le laisser concourir dans une élection générale organisée par les Nations-Unies et surveillée par la communauté internationale ?

Affichant son bon droit, et la conviction d'être le plus constant et le plus déterminé dans la lutte contre le terrorisme, le régime iranien sait en même temps que sa victoire est fragile. D'abord parce qu'il faut la partager avec plus fort que lui : la Russie. Certes, celle-ci était indispensable. A l'été 2015, le Général Soleimani, responsable des opérations des Pasdaran en Syrie et en Irak, était allé à Moscou pour représenter l'état d'épuisement de l'armée syrienne et le risque réel de voir Bachar balayé à court terme. Poutine, qui comprend immédiatement le danger pour la présence russe sur la côte méditerranéenne, à Latakieh et Tartous, est convaincu d'intervenir. Mais avec le sentiment aujourd'hui d'être le vrai vainqueur. La Russie va jusqu'à oublier de s'assurer de l'accord des Iraniens et des Syriens lorsqu'elle arrête avec les services turcs, au contact des différentes factions de l'opposition armée, les modalités d'évacuation des civils et des rebelles demeurés dans Alep-est. D'où le blocage du processus par les milices pro-iraniennes, avec l'exigence d'obtenir en échange l'évacuation de populations chiites assiégées par les insurgés dans deux bourgades situées à quelque 50 kilomètres au sud-ouest d'Alep. Autre vexation pour l'Iran, être invité par les Russes à Moscou pour discuter de l'avenir de la Syrie non pas seul, ou avec le gouvernement de Damas, mais avec… la Turquie, soutien de tous les Jihadistes depuis le début de l'insurrection !

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Après Alep

Et puis les Iraniens savent bien que la victoire d'Alep est loin d'avoir tout réglé. S'ils en avaient besoin, la mort d'un général Pasdar il y a quelques jours lors de la reprise de Palmyre par Da'esh est là pour le leur rappeler. S'il fallait reconquérir tous les territoires échappant encore au régime syrien, d'interminables combats seraient à prévoir. Les Russes le savent aussi. Ils ont rappelé à Assad, qui affiche encore l'objectif de reprendre le contrôle de l'ensemble du pays, qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit. C'est sans doute la raison pour laquelle ils ont décidé de préserver l'avenir en laissant partir les derniers rebelles d'Alep, plutôt que de les écraser. Les Russes plaident donc pour des concessions à l'opposition et un processus inclusif de retour à la paix, avec la constitution d'une union nationale en vue d'œuvrer à l'éradication de Da'esh. Cette tâche à elle seule, si l'Iran et ses amis veulent rester dans le jeu, implique encore des sacrifices, alors qu'un mouvement comme le Hezbollah libanais, qui a joué un rôle décisif dans les moments les plus sombres, a déjà payé un très lourd tribut à la guerre civile syrienne et ne pourra être éternellement sollicité.

Enfin, il y a l'inconnue de la nouvelle administration américaine. Trump a laissé entendre que l'élimination de Da'esh était sa toute première priorité et qu'il n'écartait pas l'idée de chercher à cette fin un terrain d'entente avec la Russie et même avec Bachar. La Turquie, si elle obtient des garanties sur la contention des Kurdes de Syrie, pourrait aussi se joindre à la partie. Quelle serait dans un tel dispositif la place de l'Iran ? Certes, les Iraniens interviennent en Irak, soutenant les milices chiites dans la bataille de Mossoul, où se retrouvent aussi les Américains, mais ils n'y sont pas aussi près du terrain, aussi associés au quotidien du combat qu'en Syrie. Si les Etats-Unis et la Russie se mettaient à agir ensemble en Syrie, l'Iran pourrait être confiné à un rôle secondaire, ou, s'il intervient en force, s'apercevoir qu'il tire finalement les marrons du feu pour l'Amérique.

