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dimanche 17 décembre 2017

FAIRE D'UNE CRISE UNE OCCASION DE PROGRÈS


(paru le 16 décembre 2017 dans "l'Orient le Jour")

Dès 2008, Obama a cherché avec l’Iran un accord permettant de mieux encadrer son programme nucléaire. Il y est parvenu en juillet 2015 à Vienne, en compagnie des Allemands, des Anglais, des Français, des Chinois et des Russes. Mais pour apaiser son Congrès, très hostile à l’Iran, il a dû accepter de certifier tous les trois mois que l’Iran respectait ses engagements et que l’accord était bien dans l’intérêt de l’Amérique. Faute de quoi, le Congrès aurait la liberté d’imposer à Téhéran de nouvelles sanctions entraînant le retrait des États-Unis de l’accord.

 Trump, lui, dès sa campagne électorale, a déclaré que l’accord de Vienne était « le pire jamais signé par l’Amérique », et promis qu’il le dénoncerait sans tarder. Une fois élu, sous la pression de collaborateurs de bon sens, il a d’abord hésité. Mais le 13 octobre dernier, il a refusé de certifier l’accord, l’envoyant donc à l’examen du Congrès.
 La surprise est alors venue du Congrès, quand celui-ci s’est dérobé. Beaucoup de Sénateurs et de Représentants, même hostiles à l’accord, ont tiré les leçons du fait accompli et jugé qu’il serait désormais plus dangereux d’en sortir que d’y rester.

À la croisée de plusieurs chemins

 La balle est donc revenue du côté du Président Trump. Celui-ci a le pouvoir de prendre seul la décision de sortir de l’accord. S’il le fait, l’Iran aura le choix, soit de continuer quand même à l’appliquer avec les cinq autres pays partenaires, soit d’en sortir. On entrerait alors dans l’inconnu.

 Mais il n’est pas exclu que Trump, pesant le risque de décrédibiliser la parole de l’Amérique et de se retrouver une fois de plus isolé sur la scène internationale, reste finalement dans l’Accord. En ce cas, il se vengera sans doute de son échec en accentuant la pression sur l’Iran dans deux domaines sensibles qui ne relèvent pas de l’accord de Vienne : le programme balistique de Téhéran, et son influence régionale.

 Sur ces points, la position de la France mérite d’être relevée. Le Président Macron, dans l’espoir de renouer les fils du dialogue, s’est positionné à mi-chemin des États-Unis et de l’Iran. Il défend très fermement contre le Président Trump la survie de l’accord nucléaire. En revanche, il le rejoint pour demander à l’Iran de limiter d’une part ses ambitions balistiques, d’autre part ses ambitions régionales.

 Mais il a peu de chances d’être entendu de Téhéran. Les Iraniens considèrent, non sans quelque raison, que les affaires balistiques relèvent de leur défense nationale, sujet non-négociable sous la contrainte. Ceci d’autant plus qu’aucun autre pays de la région n’a accepté de limitations en ce domaine. Quant à son influence régionale, ni la France, ni même les Etats-Unis n’ont guère, en ce moment, de cartes en main pour l’obliger à abandonner ses acquis.

 Le risque est alors que, pour faire plier l’Iran sur ces deux sujets, les États-Unis, éventuellement aidés d’autres pays, notamment européens, peut-être de la France, multiplient les pressions et les sanctions. Ce serait une voie sans issue. Ceux qui connaissent un peu les Iraniens savent que plus on insiste pour les faire céder, plus ils ont tendance à se braquer. C’est ce qui s’est passé dans la crise nucléaire. Elle ne s’est dénouée que lorsque les Américains ont enfin accepté de leur parler sans conditions préalables, et sans a priori sur la solution à trouver.

 Lumières au bout du tunnel

 Pour sortir de la nouvelle crise qui se dessine, la voie est étroite. Mieux vaut, pour l’explorer, disposer de quelques repères.

