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mercredi 18 octobre 2017

SORTIR PAR LE HAUT DE LA CRISE NUCLÉAIRE AVEC L'IRAN


Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il peut le faire de sa propre initiative.

maintenir en vie l'accord de Vienne

L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il le fait quand il se sent agressé.

Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, Président Rouhani en tête.

Une initiative pour l'Europe

Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des Iraniens.

     Le premier serait de ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à quoi aspire l'Iran.

·   Le deuxième geste serait de ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.

      Le troisième geste serait d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.

vers une solution régionale

Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.


Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.

vendredi 26 mai 2017

Rouhani : la victoire, et après?



célébration de la victoire de Rouhani àTéhéran (photographie de l'auteur)


Hassan Rouhani vient donc d'être réélu pour un deuxième mandat présidentiel avec 61% des voix exprimées, contre 39% à son principal adversaire, Ebrahim Raïssi. C'est un score supérieur à l'attente des observateurs. Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, et le corps des Pasdaran n'ont pas cherché à peser sur le résultat de l'élection, malgré leur proximité avec Ebrahim Raïssi, candidat ultra-conservateur, président de la très puissante fondation Astan e Qods, en charge du mausolée de l'Imam Reza à Machhad. Après la gestion calamiteuse de l'élection présidentielle de 2009, qui avait fait descendre des millions d'Iraniens dans la rue, le cœur du régime semble avoir définitivement compris qu'il y avait des pratiques auxquelles il valait mieux renoncer s'il ne voulait pas mettre à nouveau les institutions en péril. Déjà, d'ailleurs, en 2013, lors de la première élection à la présidence d'Hassan Rouhani, la population avait été satisfaite du déroulement de l'élection. La République islamique est donc capable d'apprendre et d'évoluer.

L'importance de la participation

La participation électorale a atteint le chiffre de 73%, chiffre élevé pour l'Iran. Seul Khatami avait mieux fait en 1997, avec une participation de 80%. Ce taux est l'un des éléments clefs de l'élection. En effet, les faibles participations tendent en Iran à favoriser l'expression des fidèles du régime, les plus motivés pour se rendre en toutes circonstances dans les bureaux de vote. En revanche, les modérés, les réformateurs, les plus sceptiques à l'égard des institutions, ne se déplacent en nombre que convaincus de l'importance de l'enjeu. Cela a été le cas cette fois-ci. La personnalité de Raïssi, profondément réactionnaire, marquée par un lourd passé de procureur impitoyable aux ennemis de la Révolution, et se lançant dans un discours de plus en plus populiste, a produit chez les Iraniens les plus évolués l'effet d'un repoussoir, un peu, mutatis mutandis, à l'image de Marine le Pen en France. Le principal slogan de la campagne de Rouhani, "nous ne ferons pas machine arrière", cristallisait bien ce sentiment. Et Rouhani s'est enhardi au fil de ses prises de parole, s'en prenant aux Pasdaran, s'engageant à rechercher la levée des dernières sanctions frappant l'Iran, promettant de nouveaux progrès en matière de libertés, prenant parti pour une détente dans les relations avec le monde extérieur.

Ce discours a porté. Rouhani, initialement positionné comme centriste modéré, a réussi à rallier l'ensemble du camp réformateur. Le verdict des urnes a été sans appel, et s'est aussi traduit dans le résultat des élections municipales, qui se tenaient le même jour. De grandes villes conservatrices ont basculé du côté des soutiens de Rouhani, comme Ispahan ou Machhad. A Téhéran aussi, les conservateurs vont passer la main aux réformateurs. Plus de femmes qu'auparavant se sont portées candidates, et elles seront plus nombreuses à siéger dans les conseils municipaux. Le soir de l'annonce des résultats, des foules pacifiques ont manifesté en une atmosphère de liesse bon enfant dans tous les coins du pays. Décidément, l'Iran bouge et se place à l'avant-garde de sa région en matière de pratiques démocratiques. Même s'il y a encore du chemin à faire, le contraste est saisissant avec l'état de la vie politique dans les pays voisins de la Péninsule arabique, pourtant grands amis de l'Occident.

