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mardi 9 février 2021

REVENIR AU PLUS VITE DANS L'ACCORD SUR LE NUCLEAIRE IRANIEN

S’exprimant tout récemment sur l’actualité internationale devant l’Atlantic Council, Emmanuel Macron, abordant la crise nucléaire iranienne, s’est réjoui de la volonté de dialogue manifestée par la nouvelle administration américaine, en se déclarant « présent et disponible… pour tâcher d’être un médiateur dévoué et sans parti pris dans ce dialogue ». Cette offre éminemment positive a été aussitôt suivie par l’énoncé de ses vues sur le sujet : urgence de mener à bien de nouvelles négociations avec l’Iran, le pays étant « bien plus proche de la bombe nucléaire qu’il ne l’était avant la signature de l’accord » de juillet 2015 ; nécessité d’aborder « les questions des missiles balistiques et de la stabilité de la région" ; intérêt à trouver « un moyen de faire participer l’Arabie saoudite et Israël à ces discussions ». Ce sont en effet de vraies questions. Malheureusement, les afficher d’emblée risque de saper la crédibilité de la médiation envisagée. La tâche d’un médiateur est d’abord d’écouter et de sonder les uns et les autres, puis d’élaborer de façon aussi neutre que possible, par approches successives, une solution acceptable par tous. Le tout dans une totale discrétion. L’objectif semble désormais difficile à atteindre.

          L’Iran plus proche de la bombe ?


Que penser en outre des prises de position de notre Président ? L’Iran est-il bien plus proche de la bombe qu’à la veille de l’accord de Vienne ? Pas exactement. À la veille de cet accord, l’Iran disposait d’un stock d’uranium faiblement enrichi de plus du double de ce qu’il est aujourd’hui. Il disposait également d’un stock d’uranium enrichi à 20% plus de cinq fois supérieur à son stock actuel. Encore ce stock initial d’uranium à 20%, le plus inquiétant, avait-il été déjà divisé par deux en signe de bonne volonté peu après le début des négociations entamées en 2013. En revanche, après l’entrée en vigueur de l’accord conclu en 2015, le stock d’uranium de l’Iran s’est drastiquement réduit. Le stock d’uranium faiblement enrichi passe de quelque 7.000 à 300 kilogrammes, et le stock d’uranium enrichi à 20% disparaît. Mais l’Iran, à ce jour, en raison des infractions commises, a bien recommencé à reconstituer ses stocks. Si le souci principal est vraiment de l’éloigner de la capacité à produire l’arme nucléaire, la priorité absolue devrait donc être de revenir au plus vite à la pleine application de la lettre et de l’esprit de l’accord de Vienne : à savoir la stricte limitation de la production iranienne d’uranium enrichi en échange de la levée des sanctions. Ce qui implique le plein retour des Américains dans l’accord.

Et s’il est ensuite un but de négociation qui devrait l’emporter sur tous les autres, ce serait de consolider et de prolonger dans le temps cet accord, dont la principale faiblesse est la durée limitée. En effet, les contraintes acceptées par l’Iran commencent à se desserrer dès 2025. Les quatre ans qui nous séparent de cette date doivent être mis à profit, d’abord pour restaurer la confiance sérieusement écornée par l’application minimaliste de l’accord par les États-Unis, suivie de leur abrupte sortie en 2018. Ensuite pour bâtir dans l’esprit initial de l’accord un dispositif plus pérenne.

          Programme balistique, influence régionale


Restent, bien entendu, les autres questions soulevées par notre Président, qui rejoignent d’ailleurs la vision de l’administration Biden. Que penser d’une limitation du programme balistique iranien ? Un certain nombre de pays de la région ne pourraient que s’en réjouir. Pour pouvoir progresser sur ce sujet, encore faut-il comprendre la conception qu’en ont les Iraniens. Leur arsenal compense à leurs yeux le déficit de l’Iran en matière d’avions de combat, puisqu’il n’a pas accès aux grands fournisseurs internationaux, et que sa flotte aérienne est totalement obsolète. D’autre part, il voit ses missiles comme un instrument de deuxième frappe, donc de riposte au cas où son territoire se trouverait agressé. C’est donc pour lui sa meilleure, et même sa seule arme crédible de dissuasion. Ceci pour dire que l’on aura du mal à obtenir de lui des garanties en la matière si ceux qui l’inquiètent n’en n’offrent pas d’équivalentes. L’Iran n’a aucune raison d’être le seul à se laisser limer les dents. Il ne saurait y avoir de « mauvais missiles » iraniens et de « bons missiles » et avions de combat saoudiens ou israéliens.

La question fort importante de la stabilité de la région et de l’influence que l’Iran y exerce se pose à peu près dans les mêmes termes. Pour faire bref, l’un des moyens d’affaiblir « le front de la résistance » constitué autour de l’Iran serait de progresser dans la solution de la question israélo-palestinienne. Cela ne réglerait pas tout mais autoriserait enfin une détente sur le front régional. Ce jour venu, peut-être Israël et l’Arabie saoudite pourraient être associés à la concertation que le Président de la République appelle de ses vœux.

          La raison de l’Iran


L’Iran a fait dans le passé de grosses bêtises, il en fera encore à l’avenir. Ceci n’exclut pas qu’il puisse avoir parfois raison. Quand son ministre des Affaires étrangères Djavad Zarif appelle à la définition d’une« chorégraphie » permettant d’aboutir simultanément au plein retour des États-Unis dans l’accord de Vienne et au plein retour de l’Iran à ses propres obligations, la proposition paraît relever du simple bon sens. Il est curieux qu’elle se heurte encore à des tergiversations.

De même, quand le Guide suprême Ali Khamenei fait allusion à l’intérêt d’un processus de vérification de la mise en œuvre loyale des engagements pris par les partenaires de l’Iran, notamment en matière de levée de sanctions, de même que l’AIEA vérifie la bonne exécution des engagements nucléaires de l’Iran, il soulève une vraie question. Mais surtout, en cette affaire, il s’agit maintenant d’aller vite. Le temps utile pour dénouer la crise ne dépasse plus les quelques semaines. Car vient ensuite l’élection présidentielle iranienne, qui renvoie la capacité de renouer des contacts utiles avec Téhéran au-delà de l’été. Donc dans un futur incertain, si l’on considère à la fois les surprises pouvant sortir de l’élection et les troubles qui agitent la région.

Paru le 9 février dans Boulevard Extérieur

jeudi 12 novembre 2020

BIDEN, L’IRAN, LE NUCLÉAIRE ET LES AUTRES


En septembre dernier, Joe Biden a pris position à l’égard de l’accord nucléaire avec l’Iran, dit aussi JCPOA, conclu en 2015 à Vienne par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, dont Trump a sorti les États-Unis en mai 2018. Il a présenté comme un échec la politique de « pression maximale » qui a suivi. De fait, la multiplication des sanctions américaines a infligé des coups terribles à l’économie et à la population iraniennes, mais n’a pas ramené la République islamique à la table de négociations, comme le calculait la Maison-Blanche. L’Iran a finement joué en demeurant au sein du JCPOA, tout en mettant en place une série d’infractions calculées à l’accord, sur lesquelles il s’est dit prêt à revenir si les choses s’arrangeaient. Ces infractions, en somme modérées, l’ont néanmoins rapproché de la capacité à se doter, s’il en prenait la décision, de l’arme nucléaire. Et dans cette période, les cinq autres pays parties à l’accord ont plutôt été du côté de l’Iran, mettant en lumière la solitude de Washington. 

Les attentes de Joe Biden 

Biden a donc manifesté l’intention de ramener les États-Unis dans le JCPOA si l’Iran en respectait à nouveau scrupuleusement les termes. Mais il veut aussi que ce retour ouvre une nouvelle séquence diplomatique. Il s’agirait d’abord d’améliorer le texte avec les autres parties à l’accord en renforçant ses dispositions protectrices à l’égard des tentations de prolifération de Téhéran. L’Iran devrait en outre libérer les Américains injustement détenus, progresser en matière de droits de l’Homme, et reculer dans ses « entreprises de déstabilisation » de la région. Biden enfin souligne qu’il continuera d’user de sanctions ciblées pour contrer les violations des droits de l’Homme, le développement du programme balistique et « le soutien au terrorisme ». 

Côté iranien, la réponse est mesurée. Le Guide suprême ne s’est pas prononcé. Le Président Hassan Rouhani a déclaré que les États-Unis devaient « réparer leurs erreurs passées et revenir au respect de leurs engagements internationaux ». Son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Djavad Zarif, a fait savoir qu’il n’était pas question de renégocier les termes du JCPOA. Son porte-parole a ajouté que les États-Unis devraient garantir l’Iran contre le risque d’une nouvelle sortie de l’accord. Il faudrait alors qu’ils ratifient le JCPOA -- mais le Congrès sera difficile à convaincre --, ou du moins qu’ils fassent adopter par le Conseil de sécurité une résolution donnant à l’accord une force obligatoire. Quant aux autres sujets -- droits de l’Homme, terrorisme, programme balistique, influence régionale --, l’on voit mal l’Iran accepter de lever la barrière qu’il a posée entre le nucléaire et ces autres sujets sur lesquels ses interlocuteurs, en particulier le Président Macron, ont déjà tenté de l’entraîner. De telles questions échappent d’ailleurs à la compétence du ministère des affaires étrangères, qu’il s’agisse du balistique et des opérations régionales, chasse gardée des Pasdaran, ou des droits de l’Homme, à la merci du système judiciaire. 