 D’abord se dire qu’en matière stratégique et de défense, il n’y a de limitations acceptables pour une nation souveraine (sauf si elle sort vaincue d’une guerre, et encore…), que librement consenties, et partagées avec les autres nations concernées. Il faut qu’à la fin du processus, chacun ait le sentiment d’un résultat équitable, où il trouve son compte : un résultat gagnant-gagnant, comme on dit aujourd’hui. Ceci est vrai, entre autres, dans le domaine balistique.

 Compte tenu de la lourdeur des contentieux déchirant les pays de la région, mieux vaut aussi commencer par des sujets limités, traités de façon discrète, entre spécialistes. Il y en a plusieurs sur lesquels les pays du Proche et du Moyen-Orient ont des progrès à faire. Beaucoup, par exemple, n’ont pas encore adhéré au Protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique, pourtant indispensable pour se présenter en pays respectable dans le domaine nucléaire. Beaucoup n’ont pas signé le Code de la Haye, code minimal de transparence en matière balistique. Beaucoup n’ont pas rejoint le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires, alors qu’ils sont pourtant membres du Traité de non-prolifération, et que cette adhésion ne représenterait aucune obligation supplémentaire. Sur ces sujets et quelques autres, chacun semble attendre que son voisin prenne l’initiative.

 Sur de tels sujets, les pays extérieurs à la région, notamment les Occidentaux, devraient, pour une fois, s’abstenir d’agir en donneurs de leçons. S’ils voulaient être utiles, mieux vaudrait qu’ils interviennent de façon indirecte, en convainquant quelques pays-clés de s’intéresser à ces dossiers et de tenter d’entraîner leurs voisins. Sur les trois sujets évoqués, la Turquie, par exemple, qui parvient à parler à tout le monde, pourrait jouer un rôle moteur. Et le Liban, précisément parce qu’il ne fait d’ombre à personne, serait aussi écouté s’il intervenait avec la finesse que l’on connaît à sa diplomatie. En avançant ainsi pas à pas, le Proche et Moyen-Orient aurait une chance de montrer qu’il est capable de progresser vers son autonomie.


mercredi 18 octobre 2017

SORTIR PAR LE HAUT DE LA CRISE NUCLÉAIRE AVEC L'IRAN


Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il peut le faire de sa propre initiative.

maintenir en vie l'accord de Vienne

L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il le fait quand il se sent agressé.

Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, Président Rouhani en tête.

Une initiative pour l'Europe

Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des Iraniens.

     Le premier serait de ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à quoi aspire l'Iran.

·   Le deuxième geste serait de ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.

      Le troisième geste serait d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.

vers une solution régionale

Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.


Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.

mardi 2 juin 2015

L’Iran et son Protocole additionnel : une question brûlante, légale et politique

Personne ne connaît le contenu exact du Protocole additionnel signé par l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en décembre 2003. Ce protocole visait à compléter et renforcer l’Accord de garanties réglant l’exercice des contrôles de l’AIEA sur le programme nucléaire iranien, par bien des côtés insuffisant et donc obsolète, signé par les deux mêmes parties en 1973 et entré en vigueur l’année suivante. L’Iran n’a pas présenté le Protocole additionnel à son Parlement pour ratification, mais l’a néanmoins appliqué en geste de bonne volonté de 2004 à février 2006, date à la quelle il a été traîné devant le Conseil de sécurité. Le texte de ce protocole n’a jamais été rendu public, et il nous faut donc croire M. Amano, Directeur général de l’AIEA, lorsqu’il nous dit que ce document autorise son Agence à aller inspecter tous types de sites, qu’ils soient civils ou militaires. Nous savons aussi que le Guide suprême iranien a formellement rejeté l’idée que l’accord en cours de négociation avec les groupe dit « P5+1 » –  Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Royaume uni, Russie, plus l’Allemagne – puisse autoriser l’AIEA à pénétrer dans des sites militaires ou à interroger des scientifiques nucléaires.

