Affichage des articles dont le libellé est Etats-Unis. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Etats-Unis. Afficher tous les articles

jeudi 18 juin 2020

L’Iran, le nucléaire, et les autres : l’Accord de Vienne dans la tourmente

(publié le 17 juin 2020 par le site Orient XXI)

Depuis deux ans, depuis la sortie des États-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne, dit aussi JCPOA, l’Administration américaine guette les signes d’un effondrement de l’économie iranienne, prélude à la mise à genoux de la République islamique. Les plus acharnés y croient encore, persuadés que le garrot des sanctions progressivement resserré sur les personnes, les institutions et les entreprises produirait les effets d’un blocus. Il les a produits en effet, mais sans atteindre le but ultime recherché. Certes, l’Iran n’exporte pratiquement plus de pétrole, mais la part des hydrocarbures dans son produit intérieur brut a régulièrement diminué sur longue période, n’atteignant aujourd’hui que 15%. L’économie a donc d’autres ressorts, d’autres ressources, et dispose de la masse critique d’une population de 80 millions d’habitants. Certes, cette population souffre. Récemment, le pays a connu à deux reprises des manifestations violentes, mais celles-ci n’ont jamais vu la jonction décisive des classes populaires et des classes moyennes, aucun leader charismatique n’y a émergé, elles ont pu être matées sans états d’âme par le Régime.

La fureur des États-Unis contre l’Accord de Vienne

La frustration de Trump et de ses partisans tourne donc à l’exaspération. Sachant qu’il serait suicidaire d’aller à la guerre à la veille de l’élection présidentielle, ils s’en prennent à présent à l’Accord de Vienne lui-même, avec l’idée de le réduire en miettes. Peu importe les conséquences. On aurait cru l’Accord protégé par la volonté des six participants restants, Iran compris, de continuer à l’appliquer, protégé aussi par son adossement à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en approuvant tous les termes. Cette résolution présentée par les États-Unis eux-mêmes, a été parrainée et adoptée le 20 juillet 2015 par les quinze membres du Conseil dans la foulée de la conclusion de l’Accord. Mais cette construction était fragile. D’abord parce que le JCPOA lui-même était rédigé, à la demande des Américains, comme une simple déclaration commune d’intentions. Un accord en bonne et due forme aurait dû être ratifié par le Congrès, où l’Administration d’Obama ne détenait pas de majorité. Ensuite, parce que la résolution du Conseil de sécurité était tournée, là encore à la demande des Américains, de façon à ne rendre en aucune façon obligatoire, au sens de la Charte des Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord par les participants et par tous les États-membres de l’ONU. C’est ainsi que Trump a pu s’en extraire par une simple décision.

Ceci fait, le JCPOA a néanmoins continué sa route, clopin-clopant, avec l’allure d’une bête blessée, reproche vivant à ceux qui l’avaient quitté. Les Iraniens ont d’abord veillé à en respecter scrupuleusement les termes, ce qu’ont attesté les rapports trimestriels des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Et ceci malgré l’incapacité des Européens, des Russes et des Chinois à les récompenser par des échanges commerciaux réguliers. L’action dissuasive des sanctions américaines, l’empire du dollar sur les règlements en devises, ont en effet découragé les entreprises susceptibles de travailler avec l’Iran.

Les choix transgressifs de l’Iran

Déjà en mai 2019, un an après sa sortie de l’Accord, l’Administration américaine, ne voyant aucun fléchissement du côté de Téhéran, portait un premier coup à l’architecture de l’Accord de Vienne. Elle met fin alors aux dérogations qui permettaient à l’Iran d’exporter ses productions d’uranium légèrement enrichi et d’eau lourde lorsque les stocks accumulés dépassaient les limites posées par l’Accord. Ces plafonds avaient été mis en place pour empêcher l’Iran de constituer des provisions importantes de deux matières pouvant contribuer à la production de l’arme nucléaire. Dès lors, l’Iran n’a d’autre choix, pour respecter le plafond de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, en vérité le plus critique en termes de prolifération, que d’arrêter tout ou partie de ses centrifugeuses, ou encore de rediluer son uranium légèrement enrichi au fur et à mesure de sa production. Mais il choisit une troisième voie, transgressive celle-là, en s’affranchissant de ce plafond, et donc en accumulant progressivement un stock d’uranium enrichi qui à ce jour, au bout d’un an, a été multiplié par huit. L’Iran précise toutefois qu’il n’a pas l’intention de sortir de l’Accord de Vienne et qu’il reviendra à une stricte application de l’accord dès que les autres parties lui permettront d’en tirer les bénéfices attendus. Et pour faire pression sur ses partenaires, toujours impuissants à contrer les menées de Washington, il donne de deux mois en deux mois de nouveaux coups de canif au JCPOA : franchissement du taux d’enrichissement maximal de l’uranium autorisé par l’Accord, qui passe de 3,67% à 4,5%, reprise des activités de recherche et de développement pour la mise au point de centrifugeuses plus performantes, relance de l’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, que l’Accord de Vienne avait mis en sommeil. Le JCPOA semble alors à l’agonie.

Une entourloupe à l’horizon

Mais en avril dernier, le Secrétaire d’État Mike Pompeo redonne du grain à moudre aux soutiens de l’Accord par une nouvelle provocation. Il déclare en effet vouloir absolument empêcher que soit prochainement levé l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran instauré par le Conseil de sécurité antérieurement à la conclusion du JCPOA, et que le Conseil s’était engagé par sa résolution de juillet 2015 à abolir en octobre 2020. Il annonce donc que les États-Unis vont prochainement présenter au Conseil un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment ces sanctions. Il annonce surtout qu’au cas où cette résolution serait rejetée -- hypothèse fort probable en raison notamment du soutien à l’Iran de la Russie et de la Chine, détentrices du droit de veto --, il n’hésiterait pas à faire jouer la clause dite de snap-back, contenue dans la résolution de juillet 2015, permettant à tout participant au JCPOA de rétablir par son seul vote tout ou partie des sanctions de l’ONU précédemment infligées à l’Iran.

Le raisonnement fait alors scandale. Il s’appuie en effet sur une entourloupe juridique, la résolution de juillet 2015 ne précisant pas expressément qu’un pays désigné comme « participant » au JCPOA, en l’occurrence les États-Unis, cesserait de l’être au moment où il se retirerait de l’Accord. La manœuvre paraît indigne d’un pays sérieux. Pourrait-elle néanmoins réussir ? Assistera-t-on à une révolte de tout ou partie des membres du Conseil de sécurité ? L’on en saura plus dans les semaines ou les mois à venir.

Haro sur les coopérations nucléaires avec l’Iran

Mais en attendant, Mike Pompeo, décidément acharné à poursuivre la destruction du JCPOA, remet fin mai le couvert. Il annonce que les États-Unis vont mettre bientôt fin aux dérogations, ou waivers, qui protégeaient des sanctions américaines la coopération instaurée par l’Accord entre l’Iran et ses partenaires pour réorienter certains projets nucléaires iraniens posant de sérieux risques de détournement à des fins militaires. C’est ainsi que l’Iran avait commencé à bénéficier d’une aide pour modifier les plans d’un réacteur de recherche en cours de construction près de la ville d’Arak de façon à réduire drastiquement sa production de plutonium. Or le plutonium offre la deuxième voie d’accès à la bombe aux côtés de l’enrichissement de l’uranium. Pompeo annonce aussi que les États-Unis empêcheront de fournir à l’Iran le combustible à base d’uranium enrichi à 20% nécessaire au fonctionnement du petit réacteur de recherche de Téhéran, vendu dans les années 1960 à l’Iran par les Américains eux-mêmes. À noter que Mike Pompeo n’a pas évoqué dans sa déclaration les quelque mille centrifugeuses du site enterré de Fordo qui devaient être réaffectées à d’innocentes activités de recherche et de production d’isotopes médicaux, la coopération internationale en cette affaire ayant été interrompue par la décision iranienne d’utiliser à nouveau ces centrifugeuses pour la production d’uranium enrichi.

La décision américaine apparaît ainsi à tout le monde comme une sorte de « pousse-au-crime », et du côté iranien, renaissent les déclarations évoquant la possibilité de sortir définitivement du JCPOA, ou même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il est clair en tous cas dès à présent que l’Iran ne laissera pas passer une nouvelle humiliation au Conseil de sécurité sans une réaction de première grandeur. Et l’une des réactions possibles à cette nouvelle vague de punitions pourrait être de reprendre sur son sol l’enrichissement d’uranium à 20%, auquel avait mis fin l’Accord de Vienne. L’on se rapprocherait alors dangereusement des hauts enrichissements à visée militaire.