Les autres acteurs, aux États-Unis et ailleurs 

Biden va devoir aussi compter avec d’autres acteurs. D’abord l’administration finissante de Donald Trump, en place jusqu’au 19 janvier. Celle-ci a tout récemment multiplié les sanctions contre l’Iran et fait passer le message qu’elle pourrait continuer jusqu’au dernier moment, avec l’idée de rendre indémêlable le dense dispositif mis en place. À noter que les dernières vagues de sanctions ont été pour l’essentiel lancées au nom de la lutte contre le terrorisme ou la violation des droits de l’Homme. Or, la mise en œuvre du JCPOA n’avait entraîné que la levée – partielle -- des sanctions liées au nucléaire. Même si ces sanctions nucléaires, rétablies par Trump, sont bien levées à nouveau par Biden, toutes les autres sanctions, touchant à des domaines vitaux comme le pétrole ou les banques, resteront en place, neutralisant le bénéfice attendu du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. Biden aura certes la capacité de revenir aussi sur ces autres sanctions, du moins pour celles dont la levée n’obligerait pas à solliciter l’accord du Congrès, mais il sait également que tout mouvement en ce sens serait aussitôt dénoncé par son opposition comme une démission en matière de lutte contre le terrorisme ou de défense des droits de l’Homme. 

Ajoutons que le service du Trésor chargé de l’élaboration et de l’application des sanctions, le redoutable OFAC (Office of Foreign Assets control), est peuplé à tous les étages de « faucons » ayant mis tous leurs talents de juristes au service de la lutte contre l’Iran. Ce sont eux qui ont déjà saboté la mise en œuvre du JCPOA durant la brève période allant de son adoption au départ d’Obama, en interprétant a minima les obligations des États-Unis. Joe Biden ne pourra donc pas faire l’économie d’une reprise en main de cette administration. Et il devra persuader ses équipes qu’il ne suffit pas d’abroger des textes pour effacer les dommages provoqués par une politique. Il y faut aussi une volonté active de relance et de coopération. 

Et puis, Biden devra également compter avec les réactions d’Israël et des pays de la Péninsule arabique, à commencer par l’Arabie saoudite. Il pourra peut-être passer par pertes et profits le froid qui s’installera dans la relation avec le royaume wahhabite, sachant que ce pays a, de toutes façons, trop besoin de l’Amérique. Il se prépare d’ailleurs à lui faire avaler une pilule autrement amère : la fin du soutien de Washington à la «désastreuse guerre au Yémen ». 

Avec Israël, l’entreprise sera plus difficile, en raison des liens qui unissent l’État hébreu avec de larges segments de l’électorat américain. Avant d’agir il faudra s’expliquer et tenter de convaincre. Les interlocuteurs de la nouvelle Administration, s’ils ne peuvent bloquer le changement de ligne, monnayeront au plus haut leur abstention. Et déjà circule en Israël l’idée qu’il faudra peut-être en venir à intervenir seul contre l’Iran. Est-ce crédible ? Cette menace avait déjà été agitée entre 2010 et 2012, mais l’état-major s’était fermement opposé à ces projets en raison de l’incertitude des résultats. Il devrait en être de même aujourd’hui. D’ailleurs, alors que circule aussi aux États-Unis l’idée que Trump pourrait, avant de partir, frapper l’Iran pour créer une situation irréversible, tout laisse à penser que l’État-major américain marquerait son refus. Il l’avait déjà fait aux derniers temps de l’administration de George W. Bush lorsque cette hypothèse avait été un moment caressée. 

L’échéance des présidentielles iraniennes 

Comment, pour Joe Biden, composer avec tous ces éléments ? Il en est un avec lequel il devra au premier chef compter. Des élections présidentielles se tiendront en Iran en juin prochain. À ce jour, tout va dans le sens de la victoire d’un conservateur, voire d’un radical parmi les conservateurs, tant ceux-ci ont verrouillé la vie politique en tirant profit de la déception de la population a l’égard du JCPOA. Le Président Rouhani s’en est trouvé discrédité, et avec lui, l’ensemble des réformateurs et modérés. Cela s’est vu aux élections législatives de février dernier, qui ont amené une majorité écrasante de conservateurs au parlement. Or les États-Unis, comme l’Europe, ont tout intérêt à ce que réformateurs et modérés, quels que soient leurs graves insuffisances, continuent de compter dans la vie politique iranienne. Eux seuls en effet souhaitent une relation, sinon amicale, du moins apaisée avec l’Occident. D’où l’intérêt de préserver l’avenir, en offrant à Rouhani -- qui ne pourra se représenter après deux mandats -- et à ses amis, une ultime occasion de se refaire une santé politique. 

Il faudrait pour cela poser les bases d’une relance bénéfique à la population durant le bref intervalle de quatre mois allant de l’investiture de Joe Biden à la campagne présidentielle iranienne. Il ne sera pas possible en si peu de temps de mener à terme le plein retour des États-Unis dans le JCPOA et d’effacer les effets ravageurs des sanctions de Donald Trump. Mais il devrait être possible, d’abord de libérer toutes les capacités d’aide humanitaire dont l’Iran a besoin en urgence dans la grave crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Ensuite d’accorder sans attendre un montant significatif d’exemptions, ou waivers, aux sanctions sur le pétrole et aux transactions financières internationales, en échange de gestes iraniens également significatifs sur la voie d’un retour au strict respect de ses obligations découlant du JCPOA. Ces mesures partielles mais pragmatiques permettraient d’éclairer l’avenir et de faciliter la suite.

Article paru le 12 novembre 2020 sur le site 

Boulevard Extérieur


dimanche 17 décembre 2017

FAIRE D'UNE CRISE UNE OCCASION DE PROGRÈS


(paru le 16 décembre 2017 dans "l'Orient le Jour")

Dès 2008, Obama a cherché avec l’Iran un accord permettant de mieux encadrer son programme nucléaire. Il y est parvenu en juillet 2015 à Vienne, en compagnie des Allemands, des Anglais, des Français, des Chinois et des Russes. Mais pour apaiser son Congrès, très hostile à l’Iran, il a dû accepter de certifier tous les trois mois que l’Iran respectait ses engagements et que l’accord était bien dans l’intérêt de l’Amérique. Faute de quoi, le Congrès aurait la liberté d’imposer à Téhéran de nouvelles sanctions entraînant le retrait des États-Unis de l’accord.

 Trump, lui, dès sa campagne électorale, a déclaré que l’accord de Vienne était « le pire jamais signé par l’Amérique », et promis qu’il le dénoncerait sans tarder. Une fois élu, sous la pression de collaborateurs de bon sens, il a d’abord hésité. Mais le 13 octobre dernier, il a refusé de certifier l’accord, l’envoyant donc à l’examen du Congrès.
 La surprise est alors venue du Congrès, quand celui-ci s’est dérobé. Beaucoup de Sénateurs et de Représentants, même hostiles à l’accord, ont tiré les leçons du fait accompli et jugé qu’il serait désormais plus dangereux d’en sortir que d’y rester.

À la croisée de plusieurs chemins

 La balle est donc revenue du côté du Président Trump. Celui-ci a le pouvoir de prendre seul la décision de sortir de l’accord. S’il le fait, l’Iran aura le choix, soit de continuer quand même à l’appliquer avec les cinq autres pays partenaires, soit d’en sortir. On entrerait alors dans l’inconnu.

 Mais il n’est pas exclu que Trump, pesant le risque de décrédibiliser la parole de l’Amérique et de se retrouver une fois de plus isolé sur la scène internationale, reste finalement dans l’Accord. En ce cas, il se vengera sans doute de son échec en accentuant la pression sur l’Iran dans deux domaines sensibles qui ne relèvent pas de l’accord de Vienne : le programme balistique de Téhéran, et son influence régionale.

 Sur ces points, la position de la France mérite d’être relevée. Le Président Macron, dans l’espoir de renouer les fils du dialogue, s’est positionné à mi-chemin des États-Unis et de l’Iran. Il défend très fermement contre le Président Trump la survie de l’accord nucléaire. En revanche, il le rejoint pour demander à l’Iran de limiter d’une part ses ambitions balistiques, d’autre part ses ambitions régionales.

 Mais il a peu de chances d’être entendu de Téhéran. Les Iraniens considèrent, non sans quelque raison, que les affaires balistiques relèvent de leur défense nationale, sujet non-négociable sous la contrainte. Ceci d’autant plus qu’aucun autre pays de la région n’a accepté de limitations en ce domaine. Quant à son influence régionale, ni la France, ni même les Etats-Unis n’ont guère, en ce moment, de cartes en main pour l’obliger à abandonner ses acquis.

 Le risque est alors que, pour faire plier l’Iran sur ces deux sujets, les États-Unis, éventuellement aidés d’autres pays, notamment européens, peut-être de la France, multiplient les pressions et les sanctions. Ce serait une voie sans issue. Ceux qui connaissent un peu les Iraniens savent que plus on insiste pour les faire céder, plus ils ont tendance à se braquer. C’est ce qui s’est passé dans la crise nucléaire. Elle ne s’est dénouée que lorsque les Américains ont enfin accepté de leur parler sans conditions préalables, et sans a priori sur la solution à trouver.