Consolider la victoire

Mais maintenant, il va falloir transformer cet essai. Rouhani parviendra-t-il à échapper à la malédiction du deuxième mandat qui a frappé ses deux derniers prédécesseurs ? Ahmadinejad, bien qu'initialement soutenu par le cœur du régime, avait fini par se brouiller avec à peu près tout le monde et par perdre toute capacité d'agir. Avant lui, Khatami avait vu tous les projets de réforme qu'il avait fait passer au Parlement bloqués par le Conseil des gardiens de la Constitution. Ahmadinejad, qui a tenté de se présenter à la dernière élection présidentielle, a été disqualifié d'emblée, comme d'ailleurs l'avait été en 2013 Ali Akbar Rafsandjani, également ancien président de la République. Khatami, lui, est interdit de parole et d'image sur tous les médias iraniens. Décidément, Président de la République est un métier à risque en Iran. Dans l'immédiat, nul doute que le cœur du régime va tenter de neutraliser tous les efforts de réforme et d'ouverture annoncés par Hassan Rouhani, considérant qu'il a joué son rôle historique en concluant l'accord nucléaire de 2015, et qu'il serait désormais bien inspiré de consacrer à la gestion des affaires courantes.

Certes, Rouhani peut faire le pari d'une disparition prochaine du Guide de la Révolution, Ali Khamenei, âgé et malade, ce qui rebattrait le jeu de cartes. Mais ce serait une façon de s'en remettre entièrement à la Providence. Le Guide travaille d'ailleurs en ce moment même à assurer sa succession par quelqu'un à son image. A supposer que cette succession intervienne à bref délai, rien ne garantit donc que la tâche de Rouhani s'en trouverait facilitée.

Les combats à venir

S'il ne veut pas finir rejeté par ses électeurs, s'il veut tenir les promesses déjà lancées lors de sa première élection en 2013 et qu'il vient de renouveler, Rouhani va devoir passer en force et casser quelques codes de la République islamique. Il perçoit les possibilités d'interaction entre les progrès en interne et les progrès dans la relation extérieure. Il sait qu'il doit labourer en même temps ces deux terrains. Heureusement, en dépit de redoutables obstacles, quelques avancées à forte portée symbolique, mais aussi à effets concrets, sont à sa portée.

Sur le front intérieur par exemple, la commission des lois du Parlement iranien a déjà pris position en faveur de l'abolition de la peine de mort pour trafic de drogue. L'introduction de cet amendement dans la loi pénale réduirait d'environ 90% les exécutions en Iran, ce qui ramènerait leur nombre à quelques dizaines par an au lieu de plusieurs centaines, peut-être mille, voire plus, à ce jour. Même si c'est encore trop, c'en serait fini de l'image désastreuse de l'Iran comme premier ou deuxième pays au monde pour les exécutions judiciaires rapportées au nombre d'habitants.

Sur le front extérieur, deux gestes spectaculaires permettraient à l'Iran d'étonner les plus hostiles à son égard et de se poser d'emblée en précurseur dans sa région en matière de prolifération nucléaire et balistique. Et ces gestes ne mettraient pas en péril les fondamentaux de la République islamique.

Le premier serait d'adhérer au Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE, ou CTBT en anglais). l'Iran, en ratifiant ce traité qu'il a déjà signé, ne contracterait aucune obligation nouvelle, puisqu'il a déjà renoncé à acquérir l'arme atomique en adhérant au Traité de non-prolifération nucléaire. Mais il donnerait l'exemple dans son voisinage, et même au-delà, puisque ni l'Arabie saoudite, ni l'Égypte, ni la Syrie, ni Israël, ni même les États-Unis ou la Chine n'ont encore adhéré à ce traité. A noter d'ailleurs que l'Iran avait déjà accepté au tournant du siècle l'installation sur son sol de dispositifs de détection d'explosions nucléaires dans le cadre du TICE. Il pourrait alors les réactiver. Ce serait un signal positif supplémentaire vers le monde extérieur.