La victoire d'Alep pourrait donc être pour l'Iran le point haut de son aventure syrienne. Sa première préoccupation devrait être de consolider sa position, de rester un élément incontournable des solutions à venir, plutôt que d'aller vers de nouvelles conquêtes. D'autant que la population iranienne pourrait se lasser de ces expéditions sans fin, comme du soutien à fonds perdus du régime d'Assad. Certes, les interventions en Syrie et en Irak lui sont présentées comme visant à assurer la protection de l'Iran contre des entreprises terroristes, et elle adhère à cette vision des choses. Mais si, dans l'euphorie de la victoire d'Alep, ce discours en venait à dériver vers l'idée que l'Iran est en position de dominer l'ensemble de la région, les gens ne seraient plus preneurs. Comme dans tant de pays, la population s'intéresse d'abord à sa situation économique. Elle attend une relance avec une impatience croissante depuis la conclusion en juillet 2015 de l'accord de Vienne sur le nucléaire, ayant permis la levée des premières sanctions. Il ne faudrait pas que cette reprise se trouve compromise par l'ouverture de crises inutiles. Il y a déjà suffisamment à faire pour protéger cet accord fragile, et encore plus fragilisé par l'élection de Donald Trump. C'est là-dessus que l'opinion se positionnera lors des élections présidentielles du printemps prochain, qui verront Hassan Rouhani concourir pour un deuxième mandat. C'est là qu'elle attend du résultat.

Boulevard Extérieur

vendredi 25 novembre 2016

Trump et l'accord nucléaire : l'Iran, l'Europe, la France

Sur l’accord nucléaire avec l’Iran, dit « JCPOA » (Joint Comprehensive Plan of Action) ou encore « Accord de Vienne », Donald Trump a dit à peu près tout et son contraire. Il l’a présenté comme « le pire accord » jamais signé par les États-Unis. Après avoir promis de le « déchirer » dès son arrivée à la Maison Blanche, il a semblé s’orienter vers l’idée d’une application sans concession, et aussi d’une renégociation. Mais il est improbable que les Iraniens se laissent entraîner dans une direction dont ils ne peuvent rien attendre de bon.

           Une sortie facile


De fait, même si Trump, confronté au principe de réalité, hésite à sortir de l’accord, il pourra y être poussé par les éléments les plus radicaux de son entourage, et aussi par un Congrès qui reste viscéralement hostile à l’Iran. Et le pas peut être aisément franchi de plusieurs façons. Il suffirait ainsi que Trump s’abstienne d’opposer son veto, ou même d’utiliser son pouvoir de suspension temporaire (waiver) à l’égard des sanctions que le Congrès pourrait voter en contravention avec l’accord de Vienne. Plusieurs projets de loi vont déjà en ce sens. 
Il suffirait aussi qu’il annule ou, plus simple encore, qu’il s’abstienne de renouveler à leur date d’expiration les waivers édictés par Obama pour suspendre les nombreuses sanctions adoptées au fil des années par le Congrès qui se sont trouvées contraires au JCPOA lorsque celui-ci est entré en vigueur, début 2016.
Enfin, il pourrait, à sa seule initiative, extraire les Etats-Unis de l’accord de Vienne par une simple déclaration de retrait. En effet, le JCPOA n’est lui-même qu’une déclaration d’intentions oralement adoptée par sept participants (l’Iran, les États-Unis, la Russie, la Chine, et trois Européens : Allemagne, France, Royaume-Uni). Il n’a fait l’objet d’aucune signature, et à plus forte raison d’aucune ratification.
Certes, l’Accord de Vienne a été, quelques jours après la conclusion de la négociation, approuvé à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a instamment appelé à « son application intégrale ». Mais en vérité, ces formules n’ont pas de caractère obligatoire, au sens des dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Elles ne lient donc pas juridiquement les États-Unis.
Mais si les États-Unis sortaient de l’accord, celui-ci ne serait pas mort pour autant. Il resterait encore comme partenaires de l’Iran, s’ils le veulent bien, les Européens, la Russie et la Chine. Le seul retrait américain replacerait donc l’Iran à peu près dans la situation où il se trouvait au début des années 2000, quand il avait des relations économiques proches de la normale avec tout le monde, sauf les États-Unis : situation très supportable par rapport à la période d’embargo presque total qui a suivi.