 Lumières au bout du tunnel

 Pour sortir de la nouvelle crise qui se dessine, la voie est étroite. Mieux vaut, pour l’explorer, disposer de quelques repères.

 D’abord se dire qu’en matière stratégique et de défense, il n’y a de limitations acceptables pour une nation souveraine (sauf si elle sort vaincue d’une guerre, et encore…), que librement consenties, et partagées avec les autres nations concernées. Il faut qu’à la fin du processus, chacun ait le sentiment d’un résultat équitable, où il trouve son compte : un résultat gagnant-gagnant, comme on dit aujourd’hui. Ceci est vrai, entre autres, dans le domaine balistique.

 Compte tenu de la lourdeur des contentieux déchirant les pays de la région, mieux vaut aussi commencer par des sujets limités, traités de façon discrète, entre spécialistes. Il y en a plusieurs sur lesquels les pays du Proche et du Moyen-Orient ont des progrès à faire. Beaucoup, par exemple, n’ont pas encore adhéré au Protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique, pourtant indispensable pour se présenter en pays respectable dans le domaine nucléaire. Beaucoup n’ont pas signé le Code de la Haye, code minimal de transparence en matière balistique. Beaucoup n’ont pas rejoint le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires, alors qu’ils sont pourtant membres du Traité de non-prolifération, et que cette adhésion ne représenterait aucune obligation supplémentaire. Sur ces sujets et quelques autres, chacun semble attendre que son voisin prenne l’initiative.

 Sur de tels sujets, les pays extérieurs à la région, notamment les Occidentaux, devraient, pour une fois, s’abstenir d’agir en donneurs de leçons. S’ils voulaient être utiles, mieux vaudrait qu’ils interviennent de façon indirecte, en convainquant quelques pays-clés de s’intéresser à ces dossiers et de tenter d’entraîner leurs voisins. Sur les trois sujets évoqués, la Turquie, par exemple, qui parvient à parler à tout le monde, pourrait jouer un rôle moteur. Et le Liban, précisément parce qu’il ne fait d’ombre à personne, serait aussi écouté s’il intervenait avec la finesse que l’on connaît à sa diplomatie. En avançant ainsi pas à pas, le Proche et Moyen-Orient aurait une chance de montrer qu’il est capable de progresser vers son autonomie.


jeudi 30 novembre 2017

QUELLES LEÇONS DE L'IRAN POUR LA CRISE NORD-CORÉENNE ?

Avec son dernier test de missile intercontinental, la Corée du Nord marque un nouveau progrès dans la phase la plus sensible de son programme militaire nucléaire, celle où il s'agit de parcourir l’ultime étape conduisant à la possession d'un arsenal nucléaire. En effet, la Corée du Nord ne possède pas encore de dispositif nucléaire opérationnel. Si ses ingénieurs ont bien déclenché sous terre six explosions nucléaires successives, ils n'ont pas atteint la maîtrise du système d'armes combinant lanceur balistique, dispositif de guidage et tête porteuse d'un engin nucléaire miniaturisé. L'on se rappelle que Kim Jung Un avait déclaré en septembre dernier, peu après un test de missile :"nous avons presque atteint le but", à savoir "une capacité de riposte nucléaire à laquelle les États-Unis ne pourraient pas échapper". Voilà donc la Corée du Nord entrée dans la zone de tous les dangers, celle qu'il convient de traverser le plus vite possible avant de se trouver à couvert, protégé par la possession du feu nucléaire. On comprend que dans ce passage délicat, Pyongyang ne donne pas la priorité au dialogue. En effet, plus le danger d'être arrêté dans son élan se précise, plus il faut aller vite. Nous en sommes là aujourd'hui : les imprécations de Trump, la pluie de sanctions internationales ont pour premier effet de pousser les Nord-Coréens à redoubler d'efforts.

le dialogue interrompu

Ce scénario n'était pourtant pas écrit d'avance. Qui se souvient qu'en 1991, le Président George Bush (père) retirait de Corée du Sud les armes nucléaires américaines qui y étaient entreposées ? Peu après, les deux Corées adoptaient une déclaration commune de dénucléarisation de la péninsule coréenne. Quelques mois plus tard, la Corée du Nord autorisait les inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique sur son sol. Mais les inspecteurs se révèlent plus efficaces que prévu. Ils sont donc rapidement interdits de séjour. Commence alors un jeu du chat et de la souris qui, après bien des péripéties, aboutit en 1994 à la conclusion d'un accord-cadre entre États-Unis et Corée du Nord, par lequel celle-ci s'engage à geler, puis à démanteler ses installations nucléaires sensibles en échange d'une importante aide internationale. 

Des négociations se nouent ensuite sur la question balistique, qui aboutissent en 1999 à un moratoire sur les essais. Et en 2000, les deux Corées annoncent ensemble leur intention de travailler à la réunification de la Péninsule. Tous ces processus cheminent cahin-caha lorsque le Président Bush (junior) commence à faire machine arrière et place en 2002 la Corée du Nord parmi les pays de "l'axe du mal". Même si des négociations se tiennent encore dans les années suivantes, le cœur n'y est plus. En 2006, la Corée du Nord procède à sa première explosion nucléaire.

la solution iranienne

Bien loin de la Corée, une autre crise nucléaire a pris à même époque son envol. Mais l'issue, à ce jour, en est fort différente. L'Iran n'a pas la bombe et a accepté pour une quinzaine d'années des limitations et des contrôles exceptionnels sur son programme nucléaire civil en échange de la levée des sanctions qui le frappaient dans le domaine nucléaire. Contrairement à la Corée du Nord, l'Iran reste, bien entendu, membre du Traité de non-prolifération, ce qui implique qu’il renonce à toute ambition nucléaire militaire, et le maintient sans limitation de durée sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Quelles leçons tirer de ce résultat, même fragile, pour la crise nord-coréenne ?

Si les condamnations du Conseil de sécurité et les sanctions américaines et européennes ont maintenu sur l'Iran une indéniable pression, si la perspective d'une levée des sanctions a constitué une monnaie d'échange dans la négociation, ces sanctions n'ont pas été le facteur déclenchant de la solution qui s'est esquissée à partir de 2013. Ceci confirme l'observation selon laquelle plus l'économie et la société d'un pays sont isolées du monde extérieur, et plus son régime est autoritaire, moins les sanctions qui lui sont infligées sont susceptibles de le faire évoluer. Il faut s'en souvenir pour la Corée du Nord (et d’ailleurs aussi pour l’Iran, si finalement, les États-Unis se retiraient de l’accord…). 

Non, pour déboucher, il a fallu que les Américains, suivis par les Européens, en rabattent, après de longues années, sur leurs exigences initiales. Alors que les résolutions du Conseil de sécurité réclamaient à l'Iran de suspendre ses activités nucléaires sensibles en préalable à toute négociation de fond, les Américains ont passé outre et les négociations de Genève en 2013 se sont déroulées tandis que tournaient les centrifugeuses iraniennes. À même époque, Américains et Européens ont abandonné l'objectif irréaliste d'un gel, puis d'un démantèlement, des éléments sensibles du programme nucléaire iranien. Ils se sont satisfaits d'une surveillance et d'un encadrement hautement renforcés. Ceci a suffi pour éteindre la menace.

la négociation, toujours

La leçon de l'histoire est que tout accord est par définition un compromis, que seules des négociations excluant menaces et imprécations permettent d’élaborer. Un tel compromis est certes moins aisé à atteindre dans le cas coréen qu’il ne l’a été avec l’Iran : Téhéran pour sa part, n’a jamais procédé à une explosion nucléaire, ni même n’a été proche de le faire. Pour la Corée du Nord, en revanche, l’on est en situation d’urgence.

Dans un premier temps, il serait illusoire de vouloir échapper à l'acceptation de l'état d'avancement technologique atteint par la Corée du Nord dans ses programmes nucléaire et balistique. Mais ces programmes pourraient être gelés -- pas de nouveau tir de missile, pas de nouvelle explosion nucléaire -- en échange d’une suspension des sanctions votées par le Conseil de sécurité, comme par les Etats-Unis et par l’Union européenne.

Si cette étape déjà difficile parvenait à être franchie, il deviendrait possible de commencer à organiser la réintégration de Pyongyang dans l’économie internationale. Le régime de Kim Jung Un, s’il veut survivre et prospérer dans la durée, doit pouvoir commercer avec le monde extérieur pour répondre aux besoins de sa population. Il lui faudrait aussi des assurances crédibles qu’on ne chercherait pas à le déstabiliser. Pyongyang devrait alors s’engager à cesser ses manœuvres d’intimidation à l’égard de la Corée du Sud. Il devrait surtout renoncer au développement de ses capacités balistiques, arrêter définitivement ses essais nucléaires, et préparer son retour au sein du Traité de non-prolifération.


Certes, une telle formule aboutirait à accepter la Corée du Nord comme un "pays du seuil", c’est-à-dire comme un pays pouvant atteindre en un, deux, ou trois ans la possession d’un début d’arsenal nucléaire. Mais vu la périlleuse situation dans laquelle nous sommes déjà fourvoyés, ce serait un moindre mal. Avec le temps, le spectre d’une déflagration nucléaire dans la région devrait pouvoir s’effacer. La France, qui n'a rien à gagner ou à perdre directement en cette affaire, pourrait utilement tenter de peser en ce sens.