Le second geste serait d'adhérer au Code de conduite contre la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye. Ce code oblige, pour l'essentiel, les signataires à faire connaître chaque année les lignes générales de leurs programmes de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux, ainsi que les sites de lancement utilisés, et à notifier à l'avance les tirs prévus. A l'époque de l'observation satellitaire, ces simples mesures de transparence ne pèseraient en rien sur les choix de l'Iran en matière balistique. Les programmes en ce domaine, sont gérés, comme on le sait, par les Pasdaran. Rouhani devrait pouvoir vaincre les résistances de ces derniers. Il y était, après tout, parvenu en 2003, lorsqu'il s'occupait du dossier nucléaire et qu'il avait obtenu des Pasdaran l'arrêt de leurs activités nucléaires non déclarées. S'il réussissait, l'Iran, là encore, se placerait en pointe dans sa région puisqu'aucun pays de la Péninsule arabique n'a encore adhéré à ce code de conduite, non plus que l'Égypte, la Jordanie, Israël, le Liban, ou la Syrie.

Le rôle de l'Europe

Si l'on poursuit la prospective, il faudrait alors que de tels gestes soient à la fois encouragés et suivis de retour. Il n'est guère possible dans l'immédiat d'attendre quoi que ce soit des États-Unis, sinon le maintien en vie de l'accord nucléaire de 2015, ce qui serait déjà beaucoup. Israël devrait déjà trouver dans ces signaux l'indication que l'Iran ne souhaite plus se positionner en "menace existentielle" de l'État hébreu, ce qui d'ailleurs embarrasserait plutôt M.Netanyahu. l'Europe, elle, a les moyens d'œuvrer, sur de telles bases, à une détente entre l'Iran et le monde extérieur. Voilà un chantier qui devrait pouvoir mobiliser la nouvelle administration française, si elle souhaite contribuer, comme elle l'a laissé entendre, aux progrès de la paix au Moyen-Orient.

paru le 25 mai sur le site Boulevard Extérieur

samedi 18 juillet 2015

Après l’accord, avant la visite de Laurent Fabius à Téhéran : La France, l’Iran, l'arrêt complet des essais nucléaires


(version actualisée de l'article paru le 15 juillet dans "la Croix")

Dans la longue négociation nucléaire qui vient de s’achever avec l’Iran, les Français se sont constamment posés en défenseurs sourcilleux des intérêts de la non-prolifération. Ceci de façon très visible à partir de 2009, lorsqu’Obama, nouvellement élu, a choisi de « tendre la main » à Téhéran. Si l’accord atteint le 14 juillet peut être qualifié de « robuste », Laurent Fabius y a une part. L’insistance qu’il a constamment marquée à ne laisser aucune échappatoire aux tentations prêtées à l’Iran d’aller vers l’arme nucléaire, l’attention portée à ne pas se laisser prématurément desserrer l’étau des sanctions et surtout à pouvoir aussitôt les rétablir en cas d’infraction, ont trouvé leur traduction dans la rédaction finale de l’accord.

Un traité oublié

Ce beau résultat laisse un regret : c’est que la négociation n’ait pas offert l’occasion d’encourager l’Iran à ratifier un jour le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE, ou CTBT en anglais), que ce pays a déjà signé en 1996. Mieux que des déclarations générales, mieux qu’une Fatwa du Guide suprême, une prise de position de Téhéran en ce sens aurait marqué de façon solennelle la libre volonté de l’Iran de tirer un trait sur les tentations du passé et de poser un jour sur l’accord du 14 juillet le sceau d’un engagement international difficilement réversible.