Nous pouvons toutefois présumer que le contenu du Protocole additionnel signé entre l’AIEA et l’Iran ne doit pas être très différent du Protocole additionnel type dont le texte est disponible sur le site de l’Agence. Si tel est le cas, quels sont les droits et devoirs de l’Iran dans le cadre d’un tel accord ? Le point est important car dans l’accord-cadre de Lausanne devant mener fin juin à un accord définitif, l’Iran se déclare prêt à appliquer à nouveau sur une base volontaire le Protocole additionnel signé en 2003, en attendant sa ratification par le Parlement.

Le Protocole additionnel type fait clairement ressortir que les inspecteurs de l’AIEA ont un droit d’accès à tout site, emplacement ou installation du pays contractant, ce qui inclut implicitement les sites militaires. Mais les motifs d’un tel accès font l’objet de définitions précises. Ils doivent avoir un lien avec la présence de matériel nucléaire ou avec des activités de recherche et de développement relevant de ce qu’on appelle le cycle du combustible nucléaire. En d’autres termes, les inspecteurs de l’AIEA sont autorisés à rechercher des matières fissiles ou des sources de matières fissiles – pour l’essentiel, uranium et plutonium – ou encore des activités se rapportant à la gestion de ces matières, telles que la conversion et l’enrichissement d’uranium, la fabrication de combustible nucléaire, le fonctionnement de réacteurs nucléaires, ou le retraitement du combustible usé. Mais les recherches scientifiques théoriques ou fondamentales échappent à l’application du Protocole additionnel. Même en s’appuyant sur ce texte, les inspecteurs de l’AIEA ne peuvent pas pénétrer dans n’importe quel bâtiment, dans n’importe quel bureau, et ouvrir n’importe quel tiroir ou ordinateur à la recherche de n’importe quel document.

Les « possibles dimensions militaires »

Assez curieusement, les activités proprement consacrées à la fabrication d’un engin nucléaire explosif ne sont pas couvertes par le Protocole additionnel type, tant que ces activités n’impliquent pas la manipulation d’uranium ou de plutonium. Ceci signifie, par exemple, que les demandes insistantes de l’AIEA pour visiter un bâtiment spécifique du complexe militaire de Parchin, dans lequel les Iraniens sont soupçonnés d’avoir conduit à la fin des années 1990 des essais d’explosifs classiques pouvant servir d’amorce à des explosions nucléaires, échappent au champ du Protocole additionnel. Tel est le cas également de toutes les autres requêtes d’inspection présentées par l’Agence au titre des « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien.

Dans le jargon de l’AIEA, ces « possibles dimensions militaires » concernent des activités non déclarées, conduites pour la plupart avant 2003, date à laquelle, selon la communauté américaine du renseignement et l’AIEA, un programme clandestin d’acquisition de la bombe aurait été interrompu par une décision prise au plus haut niveau de l’État iranien. Nous savons que le « P5+1 », ou en tous cas ses membres occidentaux, sont impatients de clarifier ce dossier des « possibles dimensions militaires ». Mais l’analyse qui vient d’être faite des limites des pouvoirs conférés à l’AIEA par le Protocole additionnel conduit à la conclusion que le Protocole ne couvre pas un tel sujet. Celui-ci devrait donc être traité dans un autre chapitre du futur accord entre l’Iran et le P5+1, encore à écrire, et parfois évoqué sous nom de « Protocole additionnel plus ».

Le même raisonnement s’applique aux demandes de l’AIEA visant à interroger certains scientifiques nucléaires iraniens. Le Protocole additionnel type ne traite pas spécifiquement de cette possibilité dans la définition des activités de vérification que l’AIEA est autorisée à conduire. Mais l’on peut à bon droit considérer de tels contacts font implicitement partie des procédures de collecte d’information relevant de la mise en œuvre de l’Accord de garanties de base aussi bien que de son Protocole additionnel. En revanche, ces entretiens ne pourraient pas déborder des limites fixées par ces deux documents. Ils devraient donc se confiner à la recherche d’informations sur l’uranium et le plutonium présents sur le sol iranien, ainsi que sur les activités de recherche et de développement se rattachant au cycle du combustible nucléaire. Mais à nouveau, les questions que l’AIEA aimerait poser pour clarifier la question des « possibles dimensions militaires » du programme iranien vont bien au-delà de ces questions et relèvent donc plutôt d’un « Protocole additionnel plus ».