(publié le 29 novembre 2017 par FigaroVox)

vendredi 15 avril 2016

Nuages sur l'accord nucléaire avec l'Iran

Boulevard Extérieur
L’accord nucléaire du 14 juillet entre l’Iran et le groupe de puissances dit P5+1 (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie, plus l’Allemagne) a été à juste titre salué comme un succès historique, fruit de plus de dix ans d’efforts diplomatiques. Mais ce sommet atteint, restent encore tous les périls de la descente, c’est-à-dire d’une mise en œuvre qui va durer de dix à quinze ans. 
Le pari de l’accord, c’est qu’au bout de ce temps, la confiance ayant été retrouvée quant aux pratiques et intentions nucléaires de l’Iran, celui-ci pourra être accueilli dans la communauté internationale comme un membre pleinement respectueux des normes de la non-prolifération. Mais pour cela, encore faut-il que toutes les parties s’attachent, selon les termes mêmes de l’accord du 15 juillet, « à appliquer ce plan d’action de bonne foi, dans une atmosphère constructive fondée sur le respect mutuel, et à s’interdire toute action allant à l’encontre de sa lettre, de son esprit et de son intention. » Ce n’est pas à ce jour le chemin emprunté.

            Un inquiétant programme balistique


Côté iranien, la lettre de l’accord, depuis son entrée en vigueur le 16 janvier dernier, a été scrupuleusement appliquée, comme en témoignent les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, dotée à cette occasion de pouvoirs d’inspection hautement renforcés : les milliers de centrifugeuses en excédent ont été démantelées, l’essentiel du stock d’uranium faiblement enrichi a été transféré à l’étranger, le cœur du réacteur d’Arak a été rendu inutilisable par une coulée de béton. 
Mais à la marge de l’accord, les choses se gâtent. Car si l’accord est strictement limité à la question de la prolifération nucléaire, un lien manifeste existe entre celle-ci et la prolifération balistique. Or l’Iran développe avec opiniâtreté un programme de missiles suffisamment puissants pour pouvoir emporter un jour sur longue distance des têtes nucléaires, s’il était décidé d’aménager ces vecteurs à une telle fin. En octobre, puis en mars dernier, il a ainsi procédé à des essais de missiles confirmant sa volonté de disposer d’une capacité de dissuasion balistique à l’égard de tout pays du Proche et du Moyen-Orient.
Ce programme balistique est géré par les Pasdaran ou Gardiens de la révolution, ce corps d’élite politico-militaire, ne rendant des comptes qu’au Guide suprême, Ali Khamenei, et qui intervient lourdement dans le quotidien de la République islamique. Ses chefs n’ont pas fait mystère de leur réticence à l’égard du compromis avec des puissances hostiles que représentait à leurs yeux l’accord nucléaire. Ils ne veulent surtout pas qu’il puisse déboucher sur une détente internationale qui affaiblirait les ressorts du régime. 
Ils accompagnent leur programme balistique de mises en scène et d’une rhétorique agressives qui avivent encore les inquiétudes des observateurs extérieurs, donne des armes à tous ceux, aux États-Unis et ailleurs, qui verraient volontiers capoter l’accord nucléaire, et embarrasse lourdement le gouvernement du président Rohani. Mais c’est précisément l’un des buts recherchés dans l’affrontement qui se dessine de plus en plus visiblement entre d’une part les Pasdaran, gardiens de la pureté des idéaux de la révolution en même temps que de leurs intérêts très concrets dans une économie fermée, d’autre part un Président ayant fait de l’ouverture sur le monde extérieur l’axe directeur de son mandat.

            De lourdes sanctions toujours en vigueur


Du côté américain, les choses ne vont pas mieux. Là encore, la lettre de l’accord a été respectée, les sanctions qui y sont énumérées ont bien été levées, mais à ses marges, toutes les sanctions hors de portée de l’accord, car prises pour des raisons étrangères à la lutte contre la prolifération nucléaire, restent en vigueur. Ce sont, pour beaucoup, des sanctions votées par le Congrès à l’époque Clinton pour punir l’Iran de son soutien au terrorisme et de ses atteintes aux droits de l’homme, et quelques-unes prises encore récemment par le président Obama lui-même. 
Sauf certaines exceptions, dans le domaine aéronautique civil notamment, ou dans des secteurs à dimension humanitaire tels que l’agro-alimentaire et le médical, ces sanctions-là interdisent toujours aux entreprises américaines de frayer avec l’Iran. Jusque là, rien de très gênant, même au contraire, pour les entreprises étrangères, en particulier européennes, qui souhaitent revenir ou prendre pied dans le pays. Mais elles vont de fait bien plus loin, en interdisant à qui que ce soit à travers le monde toute affaire dans lequel un seul citoyen américain serait impliqué, toute affaire aussi où se retrouveraient des institutions ou des individus figurant sur une liste noire, en particulier les fameux Pasdaran, toute affaire enfin qui amènerait une circulation de dollars entre l’Iran et un quelconque correspondant extérieur. De telles règles aboutissent à rendre extraordinairement complexe le montage de la moindre transaction avec l’Iran, et en réalité, à l’interdire.
De fait, les banques européennes, traumatisées par les amendes cuisantes subies récemment par quelques-unes des plus importantes d’entre elles, refusent de bouger. La plus grande partie des projets européens concernant le marché iranien sont donc au point mort, ainsi que le retour en Iran de la plupart des fonds iraniens détenus à l’étranger et gelés par les sanctions, s’élevant à plusieurs dizaines de milliards de dollars, que l’accord nucléaire avait en principe débloqués.
Cette situation a déjà entraîné une vive protestation du Guide de la Révolution qui, pour une fois au moins, n’a pas tout à fait tort de s’en prendre aux États-Unis en les accusant « de tout faire pour priver l’Iran des bénéfices de l’accord ». Il a aussi, non sans raison, exprimé la crainte que la prochaine administration ne se considère pas liée par les engagements de l’administration actuelle. 
Obama a paru d’abord sensible à la critique, en annonçant d’une part la recherche d’un certain assouplissement aux sanctions en vigueur, en mettant d’autre part le Congrès en garde contre le vote de nouvelles sanctions. Il a été sur ce point ouvertement soutenu par David Cameron, alerté sur la situation par les entreprises britanniques. 
L’on ne sait ce que font les Français ou l’Union européenne. Mais aux dernières nouvelles, l’administration du président Obama hésiterait encore à toucher aux sanctions en vigueur, de peur sans doute d’entraîner une violente réaction du Congrès. Et demeure en tout état de cause l’incertitude sur le résultat des prochaines élections américaines. Même si Hillary Clinton l’emportait, celle-ci, dans sa campagne, a manifesté l’intention d’appliquer a minima l’accord avec l’Iran, ce qui pourrait présager de longues difficultés.

            Remettre l’accord sur ses rails


Nous en sommes là aujourd’hui, et cet aujourd’hui est hautement préoccupant, surtout si l’on songe aux quinze années encore à parcourir. Il faut espérer qu’il s’agit là de ratés de démarrage, que le bon sens triomphera, que personne ne se hasardera donc à casser un accord dont la rupture provoquerait à coup sûr la relance de la prolifération au Moyen-Orient. Mais il est vital de démontrer dans les quelques mois qui restent avant l’élection présidentielle américaine et les remises en cause qu’elle pourrait entraîner, que la confiance est en train de renaître et que l’accord roule sur de bons rails. 
Sans attendre, des inflexions sont nécessaires : du côté iranien en renonçant aux aspects provocateurs de son programme balistique et à son exploitation à des fins politiciennes, du côté américain en cessant d’entraver l’ouverture économique attendue avec anxiété par la population iranienne. Celle-ci, devant l’absence de résultats, commence à se demander si l’Iran n’a pas conclu « un marché de dupes ». La consolidation d’un tel sentiment serait évidemment désastreuse pour la suite. Il y va en cette affaire de l’avenir de l’expérience Rohani, que l’Europe, les États-Unis et bien d’autres, notamment au Moyen-Orient, ont tout intérêt à voir réussir.

mardi 26 janvier 2016

L'Iran entre levée des sanctions et nouvelles élections


publié le 24 janvier dans

Boulevard Extérieur

Un moment de bonheur

Au lendemain de l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire entre l’Iran et le groupe des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, les « 5+1 », le Président de la République islamique, Hassan Rouhani, s’exprimant devant le Parlement, a qualifié ce moment de « page d’or dans l’histoire du pays ». Et de fait, la levée de l’essentiel des sanctions internationales est un immense soulagement pour l’économie et la société iraniennes. Certes, les Américains n’ont levé que leurs sanctions liées au nucléaire, ce qui veut dire que les vieilles sanctions imposées en 1995, du temps de Bill Clinton, au nom de la lutte contre le terrorisme et de la défense des droits de l’homme, continueront, pour la plupart, à produire leurs effets. Mais elles n’auront d’effets secondaires ni sur les entreprises étrangères, donc européennes, ni même sur les filiales de sociétés américaines installées à l’étranger. Il faudra néanmoins éviter de passer par les circuits bancaires américains, mais nul doute que des solutions seront trouvées sur ce point. Et donc, les entreprises européennes devraient être les premières bénéficiaires des opportunités que suscite dès à présent l’ouverture du marché iranien.