Les timidités de l’Europe

Comment ont réagi à ces attaques américaines les autres partenaires du JCPOA ? Les Russes ont été jusqu’à présent les plus clairs pour condamner les derniers projets américains. Les Chinois, empêtrés dans bien d’autres querelles avec les États-Unis, sont restés plus discrets, mais ne manqueront pas le moment venu d’agir comme les Russes. Quant aux Européens, ils n’ont pas encore officiellement indiqué comment ils réagiraient au cas où les Américains pousseraient leurs projets au Conseil de sécurité. Peut-être comptent-ils sur les Russes et les Chinois pour les bloquer. À ce jour, seul Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, a marqué publiquement sa désapprobation de la mise en œuvre de la procédure de snap-back par les États-Unis. En ce qui concerne le retour des sanctions contre les activités nucléaires iraniennes bénéficiant d’une coopération internationale, les trois Européens participant au JCPOA – Allemand, Britannique et Français -- ont inauguré la formule d’une déclaration commune « regrettant profondément »’la décision américaine, déclaration émise toutefois, non par les ministres avec le Haut représentant de l’Union européenne, mais par les porte-parole de leurs administrations respectives. Façon de se défausser sur des fonctionnaires subordonnés de la responsabilité de de mettre en cause les États-Unis.

Ceci augure mal de la volonté européenne de poursuivre malgré les sanctions américaines une coopération fort utile pour la non-prolifération. Elle pourrait pourtant continuer, au moins en mode dégradé, dans la mesure où elle est sans doute portée par une majorité d’entreprises de service public, peut-être mieux à même de résister aux sanctions, dans la mesure aussi où un certain nombre d’activités de coopération pourrait ne pas se traduire en flux financiers, cible principale des sanctions, mais en soutiens pratique et intellectuel. Osera-t-on ainsi finasser ? Rien n’est moins sûr.

Encore au moins cinq mois de crise

Et puis, la suite dépend aussi du comportement de l’Iran. Celui-ci est en ce moment en délicatesse avec l’AIEA, car lui refusant l’accès à deux sites non déclarés, suspectés d’avoir abrité des activités ou des équipements nucléaires clandestins, et refusant aussi de s’expliquer sur la découverte en un autre site par les inspecteurs de l’Agence de particules d’uranium d’un type introuvable dans la nature, donc témoignant d’une activité humaine. Si le conflit ne se résout pas, l’affaire pourrait en principe atterrir sur la table du Conseil de sécurité, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran.

Tout laisse donc augurer dans les mois à venir de relations chahutées en matière nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, mais aussi entre l’Iran et ses partenaires du JCPOA, enfin entre ces derniers et les États-Unis. Sans oublier l’AIEA, vouée à naviguer dans une mer semée d’écueils. À ceci s’ajoutent les tensions politiques dans le Golfe persique, et les tensions encore plus graves parcourant le Proche-Orient. Israël, mais aussi l’Arabie saoudite, restent en embuscade pour favoriser tout ce qui pourrait déstabiliser l’Iran. C’est donc un chemin chaotique que la diplomatie internationale va devoir parcourir jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dont il faut espérer qu’elle débouchera sur de plus souriantes perspectives.

mardi 1 janvier 2019

LA LAÏCITÉ EN FRANCE... ET AILLEURS


(paru dans le n° 48 de la revue "Après-demain", décembre 2018)


Il existe à l’Organisation des Nations-Unies un Comité des droits de l’Homme. Composé de 18 experts indépendants, il veille à la bonne application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu en 1966 et ratifié par la France en février 1981. Le Comité peut ainsi recevoir des plaintes de personnes s’estimant atteintes dans leurs droits et qui n’ont pas obtenu satisfaction devant la justice de leur pays. Il émet alors ce qu’il appelle une constatation dans laquelle, s’il estime la plainte justifiée, il peut demander au pays concerné de rectifier sa façon d’agir, éventuellement d’indemniser la victime.

La France deux fois désavouée

La France vient tout récemment d’être désavouée par le Comité dans deux affaires emblématiques de sa conception de la laïcité.
La première affaire concerne le licenciement sans indemnité d’une employée d’une crèche associative qui refusait de quitter son voile au travail. C’est la fameuse affaire « Baby-Loup », dans laquelle les juges français ont finalement donné tort à l’employée. Le Comité des droits de l’Homme lui a au contraire donné raison, en considérant que son droit à manifester librement sa religion avait été violé. Il a estimé que la France n’avait pas démontré que le port du voile par une employée portait atteinte aux droits fondamentaux des enfants ou des parents fréquentant la crèche.

La deuxième affaire concerne le cas de deux femmes condamnées à des amendes pour avoir porté dans la rue le niqab, ou voile intégral, en contravention avec une loi de 2010, interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public. Le Comité a estimé que cette interdiction pouvait se justifier en certaines circonstances ou en certains lieux, par exemple à l’occasion de contrôles d’identité, mais qu’une interdiction générale et absolue couvrant l’ensemble de l’espace public était une mesure excessive qui portait atteinte aux droits des personnes en question.

Voilà donc la justice française déstabilisée, et une partie de l’opinion française désorientée par ces deux prises de position. Comment se fait-il que notre vision de la laïcité soit si mal comprise à l’étranger ?

Certes, les experts du Comité des droits de l’Homme viennent de tous les coins de la terre. Mais parmi les douze experts ayant adopté la première constatation, figurent trois Européens et deux Nord-américains, qui devraient en principe assez bien nous comprendre. Les deux autres constatations, prises en termes à peu près identiques, ont été adoptées par onze experts, avec quand même deux opinions dissidentes donnant raison à la France, exprimées par les experts tunisien et portugais.

La laïcité à travers le monde

La laïcité prend donc des aspects très variés à travers le monde, certes à partir d’un socle commun, dès que l’État, la loi, ne puisent plus leur légitimité dans un ordre supérieur, défini par la foi et la religion. En France, elle commence à apparaître dans les efforts des Rois pour se dégager de la mainmise de la Papauté. Elle prend forme sous la Révolution avec la Constitution civile du clergé, se conforte avec le Code civil et le Concordat napoléonien, et adopte son aspect moderne sous la Troisième république, lorsque la société s’affranchit par une série de lois de l’emprise du clergé. Mais ailleurs, les parcours et les aboutissements sont fort différents. Voici quelques exemples.
Les régimes communistes, athées par principe, ont pratiqué une laïcité fortement hostile à toutes les religions, détruisant les lieux de culte, persécutant les fidèles, contrôlant très étroitement les pratiques religieuses provisoirement tolérées dans l’attente d’un monde nouveau émancipé de toutes « superstitions ».

En Europe, beaucoup d’États se réfèrent à Dieu dans leur Constitution, mais pour affirmer ensuite leur neutralité face à toutes les croyances. La Constitution fédérale suisse est adoptée « au nom du Dieu tout-puissant » mais affirme que nul ne peut subir de discrimination, notamment du fait de ses convictions religieuses ou philosophiques. Le peuple allemand adopte la Loi fondamentale « conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes ». Mais nul ne peut être discriminé en raison de sa croyance ou de ses opinions religieuses ou politiques. La liberté de culte est garantie. Un impôt destiné à financer les Églises est perçu sur les fidèles (de même qu’en Autriche ou en Suisse). Et l’enseignement religieux dans les écoles est dispensé par des fonctionnaires n’appartenant à aucune hiérarchie cléricale. Plus au nord, La Suède jusqu’en 2000, la Norvège jusqu’en 2012 ont eu des Églises d’État. À l’est, la Constitution hongroise demande à Dieu de bénir les Hongrois et rappelle que leur pays est une partie de l’Europe chrétienne. Mais elle établit la séparation des Églises et de l’État. Plus au sud, la Grèce cite abondamment la religion orthodoxe dans le préambule de sa Constitution, mais proclame la liberté de conscience religieuse.

De l’autre côté de la Manche, l’Angleterre, en une sorte de premier Brexit, s’est séparée de l’Europe catholique au XVIème siècle et s’est dotée d’une Église d’État, l’Église anglicane, placée sous l’égide du Souverain. L’Écosse est également dotée d’une Église d’État, l’Église presbytérienne. Après une période de persécution des autres religions, l’Angleterre a évolué vers la tolérance, au point d’apparaître dès le XVIIIème siècle comme un modèle. Mais longtemps, les Catholiques, entre autres, n’ont pu exercer de fonctions publiques. Tony Blair a attendu de n’être plus Premier ministre pour se convertir officiellement au catholicisme.

Aux États-Unis, la Constitution interdit au Congrès de légiférer pour établir une religion ou pour en interdire le libre exercice. C’est seulement en 1956 qu’est adoptée comme devise officielle du pays « in God we trust » (« en Dieu est notre foi »). Les Églises échappent à l’impôt. Tout peut être prêché sans entraves, y compris les doctrines les plus sectaires. Le créationnisme, qui affirme que Dieu, comme le dit la Bible, a directement créé tous les êtres vivants, homme compris, y est très populaire. Et le sentiment religieux joue, on le sait, un rôle très important dans la vie publique.