           Les choix de l’Europe


Dans une telle situation, en sachant que Chine et Russie seront de toutes façons en faveur du maintien en vie du JCPOA, il faudra que l’Europe, et aussi l’Iran, fassent les bons choix. L’Europe en particulier se trouverait en position cruciale pour peser tant sur l’Iran que sur les Etats-Unis.
Côté Iran, elle devrait persuader Téhéran de continuer à jouer le jeu à l’égard des cinq autres parties demeurant dans l’Accord, et donc de continuer à se soumettre aux mêmes contrôles internationaux, aux mêmes limitations de ses activités nucléaires. Il lui faudrait aussi persuader les Iraniens de faire profil bas sur leurs activités balistiques, qui se trouvent en principe hors du champ de l’accord de Vienne, mais qui, en raison de la menace qu’elles représentent en termes de prolifération, alimentent régulièrement la tension entre l’Iran et le monde extérieur. Pour convaincre, les Européens devront démontrer à Téhéran qu’ils sauront résister à Washington lorsqu’il s’agira de permettre à l’Iran de continuer sans trop d’encombres à vendre son pétrole, à attirer les investissements étrangers, à développer son économie. 
Les partisans du Président modéré Hassan Rohani devraient être assez aisément d’accord mais les conservateurs doctrinaires fermement installés au cœur du régime suivront-ils ? Ils n’ont jamais dissimulé leur hostilité au JCPOA. Le retrait de l’Iran à la suite des États-Unis leur permettrait de mettre en difficulté le gouvernement actuel, et de resserrer leur emprise sur la société et sur l’économie. Si tout ceci se passait avant mai prochain, ils mettraient en péril la réélection du Président Rohani pour un second mandat. La tâche des Européens pourrait donc être rude.
Côté États-Unis, l’Europe risque fort de trouver bientôt devant elle une Administration américaine cherchant à la convaincre de se désengager, elle aussi, de l’Accord de Vienne, ou peut-être, dans un premier temps, à l’entraîner dans une politique de tension visant à pousser l’Iran à la faute. A l’issue de sa réunion du 14 novembre, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne a déjà manifesté son attachement au JCPOA, envoyant une claire mise en garde aux équipes de Donald Trump. Mais aura-t-elle la même détermination dans la durée ? 
À cet égard, la position des trois Européens parties à l’accord sera évidemment déterminante. L’Allemagne est un important partenaire de l’Iran en matière de commerce et d’investissement, et un interlocuteur de longue date de Téhéran sur les questions du Moyen-Orient. Elle s’efforcera de tenir bon, mais en essayant, comme à son habitude, de ne pas se mettre trop en avant. Quant à la Grande-Bretagne, la survie de l’Accord de Vienne est manifestement dans son intérêt, l’Iran étant en particulier un client potentiel important des services financiers et d’assurance offerts par la City. Mais alors qu’elle va commencer à se détacher de l’Union européenne, prendra-t-elle le risque de se distancer de l’Administration américaine ?

           La France exposée


La France pourrait alors se trouver poussée sur le devant de la scène. Le Président de la République, le ministre des Affaires étrangères, ont tout récemment dit avec force leur soutien à l’Accord de Vienne. Le temps est donc loin où la France laissait filtrer son scepticisme sur les chances de parvenir à un bon accord. Mais là encore, il va falloir tenir dans la durée, au-delà des échéances électorales qui s’approchent. Il faudra, si nécessaire, être prêt à assumer le mauvais rôle de l’allié récalcitrant que la France a déjà vécu au moment de la montée de la crise irakienne, mais en essayant, cette fois-ci, d’éviter une fracture entre Européens. Tous ceux qui se projettent dans la gestion de la politique étrangère du prochain mandat présidentiel devraient se préparer à aborder cette affaire dans leurs tout premiers dossiers.

(article paru le 23 novembre 2016 sur le site "Boulevard extérieur")

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