célébration de la victoire de Rouhani àTéhéran (photographie de l'auteur)
Hassan Rouhani vient donc d'être réélu pour un deuxième
mandat présidentiel avec 61% des voix exprimées, contre 39% à son principal
adversaire, Ebrahim Raïssi. C'est un score supérieur à l'attente des
observateurs. Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, et le corps des Pasdaran
n'ont pas cherché à peser sur le résultat de l'élection, malgré leur proximité
avec Ebrahim Raïssi, candidat ultra-conservateur, président de la très
puissante fondation Astan e Qods, en charge du mausolée de l'Imam Reza à
Machhad. Après la gestion calamiteuse de l'élection présidentielle de 2009, qui
avait fait descendre des millions d'Iraniens dans la rue, le cœur du régime
semble avoir définitivement compris qu'il y avait des pratiques auxquelles il
valait mieux renoncer s'il ne voulait pas mettre à nouveau les institutions en
péril. Déjà, d'ailleurs, en 2013, lors de la première élection à la présidence
d'Hassan Rouhani, la population avait été satisfaite du déroulement de
l'élection. La République islamique est donc capable d'apprendre et d'évoluer.
L'importance de la participation
La participation électorale a atteint le chiffre de 73%,
chiffre élevé pour l'Iran. Seul Khatami avait mieux fait en 1997, avec une
participation de 80%. Ce taux est l'un des éléments clefs de l'élection. En
effet, les faibles participations tendent en Iran à favoriser l'expression des
fidèles du régime, les plus motivés pour se rendre en toutes circonstances dans
les bureaux de vote. En revanche, les modérés, les réformateurs, les plus
sceptiques à l'égard des institutions, ne se déplacent en nombre que convaincus
de l'importance de l'enjeu. Cela a été le cas cette fois-ci. La personnalité de
Raïssi, profondément réactionnaire, marquée par un lourd passé de procureur
impitoyable aux ennemis de la Révolution, et se lançant dans un discours de
plus en plus populiste, a produit chez les Iraniens les plus évolués l'effet
d'un repoussoir, un peu, mutatis mutandis, à l'image de Marine le Pen en
France. Le principal slogan de la campagne de Rouhani, "nous ne ferons pas
machine arrière", cristallisait bien ce sentiment. Et Rouhani s'est
enhardi au fil de ses prises de parole, s'en prenant aux Pasdaran, s'engageant
à rechercher la levée des dernières sanctions frappant l'Iran, promettant de
nouveaux progrès en matière de libertés, prenant parti pour une détente dans les
relations avec le monde extérieur.
Ce discours a porté. Rouhani, initialement positionné comme
centriste modéré, a réussi à rallier l'ensemble du camp réformateur. Le verdict
des urnes a été sans appel, et s'est aussi traduit dans le résultat des
élections municipales, qui se tenaient le même jour. De grandes villes
conservatrices ont basculé du côté des soutiens de Rouhani, comme Ispahan ou
Machhad. A Téhéran aussi, les conservateurs vont passer la main aux
réformateurs. Plus de femmes qu'auparavant se sont portées candidates, et elles
seront plus nombreuses à siéger dans les conseils municipaux. Le soir de
l'annonce des résultats, des foules pacifiques ont manifesté en une atmosphère
de liesse bon enfant dans tous les coins du pays. Décidément, l'Iran bouge et
se place à l'avant-garde de sa région en matière de pratiques démocratiques. Même
s'il y a encore du chemin à faire, le contraste est saisissant avec l'état de
la vie politique dans les pays voisins de la Péninsule arabique, pourtant
grands amis de l'Occident.
Consolider la victoire
Mais maintenant, il va falloir transformer cet essai.
Rouhani parviendra-t-il à échapper à la malédiction du deuxième mandat qui a
frappé ses deux derniers prédécesseurs ? Ahmadinejad, bien qu'initialement
soutenu par le cœur du régime, avait fini par se brouiller avec à peu près tout
le monde et par perdre toute capacité d'agir. Avant lui, Khatami avait vu tous
les projets de réforme qu'il avait fait passer au Parlement bloqués par le
Conseil des gardiens de la Constitution. Ahmadinejad, qui a tenté de se présenter
à la dernière élection présidentielle, a été disqualifié d'emblée, comme
d'ailleurs l'avait été en 2013 Ali Akbar Rafsandjani, également ancien
président de la République. Khatami, lui, est interdit de parole et d'image sur
tous les médias iraniens. Décidément, Président de la République est un métier
à risque en Iran. Dans l'immédiat, nul doute que le cœur du régime va tenter de
neutraliser tous les efforts de réforme et d'ouverture annoncés par Hassan
Rouhani, considérant qu'il a joué son rôle historique en concluant l'accord
nucléaire de 2015, et qu'il serait désormais bien inspiré de consacrer à la
gestion des affaires courantes.