La Constitution canadienne proclame :« le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle du droit ». La Charte des droits et libertés protège la liberté de conscience et de religion et les normes communes doivent s’adapter, dans la mesure du possible, aux prescriptions religieuses. La jurisprudence a ainsi été amenée à dégager la notion d’«accommodement raisonnable». Entre autres exemples, les juges ont autorisé les Sikhs à porter sur eux leur poignard rituel, à condition qu’il soit fermement cousu à l’intérieur de leur vêtement.

Loin des pays de tradition judéo-chrétienne, la Turquie, née au lendemain de la Première guerre mondiale sur les débris de l’empire ottoman, s’est voulue un État laïque. En 1924, elle abolit le califat, qui faisait du Sultan « l’ombre de Dieu sur terre » et donc le guide de tous les Musulmans. Mais la première Constitution établit l’Islam comme « la religion de l’État turc ». Une Direction des affaires religieuses, toujours active à ce jour, vient gérer, financer et donc contrôler l’exercice du culte musulman, plus précisément du culte sunnite hanafite, pratiqué par la majorité de la population. Il faut attendre 1937 pour que la laïcité soit citée dans la Constitution. Le principe a été conservé mais la laïcité a été récemment ébranlée par l’arrivée aux commandes du pays de conservateurs, défenseurs des traditions.

L’Islam est cité dans la plupart des Constitutions des pays arabo-musulmans, du moins lorsqu’ils ont en une, et souvent la Charia, ou loi religieuse, est posée comme source du Droit. Le Liban, pays multiconfessionnel, fait toutefois exception. Mais les mêmes textes garantissent ensuite la liberté de conscience. En réalité, les pratiques d’un pays à l’autre sont très diverses, le principe de tolérance est en beaucoup d’endroits fort malmené, parfois par les sociétés encore plus que par les pouvoirs publics. Dans la même région, le Parlement israélien vient de proclamer Israël « État-nation du peuple juif ». L’on semble donc loin de la laïcité. Mais la déclaration d’indépendance de 1948, par laquelle Israël s’engage à assurer « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe » reste en vigueur. Au-delà des formules, il faut donc voir, ici comme ailleurs, comment tout ceci s’applique et s’appliquera.

Dans beaucoup de pays d’Afrique, les Constitutions et les grandes lois tendent à refléter les traditions juridiques dans laquelle ils ont baigné avant leur indépendance. Mais rites et croyances y jouent un rôle majeur de cohésion sociale. La laïcité n’y est l’affaire que de petits groupes. L’Asie offre, elle, un paysage contrasté. Pour prendre deux exemples, l’Inde et le Japon, l’Inde, dès son indépendance, s’affirme comme une République « séculière », portant un égal respect à toutes les religions. Sur cette base, le droit des personnes combine règles générales et prescriptions que chacun peut invoquer en vertu de sa religion. Et la vie quotidienne de l’immense majorité des Indiens est irriguée par les religions. En outre, ces dernières années, la volonté de faire de l’Inde une nation Hindoue a atteint le sommet de l’État, remettant en cause les principes fondateurs du pays. Au Japon en revanche, si rites et croyances circulent comme ailleurs, elles le font sur un mode discret. La Constitution de 1946 a introduit une séparation radicale entre Églises et État, qui est toujours scrupuleusement respectée.

Retour en France

A l’issue de ce tour d’horizon, la laïcité « à la française » apparaît dans toute son originalité, et peut-être sa solitude. D’autant qu’elle a beaucoup évolué au cours de son histoire, avec des épisodes de tensions et d’intolérance, mais aussi de très nombreux accommodements.

Dans la période récente, elle a semblé aller à l’encontre de l’adage « C’est à l’État d’être laïque, pas aux individus », en cherchant à introduire dans la vie sociale une sorte de laïcité des comportements, notion étrangère à ses fondateurs historiques. Elle a donc tendu à s’éloigner de la conception de la laïcité la plus répandue autour d’elle, fondée sur une neutralité tolérante, et même bienveillante, plutôt que sur une attitude prescriptive.

Or c’est cette protection de la diversité qui imprègne les grands textes fondateurs que sont la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), la Convention européenne des droits de l’Homme (1953) ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2007). Tous trois affirment en effet à l’unisson : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique… la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».

D’où le conflit qui vient de surgir entre la France et les gardiens du Pacte relatif aux droits sociaux et politiques, dont l’article 18 proclame également la liberté pour tout individu « de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé ». Ceci sans autres restrictions que celles « prévues par la loi » et « nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui ». Mais il est vrai aussi que ces formules laissent ouvert le dilemme qui nourrit à ce jour le débat en France : quelles tolérances accorder aux adversaires de la tolérance ? Comment, sans menacer les droits de tout un chacun, contenir les intégrismes de toutes origines ?

dimanche 17 décembre 2017

FAIRE D'UNE CRISE UNE OCCASION DE PROGRÈS


(paru le 16 décembre 2017 dans "l'Orient le Jour")

Dès 2008, Obama a cherché avec l’Iran un accord permettant de mieux encadrer son programme nucléaire. Il y est parvenu en juillet 2015 à Vienne, en compagnie des Allemands, des Anglais, des Français, des Chinois et des Russes. Mais pour apaiser son Congrès, très hostile à l’Iran, il a dû accepter de certifier tous les trois mois que l’Iran respectait ses engagements et que l’accord était bien dans l’intérêt de l’Amérique. Faute de quoi, le Congrès aurait la liberté d’imposer à Téhéran de nouvelles sanctions entraînant le retrait des États-Unis de l’accord.

 Trump, lui, dès sa campagne électorale, a déclaré que l’accord de Vienne était « le pire jamais signé par l’Amérique », et promis qu’il le dénoncerait sans tarder. Une fois élu, sous la pression de collaborateurs de bon sens, il a d’abord hésité. Mais le 13 octobre dernier, il a refusé de certifier l’accord, l’envoyant donc à l’examen du Congrès.
 La surprise est alors venue du Congrès, quand celui-ci s’est dérobé. Beaucoup de Sénateurs et de Représentants, même hostiles à l’accord, ont tiré les leçons du fait accompli et jugé qu’il serait désormais plus dangereux d’en sortir que d’y rester.

À la croisée de plusieurs chemins

 La balle est donc revenue du côté du Président Trump. Celui-ci a le pouvoir de prendre seul la décision de sortir de l’accord. S’il le fait, l’Iran aura le choix, soit de continuer quand même à l’appliquer avec les cinq autres pays partenaires, soit d’en sortir. On entrerait alors dans l’inconnu.

 Mais il n’est pas exclu que Trump, pesant le risque de décrédibiliser la parole de l’Amérique et de se retrouver une fois de plus isolé sur la scène internationale, reste finalement dans l’Accord. En ce cas, il se vengera sans doute de son échec en accentuant la pression sur l’Iran dans deux domaines sensibles qui ne relèvent pas de l’accord de Vienne : le programme balistique de Téhéran, et son influence régionale.

 Sur ces points, la position de la France mérite d’être relevée. Le Président Macron, dans l’espoir de renouer les fils du dialogue, s’est positionné à mi-chemin des États-Unis et de l’Iran. Il défend très fermement contre le Président Trump la survie de l’accord nucléaire. En revanche, il le rejoint pour demander à l’Iran de limiter d’une part ses ambitions balistiques, d’autre part ses ambitions régionales.

 Mais il a peu de chances d’être entendu de Téhéran. Les Iraniens considèrent, non sans quelque raison, que les affaires balistiques relèvent de leur défense nationale, sujet non-négociable sous la contrainte. Ceci d’autant plus qu’aucun autre pays de la région n’a accepté de limitations en ce domaine. Quant à son influence régionale, ni la France, ni même les Etats-Unis n’ont guère, en ce moment, de cartes en main pour l’obliger à abandonner ses acquis.

 Le risque est alors que, pour faire plier l’Iran sur ces deux sujets, les États-Unis, éventuellement aidés d’autres pays, notamment européens, peut-être de la France, multiplient les pressions et les sanctions. Ce serait une voie sans issue. Ceux qui connaissent un peu les Iraniens savent que plus on insiste pour les faire céder, plus ils ont tendance à se braquer. C’est ce qui s’est passé dans la crise nucléaire. Elle ne s’est dénouée que lorsque les Américains ont enfin accepté de leur parler sans conditions préalables, et sans a priori sur la solution à trouver.

 Lumières au bout du tunnel

 Pour sortir de la nouvelle crise qui se dessine, la voie est étroite. Mieux vaut, pour l’explorer, disposer de quelques repères.

