Une jeune amie professeur de
lycée à Mayotte m'envoie le témoignage qui suit sur son premier conseil de
classe (les noms et certains détails ont été, bien entendu, changés). J'éprouve le besoin de le
partager avec vous.
- Bon, nous arrivons à Fatima, les notes sont en baisse, que se
passe-t-il ?
- Sa grossesse a été pénible et elle m’a
envoyé un SMS pour m’avertir de son état, son accouchement a été compliqué.
Voilà, ce n’est pas évident ! Elle vit en plus une situation très
difficile sur le plan matériel.
Maintenant il s’agit de Zahra, qui a raté
un stage à cause de sa grossesse.
- En effet, répond un professeur, elle m’a
reproché de ne pas avoir planifié son stage en fonction de sa situation.
J’ai dû me déplacer sur son lieu de stage pour parlementer avec la responsable
du magasin. Elle est autorisée à s’asseoir compte tenu de son état et il n’y a
pas beaucoup de clients.
Une autre a encore accouché, il y a trois
jours. Mais elle est prête à venir passer ses examens. Ce n’est plus avec le
carnet scolaire qu’il faut composer, mais avec celui de la maternité.
Tous ces gosses, que vont-ils
devenir ? Pour qui, pourquoi sont-ils nés ? C’est vrai qu’il n’y a
rien à faire à Mayotte. Je n’ai pas vu une seule balançoire, le cinéma est
fermé, cela permet de se construire des films dans la tête avec de mauvais
acteurs et un scénario qui ne s’effacera jamais. Vos enfants iront de ruelle en
ruelle à moitié nus, s’agripperont au salouva de votre mère qui, après s’être
laissé charmer par les joies d’une maternité qu’elle revit, vous redonnera
votre jouet. Et puis vous vous rendrez à l’hôpital en urgence car votre enfant
n’aura pas assez mangé, et vous déclarerez que, à propos, vous n’avez plus vos
règles. Alors le médecin vous hurlera au visage : « Tu n’arrives pas
à t’occuper de ton enfant et tu en as déjà un dans le tiroir, écoute, si ton
gosse n’a pas pris trente grammes d’ici trois jours, je déclenche un
signalement à la DDASS ». Le lendemain, vous arriverez l’air penaud et le
médecin pèsera l’enfant. Il aura pris ces fameux trente grammes et vous repartirez
tranquille mais vous, vous aurez pris plus de trois cent grammes avec votre
nouveau locataire pour un bail de neuf mois.
Bon, nous arrivons à Aicha. C’est très bien. Elle est allée jusqu’au bout
malgré sa grossesse.
Aicha, c’est mon élève. J’ai découvert un ventre
rond, bien dur. Je l’ai trouvé magnifique ce ventre, et nous avons devisé
toutes les deux en classe. Vous avez bien compris que nous ne sommes pas au
lycée tout en y étant, je ne sais pas trop où je suis depuis que je suis
arrivée ici. Le lycée ici est un lieu de vie, salon de coiffure, lieu de flirt
et plus si affinités, lieu de bagarre à cause des rivalités entre les villages,
ou encore si une élève découvre que son gigolo possède « deux
bureaux ». Elle est rentrée radieuse de son congé maternité, je me suis hasardée
à lui poser quelques questions :
- Et le papa ?
- Il va bien.
- Il travaille ?
- Non.
- Il a quel âge ?
- Cinquante ans.
- Tu es heureuse ?
-Oui !
Je pense qu’il faudra bientôt ouvrir une
crèche au lycée, cela créera des emplois !
Je me revois en arrivant dans mes classes,
devant accepter une élève au delà des délais. Sur son carnet de correspondance,
était inscrite la mention : « Veuillez accepter cette élève en
classe de seconde » S’en est suivi une discussion.
- Que s’est-il passé ?
- J’ai fugué.
- Toute seule ?
- Non, avec mon ami.
- Mais cela peut être dangereux, tu peux tomber enceinte !
- C’est fait Madame, le bébé est là et je suis revenue chez mes parents.
- Et le papa ?
- Il est parti.
- Il connaît le bébé ?
- Non.
- Fais-moi plaisir, tu ne mets plus les
pieds dans ma classe avec ce décolleté.
Le cours n’a plus cours, c’est dans la cour que l’on fait la cour. Sans
rêves, sans poésie, sans chansons, sans caresses. Il faut faire vite, très
vite.
Et te voilà, toi qui viens de te
débarrasser de ta fille en l’envoyant à la Réunion chez une quelconque tante,
tu pourras aller danser, et effacer de ta mémoire celui qui t’a déclaré son
amour pour te duper. Un seul mot, et tu as craqué.
Et toi Mohamed, tu m’as montré la photo de
ta fille. Les parents de ton ex bien-aimée ne veulent plus te voir. Mais
expliquez-moi, comment les bébés poussent à Mayotte comme des
champignons ? Pas le temps d’enfiler un préservatif, m’as-tu dit ? Le
préservatif, on le distribue pourtant comme un cachet d’aspirine à
l’infirmerie. Mais rien de mieux que « la chair contre la chair »,
alors on n’en mettra pas. Et la pilule ? On t’a raconté après le
passage des infirmiers scolaires qu’elle rendait stérile et que cela te compliquerait
ta vie conjugale.
Je t’ai revu lors d’une épreuve et tu m’as
déclaré que tu avais menti : la fille de la photo était l’enfant d’un ami,
qui lors de vacances, dans sa générosité suprême, avait donné un héritier à sa
dulcinée, mais aux Comores.
Dans les couloirs, des jeunes filles m’ont
salué bruyamment. Elles sont toujours en train de hurler. Nous avons parlé
ensemble au sujet de ces bébés, véritable calamité dans ce lycée.
- Mais Madame, l’une d’elles a rétorqué,
dans notre classe en seconde pro, trois ont eu un bébé. L’une a bien réussi,
elle a même obtenu des encouragements.
Bingo ! Les pères ont pris leurs
jambes à leur cou.
Je ne parlerai pas de celles qui on avorté
cette année, ni de celles qui sont abusées sexuellement, ni encore de celles
qui se prostituent avec des Blancs en quête de chair fraîche. Grâce à leurs
primes, ils trouvent que les tarifs sont très abordables, il faut lutter contre
la vie chère.
Le conseil est terminé. Face à mon regard
interloqué, les professeurs me répondent : « Si tu voyais le nombre
de grossesses en seconde professionnelle, c’est une véritable
hécatombe ! » Ah oxymore, quand tu nous tiens !