Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit
aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la
Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au
Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès
est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des
Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord
de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il
peut le faire de sa propre initiative.
maintenir en vie l'accord de Vienne
L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran
refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière
nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de
lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les
radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore.
Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains,
soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la
négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un
programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont
pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs
voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de
nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de
terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il
le fait quand il se sent agressé.
Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des
Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de
Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour
ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer
clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que
naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils
pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises
étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système
financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être
trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens,
Président Rouhani en tête.
Une initiative pour l'Europe
Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle
tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans
l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être
consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses
menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient
ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des
Iraniens.
Le premier serait de
ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec
l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles
sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003
mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de
l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la
ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans
bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un
parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections
législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au
Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se
présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à
quoi aspire l'Iran.
· Le deuxième geste serait de
ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE),
que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en
1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il
s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la
République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un
engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.
Le troisième geste serait
d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles
balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer
l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière,
enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance
satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un
recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.
vers une solution régionale
Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes,
alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable
de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager
dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré
à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie
saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à
envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité
d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils
auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion
d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une
première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système
régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de
la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent
à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.
Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de
la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution
négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de
convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La
Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons
esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie,
c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.