 D’abord se dire qu’en matière stratégique et de défense, il n’y a de limitations acceptables pour une nation souveraine (sauf si elle sort vaincue d’une guerre, et encore…), que librement consenties, et partagées avec les autres nations concernées. Il faut qu’à la fin du processus, chacun ait le sentiment d’un résultat équitable, où il trouve son compte : un résultat gagnant-gagnant, comme on dit aujourd’hui. Ceci est vrai, entre autres, dans le domaine balistique.

 Compte tenu de la lourdeur des contentieux déchirant les pays de la région, mieux vaut aussi commencer par des sujets limités, traités de façon discrète, entre spécialistes. Il y en a plusieurs sur lesquels les pays du Proche et du Moyen-Orient ont des progrès à faire. Beaucoup, par exemple, n’ont pas encore adhéré au Protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique, pourtant indispensable pour se présenter en pays respectable dans le domaine nucléaire. Beaucoup n’ont pas signé le Code de la Haye, code minimal de transparence en matière balistique. Beaucoup n’ont pas rejoint le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires, alors qu’ils sont pourtant membres du Traité de non-prolifération, et que cette adhésion ne représenterait aucune obligation supplémentaire. Sur ces sujets et quelques autres, chacun semble attendre que son voisin prenne l’initiative.

 Sur de tels sujets, les pays extérieurs à la région, notamment les Occidentaux, devraient, pour une fois, s’abstenir d’agir en donneurs de leçons. S’ils voulaient être utiles, mieux vaudrait qu’ils interviennent de façon indirecte, en convainquant quelques pays-clés de s’intéresser à ces dossiers et de tenter d’entraîner leurs voisins. Sur les trois sujets évoqués, la Turquie, par exemple, qui parvient à parler à tout le monde, pourrait jouer un rôle moteur. Et le Liban, précisément parce qu’il ne fait d’ombre à personne, serait aussi écouté s’il intervenait avec la finesse que l’on connaît à sa diplomatie. En avançant ainsi pas à pas, le Proche et Moyen-Orient aurait une chance de montrer qu’il est capable de progresser vers son autonomie.


vendredi 25 novembre 2016

Trump et l'accord nucléaire : l'Iran, l'Europe, la France

Sur l’accord nucléaire avec l’Iran, dit « JCPOA » (Joint Comprehensive Plan of Action) ou encore « Accord de Vienne », Donald Trump a dit à peu près tout et son contraire. Il l’a présenté comme « le pire accord » jamais signé par les États-Unis. Après avoir promis de le « déchirer » dès son arrivée à la Maison Blanche, il a semblé s’orienter vers l’idée d’une application sans concession, et aussi d’une renégociation. Mais il est improbable que les Iraniens se laissent entraîner dans une direction dont ils ne peuvent rien attendre de bon.

           Une sortie facile


De fait, même si Trump, confronté au principe de réalité, hésite à sortir de l’accord, il pourra y être poussé par les éléments les plus radicaux de son entourage, et aussi par un Congrès qui reste viscéralement hostile à l’Iran. Et le pas peut être aisément franchi de plusieurs façons. Il suffirait ainsi que Trump s’abstienne d’opposer son veto, ou même d’utiliser son pouvoir de suspension temporaire (waiver) à l’égard des sanctions que le Congrès pourrait voter en contravention avec l’accord de Vienne. Plusieurs projets de loi vont déjà en ce sens. 
Il suffirait aussi qu’il annule ou, plus simple encore, qu’il s’abstienne de renouveler à leur date d’expiration les waivers édictés par Obama pour suspendre les nombreuses sanctions adoptées au fil des années par le Congrès qui se sont trouvées contraires au JCPOA lorsque celui-ci est entré en vigueur, début 2016.
Enfin, il pourrait, à sa seule initiative, extraire les Etats-Unis de l’accord de Vienne par une simple déclaration de retrait. En effet, le JCPOA n’est lui-même qu’une déclaration d’intentions oralement adoptée par sept participants (l’Iran, les États-Unis, la Russie, la Chine, et trois Européens : Allemagne, France, Royaume-Uni). Il n’a fait l’objet d’aucune signature, et à plus forte raison d’aucune ratification.
Certes, l’Accord de Vienne a été, quelques jours après la conclusion de la négociation, approuvé à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a instamment appelé à « son application intégrale ». Mais en vérité, ces formules n’ont pas de caractère obligatoire, au sens des dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Elles ne lient donc pas juridiquement les États-Unis.
Mais si les États-Unis sortaient de l’accord, celui-ci ne serait pas mort pour autant. Il resterait encore comme partenaires de l’Iran, s’ils le veulent bien, les Européens, la Russie et la Chine. Le seul retrait américain replacerait donc l’Iran à peu près dans la situation où il se trouvait au début des années 2000, quand il avait des relations économiques proches de la normale avec tout le monde, sauf les États-Unis : situation très supportable par rapport à la période d’embargo presque total qui a suivi.

           Les choix de l’Europe


Dans une telle situation, en sachant que Chine et Russie seront de toutes façons en faveur du maintien en vie du JCPOA, il faudra que l’Europe, et aussi l’Iran, fassent les bons choix. L’Europe en particulier se trouverait en position cruciale pour peser tant sur l’Iran que sur les Etats-Unis.
Côté Iran, elle devrait persuader Téhéran de continuer à jouer le jeu à l’égard des cinq autres parties demeurant dans l’Accord, et donc de continuer à se soumettre aux mêmes contrôles internationaux, aux mêmes limitations de ses activités nucléaires. Il lui faudrait aussi persuader les Iraniens de faire profil bas sur leurs activités balistiques, qui se trouvent en principe hors du champ de l’accord de Vienne, mais qui, en raison de la menace qu’elles représentent en termes de prolifération, alimentent régulièrement la tension entre l’Iran et le monde extérieur. Pour convaincre, les Européens devront démontrer à Téhéran qu’ils sauront résister à Washington lorsqu’il s’agira de permettre à l’Iran de continuer sans trop d’encombres à vendre son pétrole, à attirer les investissements étrangers, à développer son économie. 
Les partisans du Président modéré Hassan Rohani devraient être assez aisément d’accord mais les conservateurs doctrinaires fermement installés au cœur du régime suivront-ils ? Ils n’ont jamais dissimulé leur hostilité au JCPOA. Le retrait de l’Iran à la suite des États-Unis leur permettrait de mettre en difficulté le gouvernement actuel, et de resserrer leur emprise sur la société et sur l’économie. Si tout ceci se passait avant mai prochain, ils mettraient en péril la réélection du Président Rohani pour un second mandat. La tâche des Européens pourrait donc être rude.
Côté États-Unis, l’Europe risque fort de trouver bientôt devant elle une Administration américaine cherchant à la convaincre de se désengager, elle aussi, de l’Accord de Vienne, ou peut-être, dans un premier temps, à l’entraîner dans une politique de tension visant à pousser l’Iran à la faute. A l’issue de sa réunion du 14 novembre, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne a déjà manifesté son attachement au JCPOA, envoyant une claire mise en garde aux équipes de Donald Trump. Mais aura-t-elle la même détermination dans la durée ? 
À cet égard, la position des trois Européens parties à l’accord sera évidemment déterminante. L’Allemagne est un important partenaire de l’Iran en matière de commerce et d’investissement, et un interlocuteur de longue date de Téhéran sur les questions du Moyen-Orient. Elle s’efforcera de tenir bon, mais en essayant, comme à son habitude, de ne pas se mettre trop en avant. Quant à la Grande-Bretagne, la survie de l’Accord de Vienne est manifestement dans son intérêt, l’Iran étant en particulier un client potentiel important des services financiers et d’assurance offerts par la City. Mais alors qu’elle va commencer à se détacher de l’Union européenne, prendra-t-elle le risque de se distancer de l’Administration américaine ?

           La France exposée


La France pourrait alors se trouver poussée sur le devant de la scène. Le Président de la République, le ministre des Affaires étrangères, ont tout récemment dit avec force leur soutien à l’Accord de Vienne. Le temps est donc loin où la France laissait filtrer son scepticisme sur les chances de parvenir à un bon accord. Mais là encore, il va falloir tenir dans la durée, au-delà des échéances électorales qui s’approchent. Il faudra, si nécessaire, être prêt à assumer le mauvais rôle de l’allié récalcitrant que la France a déjà vécu au moment de la montée de la crise irakienne, mais en essayant, cette fois-ci, d’éviter une fracture entre Européens. Tous ceux qui se projettent dans la gestion de la politique étrangère du prochain mandat présidentiel devraient se préparer à aborder cette affaire dans leurs tout premiers dossiers.