Peurs et mauvais souvenirs

Malheureusement, les dispositions envisagées pour un tel « Protocole additionnel plus » ravivent de mauvais souvenirs pour les Iraniens. Bien entendu, ils n’ont pas été directement concernés par les investigations menées par les Nations Unies et l’AIEA en Irak à la suite de la première guerre du Golfe, pour mettre à jour des sites de production et des stocks d’armes de destruction massive. Mais les récits qui ont circulé à l’époque sur le comportement brutal et le faible respect de la règle du secret de certaines équipes d’inspecteurs des Nations Unies ont frappé les esprits dans toute la région et au-delà. L’épisode a été perçu comme fondamentalement humiliant pour tout État souverain.

Il y a eu aussi l’affaire Stuxnet. Elle est certes sans lien avec les inspections de l’AIEA, mais l’introduction par une main étrangère de ce virus informatique hautement destructeur dans un programme de contrôle de centrifugeuses acquis par l’Iran auprès de Siemens a été perçue comme le résultat d’une interaction avec le monde extérieur. Et les Iraniens ne peuvent oublier les assassinats en série de leurs scientifiques nucléaires entre 2010 et 2012. Là encore, pas de lien avec les inspections de l’AIEA, mais probablement un lien avec une activité de coopération internationale. Trois des cinq victimes étaient associées au projet Sesame, projet scientifique régional autour d’un synchrotron installé en Jordanie, et conduit par neuf participants : Bahreïn, Chypre, Égypte, Iran, Israël, Jordanie, Pakistan, Autorité palestinienne et Turquie. Ces scientifiques devaient donc se rendre à Amman, offrant ainsi une cible facile pour la collection de données sur leurs lieux de vie et de travail ou leurs relations personnelles. Et pour en revenir à l’AIEA, un certain nombre d’observateurs regrette que, contrairement à ses pratiques antérieures, l’Agence ait développé ces dernières années une relation jugée plutôt malsaine avec un certain nombre de services de renseignements. Cela lui permet certes d’enrichir ses bases de données, mais augmente aussi pour elle le risque de se faire manipuler.


Tous ces éléments tournent certainement dans l’esprit des négociateurs iraniens, les rendant particulièrement réticents à toute proposition tendant à mettre en place des mécanismes de vérification allant au-delà de leur Accord de garanties et de son Protocole additionnel. D’un côté, les soupçons soulevés par les précédentes infractions de l’Iran à ses obligations en matière de non-prolifération rendent difficile à l’AIEA de fournir la certification de l’absence de toute activité nucléaire non déclarée sur le sol iranien sans disposer, au moins pour un temps, d’une sorte de boîte à outils lui permettant d’aller à la recherche d’éventuels programmes nucléaires militaires. Et la production par l’AIEA d’un tel certificat de bonne conduite est évidemment essentielle à la consolidation de la confiance entre l’Iran et la communauté internationale. D’un autre côté, les Iraniens craignent que cette boîte à outils ne se transforme en boîte de Pandore, libérant des possibilités d’enquêtes sans fin et toujours plus intrusives. Pour rendre la question encore plus difficile, il est probable que les scientifiques, ingénieurs et militaires ayant trempé dans le programme nucléaire non déclaré arrêté fin 2003 ont bénéficié de la part du Guide suprême lui-même d’une promesse d’immunité juridique et de protection personnelle en échange de leur acceptation de cette décision difficile. Décidément, les négociateurs travaillant en ce moment des deux côtés à la mise au point d’un accord pour la fin juin vont devoir déployer toute leur imagination, toute leur ingéniosité, pour parvenir à trouver une solution mutuellement acceptable à la question hautement conflictuelle d’un « Protocole additionnel plus ».