Certes, Rouhani peut faire le pari d'une disparition
prochaine du Guide de la Révolution, Ali Khamenei, âgé et malade, ce qui
rebattrait le jeu de cartes. Mais ce serait une façon de s'en remettre
entièrement à la Providence. Le Guide travaille d'ailleurs en ce moment même à assurer
sa succession par quelqu'un à son image. A supposer que cette succession
intervienne à bref délai, rien ne garantit donc que la tâche de Rouhani s'en
trouverait facilitée.
Les combats à venir
S'il ne veut pas finir rejeté par ses électeurs, s'il veut tenir
les promesses déjà lancées lors de sa première élection en 2013 et qu'il vient
de renouveler, Rouhani va devoir passer en force et casser quelques codes de la
République islamique. Il perçoit les possibilités d'interaction entre les progrès
en interne et les progrès dans la relation extérieure. Il sait qu'il doit labourer
en même temps ces deux terrains. Heureusement, en dépit de redoutables
obstacles, quelques avancées à forte portée symbolique, mais aussi à effets concrets,
sont à sa portée.
Sur le front intérieur par exemple, la commission des lois
du Parlement iranien a déjà pris position en faveur de l'abolition de la peine
de mort pour trafic de drogue. L'introduction de cet amendement dans la loi pénale
réduirait d'environ 90% les exécutions en Iran, ce qui ramènerait leur nombre à
quelques dizaines par an au lieu de plusieurs centaines, peut-être mille, voire
plus, à ce jour. Même si c'est encore trop, c'en serait fini de l'image
désastreuse de l'Iran comme premier ou deuxième pays au monde pour les exécutions
judiciaires rapportées au nombre d'habitants.
Sur le front extérieur, deux gestes spectaculaires
permettraient à l'Iran d'étonner les plus hostiles à son égard et de se poser
d'emblée en précurseur dans sa région en matière de prolifération nucléaire et
balistique. Et ces gestes ne mettraient pas en péril les fondamentaux de la
République islamique.
Le premier serait d'adhérer au Traité pour l'interdiction
complète des essais nucléaires (TICE, ou CTBT en anglais). l'Iran, en ratifiant
ce traité qu'il a déjà signé, ne contracterait aucune obligation nouvelle,
puisqu'il a déjà renoncé à acquérir l'arme atomique en adhérant au Traité de
non-prolifération nucléaire. Mais il donnerait l'exemple dans son voisinage, et
même au-delà, puisque ni l'Arabie saoudite, ni l'Égypte, ni la Syrie, ni Israël,
ni même les États-Unis
ou la Chine n'ont encore adhéré à ce traité. A noter d'ailleurs que l'Iran
avait déjà accepté au tournant du siècle l'installation sur son sol de
dispositifs de détection d'explosions nucléaires dans le cadre du TICE. Il
pourrait alors les réactiver. Ce serait un signal positif supplémentaire vers
le monde extérieur.
Le second geste serait d'adhérer au Code de conduite contre
la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye. Ce code
oblige, pour l'essentiel, les signataires à faire connaître chaque année les
lignes générales de leurs programmes de missiles balistiques et de lanceurs
spatiaux, ainsi que les sites de lancement utilisés, et à notifier à l'avance
les tirs prévus. A l'époque de l'observation satellitaire, ces simples mesures
de transparence ne pèseraient en rien sur les choix de l'Iran en matière balistique.
Les programmes en ce domaine, sont gérés, comme on le sait, par les Pasdaran.
Rouhani devrait pouvoir vaincre les résistances de ces derniers. Il y était,
après tout, parvenu en 2003, lorsqu'il s'occupait du dossier nucléaire et qu'il
avait obtenu des Pasdaran l'arrêt de leurs activités nucléaires non déclarées.
S'il réussissait, l'Iran, là encore, se placerait en pointe dans sa région
puisqu'aucun pays de la Péninsule arabique n'a encore adhéré à ce code de
conduite, non plus que l'Égypte, la Jordanie, Israël, le Liban, ou la Syrie.
Le rôle de l'Europe
Si l'on poursuit la prospective, il faudrait alors que de
tels gestes soient à la fois encouragés et suivis de retour. Il n'est guère
possible dans l'immédiat d'attendre quoi que ce soit des États-Unis,
sinon le maintien en vie de l'accord nucléaire de 2015, ce qui serait déjà
beaucoup. Israël devrait déjà trouver dans ces signaux l'indication que l'Iran
ne souhaite plus se positionner en "menace existentielle" de l'État
hébreu, ce qui d'ailleurs embarrasserait plutôt M.Netanyahu. l'Europe, elle, a
les moyens d'œuvrer, sur de telles bases, à une détente entre l'Iran et le
monde extérieur. Voilà un chantier qui devrait pouvoir mobiliser la nouvelle
administration française, si elle souhaite contribuer, comme elle l'a laissé
entendre, aux progrès de la paix au Moyen-Orient.