« En cette affaire » a poursuivi Hassan Rouhani « aucun côté n’a gagné contre l’autre. La nation iranienne l’a emporté, mais il n’y a de vaincu, ni en Iran, ni chez les nations qui ont négocié avec nous ». Et l’on comprend que le Président savoure ainsi son succès, sur lequel il a tout misé depuis son arrivée aux affaires à la mi-2013. Il a en même temps préparé la population à l’idée que les effets de l’ouverture ne pourraient être que progressifs en usant d’une métaphore bucolique : l’Iran venait de récupérer un jardin dont l’entrée lui avait été interdite pendant plusieurs années. Le lieu était donc en friche et il fallait à présent biner, planter et arroser avant d’en récolter les fruits.

Les soucis reviennent vite

La célébration de ce moment historique n’a été qu’un intermède dans les combats politiques qu’affronte le président Rouhani en sa qualité de figure de proue des modérés et des réformateurs. L’accord nucléaire, précisément pour les opportunités d’ouverture qu’il offre, tant en interne qu’en externe, n’est pas du goût des plus conservateurs du régime, et il a fallu que s’exerce l’autorité du Guide de la révolution islamique, Ali Khamenei, pour qu’il soit approuvé à l’automne dernier par le Parlement, où ces conservateurs, minoritaires dans le pays, sont fortement majoritaires.

Le prochain combat est donc celui des élections législatives qui verront le renouvellement pour quatre ans de ce parlement, ou Majles. Le premier tour des élections aura lieu le 26 février. Une autre élection se tiendra le même jour, également au suffrage universel : celle de l’Assemblée des experts, ensemble de 86 docteurs en religion, élu pour huit ans, et appelé à élire un nouveau Guide en cas de décès ou d’incapacité du tenant du titre. Or Ali Khamenei a aujourd’hui 76 ans. Il est donc possible que la prochaine Assemblée des experts soit appelée à jouer un rôle déterminant pour l’avenir de la République islamique en choisissant son successeur.

Si ces élections étaient parfaitement libres, nul doute que les soutiens de Rouhani remporteraient la majorité au Majles. Mais elles sont bridées par l’intervention du Conseil des Gardiens, sorte de Conseil constitutionnel, qui s’autorise à éliminer d’emblée tous les candidats qui ne réunissent pas à ses yeux les qualifications nécessaires. Or dans ce tri discrétionnaire, les candidats réformateurs ont toujours été les grands perdants. Dès l’automne dernier, le Président Rouhani, sentant ce qui allait venir, avait publiquement interpellé le Conseil des Gardiens en lui demandant de respecter la Constitution, qui lui confie simplement la responsabilité de « superviser » les élections. Mais il avait été aussitôt contré par le camp conservateur, notamment par la hiérarchie des Pasdaran, qui l’avait accusé de mettre en péril les fondements de la République islamique.

Hécatombe chez les réformateurs

Les pressentiments de Rouhani se sont depuis confirmés. Sur quelque 11.000 candidats en lice pour 290 sièges, les antennes locales mises en place pour un premier tri par le Conseil des Gardiens en ont déjà écarté 6.000, dont 3.000 formant la quasi-totalité des candidats marqués comme réformateurs. Le Conseil des Gardiens tranchera en seconde instance, procédant par nouvelles éliminations ou par repêchages, puis le Guide de la révolution interviendra pour quelques rectifications. Mais il est à craindre que le taux d’élimination de candidats à la prochaine élection soit le plus élevé jamais constaté dans des élections législatives en Iran.

Rouhani est déjà remonté au créneau, en rappelant à la télévision que le Parlement était « la maison du peuple et non d’une faction particulière » et en annonçant qu’il allait s’employer à infléchir la procédure en cours. Mais le Guide de la Révolution est déjà intervenu sur le sujet en rappelant récemment que « les gens n’acceptant pas le système »n’avaient pas leur place au Parlement. Or les Réformateurs, souvent mêlés aux troubles et manifestations massives de 2009 qui avaient tellement fait peur au régime, sont vus par les Conservateurs comme des opposants irréductibles à la République islamique.

Le Conseil des Gardiens toujours à la manoeuvre

Même si ce bras de fer se concluait par l’arrivée au Majles d’une majorité de modérés, étiquette sous laquelle Rouhani s’était présenté à l’élection présidentielle, ses ennuis ne seraient pas terminés pour autant. Le cœur du régime considère en effet volontiers que Rouhani a rempli son rôle en obtenant la levée des sanctions internationales et qu’il doit désormais être confiné à la gestion des affaires courantes jusqu’à la fin de son mandat, mi-2017. Pour Rouhani au contraire, le moment est arrivé de tenir ses promesses en matière d’ouverture, où il est attendu par ses électeurs. Y parviendra-t-il ou subira-t-il le sort de son prédécesseur réformateur, Mohammad Khatami, président de 1997 à 2005, dont toutes les initiatives législatives ont été systématiquement bloquées par le Conseil des Gardiens, chargé de veiller à la conformité des lois au regard de la Constitution mais aussi des principes de l’Islam ? C’est ainsi que Khatami, de plus en plus discrédité aux yeux de ses électeurs pour son incapacité à agir, avait cédé la place à un populiste exalté, Mahmoud Ahmadinejad…

Rouhani le lutteur

Mais Khatami était un intellectuel un peu perdu en politique, Rouhani est d’un autre tempérament. Formé au cœur du sérail, il en connaît les détours. Malgré ses différences avec le Guide, il ne lui a jamais ménagé sa loyauté, et a protégé le lien de confiance noué avec ce dernier dès les débuts de la République islamique. Et comme démontré en d’autres circonstances, notamment quand il était chargé au début des années 2000 du dossier nucléaire, il a la carrure pour affronter et réduire les résistances qui se dressent sur son chemin. A l’heure qu’il est, la plus visible est celle des Pasdaran, cette garde prétorienne du régime, dont la puissance et l’influence se sont renforcées au fil des années dans tous les domaines : politique intérieure, politique extérieure, économie. Rouhani a déjà fait savoir en plusieurs occasions qu’il ne se satisfaisait pas de cette évolution, et qu’ils devraient revenir à leur place. Ce combat, encore feutré, se déroule au quotidien. Le budget qui vient d’être présenté au Parlement prévoit ainsi une réduction de 16% des crédits alloués aux Pasdaran. Certes, leur présence dans l’économie, ou dans le contrôle d’un certain nombre de passages douaniers, leur donne accès à d’autres ressources. Mais le signal a dû être peu apprécié.

Rien n’est joué à l’heure qu’il est. Ces tensions, ces querelles, témoignent néanmoins, à leur façon, de la vitalité de la République islamique, qui a jusqu'à présent invalidé tous les paris faits sur sa sclérose, son affaiblissement, sa fin prochaine. Et puis, il y a la population iranienne, qui a su à plusieurs reprises faire entendre son impatience. Le régime sait qu’il ne peut lui imposer une politique de contention qui finirait par le rendre insupportable. C’est tout l’enjeu de la période qui s’ouvre, et qui pourrait être riche en nouvelles surprises.

jeudi 16 juillet 2015

Premières leçons de l’accord nucléaire avec l’Iran


publié ce jour sur le site 

Boulevard Extérieur

Après tout avoir entendu sur le caractère historique de l’accord nucléaire passé le 14 juillet entre l’Iran et les six puissances interprètes de la communauté internationale, comme sur les bénéfices attendus pour l’Iran, sa région et le monde, quelles premières leçons tirer cet épisode appelé sans doute à marquer un changement d’époque ?

Du prix de la persévérance

D’abord l’importance de la combinaison entre volonté d’aboutir et circonstances. Or elle a tout d’un jeu de hasard. La persévérance, toutefois, augmente les chances de tirer la combinaison gagnante. Dominique de Villepin a eu le mérite, en se rendant à Téhéran en octobre 2003 en compagnie de ses homologues allemand et britannique, de poser les fondements d’une négociation qui ne s’est ensuite jamais interrompue, malgré bien des aléas, jusqu’au résultat final de juillet 2015. Mais il ne reste pas assez longtemps à son poste pour faire mûrir les premiers fruits de son initiative. Le dossier bénéficiait pourtant de la conjoncture favorable générée par la présence simultanée d’un président iranien désireux de renouer avec l’Occident, Mohammad Khatami, et d’un négociateur énergique, Hassan Rouhani. Il est vrai qu’il aurait fallu pour déboucher forcer la main de l’administration de Georges W. Bush, vent debout contre toute entreprise pouvant consolider le régime de Téhéran. Et l’appareil d’État français, encore traumatisé par les effets du différend entre la France et les États-Unis sur l’Irak, n’était pas préparé à une nouvelle brouille avec Washington.

Quant à Rouhani, déjà cité, qui conduit de 2003 à 2005 l’équipe de diplomates iraniens en charge du dossier avec déjà la ferme volonté d’aboutir, il doit attendre huit ans, le temps des deux présidences d’Ahmadinejad, pour voir son heure revenir en se faisant élire à la Présidence de la République, et pour être enfin en mesure de réaliser son projet. Obama qui dès sa première campagne présidentielle, en 2008, annonçait son intention de renouer avec l’Iran, attend, lui, quatre ans et sa seconde élection pour pouvoir commencer à produire œuvre utile en s’appuyant sur un Secrétaire d’État, John Kerry, à la fois énergique et convaincu de la justesse d’une politique d’ouverture.

