Rude école pour
Emmanuel Macron que la gestion du dossier iranien. Il y découvre toutes les
chausse-trappes de la diplomatie dans le paysage tourmenté du Moyen-Orient. En
septembre dernier, à l’Assemblée générale des Nations-Unies, il avait présenté,
en un hymne au multilatéralisme, sa vision alternative à la ligne de Donald
Trump, qui, la veille, à la même tribune, avait décrit l’accord nucléaire de
Vienne comme « l’un des pires et plus biaisés » jamais conclus par
les États-Unis. Le Président français propose alors au contraire de le protéger,
tout en évoquant la nécessité de trouver des solutions à l’expiration dans le
temps de ses principales dispositions, ainsi qu’aux menaces soulevées par l’activité
balistique iranienne.
Sauver l’accord
de Vienne
Puis, à la
mi-octobre, quand Donald Trump « décertifie » l’accord de Vienne,
geste présenté comme un premier pas vers un retrait des États-Unis, Emmanuel
Macron, au cours d’une conversation avec le Président iranien, Hassan Rouhani, confirme
à nouveau l’attachement de la France à l’accord. Il fait aussi état de la
nécessité de « dialogue » et de « progrès » sur le
programme balistique iranien et les questions de sécurité régionale. Il annonce
la prochaine visite à Téhéran de son ministre des affaires étrangères pour
évoquer ces sujets. Le service de presse de l’Elysée précise enfin qu’« un
déplacement en Iran du président français, à l'invitation du président Rouhani,
a été envisagé ». Cette information – ce serait la première visite
d’un dirigeant occidental majeur sous la République islamique -- soulève alors
beaucoup d’attentes.
En novembre, le
Président français, au cours d’une conférence de presse à Dubaï avant de se
rendre à Riyadh pour y faire connaissance du Prince héritier, Mohammed ben
Salman et tenter de régler le cas
Hariri, défend fermement la
relation franco-iranienne, réaffirme son attachement à l’accord de Vienne, mais
souligne la nécessité de le compléter « avec deux piliers, une négociation
sur l'activité balistique de l'Iran, avec des sanctions si besoin, et une
discussion stratégique encadrant l'hégémonie iranienne dans toute la
région ». Le glissement sémantique perceptible dans l’usage des mots
« négociation », « sanctions », « hégémonie », provoque
un sursaut à Téhéran, où l’on considère ces sujets comme non-négociables. Le
ton tend à s’aigrir. Si les propos officiels restent mesurés, il n’en est pas
de même dans les milieux d’opposition au Président Rouhani, d’autant que
quelques jours plus tard, Emmanuel Macron invite publiquement l’Iran à adopter
« une position moins agressive au Proche-Orient ». Le dialogue se
poursuit mais les propos à l’emporte-pièce commencent à voler. En décembre,
Jean-Yves le Drian, ministre des affaires étrangères, lance dans une émission
télévisée : « La présence iranienne et la volonté iranienne de faire
un axe de la Méditerranée à Téhéran, non ! ». Quelques jours plus tard,
Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême, confie à une
agence de presse : « Si la France veut conserver sa crédibilité
internationale, elle ne devrait pas suivre aveuglément les Américains… le
Président français se comporte en ce moment comme le caniche de Donald
Trump ».
Glissement vers le bas de la relation
Malgré
ces échanges peu amènes, la visite de Jean-Yves le Drian à Téhéran pour évaluer
l’opportunité d’une visite du Président est maintenue. Il s’y rend en mars mais
se heurte à un mur dès qu’il évoque la possibilité d’une négociation sur le
balistique ou le rôle de l’Iran dans la région. Il est symptomatique qu’Ali
Shamkani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, le reçoive en grand
uniforme d’amiral (un an avant, il était en civil pour recevoir son
prédécesseur Jean-Marc Ayrault). Le ministre français conclut sobrement qu’il y
a « encore beaucoup de travail à faire ». L’on ne parle plus d’une
visite du Président.
A la mi-avril, la
relation se dégrade encore avec les frappes françaises en Syrie, aux côtés des
Américains et des Britanniques, pour punir – plutôt symboliquement –
Bachar el Assad de son dernier usage de l’arme chimique. Le Guide suprême, Ali
Khamenei, accuse les dirigeants des trois nations d’avoir commis un
crime majeur. Même si les canaux de communication sont maintenus, la relation
touche un point bas.
Convaincre Trump
de rester dans l’accord
Les choses se
passent-elles mieux du côté de Donald Trump ? Fin 2017, début 2018, les
Européens se sont affairés pour définir avec les Américains les mesures qui
pourraient être prises pour les convaincre de demeurer dans l’accord de Vienne.
Les trois pays parties à l’accord, Allemagne, France et Grande-Bretagne, poussent
l’Union européenne à la prise de nouvelles sanctions contre l’Iran, mais
peinent à convaincre leurs partenaires. Emmanuel Macron, pour sa part, confiant
dans la relation personnelle qu’il a tissée avec Donald Trump, se rend fin
avril à Washington avec l’espoir de l’amener à revenir sur son intention de
quitter l’accord. Il va loin dans sa direction en évoquant un processus fondé
sur « quatre piliers » : renforcement de l’accord actuel, prolongation
de ses dispositions dans le temps, « endiguement de l’influence
militaire » de l’Iran dans sa région, « surveillance de son activité
balistique ». Mais rien n’y fait, le 8 mai, Donald Trump sort de l’accord.
