Il n'est peut-être pas inutile de revenir à tête reposée sur l'incident qui a opposé le 6 janvier dernier cinq vedettes iraniennes à trois navires de guerre américains dans le détroit d'Ormouz.
Le premier communiqué vient le lendemain de la marine américaine qui signale que de petits bateaux iraniens, appartenant vraisemblablement aux Pasdaran, ont "manoeuvré de façon agressive à proximité" de ses navires. Un film de l'incident est diffusé à la presse, il fait entendre la phrase captée sur le réseau commun de communication des navires en mer : "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes". Les porte-parole de la Défense américaine précisent que les navires iraniens ont jeté à la mer des "objets blancs, en forme de boîte" qui ont inquiété un moment les équipages américains. Le chef du comité des chefs d'état-major américain commente pour sa part l'incident en y voyant "un reflet des nouvelles tactiques iraniennes de guerre asymétrique".
Dans les jours qui viennent, l'affaire est évoquée à trois reprises par le Président Bush, et pour la dernière en Israël, en compagnie du Premier ministe Olmert. Le Président dénonce chaque fois la "provocation" du comportement des iraniens et les met fermement en garde contre toute répétition. L'affaire est également commentée par le Secrétaire à la défense américain, Robert Gates, qui souligne le caractère "imprévisible du gouvernement iranien" et la situation "volatile" de la région.
Dans le même temps, les Iraniens démentent toute attitude provocante, présentent leur action comme une action normale de contrôle de navires à proximité de leurs côtes, diffusent leur propre film de l'évènement, et accusent les Américains d'avoir falsifié la bande-son de leur film en y ajoutant la phrase "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes".
Tout ceci examiné, les deux films visionnés, quelles leçons tirer de l'affaire, quel jugement porter?
Première surprise, à l'examen des films : les navires iraniens sont de tout petits hors-bord de type civil, sans armement, sans même cabine couverte, du modèle utilisé par les vacanciers pour faire du ski nautique. Ils ont un équipage de trois personnes, et ne peuvent guère en avoir plus. A noter qu'ils n'arborent aucun pavillon, ni aucune immatriculation de type militaire.
Leur comportement autour des navires américains, au cours d'un épisode qui dure une vingtaine de minutes, pourrait être qualifié de "rodéo" ou encore "d'essaim de frelons". Ils restent néanmoins à distance respectueuse, jamais moins de deux cents mètres, selon les déclarations des Américains eux-mêmes.
Il est clair, et les Américains en ont finalement convenu, que la phrase menaçante "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes" n'a pas été prononcée par les marins iraniens. Le ton de voix, l'ambiance sonore sont tout à fait différents des propos antérieurs, parfaitement ordinaires, visant à l'identification mutuelle des navires. Elle aurait, semble-t-il, été lancée sur les ondes par un mauvais plaisant extérieur. La chose est, paraît-il, assez courante car la fréquence radio de contact des navires en mer est accessible à tout le monde.
Quant aux objets non identifiés jetés à la mer, ils devaient être du type journal ou boîte de carton, et les premiers observateurs américains les ont rapidement jugés inoffensifs, puisqu'ils n'ont fait l'objet d'aucun signalement général.
Dans l'ensemble, c'est donc une petite affaire. Les équipages iraniens semblent avant tout avoir voulu "frimer" sous les yeux des Américains : comportement en effet irresponsable, et que l'on peut présumer d'initiative locale. Ce n'aurait été ni très méchant, ni dangereux, s'il n'y avait le souvenir des attentats contre l'USS Cole en l'an 2000, ayant fait 17 morts, et contre le pétrolier Limbourg, commis un an plus tard : tous les deux à Aden. Le premier a été mené par un commando-suicide monté sur un simple canot pneumatique, le second aurait été mené par un autre commando-suicide monté sur un petit navire de pêche. A la lumière de ces souvenirs, l'on peut souligner que les équipages américains ont fait preuve de sang-froid et de retenue. l'on ne voit, par exemple, sur aucune image de système d'armes braqué sur les navires iraniens, l'on n'entend rien allant en ce sens.
Le plus étonnant est la façon dont cet incident, somme toute modeste, a été amplifié par des déclarations de hauts responsables, et notamment du Président américain. Dont il a pu faire "la Une" de tous les journaux du monde, qui se sont longuement et gravement interrogés sur les intentions du gouvernement iranien et sur le risque de déclenchement d'un conflit de grande ampleur.
L'on ne peut manquer de penser à "l'incident de la baie du Tonkin", très ressemblant à celui-là, un peu plus sérieux quand même, puisqu'il y avait eu un tir d'arme légère ayant créé un point d'impact sur un navire américain. Mais c'est de ce point d'impact unique qu'a démarré la guerre du Vietnam.
L'inquiétant de cette affaire, ce n'est donc pas l'apparition sur scène d'une modeste allumette. Il y en a, il y en aura, d'autres. C'est évidemment que l'on puisse passer directement du frottement de l'allumette à l'explosion majeure. C'est le risque de voir des crises que chacun se flatte de contrôler prendre tout à coup, sous l'effet d'évènements imprévus, ou encore périphériques, des dimensions incontrôlables. Il faut certainement s'en souvenir dans le traitement de la crise nucléaire iranienne.
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