La France s’était pourtant engagée naguère sur le sujet. Lorsqu’à l’été 2005, en compagnie de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, elle présentait à Téhéran une formule détaillée de sortie de crise, l’Iran était expressément invité à rejoindre le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Cette demande était toute naturelle. La France, depuis qu’elle l’a signé en 1996, puis ratifié en 1998, s’est fait l’avocat dans toutes les enceintes internationales de l’entrée en vigueur de ce traité, pour laquelle il manque encore huit ratifications. Pourquoi le sujet a-t-il ensuite disparu des écrans de la négociation avec l’Iran ?

L’explication vient des huit pays dont la ratification est toujours attendue pour que le Traité puisse entrer en vigueur : l’Iran s’y trouve en compagnie de la Corée du Nord, d’Israël, de l’Égypte, du Pakistan, de l’Inde… mais aussi de la Chine et des États-Unis, membres du groupe de six pays, dit P5+1, qui a conduit ces dernières années la négociation avec l’Iran. La Chine et les États-Unis ne pouvant décemment presser l’Iran d’accomplir un geste auquel eux-mêmes se refusent, il a dû être charitablement convenu entre membres du groupe d’oublier le sujet. Mais ce genre d’arrangement fait-il une bonne politique de non-prolifération ? La France ne pourrait-elle à présent reprendre, à son rythme, et avec le doigté utile, le sujet auprès des Iraniens ?

Vers un Moyen-Orient sans armes nucléaires

Certes, ceux-ci ont fait savoir qu’ils ne pourraient envisager de ratifier ce traité d’arrêt des essais nucléaires que si Israël et les États-Unis en faisaient autant. Israël, on le sait, conditionne notamment sa ratification à celle de l’Iran et de l’Égypte. Voilà peut-être l’angle sous lequel la question pourrait être remise à l’ordre du jour. La France a amplement démontré ces derniers temps son amitié à l’égard d’Israël et de l’Égypte. La prochaine visite de Laurent Fabius à Téhéran va d’autre part offrir l’occasion de raviver, s’il en était besoin, l’amitié traditionnelle entre la France et l’Iran. Si pouvait donc s’esquisser, grâce aux efforts de la France en direction de ces trois pays, la perspective d’une ratification concomitante du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires par l’Iran, Israël et l’Égypte, ce serait un premier pas vers l’émergence d’un Moyen-Orient sans armes nucléaires, que la France soutient.

Et si la ratification de l’Égypte, d’Israël et de l’Iran était acquise, la pression monterait sur les États-Unis et sur la Chine pour ratifier ce Traité qu’ils ont déjà signé. Au cas où ceux-ci se décideraient à sauter le pas, l’Inde pourrait être convaincue de les accompagner, et avec elle le Pakistan. Ne manqueraient plus dès lors que la signature et la ratification de la Corée du Nord pour que l’accord entre en vigueur. La Chine dispose à son égard d’arguments puissants. En somme, un engagement de ratification par l’Iran est sans doute le premier verrou à faire sauter sur la voie de l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Même en se gardant de trop espérer, il y a là une entreprise digne de la diplomatie française, si elle entend poursuivre dans la période ouverte par l’accord avec l’Iran son rôle de pilote dans la lutte contre la prolifération.

mardi 7 avril 2015

Iran nucléaire : ombres et lumières de l'accord de Lausanne

Les résultats obtenus le 2 avril à Lausanne par le groupe dit P5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l'Allemagne) et l'Iran marquent un temps décisif dans le long processus initié en 2012 par les premiers contacts noués entre Américains et Iraniens sous l'égide du Sultan d'Oman. Ce processus avait ensuite été impulsé par "le Plan commun d'action" adopté par les sept parties prenantes le 24 novembre 2013. Ce  document fixait la méthode, les mesures de mise en confiance et les objectifs de la négociation de fond qui allait s'ouvrir pour parvenir à un accord durable et complet sur la question du programme nucléaire iranien. Les formules qui viennent d'être trouvées à Lausanne ont fait sauter un certain nombre d'obstacles sur la voie d'un tel accord, faisant enfin jaillir a lumière au bout du tunnel. Ce résultat a été atteint au prix d'efforts exceptionnels venant au premier chef des délégations américaine et iranienne. Il peut être en particulier salué comme un succès pour l'équipe américaine, conduite par John Kerry qui a beaucoup donné de sa personne. Les diplomates américains ont mobilisé en cette affaire toute leur persévérance, leur imagination, leur capacité d'initiative pour parvenir à forcer les résistances iraniennes et emporter les résultats que l'on connaît.