(article paru le 23 novembre 2016 sur le site "Boulevard extérieur")

Boulevard Extérieur

samedi 18 juillet 2015

Après l’accord, avant la visite de Laurent Fabius à Téhéran : La France, l’Iran, l'arrêt complet des essais nucléaires


(version actualisée de l'article paru le 15 juillet dans "la Croix")

Dans la longue négociation nucléaire qui vient de s’achever avec l’Iran, les Français se sont constamment posés en défenseurs sourcilleux des intérêts de la non-prolifération. Ceci de façon très visible à partir de 2009, lorsqu’Obama, nouvellement élu, a choisi de « tendre la main » à Téhéran. Si l’accord atteint le 14 juillet peut être qualifié de « robuste », Laurent Fabius y a une part. L’insistance qu’il a constamment marquée à ne laisser aucune échappatoire aux tentations prêtées à l’Iran d’aller vers l’arme nucléaire, l’attention portée à ne pas se laisser prématurément desserrer l’étau des sanctions et surtout à pouvoir aussitôt les rétablir en cas d’infraction, ont trouvé leur traduction dans la rédaction finale de l’accord.

Un traité oublié

Ce beau résultat laisse un regret : c’est que la négociation n’ait pas offert l’occasion d’encourager l’Iran à ratifier un jour le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE, ou CTBT en anglais), que ce pays a déjà signé en 1996. Mieux que des déclarations générales, mieux qu’une Fatwa du Guide suprême, une prise de position de Téhéran en ce sens aurait marqué de façon solennelle la libre volonté de l’Iran de tirer un trait sur les tentations du passé et de poser un jour sur l’accord du 14 juillet le sceau d’un engagement international difficilement réversible.

La France s’était pourtant engagée naguère sur le sujet. Lorsqu’à l’été 2005, en compagnie de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, elle présentait à Téhéran une formule détaillée de sortie de crise, l’Iran était expressément invité à rejoindre le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Cette demande était toute naturelle. La France, depuis qu’elle l’a signé en 1996, puis ratifié en 1998, s’est fait l’avocat dans toutes les enceintes internationales de l’entrée en vigueur de ce traité, pour laquelle il manque encore huit ratifications. Pourquoi le sujet a-t-il ensuite disparu des écrans de la négociation avec l’Iran ?

L’explication vient des huit pays dont la ratification est toujours attendue pour que le Traité puisse entrer en vigueur : l’Iran s’y trouve en compagnie de la Corée du Nord, d’Israël, de l’Égypte, du Pakistan, de l’Inde… mais aussi de la Chine et des États-Unis, membres du groupe de six pays, dit P5+1, qui a conduit ces dernières années la négociation avec l’Iran. La Chine et les États-Unis ne pouvant décemment presser l’Iran d’accomplir un geste auquel eux-mêmes se refusent, il a dû être charitablement convenu entre membres du groupe d’oublier le sujet. Mais ce genre d’arrangement fait-il une bonne politique de non-prolifération ? La France ne pourrait-elle à présent reprendre, à son rythme, et avec le doigté utile, le sujet auprès des Iraniens ?

Vers un Moyen-Orient sans armes nucléaires

Certes, ceux-ci ont fait savoir qu’ils ne pourraient envisager de ratifier ce traité d’arrêt des essais nucléaires que si Israël et les États-Unis en faisaient autant. Israël, on le sait, conditionne notamment sa ratification à celle de l’Iran et de l’Égypte. Voilà peut-être l’angle sous lequel la question pourrait être remise à l’ordre du jour. La France a amplement démontré ces derniers temps son amitié à l’égard d’Israël et de l’Égypte. La prochaine visite de Laurent Fabius à Téhéran va d’autre part offrir l’occasion de raviver, s’il en était besoin, l’amitié traditionnelle entre la France et l’Iran. Si pouvait donc s’esquisser, grâce aux efforts de la France en direction de ces trois pays, la perspective d’une ratification concomitante du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires par l’Iran, Israël et l’Égypte, ce serait un premier pas vers l’émergence d’un Moyen-Orient sans armes nucléaires, que la France soutient.

Et si la ratification de l’Égypte, d’Israël et de l’Iran était acquise, la pression monterait sur les États-Unis et sur la Chine pour ratifier ce Traité qu’ils ont déjà signé. Au cas où ceux-ci se décideraient à sauter le pas, l’Inde pourrait être convaincue de les accompagner, et avec elle le Pakistan. Ne manqueraient plus dès lors que la signature et la ratification de la Corée du Nord pour que l’accord entre en vigueur. La Chine dispose à son égard d’arguments puissants. En somme, un engagement de ratification par l’Iran est sans doute le premier verrou à faire sauter sur la voie de l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Même en se gardant de trop espérer, il y a là une entreprise digne de la diplomatie française, si elle entend poursuivre dans la période ouverte par l’accord avec l’Iran son rôle de pilote dans la lutte contre la prolifération.

mercredi 14 janvier 2015

Et si l’Iran annonçait qu’il envisage la possibilité de se retirer du TNP ?

Le risque d’échec de la négociation nucléaire en cours avec l’Iran a repris quelque substance après l’émergence des difficultés mises en lumière lors des dernières réunions d’Oman et de Vienne. La solution des principaux points de désaccord, portant notamment sur la capacité d’enrichissement de l’Iran, et plus encore, sur le calendrier de levée des sanctions, va réclamer des deux parties des décisions politiques courageuses, allant à contre-courant des positions dominantes dans leurs classes politiques respectives. La nouvelle majorité du Congrès américain, en particulier, souhaite clairement s’inviter dans le processus. Elle pourrait à tout moment, en adoptant de nouvelles sanctions, soit entraîner l’échec de la négociation soit, si celle-ci était déjà moribonde, en provoquer la mort définitive.

L’espoir d’un accord permanent et global ainsi ébranlé, l’idée a été lancée de s’accrocher à une sorte de moindre mal, en renouvelant indéfiniment l’accord provisoire en cours. Après tout, le Plan commun d’action adopté le24 novembre 2013 offre aux États-Unis et à ses partenaires au sein du groupe dit P5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) un contrôle effectif des ambitions nucléaires iraniennes en contrepartie d’un très modeste allègement des sanctions. Aussi longtemps que l’activité iranienne d’enrichissement demeurera plafonnée au faible taux de 5%, loin des 90% nécessaires pour une arme nucléaire, et aussi longtemps que le réacteur de recherche d’Arak restera inachevé, les deux voies vers la bombe (uranium hautement enrichi et plutonium de qualité militaire) seront parfaitement verrouillées.

Mais pour l’Iran, l’acceptation d’une telle formule signifierait le gel du développement de ses capacités nucléaires et la renonciation à tout espoir de retrouver à un horizon déterminé une liberté de décision dans le cadre de règles permanentes et clairement établies. Il est donc douteux que Téhéran attende passivement que les États-Unis fassent leur choix dans la gamme des options qui s’offrent à leurs yeux : prolongation, ou non, de cet accord provisoire, signature ou non, d’un accord global et à long terme, imposition, ou non, de nouvelles sanctions à l’Iran… voire déclenchement, ou non, de frappes contre les installations nucléaires iraniennes.

Les responsables de la négociation du côté du groupe P5+1 devraient donc se garder de l’illusion qu’ils sont enfin parvenus à coincer l’Iran sous le poids des sanctions, aggravé en ce moment par la chute spectaculaire des prix du pétrole. Téhéran dispose encore de cartes majeures à jouer. Américains et Européens pourraient se retrouver poussés à un réexamen de leur comportement si, par exemple, l’Iran en venait à annoncer qu’il étudie l’opportunité de lancer dans un futur proche une procédure de retrait du Traité de non-prolifération.

L’article X du Traité stipule : « Chaque Partie…aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des évènements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. » L’Iran est en position d’avancer que le blocus à peu près intégral imposé à son économie et à sa population a tous les aspects d’une mesure extraordinaire, discriminatoire, heurtant profondément ses intérêts suprêmes. Bien entendu, le vote de nouvelles sanctions par le Congrès américain ne ferait qu’aggraver les choses. Et Téhéran pourrait souligner qu’un tel comportement venant de membres du TNP autorisés à conserver un arsenal nucléaire à l’encontre d’un cosignataire ayant renoncé à la bombe est contraire à l’esprit et à la lettre du Traité.

Dans la même veine, l’Iran pourrait ajouter que quelles que soient les infractions commises dans le passé aux obligations découlant de son accord avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – infractions pour la plupart admises et corrigées -, personne, même au sein des nombreux inspecteurs de l’Agence ayant procédé à des milliers d’heures de contrôles, n’a pu apporter un élément matériel pointant vers la fabrication d’un engin nucléaire explosif ou la préparation d’un premier test. Téhéran pourrait aussi avancer que l’accent mis dans la négociation en cours par le groupe P5+1 sur le fameux « breakout time » ou temps de la course à la bombe, montre que l’Iran reste à ce jour positionné derrière la ligne de départ d’une telle entreprise. Il pourrait conclure que le Conseil de sécurité n’avait aucun droit d’imposer à l’Iran des sanctions du type prévu par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies uniquement en cas de « menace à la paix » ou de « rupture de la paix ». A plus forte raison, pourrait-il aussi conclure que certains des membres les plus éminents du Conseil n’avaient aucun droit à mettre en place leurs propres sanctions dans le sillage des premières.