Donner du temps au temps

Vient ensuite la constatation qu’il existe des durées difficilement compressibles de maturation des dossiers, comme s’il fallait que les acteurs s’emparant d’une affaire aient eu le loisir d’explorer toutes les formules inopérantes avant de se rallier aux bonnes solutions. Pour les quelques personnes à travers le monde familières à la fois de l’Iran et des questions de non-prolifération, il était clair dès 2004 que l’issue de la crise ne pourrait se trouver que dans une seule direction : l’acceptation de l’existence du programme nucléaire iranien, dont aucun élément n’était formellement contraire au Traité de non-prolifération, accompagnée d’une stricte limitation de son format et de l’installation d’une clôture de contrôles suffisamment étroits et sensibles pour que la moindre tentative de franchissement vers la bombe soit aussitôt détectée et sanctionnée. Et c’est bien à cela que la négociation est arrivée. Mais ce discours était alors proprement inaudible pour ceux qui, en charge du dossier au début des années 2000, ne voyaient qu’une seule issue à la crise : l’acceptation par l’Iran du démantèlement son programme d’enrichissement de l’uranium par centrifugation, le fameux « zéro centrifuge ». C’était ignorer qu’une telle exigence serait toujours perçue en Iran comme un avatar de la vieille politique des puissances coloniales visant à maintenir le pays dans un éternel état d’arriération. Il a fallu près de dix ans pour que l’Occident, et en particulier l’Amérique, abandonne cette position intenable, ce qui a aussitôt libéré les opportunités de sortie de crise.

Il est vrai que la nature du régime iranien cristallisait toutes les inquiétudes, encourageait toutes les phobies. Dès le début des années 1990, surgissait à intervalles réguliers dans la presse internationale la prédiction que l’Iran était en train de se doter de l’arme nucléaire et qu’il ne manquerait pas d’atteindre son but dans les deux ou trois années à venir. La nouvelle venait tantôt d’Europe, tantôt des États-Unis, et plus souvent qu’à son tour d’Israël. Or s’il y a bien eu des velléités en ce sens, à elles seules condamnables, elles n’ont jamais dépassé le stade des préliminaires. Le procès fait à l’Iran a donc pris assez vite la tournure d’un procès d’intention. Et beaucoup des acteurs de la crise vivaient dans la proximité de fantômes tels que la Shoah pour les Israéliens, les prises d’otages et les attentats dévastateurs pour les Américains et les Européens, ou encore le soutien indéfectible de l’Occident à Saddam Hussein du côté des Iraniens. Cela déformait toutes les analyses.

De l’adéquation du but et des moyens

Et puis, pour mener à bon rythme une négociation complexe de ce type, il faut accepter d’y mettre les moyens. Les Américains lorsqu’ils se sont décidés à entrer publiquement dans le jeu en 2013, ont mobilisé leurs meilleurs professionnels au service d’objectifs clairement définis. Des douzaines de diplomates, de fonctionnaires et d’experts, sans doute autour de la centaine, ont travaillé en permanence pendant plus de dix-huit mois sur le dossier. On est loin des quelques fonctionnaires, certes de haut niveau, qui traitaient épisodiquement du sujet dans les trois capitales européennes au début des années 2000.

Les Iraniens, à même époque, avaient pourtant réuni une équipe de négociateurs à plein temps. Mais elle tendait à s’étioler, faute de répondants suffisamment mobilisés à l’autre bout de la ligne. Il est vrai que nous n’étions peut-être pas en ce temps très pressés d’aboutir, ayant déjà empoché une concession majeure de la part de Téhéran : la suspension, tant que durerait la négociation, de toute activité liée de près ou de loin à l’enrichissement d’uranium.

Un monde unipolaire

Sur un tel dossier, force est enfin de constater que se discerne mal l’ère du monde « multipolaire » ou « apolaire » qui serait la nôtre aujourd’hui. Que ce soit pour bloquer ou pour avancer, les Américains ont été constamment à la manœuvre. Les Iraniens ne s’y sont pas trompés et ont donc, dès qu’ils l’ont pu, cherché à traiter avec le patron plutôt qu’avec ses séides. L’Europe, à trois ou à vingt-huit, n’est jamais parvenue à s’imposer. La négociation finale a été sur les points clés une négociation bilatérale, dans laquelle les autres parties ont joué parfois les grognards, et toujours les utilités. Même les Russes et les Chinois n’ont jamais mis en cause cette prééminence américaine dans la conduite de l’affaire. Ils ont toujours fini par rejoindre Washington, y compris sur des questions allant directement à l’encontre de leurs intérêts, telles que le maintien d’un embargo sur les ventes d’armes conventionnelles à Téhéran. A la lecture du cas iranien, le monde de la lutte contre la prolifération nucléaire apparaît encore clairement, et pour encore un certain temps, comme un monde unipolaire.

mardi 2 juin 2015

L’Iran et son Protocole additionnel : une question brûlante, légale et politique

Personne ne connaît le contenu exact du Protocole additionnel signé par l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en décembre 2003. Ce protocole visait à compléter et renforcer l’Accord de garanties réglant l’exercice des contrôles de l’AIEA sur le programme nucléaire iranien, par bien des côtés insuffisant et donc obsolète, signé par les deux mêmes parties en 1973 et entré en vigueur l’année suivante. L’Iran n’a pas présenté le Protocole additionnel à son Parlement pour ratification, mais l’a néanmoins appliqué en geste de bonne volonté de 2004 à février 2006, date à la quelle il a été traîné devant le Conseil de sécurité. Le texte de ce protocole n’a jamais été rendu public, et il nous faut donc croire M. Amano, Directeur général de l’AIEA, lorsqu’il nous dit que ce document autorise son Agence à aller inspecter tous types de sites, qu’ils soient civils ou militaires. Nous savons aussi que le Guide suprême iranien a formellement rejeté l’idée que l’accord en cours de négociation avec les groupe dit « P5+1 » –  Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Royaume uni, Russie, plus l’Allemagne – puisse autoriser l’AIEA à pénétrer dans des sites militaires ou à interroger des scientifiques nucléaires.

Nous pouvons toutefois présumer que le contenu du Protocole additionnel signé entre l’AIEA et l’Iran ne doit pas être très différent du Protocole additionnel type dont le texte est disponible sur le site de l’Agence. Si tel est le cas, quels sont les droits et devoirs de l’Iran dans le cadre d’un tel accord ? Le point est important car dans l’accord-cadre de Lausanne devant mener fin juin à un accord définitif, l’Iran se déclare prêt à appliquer à nouveau sur une base volontaire le Protocole additionnel signé en 2003, en attendant sa ratification par le Parlement.

Le Protocole additionnel type fait clairement ressortir que les inspecteurs de l’AIEA ont un droit d’accès à tout site, emplacement ou installation du pays contractant, ce qui inclut implicitement les sites militaires. Mais les motifs d’un tel accès font l’objet de définitions précises. Ils doivent avoir un lien avec la présence de matériel nucléaire ou avec des activités de recherche et de développement relevant de ce qu’on appelle le cycle du combustible nucléaire. En d’autres termes, les inspecteurs de l’AIEA sont autorisés à rechercher des matières fissiles ou des sources de matières fissiles – pour l’essentiel, uranium et plutonium – ou encore des activités se rapportant à la gestion de ces matières, telles que la conversion et l’enrichissement d’uranium, la fabrication de combustible nucléaire, le fonctionnement de réacteurs nucléaires, ou le retraitement du combustible usé. Mais les recherches scientifiques théoriques ou fondamentales échappent à l’application du Protocole additionnel. Même en s’appuyant sur ce texte, les inspecteurs de l’AIEA ne peuvent pas pénétrer dans n’importe quel bâtiment, dans n’importe quel bureau, et ouvrir n’importe quel tiroir ou ordinateur à la recherche de n’importe quel document.

Les « possibles dimensions militaires »

Assez curieusement, les activités proprement consacrées à la fabrication d’un engin nucléaire explosif ne sont pas couvertes par le Protocole additionnel type, tant que ces activités n’impliquent pas la manipulation d’uranium ou de plutonium. Ceci signifie, par exemple, que les demandes insistantes de l’AIEA pour visiter un bâtiment spécifique du complexe militaire de Parchin, dans lequel les Iraniens sont soupçonnés d’avoir conduit à la fin des années 1990 des essais d’explosifs classiques pouvant servir d’amorce à des explosions nucléaires, échappent au champ du Protocole additionnel. Tel est le cas également de toutes les autres requêtes d’inspection présentées par l’Agence au titre des « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien.

Dans le jargon de l’AIEA, ces « possibles dimensions militaires » concernent des activités non déclarées, conduites pour la plupart avant 2003, date à laquelle, selon la communauté américaine du renseignement et l’AIEA, un programme clandestin d’acquisition de la bombe aurait été interrompu par une décision prise au plus haut niveau de l’État iranien. Nous savons que le « P5+1 », ou en tous cas ses membres occidentaux, sont impatients de clarifier ce dossier des « possibles dimensions militaires ». Mais l’analyse qui vient d’être faite des limites des pouvoirs conférés à l’AIEA par le Protocole additionnel conduit à la conclusion que le Protocole ne couvre pas un tel sujet. Celui-ci devrait donc être traité dans un autre chapitre du futur accord entre l’Iran et le P5+1, encore à écrire, et parfois évoqué sous nom de « Protocole additionnel plus ».