Dans le même temps, un analyste doit la vérité à ses lecteurs. Deux documents émergent comme la partie visible de l'accord. Le premier est une déclaration commune lue successivement par la Haute représentante de l'Union européene, Federica Mogherini, et par le Ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Le second est un document diffusé presque au même moment par le service de presse du Département d'Etat américain, et intitulé : "paramètres pour un plan d'action global concernant le programme nucléaire de la République islamique d'Iran". Le premier est plutôt court et rédigé en termes généraux. Le second est beaucoup plus détaillé et contient des données précises : chiffres, quantités, pourcentages, durées. On y voit ainsi apparaître le nombre de centrifugeuses de première génération autorisées à enrichir sur une période de dix ans (5.060), ou le montant maximum d'uranium légèrement enrichi (au plus à 3,67%) autorisé à être stocké pendant quinze ans sur le sol iranien (300 kilogrammes).

Des deux documents, seul le premier peut être considéré comme formellement agréé par toutes les parties. Le second a fait l'objet d'une diffusion unilatérale, à la seule initiative de la partie américaine. Si l'on veut bien croire que la diplomatie américaine agit de façon responsable, l'on peut en déduire que la délégation iranienne a jugé les nombreux paramètres énumérés par ce document comme au moins acceptables. Mais il est difficile d'aller au delà. Le premier paragraphe du document en question souligne que ces "paramètres-clés" ont "été décidés à Lausanne", mais sans préciser par qui. Il rappelle au lecteur que ces paramètres "forment la fondation sur laquelle sera rédigé entre maintenant et le 30 juin le texte final de l'accord global et reflètent le progrès significatif qui est intervenu dans les discussions". Il va sans dire qu'il y a dans le langage diplomatique un monde entre "progrès significatif" et bel et bon accord. Et le paragraphe conclut avec la formule désormais consacrée : "il n'y a accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout". Façon d'admettre qu'à l'heure qu'il est, rien n'est agréé.

En ce qui concerne la courte déclaration conjointe qui reflète les positions communes à l'Iran et au groupe des P5+1,  elle évoque en effet des solutions trouvées sur des "paramètres clés", faisant ainsi allusion au document américain. Mais elle ne dit pas explicitement que toutes les délégations ont donné leur accord à ces solutions. Pour voir les choses du bon côté, les autorités iraniennes n'ont élevé aucune protestation formelle à la parution du document américain, contrairement à ce qu'elles avaient fait en novembre 2013 lorsque ceux-ci avaient publié un document analogue qui présentait leur interprétation du "Plan commun d'action" venant d'être adopté. Cette fois-ci, le ministre iranien Javad Zarif a simplement tweeté : " Nous avons trouvé des solutions qui, telles qu'elles sont, sont bonnes pour tous. Aucun besoin de créer d'excitation avec des "feuilles de résultats" prématurées". Ceci peut être lu comme une critique voilée du document américain, sans aller jusqu'au rejet. Il faut aussi garder à l'esprit que le Guide suprême de la Révolution islamique, Ali Khamenei, avait en février dernier publiquement écarté l'idée d'un accord en deux phases, l'une en mars, l'autre en juin, interdisant ainsi à la délégation iranienne de se rallier à quelque accord que ce soit à Lausanne. A noter enfin que le côté iranien a diffusé plutôt discrètement, peu après les Américains, sa propre liste de paramètres. Il y est dit qu'un ensemble de solutions a bien été trouvé à Lausanne mais qu'elles ne lient pas les parties et forment simplement "un guide conceptuel" pour l'élaboration de l'accord à venir. Dans les détails qui viennent ensuite, un certain nombre rejoint les paramètres américains. Il en est, par exemple, ainsi du nombre de centrifugeuses autorisées à enrichir ou du pourcentage maximum d'enrichissement autorisé. Mais sur beaucoup d'autres points apparaissent des écarts ou des silences significatifs. L'un dans l'autre, les données détaillées mises sur la table peuvent certainement être considérées comme constituant une sorte de banque de ressources où puiser pour élaborer l'accord final, et au moins une bonne base de discussion pour toutes les parties. Mais il est clair que la route vers l'accord à atteindre fin juin sera encore difficile, cahoteuse, et semée de pièges en tous genres.