Dans le même temps, l’Iran, s’il veut apparaître comme un acteur responsable, devrait, dans une telle hypothèse, clairement affirmer que son retrait éventuel du TNP n’aura aucune influence sur la pérennité de son accord de garanties passé avec l’AIEA, non plus que sur son intention de ne jamais acquérir la bombe. Conformément aux clauses de cet accord, les matières nucléaires actuellement placées sous contrôle de l’AIEA demeureraient alors soumises à exactement les mêmes contrôles et inspections. Les nouvelles installations, telles que les réacteurs supplémentaires que les Russes prévoient de construire sur le site de Bouchehr, seraient également l’objet de la même surveillance de la part de l’AIEA.

De fait, dans la nouvelle situation juridique qui serait créée, l’Iran, pour s’exonérer légalement des contrôles de l’Agence, devrait construire et faire fonctionner de nouvelles installations nucléaires sans aucune assistance extérieure, en utilisant exclusivement de l’uranium extrait de son sol et des éléments combustibles fabriqués en Iran. Pour écarter toutes craintes sur ce dernier point, l’Iran aurait alors intérêt à assortir son éventuel retrait du TNP d’une déclaration selon laquelle il continuerait à appliquer sur une base volontaire les engagements contenus dans ce traité en maintenant notamment sous contrôle de l’AIEA toutes ses installations et matières nucléaires, présentes et à venir. Une telle démarche n’est pas sans précédent. La France, qui n’a rejoint le TNP qu’en 1992, avait exposé dès 1968 aux Nations-Unies à la fois les raisons de principe qui la retenaient d’adhérer au Traité et sa détermination, au nom de la non-prolifération, à se comporter exactement comme un signataire. En même temps, l’Iran serait sans doute enclin à rappeler que tout projet d’attaque contre ses installations placées sous garanties de l’AIEA mettrait fin à l’ensemble de ces gestes de bonne volonté.

Enfin, dans le fil de tels engagements, l’Iran aurait tout intérêt à déclarer qu’il serait prêt à réintégrer le TNP le jour même où seraient levées les sanctions qui le frappent. Considérant l’importance de ne pas laisser se créer un précédent susceptible d’affecter la cohérence et l’efficacité du dispositif de non-prolifération construit autour du Traité, le risque d’un retrait de l’Iran devrait conduire les principaux membres du groupe P5+1 à faire face à leur responsabilité de gardiens principaux du TNP. Avec un peu de chance, cette perspective pourrait donner à réfléchir au Congrès américain, et contribuer à accélérer la conclusion de l’accord général en cours de discussion avec l’Iran.

dimanche 16 mars 2014

La gouvernance de l'économie de marché mondialisée

(Après un long sommeil, je réactive ce petit blog avec la parution d'un article, que je crois important, de mon ami Georges Le Guelte, paru récemment dans "La Croix". Je publierai aussi prochainement de petites chroniques sur "les minorités du monde" qui, je l'espère, pourront vous intéresser. Bonne lecture à toutes et tous!)


Le traité de libre-échange en cours de discussion entre les Etats-Unis et l’Union européenne a pour objet de supprimer les obstacles aux échanges commerciaux entre les deux rives de l’Atlantique. Les droits sur l’entrée des marchandises en Europe étant très faibles, sauf pour les produits agricoles, les discussions porteront essentiellement sur l’assouplissement ou l’élimination des règles qui protègent la santé ou la sécurité de la population en interdisant la vente ou en limitant la consommation de certaines substances. Cela concerne surtout les denrées alimentaires, les médicaments, les insecticides, le tabac, les hydrocarbures, les armes etc.

Cependant, le traité aura de graves conséquences bien au-delà de ses aspects commerciaux. Sa signature marquera une profonde rupture dans l’évolution des institutions et de l’exercice du pouvoir. En effet, un an avant de rencontrer leurs interlocuteurs américains, les fonctionnaires de la Commission ont lancé une série de consultations avec les milieux d’affaires des deux côtés de l’Atlantique (US Chamber of Commerce, et Business Europe) pour savoir ce qu’ils attendaient de l’accord[1]. L’une des revendications des industriels concerne la façon dont le traité sera appliqué si, après son entrée en vigueur, l’une des deux parties modifie sa réglementation intérieure. Au lieu d’une renégociation du traité, ils demandent qu’une commission mixte, composée de responsables américains et européens de haut niveau, harmonise les normes applicables en Europe et aux Etats-Unis, pour les adapter à la situation nouvelle. En d’autres termes, après la conclusion du traité, c’est cette commission mixte qui définira les règles qui devront être respectées aux Etats-Unis, dans l’Union européenne, et dans tous les pays qui voudront y exporter leurs marchandises.

Les industriels veulent également pouvoir proposer à cette commission les textes qu’ils souhaitent voir adopter, et participer à ses délibérations. Les négociateurs européens semblent avoir déjà accepté qu’ils transmettent des projets de texte, tout en étant plus réservés sur leur participation aux débats. Il est cependant difficile d’imaginer que la commission mixte puisse longtemps examiner des projets d’amendement tout en refusant d’entendre le point de vue de ceux qui les défendent. Si le mécanisme voulu par les industriels est retenu, les règles applicables sur une grande partie de la planète pour tout ce qui concerne l’économie et la finance seront décidées, après la signature du traité, par une instance constituée de représentants de l’Administration américaine, de fonctionnaires européens n’ayant aucune responsabilité politique, et de représentants des actionnaires des entreprises transnationales.

C’est une étape supplémentaire vers une nouvelle forme de société, organisée pour et par les actionnaires des grandes firmes, et dont plusieurs éléments sont déjà en place. Au niveau inférieur, près de 6000 lobbyistes sont enregistrés à Bruxelles, pour tenter d’obtenir, des instances européennes, des décisions favorables aux entreprises qui les emploient. A un échelon plus élevé, « Business Europe » représente, auprès de la Commission, les intérêts de l’ensemble des milieux d’affaires. Au niveau supérieur, la Table ronde européenne, créée en 1983 avec le soutien de deux commissaires européens, rassemble les PDG d’une cinquantaine de grands groupes dont le siège est en Europe. Elle définit les objectifs à long terme communs aux grandes entreprises, et ses recommandations sont souvent entendues. Elle a ainsi vigoureusement soutenu le projet de traité de libre-échange américano-européen, et plus récemment elle s’est prononcée pour une amélioration de la compétitivité des entreprises européennes. Le mécanisme qui serait mis en place après la signature du traité de libre-échange aurait une tout autre portée, puisque les milieux d’affaires feraient partie de l’institution sensée représenter l’intérêt général et investie, pour cette raison, du pouvoir régalien d’édicter les lois.

Dans tous ces développements, la Commission européenne a largement collaboré avec les milieux d’affaires. Pourtant, rien dans l’évolution qui se dessine ne relève d’un quelconque complot. Les mécanismes envisagés par les grandes firmes et par la Commission européenne ne sont que la conséquence logique du fonctionnement d’une économie de marché de plus en plus mondialisée, ils ne font que traduire dans les institutions ce qui est déjà la réalité économique et sociologique. Le traité de libre-échange n’est au surplus qu’une étape. Une fois que les règles de vente et de consommation des produits seront uniformisées, une harmonisation de la fiscalité et de la protection sociale aux Etats-Unis et en Europe sera nécessaire pour que la concurrence ne soit pas faussée. Et pour qu’aucune des deux parties ne bénéficie d’une prime de change, une monnaie commune devrait être adoptée. La signature du traité n’est pas une fatalité, mais une fois qu’il sera conclu, il sera très difficile, voire impossible, de s’opposer au mécanisme qu’il aura enclenché.

Georges Le Guelte




[1] International New York Times, 9 octobre 2013, pages 16 et 19, “Business got an early say in EU trade talks” et “Business gets its voice heard in US-EU talks”.

mercredi 27 juillet 2011

Assassinats en série

Un chercheur iranien mêlé au nucléaire vient encore d’être assassiné samedi dernier par des tueurs circulant à motocyclette, alors qu’il allait prendre son enfant à la sortie d’une maternelle. Sa femme a elle-même été blessée dans l’attentat. Deux scientifiques iraniens du nucléaire ont été exécutés par des méthodes comparables, l’un en janvier, l’autre en novembre 2010. Un autre scientifique avait été blessé à cette dernière date, ainsi que les femmes des deux hommes visés. Ce dernier, Fereidoun Abbasi, est depuis devenu le patron de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique. En 2007 déjà, un chercheur iranien lié au nucléaire était mort d’une mystérieuse intoxication. Notons que les attentats de 2010 et 2011 ont tous eu lieu sur la voie publique, à proximité des domiciles des victimes. Les tueurs disposaient donc de leurs adresses privées.

