Il doit peser une sorte de malédiction du Pharaon sur les relations franco-américaines. La France, qui a fait dans son histoire la guerre à tout le monde, n'a, par un heureux hasard, jamais fait la guerre aux Etats-Unis. Elle a même sérieusement contribué à leur naissance. Et pourtant, Dieu sait si ces relations ont été presque continûment crispées, aigres, traversées de méfiances et de malentendus. L'on se souvient en particulier, tout au long de la Guerre froide, de la façon dont les Français se désolaient des tensions entre Etats-Unis et URSS, formant obstacle au bonheur de l'Europe, mais dénonçaient avec vigueur le condominium des super-puissances dès que les deux Grands parvenaient à s'entendre sur un quelconque sujet. C'est sur ce motif, par exemple, que nous avons refusé pendant un quart de siècle de signer le Traité de non-prolifération nucléaire.
Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?
L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".
Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.
Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.
Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.
mardi 10 novembre 2009
La malédiction du Pharaon
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