A ce jour, le socle incontestable sur lequel les parties peuvent commencer à bâtir peut être considéré comme à peu près délimité par les formules figurant dans la déclaration conjointe :

  • "la capacité d'enrichissement de l'Iran, son niveau d'enrichissement et son stock d'uranium seront limités pour des durées spécifiées... il n'y aura pas d'autre installation d'enrichissement que Natanz";
  • "la recherche et le développement conduits par l'Iran en matière de centrifuges seront menés en un cadre et des échéances qui ont été mutuellement agréés";
  • "le site d'enrichissement de Fordo sera converti en centre de physique et de technologie nucléaires... il n'y aura aucune matière fissile à Fordo";
  • "A Arak, un réacteur de recherche à eau lourde modernisé... ne produira pas de plutonium de qualité militaire";
  • "Il a été convenu d'un certain nombre de mesures... parmi lesquelles la mise en oeuvre du Code modifié 3.1 et l'application provisoire du Protocole additionnel";
  • "l'Union européenne mettra fin à toutes ses sanctions économiques et financières se rapportant au nucléaire, et les Etats-Unis mettront fin à toutes leurs sanctions économiques et financières secondaires se rapportant au nucléaire, en simultanéité avec la mise en oeuvre par l'Iran, sous la vérification de l'AIEA, de ses engagements clés en matière nucléaire";
  • "une nouvelle résolution du Conseil de sécurité endossera le Plan global d'action conjoint, mettra fin à toutes les résolutions antérieures relatives au nucléaire et intégrera certaines mesures restrictives pour un laps de temps mutuellement agréé". 

C'est déjà beaucoup, suffisamment pour considérer le résultat de Lausanne comme un succès, et pour nourrir la dynamique déjà bien enclenchée devant conduire au résultat final.

Encore une réflexion, pour conclure. Une absence épaisse plane sur les discussions de Lausanne. Comment se fait-il qu'aucun des documents produits, ni même que rien dans le flot des déclarations qui les ont entourés, ne contient la moindre phrase encourageant l'Iran à envisager de ratifier le Traité d'interdiction complète des essais  nucléaires? Ce traité, on le sait, conduit ses signataires à renoncer à toute forme d'explosion nucléaire, qu'elle soit civile ou militaire. L'Iran figure parmi les premiers signataires de ce traité, en 1996, mais ne l'a pas encore ratifié. Sa ratification dans le cadre du futur Plan global d'action enverrait un signal fortement positif en direction de la communauté internationale et scellerait de façon solennelle l'intention iranienne de n'utiliser l'énergie nucléaire qu'à des fins pacifiques. Il y a, bien entendu, une explication à cet étrange oubli. Deux des membres du groupe P5+1, dont la ratification de ce traité contribuerait beaucoup à faciliter son entrée en vigueur, ne se sont pas encore résolus à sauter le pas. Il s'agit de la Chine et des Etats-Unis. Il en va ainsi de la lutte contre la prolifération.

(adaptation et traduction de l'article paru sur le site Lobelog le 5 avril 2015)