Ali Mohammadi, tué en janvier 2010, était professeur de physique nucléaire. Il représentait son pays au sein du projet Sesame, placé sous l’égide de l’UNESCO, visant à installer en Jordanie un accélérateur de particules conjointement géré par les pays de la région. Majid Shahriari, tué en novembre de la même année, travaillait sur le même projet. Ont-ils au cours de leurs séjours à l’étranger imprudemment laissé traîner leurs adresses et celles de leurs amis ?

Ces assassinats ciblés ne semblent pas avoir soulevé d’émotion hors d’Iran. Il ne s’agit pourtant pas là de représailles visant des auteurs ou instigateurs d’attentats, comme on a pu le voir dans la bande de Gaza ou avec l’assassinat en 2008 à Damas d’Imad Moughniyeh, responsable, entre autres forfaits, de la mort en 1983 à Beyrouth de 300 soldats américains et français. L’on peut en ces cas accepter l’idée que celui qui a pris l’épée périsse par l’épée. Mais les victimes iraniennes, sans parler de leurs femmes, n’étaient pas des tueurs. Présume-t-on de leur participation à un programme militaire clandestin, ce qui serait, en effet, une façon de forger, sinon de manier, l’épée ? La chose n’est pas avérée. Pour les scientifiques dont on connaît un peu le parcours, leurs travaux paraissent plutôt éloignés de l’ingénierie de l’arme nucléaire.

Au-delà de cette interrogation morale, il va de soi que de telles pratiques nourrissent des haines inexpiables. L’on est, bien entendu, persuadé à Téhéran qu’Israël et les États-Unis sont derrière ces assassinats. L’on relève le silence de la communauté internationale, pourtant prompte à réagir lorsque l’Iran est en cause. Rien de ceci ne favorise la recherche de solutions négociées, ni une plus grande ouverture de l'Iran aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Au contraire, tout va dans le sens la consolidation de la rancœur et de la méfiance, avec au bout du chemin le risque de montée de crise et de conflit ouvert. Est-ce bien là le but recherché ?

(paru le 27 juillet dans lemonde.fr)

vendredi 7 janvier 2011

Pour en finir avec Wikileaks

Le Figaro a bien voulu publier le 5 janvier un petit papier que je lui avais adressé sur l'affaire Wikileaks. Comme souvent en ce genre d'occasion, il a été un peu raccourci. Pour mes amis intéressés par le sujet, en voici la version intégrale.

L’on devine dans les admirateurs de la démarche de Wikileaks comme une quête du Graal, qui expliquerait enfin le bruit et la fureur du monde. Curieusement, ce combat pour une transparence totale flatte les mêmes attentes que les faussaires du Protocole des Sages de Sion ou les producteurs d’élucubrations sur les vrais auteurs du 11 Septembre. Mais à ce jour, malgré les milliers de télégrammes publiés, les amateurs de théories du complot en sont pour leurs frais. La partie immergée de l’action diplomatique se révèle de même nature que sa partie visible.

Sur les affaires du Moyen-Orient, par exemple, qui nourrissent beaucoup des télégrammes parus, chacun se comporte à peu près comme on l’imaginait déjà à la lecture de la presse. Israël pousse les États-Unis à intervenir en Iran avant qu’il ne soit trop tard, les Français s’activent à la pointe du combat pour faire plier Téhéran, Washington, entre la main tendue d’Obama et une administration creusant le sillon des sanctions, souffle le chaud et le froid et théorise sa difficulté à choisir sous le nom de « double approche ».

Certes, l’on tombe sur de surprenantes pépites. L’on croise des responsables israéliens plutôt sceptiques sur l’état d’avancement du programme nucléaire de Téhéran. L’on voit les dirigeants omanais éluder sagement l’offre de dispositifs anti-missiles censés les protéger de frappes iraniennes. Et surtout, bien au-delà du Moyen-Orient, l’on entend en tous lieux tout le monde dire du mal de tout le monde. Mais au final, l’on découvre une diplomatie américaine de qualité, scrupuleuse dans le rapport des faits et lucide dans ses analyses. Ce résultat n’était sans doute pas le plus attendu par les gens de Wikileaks.

Certains télégrammes peuvent être cités en modèles de clarté et d’honnêteté intellectuelle. Ainsi celui qui rapporte une réunion d’experts russes et américains en prolifération balistique, tenue fin 2009. Les Russes y détaillent longuement leurs doutes sur l’importance et sur l’urgence des menaces nord-coréenne et iranienne, telles que décrites du côté américain. Ils écartent en particulier l’idée que l’Iran aurait acheté à la Corée du Nord 19 missiles dits BM 25, capables d’atteindre l’Europe, rappelant qu’aucun test de ce missile n’a été jusqu’alors observé. Mais à l’issue de la lecture, chacun est laissé libre de sa conviction.

Une conclusion plutôt inattendue aboutit à l’utilité des ambassades, comme le démontrent, entre autres, les excellentes analyses produites par les diplomates américains à Paris. A contrario, la pauvreté des informations américaines sur la situation en Iran est clairement due à l’absence de relations entre les deux pays. Cette carence conduit parfois à de sérieuses erreurs d’appréciation. Le Département d’État se prend ainsi à espérer que les slogans anti-américains vont disparaître des rues de Téhéran. Une ambassade américaine voisine de l'Iran rapporte sans recul la rumeur de la mort prochaine du Guide de la Révolution, victime d’un cancer en phase terminale.

De fait, dans la masse des télégrammes publiés, seuls quelques-uns font scandale. Il s’agit des instructions d’Hillary Clinton enjoignant à ses diplomates de participer à la collecte d’informations personnelles et confidentielles sur leurs interlocuteurs. Il y a là une atteinte grave à l’éthique de la fonction diplomatique. Je peux témoigner qu’en quarante ans de métier, je n’ai jamais reçu d’instructions de ce genre. A vrai dire, il semble plutôt s’agir d’une corvée imposée par d’autres au Département d’État. Les télégrammes en question sont longs, ennuyeux et fortement stéréotypés. De telles circulaires sont d’ordinaire classées dès que reçues. J’imagine mal nos collègues américains lisant par-dessus nos épaules nos codes de carte de crédit. Je leur fais donc confiance pour avoir oublié d’appliquer pareilles directives.

Reste ce qui a le plus embarrassé les uns et distrait les autres, à savoir les jugements de valeur, les portraits et les propos à l’emporte-pièce rapportés par de nombreux télégrammes. L’on touche là au cœur de la fonction diplomatique. Il serait dommage que, sous le choc de l’accident Wikileaks, s’appauvrisse cet travail d’éclaireur indispensable aux décideurs politiques. Le rédacteur, pour livrer en toute tranquillité son effort personnel de traque de la vérité des personnes et des situations, doit en effet être assuré qu’il ne sera lu que par ses seuls correspondants. De même, ses interlocuteurs, pour parler en liberté, doivent se sentir protégés. En l’occurrence, c’est le secret, et non la transparence, qui garantit la qualité et la sincérité des échanges. La capacité à parler vrai, mais aussi à protéger l’information reçue, forme la double trame de la confiance mutuelle. L’émotion passée, et les plaies refermées, l’affaire Wikileaks, si elle reste isolée, aura eu le mérite de rappeler ces évidences.

mardi 10 novembre 2009

La malédiction du Pharaon

Il doit peser une sorte de malédiction du Pharaon sur les relations franco-américaines. La France, qui a fait dans son histoire la guerre à tout le monde, n'a, par un heureux hasard, jamais fait la guerre aux Etats-Unis. Elle a même sérieusement contribué à leur naissance. Et pourtant, Dieu sait si ces relations ont été presque continûment crispées, aigres, traversées de méfiances et de malentendus. L'on se souvient en particulier, tout au long de la Guerre froide, de la façon dont les Français se désolaient des tensions entre Etats-Unis et URSS, formant obstacle au bonheur de l'Europe, mais dénonçaient avec vigueur le condominium des super-puissances dès que les deux Grands parvenaient à s'entendre sur un quelconque sujet. C'est sur ce motif, par exemple, que nous avons refusé pendant un quart de siècle de signer le Traité de non-prolifération nucléaire.

Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?

L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".

Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.

Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.

Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.

dimanche 14 septembre 2008

Un autre regard sur l'Afghanistan

Sarah Chayes est une talentueuse journaliste américaine qui a couvert l'entrée de la Coalition en Afghanistan, en particulier à Kandahar. Elle y est retournée pour y conduire une mission humanitaire et a séjourné pendant quelque deux ans dans cette ville pourtant réputée peu accueillante pour les Occidentaux. Elle en a rapporté un témoignage "La punition de la vertu", qui présente une réalité fort éloignée du discours simplifié sur "notre combat pour les valeurs" et contre "les barbares moyenâgeux et terroristes qui prennent les populations en otage". En voici un extrait éclairant. Je le livre en écho au décapant article publié il y a quelques jours par Christophe Jaffrelot dans "le Monde" sur le sens de notre engagement en Afghanistan.

