Le rendez-vous aujourd’hui à Istanbul des membres permanents du Conseil de sécurité et de l’Allemagne avec l’Iran va-t-il amorcer un dégel du dossier nucléaire ? Plusieurs indices plaident cette fois-ci pour un peu d’optimisme.
Premier signe, le ton des échanges s’est récemment adouci : moins d’invectives, moins de propos blessants de part et d’autre. Ceci fait espérer que des conversations discrètes ont utilement préparé la rencontre prévue.
Des derniers propos d’Ahmadinejad ressort d’autre part le souhait de renouer avec l’Amérique et l’Europe. Le dirigeant iranien a déjà parcouru un tiers de son second et dernier mandat. Il lui reste deux ans et demi pour passer à l’Histoire autrement que comme le bénéficiaire d’une élection massivement contestée, comme le négateur de la Shoah, comme le président sous lequel l’économie du pays s’est dégradée et encore durcie la répression. Or un début de normalisation avec les États-Unis, après plus de trente ans d’isolement, rétablirait aussitôt sa popularité auprès d’une population assoiffée d’ouverture. En interne, le programme qu’il vient de lancer pour supprimer la quasi-gratuité de produits tels que l’essence ou le pain au profit d’aides ciblées vers les plus défavorisés commencerait à remettre le budget de l’État et l’économie à l’endroit. L’avancée de ce projet ferait apparaître Ahmadinejad comme un dirigeant courageux et lucide, réalisant ce qu’aucun n’avait osé dans les cinquante dernières années. Mais pour aider à faire passer cette réforme amère, un succès à l’international serait fort utile. D’où l’importance pour lui du bon déroulement de la négociation.
Pour en accroître les chances, Ahmadinejad s’est débarrassé tout récemment de son ministre des affaires étrangères, fonctionnaire qui lui pesait, pour nommer à sa place Ali Akbar Salehi, président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique. Celui-ci n’est encore que ministre par intérim. Mais il a déjà exposé les priorités de son ministère, allant dans le sens de l’apaisement avec le monde extérieur. Ce physicien nucléaire, diplômé de l’Université américaine de Beyrouth et de l’Institut de technologie du Massachussetts, est entré en diplomatie du temps du président réformateur Mohammad Khatami comme ambassadeur auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Si Ahmadinejad l’a choisi, c’est moins par affinité que pour son expertise de scientifique et de négociateur. Certes, la négociation nucléaire relève du secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale. Mais le titulaire du poste, Saïd Jalili, pieux exégète du Coran, n’est fin connaisseur, ni des affaires nucléaires, ni du monde extérieur. Salehi, s’il est confirmé dans sa fonction par le Parlement, pourra jouer un rôle utile aux moments cruciaux de la négociation.
Côté américain, l’ambiance est aussi à l’ouverture. Barack Obama, bridé par la nouvelle majorité républicaine du Congrès, plombé par la crise, doit engranger des succès extérieurs pour espérer une réélection. Le plus beau serait une relance du processus de paix israélo-palestinien. Or une détente avec l’Iran enlèverait au gouvernement Netanyahu ses arguments dilatoires sur la nécessité de réduire au préalable la menace iranienne. Le Président américain n’a jamais retiré la main tendue dès son arrivée au régime de Téhéran. Il semble avoir enfin rallié à sa vision des choses Hillary Clinton. Celle-ci vient d’indiquer que l’Amérique pourrait finalement accepter de voir Téhéran conserver, sous conditions, sa capacité d’enrichissement de l’uranium. Or c’est là le point clé de la négociation, sur lequel les Occidentaux, depuis huit ans, tentent de faire plier l’Iran, et sur lequel la République islamique a toujours dit qu’elle ne cèderait jamais.
Dit ainsi, une percée paraît à portée de main. C’est compter sans l’alliance objective des adversaires de tout accommodement avec la partie adverse, également puissants dans les deux camps. Du côté iranien, ce sont ceux qui trouvent intérêt à l’isolement du pays et de la société iranienne. Ce sont ceux qui ne souhaitent pas voir Ahmadinejad se refaire une santé politique par un succès décisif. Ils ont déjà fait dérailler l’initiative américaine, lancée à l’été 2009, d’un échange d’uranium enrichi iranien contre le combustible nécessaire à l’inoffensif réacteur de recherche de Téhéran. Ils restent à l’affût des gestes intempestifs de l’autre partie, notamment des postures avantageuses qui présenteraient l’assouplissement des positions iraniennes comme le début de la soumission et la preuve de l’efficacité des sanctions.
Sur l’autre bord, ce sont ceux qui souhaitent voir disparaître, ou pour le moins mis hors d’état de nuire, ce régime échappant aux normes du monde civilisé. Persuadés qu’il veut à tout prix se doter de l’arme nucléaire, ils craignent le compromis qui faciliterait la poursuite à couvert ce programme. Ils sont parvenus, à force de propos agressifs, à donner une allure d’ultimatum à l’astucieuse offre d’échange de l’été 2009. Ils ont torpillé au printemps 2010 l’initiative turco-brésilienne de relance de ce même projet, pourtant soutenue par Obama lui-même. Celle-ci a néanmoins permis le récent rebond de la négociation.
Rien n’est donc joué. Il faudra craindre, comme autour de la plupart des échéances importantes de la relation avec l’Iran, les révélations opportunément diffusées sur tel ou tel aspect du programme nucléaire iranien, qui sèment l’alarme dans l’opinion internationale. Il faudra craindre les effets de la guerre de l’ombre, tels que les assassinats de chercheurs nucléaires iraniens, dont les spécialités semblaient pourtant bien éloignées d’applications militaires. Du côté iranien, il faudra craindre les gestes provocateurs familiers aux Gardiens de la Révolution : tirs médiatisés de missiles, opérations mal dissimulées en zones troublées. Il faudra craindre enfin les violations grossières des droits de l’Homme, qui révulsent à juste titre les opinions occidentales.
Et pourtant, un début de normalisation de la relation avec l’Iran paraît aujourd’hui, plus que jamais, la meilleure voie pour redonner courage et perspectives à une société prise en otage du conflit entre ce pays et l’Occident. L’on ne sait si la République islamique finira par s’effondrer ou par évoluer en système à peu près acceptable à nos yeux. Mais trente ans de pressions et de sanctions ne sont parvenus qu’à la conforter dans ses convictions et à la crisper dans ses façons d’agir. On ne voit pas très bien le risque qu’il y aurait à changer, au moins pour un temps, de méthode et à la mettre, par une attitude d’ouverture, au défi de s’ouvrir.