Le même raisonnement s’applique aux demandes de l’AIEA visant à interroger certains scientifiques nucléaires iraniens. Le Protocole additionnel type ne traite pas spécifiquement de cette possibilité dans la définition des activités de vérification que l’AIEA est autorisée à conduire. Mais l’on peut à bon droit considérer de tels contacts font implicitement partie des procédures de collecte d’information relevant de la mise en œuvre de l’Accord de garanties de base aussi bien que de son Protocole additionnel. En revanche, ces entretiens ne pourraient pas déborder des limites fixées par ces deux documents. Ils devraient donc se confiner à la recherche d’informations sur l’uranium et le plutonium présents sur le sol iranien, ainsi que sur les activités de recherche et de développement se rattachant au cycle du combustible nucléaire. Mais à nouveau, les questions que l’AIEA aimerait poser pour clarifier la question des « possibles dimensions militaires » du programme iranien vont bien au-delà de ces questions et relèvent donc plutôt d’un « Protocole additionnel plus ».

Peurs et mauvais souvenirs

Malheureusement, les dispositions envisagées pour un tel « Protocole additionnel plus » ravivent de mauvais souvenirs pour les Iraniens. Bien entendu, ils n’ont pas été directement concernés par les investigations menées par les Nations Unies et l’AIEA en Irak à la suite de la première guerre du Golfe, pour mettre à jour des sites de production et des stocks d’armes de destruction massive. Mais les récits qui ont circulé à l’époque sur le comportement brutal et le faible respect de la règle du secret de certaines équipes d’inspecteurs des Nations Unies ont frappé les esprits dans toute la région et au-delà. L’épisode a été perçu comme fondamentalement humiliant pour tout État souverain.

Il y a eu aussi l’affaire Stuxnet. Elle est certes sans lien avec les inspections de l’AIEA, mais l’introduction par une main étrangère de ce virus informatique hautement destructeur dans un programme de contrôle de centrifugeuses acquis par l’Iran auprès de Siemens a été perçue comme le résultat d’une interaction avec le monde extérieur. Et les Iraniens ne peuvent oublier les assassinats en série de leurs scientifiques nucléaires entre 2010 et 2012. Là encore, pas de lien avec les inspections de l’AIEA, mais probablement un lien avec une activité de coopération internationale. Trois des cinq victimes étaient associées au projet Sesame, projet scientifique régional autour d’un synchrotron installé en Jordanie, et conduit par neuf participants : Bahreïn, Chypre, Égypte, Iran, Israël, Jordanie, Pakistan, Autorité palestinienne et Turquie. Ces scientifiques devaient donc se rendre à Amman, offrant ainsi une cible facile pour la collection de données sur leurs lieux de vie et de travail ou leurs relations personnelles. Et pour en revenir à l’AIEA, un certain nombre d’observateurs regrette que, contrairement à ses pratiques antérieures, l’Agence ait développé ces dernières années une relation jugée plutôt malsaine avec un certain nombre de services de renseignements. Cela lui permet certes d’enrichir ses bases de données, mais augmente aussi pour elle le risque de se faire manipuler.


Tous ces éléments tournent certainement dans l’esprit des négociateurs iraniens, les rendant particulièrement réticents à toute proposition tendant à mettre en place des mécanismes de vérification allant au-delà de leur Accord de garanties et de son Protocole additionnel. D’un côté, les soupçons soulevés par les précédentes infractions de l’Iran à ses obligations en matière de non-prolifération rendent difficile à l’AIEA de fournir la certification de l’absence de toute activité nucléaire non déclarée sur le sol iranien sans disposer, au moins pour un temps, d’une sorte de boîte à outils lui permettant d’aller à la recherche d’éventuels programmes nucléaires militaires. Et la production par l’AIEA d’un tel certificat de bonne conduite est évidemment essentielle à la consolidation de la confiance entre l’Iran et la communauté internationale. D’un autre côté, les Iraniens craignent que cette boîte à outils ne se transforme en boîte de Pandore, libérant des possibilités d’enquêtes sans fin et toujours plus intrusives. Pour rendre la question encore plus difficile, il est probable que les scientifiques, ingénieurs et militaires ayant trempé dans le programme nucléaire non déclaré arrêté fin 2003 ont bénéficié de la part du Guide suprême lui-même d’une promesse d’immunité juridique et de protection personnelle en échange de leur acceptation de cette décision difficile. Décidément, les négociateurs travaillant en ce moment des deux côtés à la mise au point d’un accord pour la fin juin vont devoir déployer toute leur imagination, toute leur ingéniosité, pour parvenir à trouver une solution mutuellement acceptable à la question hautement conflictuelle d’un « Protocole additionnel plus ».

mardi 5 août 2014

Dans la négociation avec les Iraniens, soigner les Russes

Le dimensionnement à moyen terme du programme nucléaire iranien d’enrichissement est devenu le point crucial pour parvenir, ou non, à un accord entre le groupe des P5+1 (cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran d’ici au 24 novembre prochain, nouvelle date-butoir fixée à la négociation. Mais la dimension de ce programme dépend pour beaucoup de l’arrangement que Téhéran pourra trouver avec les Russes sur les modalités d’approvisionnement à long terme en combustible nucléaire des réacteurs construits avec leur aide : un premier réacteur nucléaire de 1000 mégawatts en activité sur le site de Bouchehr depuis 2012, deux autres réacteurs qui devraient suivre au même endroit, si les négociations en cours entre l’Iran et la Russie débouchent sur un succès.

Quel uranium pour Bouchehr ?

L’idée de construire plusieurs réacteurs sur le site de Bouchehr est conforme à la pratique constante de l’industrie nucléaire, en raison des fortes économies d’échelle générées. Et l’Iran justifie ses ambitions controversées en matière d’enrichissement par son intention d’alimenter lui-même à terme les réacteurs construits avec les Russes. Il a déjà accumulé aujourd’hui neuf tonnes d’uranium légèrement enrichi, soit le tiers de la quantité nécessaire à un an de fonctionnement d’un réacteur du modèle de Bouchehr. Il a mis pour cela en œuvre à peu près 40.000 unités de travail de séparation (UTS, SWU en anglais, unité de mesure lointainement comparable aux chevaux-vapeur dans le domaine de l’enrichissement d’uranium). S’il maintient sa capacité actuelle de 10.000 UTS par an, correspondant aux quelque 10.000 centrifugeuses de première génération actuellement en activité, il lui faudra encore à peu près huit ans pour disposer d’un stock d’uranium légèrement enrichi assurant l’approvisionnement d’un réacteur du modèle de Bouchehr pour un an. Ceci conduit à une date proche de 2022, lorsqu’expirera le contrat en cours de fourniture de combustible par la Russie pour le premier réacteur de Bouchehr. C’est aussi autour de 2022, au mieux, que deux nouveaux réacteurs construits sur le même site devraient recevoir une première charge de combustible pour pouvoir commencer à fonctionner.

Mais l’utilisation effective pour Bouchehr du stock d’uranium légèrement enrichi détenu par l’Iran implique qu’il soit d’abord incorporé dans des éléments combustibles conformes aux normes russes. Ce qui nécessite l’accord de ces derniers, et même leur coopération active, tant que les Iraniens n’auront pas acquis le savoir-faire nécessaire. Cette coopération pourrait prendre dans un premier temps la forme de fabrication du combustible en Russie à partir d’uranium légèrement enrichi fourni par l’Iran, et dans un deuxième temps celle d’une aide russe à la construction et au fonctionnement d’une unité de fabrication de combustible en Iran même. Quant à l’introduction d’éléments combustibles élaborés en Iran dans un des réacteurs de Bouchehr, ceci nécessitera à nouveau l’accord formel et la coopération des Russes, qui retireraient autrement, à bon droit, leur garantie de sûreté à son fonctionnement.

Quelle sera l’origine du combustible avec lequel fonctionneront les trois réacteurs qui pourraient être en activité à Bouchehr, disons en 2022? Les Russes aimeraient qu’ils fonctionnent avec du combustible russe, car cela augmenterait et prolongerait beaucoup pour eux les bénéfices de l’opération. Téhéran aimerait alimenter avec du combustible iranien au moins le premier réacteur, pour justifier le développement de son programme d’enrichissement d’uranium (rappelons que les Iraniens, selon les termes de la négociation en cours avec le groupe P5+1, doivent démontrer que les capacités d’enrichissement dont ils souhaitent se doter correspondent bien à des « besoins pratiques »). Les Russes devront répondre au moins partiellement à l’attente des Iraniens s’ils veulent pouvoir leur vendre deux nouveaux réacteurs.

Les Russes poussés au compromis

En un tel cadre, le compromis pourrait être, par exemple, de confier aux Iraniens la fabrication du combustible pour le premier réacteur de Bouchehr, les Russes se chargeant de l’alimentation des deux autres réacteurs. Une autre formule serait de laisser les Iraniens produire un tiers ou un quart du combustible nécessaire aux trois réacteurs (une fois les réacteurs 2 et 3 dotés de leur première charge), les Russes se chargeant du reste. Ceci conduirait les Iraniens à devoir détenir autour de 2022 une capacité d’enrichissement de l’ordre de 90.000 à 120.000 UTS par an. Si l’on y ajoute les besoins de l’Iran en uranium enrichi pour ses réacteurs de recherche, l’on pourrait arriver à un chiffre de l’ordre de 100.000 à 130.000 UTS par an. Ce chiffre se situe nettement en dessous de la capacité de 190.000 UTS par an évoquée comme un but à moyen terme par Ali Akbar Salehi, vice-président en charge de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, et à sa suite par le Guide de la Révolution, mais il est possible que cet écart soit dû à des méthodes différentes de calcul. En tout état de cause, quand on sait qu’il faut à peu près 5.000 UTS pour obtenir l’uranium hautement enrichi nécessaire pour une bombe nucléaire à implosion, les variations de capacités dans toute zone supérieure à 100.000 UTS par an perdent de leur importance en termes de non-prolifération.