"L'on m'a souvent demandé si nous avions le droit, nous Occidentaux, "d'imposer la démocratie" à des gens "qui pourraient tout simplement n'en pas vouloir" ou qui pourraient "n'y être pas prêts". Je pense, au moins pour ce qui concerne l'Afghanistan, que l'on a exactement inversé la question. De mes discussions avec des Anciens et avec beaucoup d'autres, j'ai constaté que les Afghans savent précisément ce qu'est la démocratie, même s'ils ne sont pas forcément capables de définir le terme. Et ils la réclament. Ils attendent de leur gouvernement ce que la plupart des Américains et des Européens attendent des leurs : des routes carrossables, des écoles pour leurs enfants, des médecins aux diplômes certifiés pour qu'ils n'empoisonnent pas les gens, un minimum de responsabilité publique des gouvernants, et de la sécurité, de la loi et de l'ordre. Et ils veulent réellement participer d'une certaine façon à forger le destin de leur pays.

Mais les Afghans ont reçu très peu de tout cela, grâce à des seigneurs de la guerre comme Gul Agha Shirzai, que l'Amérique a contribué à maintenir au pouvoir. La politique américaine en Afghanistan n'a pas imposé, elle n'a même pas encouragé la démocratie, comme le proclamait le gouvernement des Etats-Unis. Elle a au contraire barré la route de la démocratie. Elle a institutionnalisé la violence.

L'imprévisibilité déstabilise l'esprit humain. Il était clair, et les habitants de Kandahar le disaient sans ambages, que l'oppression des Taliban avait pesé plus lourdement sur eux que l'oppression qu'ils connaissaient à présent. Et pourtant, du temps des Taliban, il y avait un système : il y avait la loi et l'ordre. Il y avait une certaine version du Droit. L'on connaissait les règles car elles étaient explicites. Et quand on les respectait, si dures et intransigeantes qu'elles fussent, l'on était à peu près tranquille d'avoir la paix.

Maintenant, à les écouter, il n'y avait plus de loi. L'oppression était arbitraire. Elle frappait sans raison, et donc déstabilisait les gens. Peut-être le nombre d'incidents réels à Kandahar n'était-il pas si élevé. Il n'était certainement pas aussi élevé que du temps des Moujaheddin, et les habitants de Kandahar le reconnaissaient. Ils étaient reconnaissants à la présence américaine pour le calme relatif qu'elle avait apporté, assurant que si les soldats américains s'en allaient, le sang coulerait dans les rues comme la rivière Arghandab au moment du dégel. Mais l'imprévisibilité de ces incidents, leur aspect arbitraire, leur donnaient une capacité démesurée à déstabiliser les esprits.

Et les gens commençaient à se souvenir du temps des Taliban. Ils parlaient de la possibilité de circuler en auto dans Herat la nuit, libres de peur. Ils évoquaient ce temps où ils pouvaient laisser une liasse de billets enveloppée dans un châle en pleine rue, pendant qu'ils allaient acheter ailleurs des melons. Ils commençaient à évoquer avec nostalgie la paix des Taliban.

Ainsi, l'image un peu effacée des anciens Taliban commençait à se reconstituer, dans la tête des gens, comme une alternative. Pas attractive, certes, mais comme n'étant pas totalement hostile aux intérêts des gens non plus. Rien d'idéologique n'entrait dans le raisonnement. Leur pensée était pratique, et ils se souvenaient qu'ils avaient tiré des avantages pratiques de la loi des Taliban."

vendredi 18 janvier 2008

Rififi dans le détroit d'Ormouz

Il n'est peut-être pas inutile de revenir à tête reposée sur l'incident qui a opposé le 6 janvier dernier cinq vedettes iraniennes à trois navires de guerre américains dans le détroit d'Ormouz.

Le premier communiqué vient le lendemain de la marine américaine qui signale que de petits bateaux iraniens, appartenant vraisemblablement aux Pasdaran, ont "manoeuvré de façon agressive à proximité" de ses navires. Un film de l'incident est diffusé à la presse, il fait entendre la phrase captée sur le réseau commun de communication des navires en mer : "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes". Les porte-parole de la Défense américaine précisent que les navires iraniens ont jeté à la mer des "objets blancs, en forme de boîte" qui ont inquiété un moment les équipages américains. Le chef du comité des chefs d'état-major américain commente pour sa part l'incident en y voyant "un reflet des nouvelles tactiques iraniennes de guerre asymétrique".

Dans les jours qui viennent, l'affaire est évoquée à trois reprises par le Président Bush, et pour la dernière en Israël, en compagnie du Premier ministe Olmert. Le Président dénonce chaque fois la "provocation" du comportement des iraniens et les met fermement en garde contre toute répétition. L'affaire est également commentée par le Secrétaire à la défense américain, Robert Gates, qui souligne le caractère "imprévisible du gouvernement iranien" et la situation "volatile" de la région.

Dans le même temps, les Iraniens démentent toute attitude provocante, présentent leur action comme une action normale de contrôle de navires à proximité de leurs côtes, diffusent leur propre film de l'évènement, et accusent les Américains d'avoir falsifié la bande-son de leur film en y ajoutant la phrase "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes".

Tout ceci examiné, les deux films visionnés, quelles leçons tirer de l'affaire, quel jugement porter?

Première surprise, à l'examen des films : les navires iraniens sont de tout petits hors-bord de type civil, sans armement, sans même cabine couverte, du modèle utilisé par les vacanciers pour faire du ski nautique. Ils ont un équipage de trois personnes, et ne peuvent guère en avoir plus. A noter qu'ils n'arborent aucun pavillon, ni aucune immatriculation de type militaire.

Leur comportement autour des navires américains, au cours d'un épisode qui dure une vingtaine de minutes, pourrait être qualifié de "rodéo" ou encore "d'essaim de frelons". Ils restent néanmoins à distance respectueuse, jamais moins de deux cents mètres, selon les déclarations des Américains eux-mêmes.

Il est clair, et les Américains en ont finalement convenu, que la phrase menaçante "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes" n'a pas été prononcée par les marins iraniens. Le ton de voix, l'ambiance sonore sont tout à fait différents des propos antérieurs, parfaitement ordinaires, visant à l'identification mutuelle des navires. Elle aurait, semble-t-il, été lancée sur les ondes par un mauvais plaisant extérieur. La chose est, paraît-il, assez courante car la fréquence radio de contact des navires en mer est accessible à tout le monde.

Quant aux objets non identifiés jetés à la mer, ils devaient être du type journal ou boîte de carton, et les premiers observateurs américains les ont rapidement jugés inoffensifs, puisqu'ils n'ont fait l'objet d'aucun signalement général.

Dans l'ensemble, c'est donc une petite affaire. Les équipages iraniens semblent avant tout avoir voulu "frimer" sous les yeux des Américains : comportement en effet irresponsable, et que l'on peut présumer d'initiative locale. Ce n'aurait été ni très méchant, ni dangereux, s'il n'y avait le souvenir des attentats contre l'USS Cole en l'an 2000, ayant fait 17 morts, et contre le pétrolier Limbourg, commis un an plus tard : tous les deux à Aden. Le premier a été mené par un commando-suicide monté sur un simple canot pneumatique, le second aurait été mené par un autre commando-suicide monté sur un petit navire de pêche. A la lumière de ces souvenirs, l'on peut souligner que les équipages américains ont fait preuve de sang-froid et de retenue. l'on ne voit, par exemple, sur aucune image de système d'armes braqué sur les navires iraniens, l'on n'entend rien allant en ce sens.

Le plus étonnant est la façon dont cet incident, somme toute modeste, a été amplifié par des déclarations de hauts responsables, et notamment du Président américain. Dont il a pu faire "la Une" de tous les journaux du monde, qui se sont longuement et gravement interrogés sur les intentions du gouvernement iranien et sur le risque de déclenchement d'un conflit de grande ampleur.

L'on ne peut manquer de penser à "l'incident de la baie du Tonkin", très ressemblant à celui-là, un peu plus sérieux quand même, puisqu'il y avait eu un tir d'arme légère ayant créé un point d'impact sur un navire américain. Mais c'est de ce point d'impact unique qu'a démarré la guerre du Vietnam.

L'inquiétant de cette affaire, ce n'est donc pas l'apparition sur scène d'une modeste allumette. Il y en a, il y en aura, d'autres. C'est évidemment que l'on puisse passer directement du frottement de l'allumette à l'explosion majeure. C'est le risque de voir des crises que chacun se flatte de contrôler prendre tout à coup, sous l'effet d'évènements imprévus, ou encore périphériques, des dimensions incontrôlables. Il faut certainement s'en souvenir dans le traitement de la crise nucléaire iranienne.