Avant-dernière d'une série de quinze chroniques sur les minorités à travers le monde...
Les
Juifs d’Iran – la plus importante communauté juive du Moyen-Orient après Israël, même
si elle a beaucoup fondu ces dernières décennies – se situent volontiers parmi
les plus anciens occupants du pays. Ils y sont en effet arrivés en plusieurs
vagues de déportation, amorcées dès le VIIIème siècle avant l’ère chrétienne
quand le royaume d’Israël est détruit par les Assyriens, puis au début du VIème
siècle lorsque les Babyloniens conquièrent le royaume de Juda et détruisent Jérusalem.
Un demi-siècle plus tard, l’empereur perse Cyrus s’empare de Babylone et
autorise les Juifs à retourner sur leur terre, devenue la province perse de
Judée. Le prophète Isaïe le qualifie d’Oint et de Berger du Seigneur, dont Dieu
soutient la main droite. Mais beaucoup de Juifs font alors le choix de rester
sur place. Peut-être un siècle plus tard se déroule l’épisode relaté dans la
Bible par le Livre d’Esther (mais dans aucune autre source indépendante), où
Esther donc, épouse juive de l’empereur perse Assuérus, peut-être Xerxès, détourne
une conspiration ourdie pour détruire son peuple. Esther a d’ailleurs son tombeau en Iran, ainsi que le
prophète Daniel.
En plus de deux mille ans, les Juifs
de Perse, puis d’Iran, passent par de longues phases de prospérité, alternant avec
des périodes de discrimination et de persécutions. Ils jouent probablement un
rôle important dans la diffusion du judaïsme en Europe au Haut Moyen-âge au
travers des rives de la Mer caspienne. Certains empires, les Achéménides, les
Parthes, puis après l’arrivée de l’Islam, les Omeyyades, les Abbassides, et
même par moments les Mongols, se montrent débonnaires à leur égard. D’autres au
contraire, les Sassanides, juste avant l’invasion arabe, qui imposent le
zoroastrisme comme religion d’État, ou les Safavides à compter du XVIème
siècle, qui convertissent de force tout le pays au chiisme, font preuve, au
moins par bouffées, de grave intolérance. Comme ailleurs, les Juifs résistent à
leur manière, et traversent sans trop d’encombres le XIXème siècle. Mais ils
sont alors maintenus dans des ghettos, en un état lamentable d’arriération. Tout
à la fin du siècle, arrive la première lueur d’émancipation, avec l’ouverture
des écoles de l’Alliance israélite universelle, où, grâce à des instituteurs
venus de France, les Juifs peuvent enfin recevoir (en français) une éducation
moderne et retrouver la fierté de leur identité. Enfin, au début du XXème
siècle, la Révolution constitutionnaliste, à laquelle d’ailleurs certains
participent, efface toute discrimination légale à leur égard et les établit
comme citoyens à part entière.
La République islamique qui
s’installe en 1979 n’introduit en principe à l’égard des Juifs aucune
disposition discriminatoire. Ils conservent en particulier leurs synagogues et
leur liberté de culte. Ils font leur service militaire. Leurs écoles, en
revanche, tout en gardant leurs dénominations, sont rattachées au système
d’éducation nationale. Ils vivent en symbiose étroite avec l’ensemble de la
population, dont ils ne se distinguent pas, sinon par le respect de leurs rites.
Mais, de fait, l’administration, l’armée, les entreprises publiques, la vie
politique… leur sont fermées. A noter qu’il leur est accordé un député, élu par
la communauté juive, aux côtés d’un député zoroastrien, et de trois députés
chrétiens. Ce député, on l’imagine, veille, comme l’ensemble des représentants
de la communauté, à proclamer une adhésion sans faille à la République
islamique. Celle-ci prend soin en retour de distinguer l’antisionisme, dont
elle a fait un dogme fondateur, de l’antisémitisme qu’elle rejette. Dans la
réalité, les lignes sont plus brouillées. Longtemps, les autorités
ont interdit aux Juifs de quitter le pays sans autorisation spéciale, et ceux
qui s’y sont risqués l’ont fait au péril de leur vie. Un procès inique a été
intenté en 2000 à une douzaine de pauvres juifs de Chiraz sous l’accusation
d’espionnage en faveur d’Israël, et les a conduits en prison pour plusieurs
années. La presse, la télévision chevauchent assez librement la frontière entre
antisionisme et antisémitisme, et la présidence d’Ahmadinejad, marquée par des
débordements de négationnisme et de haine à l’égard d’Israël, a certainement
été douloureuse pour la communauté juive d’Iran. Cette période a heureusement
été close avec l’élection en 2013 du président modéré Hassan Rouhani, qui a marqué
sa différence en adressant des signaux positifs à la communauté juive d’Iran, ainsi
qu’aux Juifs du monde entier.
Cette communauté, qui comptait
plusieurs dizaines de milliers de membres il y a un demi-siècle, ne doit guère
en compter aujourd’hui qu’une dizaine de mille, désormais presque entièrement regroupés
sur Téhéran. La plupart sont partis tout simplement faute d’opportunités de
carrière, comprenant qu’ils n’étaient tolérés que dans la mesure où ils ne
cherchaient pas à s’élever au-dessus de leur condition traditionnelle. Ce
mouvement d’émigration s’était d’ailleurs amorcé bien avant la Révolution
islamique. Ces Juifs iraniens, ou Iraniens juifs, forment des communautés
prospères aux États-Unis, notamment à Los Angeles et à New-York, en Europe et,
bien entendu, en Israël. Si loin qu’ils soient de l’Iran, ils restent fortement
attachés à la langue, aux coutumes et à la terre de leurs ancêtres.