D’une séquence à
l’autre
Quelles leçons tirer
de tous ces efforts ? Après coup, il est aisé d’expliquer pourquoi ils
n’avaient aucune chance d’aboutir. Mais Trump aurait pu retarder une fois de
plus son choix, ou encore assortir le retrait américain d’atténuation de ses
effets sur les entreprises européennes. Ceci aurait alors été salué comme une
victoire de la diplomatie française. Finalement, les positions des antagonistes
se sont révélées irréconciliables. Côté iranien, il était inutile d’espérer
convaincre la République islamique de modifier l’accord de Vienne ou de négocier
un élément crucial de souveraineté et de défense nationales comme son programme
balistique. L’évocation de possibles sanctions pour la faire céder a fait le
reste. Un regard sur l’histoire de ce pays, sur la façon dont il se crispe sous
la pression, aurait évité de se nourrir d’illusions. Côté États-Unis, l’affaire
a révélé ce qui n’était pas forcément concevable au départ, à savoir la haine
viscérale de Donald Trump à l’égard d’Obama, le menant à effacer, quel qu’en
soit le prix, les traces de son prédécesseur dans l’histoire :
l’« Obamacare », l’accord avec l’Iran.
Cette séquence
close, s’en ouvre une autre au moins aussi difficile, présentant une équation à
trois lourdes inconnues : comment éviter une guerre commerciale avec les États-Unis,
tout en maintenant l’Iran dans l’accord nucléaire par suffisamment de commerce
et d’investissement, sans mettre en péril l’unité européenne ? Que l’on
parle en cette affaire de l’isolement de l’Amérique rappelle la célèbre
manchette du Times (d’ailleurs apocryphe) : « Brouillard sur la
Manche, le continent isolé ». En cette affaire, hélas, l’Europe, pour le
moment, semble plus perdue dans le brouillard que l’Amérique de Trump. Elle a
certes réactivé une directive de 1996 censée bloquer en Europe les sanctions américaines,
et envisage de recourir à l’arbitrage de l’Organisation mondiale du commerce. Mais la première décision ne vaut que pour
les entreprises n’ayant pas d’exposition aux États-Unis, ce qui les soumet de
fait à la loi américaine, et la deuxième ne produira ses effets qu’à l’issue
d’une longue procédure, si elle aboutit jamais.
Négocier,
négocier sans cesse
Il faut bien revenir
à la diplomatie. « Le dialogue, encore et toujours. Échanger, tenter de
convaincre, sans cesse, pour défendre les intérêts des Français et aussi de
tous ceux qui croient que le monde ne se construit qu'ensemble » vient de
nous dire Emmanuel Macron à la veille de la réunion du G7. Il a sans doute
conscience de faire écho à un illustre prédécesseur, rien moins que le Cardinal
de Richelieu, qui écrivait dans son testament politique (il aurait tweeté
aujourd’hui) : « négocier sans cesse, ouvertement ou secrètement, en
tous lieux, encore même qu’on n’en reçoive pas un fruit présent et que celui
que l’on peut en attendre à l’avenir ne soit pas apparent, est chose du tout
nécessaire pour le bien des Etats ». C’est bien la situation dans laquelle
l’on se trouve aujourd’hui.
Rendre son sens à
une visite du Président français à Téhéran
Au sortir de ces
généralités, de quelles cartes dispose notre Président pour espérer débloquer la
relation de l’Europe, donc de la France, avec l’Iran ? Pas plus qu’un deux
de trèfle sur le rôle de l’Iran dans la région, mais là, le temps va peut-être
faire son œuvre pour réduire les ambitions de Téhéran. Ses positions en Irak,
en Syrie, commencent à donner des signes de fragilité. Et rien n’empêche, au
contraire, d’aller dans le sens du discours du ministre iranien des Affaires
étrangères quand il prêche pour un dialogue multiforme appelé à déboucher sur
« un pacte régional de non-agression ».
Sur le dossier
balistique iranien, plutôt que d’appeler simultanément à des négociations et à
des sanctions, ce qui répète les erreurs des négociations passées et ne conduit
évidemment à rien, mieux vaut, là encore, encourager au multilatéralisme.
L’Iran, sur cette question de souveraineté, ne fera de concessions que
mutuelles.
Sur le nucléaire
enfin, pour tenter de conserver les Iraniens dans l’accord, la France peut
d’abord, dans le cadre européen, contribuer à mettre au point un programme
ambitieux de coopération et d’investissements dans des secteurs épargnés par
les sanctions américaines : l’agriculture, l’agro-alimentaire, la santé,
la protection de l’environnement, l’université. Mais il est inutile de vouloir chercher
à réviser l’accord nucléaire actuel, imparfait sans doute, mais comme tous les
accords, fondés par nature sur des compromis. Mieux vaudrait, tout simplement,
prendre rendez-vous pour le moment où ses principales clauses d’expiration
approcheraient de leur terme.
Enfin, une visite du
Président français à Téhéran devrait pouvoir être remise dans la balance, si
l’Iran de son côté, s’engageait solennellement en cette occasion à continuer à
respecter l’accord de Vienne. Un tel déplacement prendrait alors tout son sens.
(publié le 12 juin 2018 par Orient XXI)