Prendre au sérieux le dilemme russe

La Russie pourrait certes choisir de ne pas répondre aux attentes de Téhéran en refusant de le laisser fabriquer même une partie du combustible de Bouchehr. Cela ferait l’ affaire des Américains et des Européens qui seraient heureux de priver l’Iran de tout argument pour se doter d’une capacité d’enrichissement significative. Mais Moscou prendrait alors le risque de ne jamais conclure le contrat de construction et d’approvisionnement de deux réacteurs supplémentaires pour Bouchehr, ce qui serait une grosse perte pour son industrie nucléaire.

Il suffirait en revanche que la Russie annonce être d’accord pour associer l’Iran à la fabrication du combustible nécessaire à Bouchehr pour valider les besoins en capacité d’enrichissement déclarés par Téhéran : 10.000 UTS par an pour six ou sept ans, puis montée en puissance à 100.000 UTS par an et au-delà. Il deviendrait alors très difficile pour les Occidentaux de convaincre l’Iran de se limiter pour très longtemps à l’exploitation de quelques milliers de centrifugeuses de première génération, correspondant à 4.000 ou 6.000 UTS, comme ils l’ont tenté avec tant d’insistance jusqu’à présent.

Décidément, force est d’admettre que les intérêts russes et occidentaux divergent sur cette question cruciale de la capacité iranienne d’enrichissement. Si les Américains et les Européens veulent préserver l’unité du groupe P5+1, il leur faudra donc être particulièrement attentifs au dilemme rencontré par les Russes dans leurs discussions commerciales bilatérales avec les Iraniens. Et ils devront, bien entendu, veiller à éviter toute interférence entre ce sujet et des sources de contentieux telles que l’Ukraine ou la Syrie.

(article paru en version française sur le site Boulevard extérieur http://www.boulevard-exterieur.com/Dans-la-negociation-avec-l-Iran-soigner-Moscou.html et en version anglaise sur le site Lobelog http://www.lobelog.com/when-negotiating-with-iran-mind-the-russians/)

mercredi 2 juillet 2014

Mauvais accord plutôt que pas d’accord ?

« Mieux vaut pas d’accord qu’un mauvais accord » : a-t-on entendu à satiété ces derniers temps à propos de la négociation en cours avec l’Iran.

Vraiment ? Bien entendu, chacun comprend ce que signifie « pas d’accord ». Mais comment savoir à quel moment un accord devient mauvais, plutôt que bon ou même moyen ? C’est là qu’arrivent les experts. Un mauvais accord, expliquent-ils, est un accord qui permettrait aux Iraniens de produire l’uranium hautement enrichi nécessaire pour une bombe en moins de six mois. Un mauvais accord est un accord qui ne ferait pas la lumière complète sur les recherches qu’ils ont menées dans le temps pour fabriquer la bombe. Un mauvais accord est un accord qui les laisserait poursuivre leur programme de missiles balistiques. Et cætera…Et l’on finit par comprendre que tout accord moins que parfait ne pourrait être qu’un inacceptable mauvais accord.

Mais ce genre d’approche va à l’encontre de tout processus diplomatique, fait de compromis et d’échanges. Il aboutit à la conclusion qu’un accord parfait est un accord qui n’a pas eu à être négocié, et dans lequel le gagnant rafle toute la mise. Et de fait, beaucoup pensent que la non-prolifération est une affaire trop cruciale pour être soumise à compromis. Elle ne mérite que des accords parfaits.

L’Histoire, pourtant, ne confirme pas cette façon de voir. Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), mère de tous les accords de non-prolifération, est, dans son ensemble comme en détail, un vaste compromis. Certains pays sont autorisés à développer des arsenaux nucléaires, mais pas les autres. Les pays qui ont accepté de renoncer à toute ambition nucléaire militaire sont quand même autorisés à pousser leurs capacités nucléaires jusqu’à la fine démarcation au-delà de laquelle commence la fabrication d’un engin nucléaire explosif. Personne n’était heureux du résultat au moment où le TNP a été conclu et personne ne se satisfait aujourd’hui de la situation à laquelle ce dispositif a abouti.

Le TNP apparaît donc comme un accord profondément imparfait : au fond, un mauvais accord. C’est en tous cas ce que la France a longtemps pensé, puisqu’elle a mis plus de vingt ans à y adhérer. Mais aurait-il mieux valu ne pas avoir d’accord ? Non, évidemment. Dans un genre différent, les accords de limitation d’armements stratégiques conclus pendant et après la Guerre froide entre l’URSS puis la Russie et les États-Unis, et signés du côté américain par les Présidents Nixon, Carter, Reagan, George H.W. Bush, Obama… étaient certainement fort imparfaits. Aurait-il mieux valu qu’ils ne fussent jamais signés ?

Pour revenir à la négociation avec l’Iran, l’envie prend d’être provocant en écrivant qu’à peu près n’importe quel accord (dans les paramètres de la négociation en cours) serait préférable à une absence d’accord. L’absence d’accord signifie en effet le développement sans contrôle du programme iranien, la croissance continue de ses capacités d’enrichissement et de son stock d’uranium enrichi, l’achèvement d’un réacteur de recherche hautement plutonigène, éventuellement la reprise des recherches sur la fabrication d’un engin nucléaire. Et par voie de conséquence l’exacerbation des tensions entre la communauté internationale et la République islamique, pouvant aboutir à des frappes sur les installations nucléaires iraniennes et à une confrontation armée.

Au regard de telles perspectives, un accord imparfait retrouve tout son charme. Souvenons-nous que les relations internationales sont nourries de processus itératifs. Les accords parfaitement agencés, cherchant à régler toutes les questions, produisent rarement des résultats durables. C’est l’histoire du traité de Versailles… L’important est de saisir au bon moment ce qui se trouve à portée de main. L’art de la diplomatie tient précisément à la capacité de discerner, puis de lier ensemble les points extrêmes de ce qui peut être accepté de bon gré par des parties en conflit. Il intègre aussi l’humilité de laisser à d’autres le soin de régler plus tard les questions sans solution immédiate, en pariant sur le fait que le nouvel environnement créé par les questions réglées offrira de nouvelles perspectives. Il garde à l’esprit l’idée qu’un accord même imparfait, s’il est fidèlement appliqué de part et d’autre, peut devenir une machine à produire de la confiance. C’est ce qui s’est passé avec le Plan commun d’action conclu le 24 novembre dernier entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, et l’Iran. Cet accord provisoire, donc par essence imparfait, a créé les circonstances favorables à la recherche d'un dispositif plus ambitieux.

Au stade actuel des négociations, comment donner un tour concret à ces considérations générales ? Regardons la question la plus difficile, à savoir le niveau acceptable des activités iraniennes d’enrichissement. Sur ce point, la zone évidente de compromis tourne autour du maintien pour plusieurs années de ces activités à leur présent niveau, étant entendu qu’il conviendrait de les exprimer en Unités de travail de séparation (UTS) pour neutraliser l’incidence du remplacement éventuel des centrifugeuses actuelles par des centrifugeuses plus performantes. Le chiffre à retenir serait alors de 8.000 à 10.000 UTS par an.

Pour cela, les Iraniens devront admettre qu’ils n’ont pas besoin d’une capacité d’enrichissement de taille industrielle (50.000 UTS et au-delà) tant que ne seront pas sorties de terre leurs futures centrales nucléaires. Ils devraient au contraire tirer avantage de ce délai pour mettre au point des centrifugeuses plus performantes et plus sûres que le modèle primitif, à très faible rendement, qui forme l’essentiel de leur parc actuel de centrifugeuses. Ils auraient aussi tout intérêt à faire de sérieux progrès en matière de fabrication de combustibles nucléaires s’ils veulent être prêts le jour venu à satisfaire au moins partiellement les besoins de leurs futures centrales.


Les Occidentaux, de leur côté, doivent prendre en compte l’insurmontable difficulté politique pour le gouvernement iranien à envisager un démantèlement même partiel d’une capacité nationale d’enrichissement si durement acquise. Il est vrai qu’accepter le maintien de cette capacité à son niveau actuel porte en théorie le risque de voir les Iraniens acquérir rapidement des quantités significatives d’uranium hautement enrichi, s’ouvrant ainsi la voie vers la bombe. Mais au regard des conséquences autodestructrices d’une rupture d’accord aussi flagrante, le risque paraît limité, certainement beaucoup plus limité que les risques créés par l’absence de tout accord. Un tel risque est-il vraiment ingérable pour la coalition des pays les plus puissants au monde, avec tout leur potentiel diplomatique, de renseignement, et de planification opérationnelle ? Bien sûr, un tel compromis sera dénoncé avec une véhémence égale comme un mauvais accord par les critiques des deux bords. C’est pourquoi il forme probablement le bon compromis, ou dit autrement, un accord ni  bon, ni mauvais : mais mieux encore, un accord équitable.

paru en version anglaise sur le site Lobelog http://www.lobelog.com/bad-deal-better-than-no-deal/