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jeudi 18 juin 2020

L’Iran, le nucléaire, et les autres : l’Accord de Vienne dans la tourmente

(publié le 17 juin 2020 par le site Orient XXI)

Depuis deux ans, depuis la sortie des États-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne, dit aussi JCPOA, l’Administration américaine guette les signes d’un effondrement de l’économie iranienne, prélude à la mise à genoux de la République islamique. Les plus acharnés y croient encore, persuadés que le garrot des sanctions progressivement resserré sur les personnes, les institutions et les entreprises produirait les effets d’un blocus. Il les a produits en effet, mais sans atteindre le but ultime recherché. Certes, l’Iran n’exporte pratiquement plus de pétrole, mais la part des hydrocarbures dans son produit intérieur brut a régulièrement diminué sur longue période, n’atteignant aujourd’hui que 15%. L’économie a donc d’autres ressorts, d’autres ressources, et dispose de la masse critique d’une population de 80 millions d’habitants. Certes, cette population souffre. Récemment, le pays a connu à deux reprises des manifestations violentes, mais celles-ci n’ont jamais vu la jonction décisive des classes populaires et des classes moyennes, aucun leader charismatique n’y a émergé, elles ont pu être matées sans états d’âme par le Régime.

La fureur des États-Unis contre l’Accord de Vienne

La frustration de Trump et de ses partisans tourne donc à l’exaspération. Sachant qu’il serait suicidaire d’aller à la guerre à la veille de l’élection présidentielle, ils s’en prennent à présent à l’Accord de Vienne lui-même, avec l’idée de le réduire en miettes. Peu importe les conséquences. On aurait cru l’Accord protégé par la volonté des six participants restants, Iran compris, de continuer à l’appliquer, protégé aussi par son adossement à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en approuvant tous les termes. Cette résolution présentée par les États-Unis eux-mêmes, a été parrainée et adoptée le 20 juillet 2015 par les quinze membres du Conseil dans la foulée de la conclusion de l’Accord. Mais cette construction était fragile. D’abord parce que le JCPOA lui-même était rédigé, à la demande des Américains, comme une simple déclaration commune d’intentions. Un accord en bonne et due forme aurait dû être ratifié par le Congrès, où l’Administration d’Obama ne détenait pas de majorité. Ensuite, parce que la résolution du Conseil de sécurité était tournée, là encore à la demande des Américains, de façon à ne rendre en aucune façon obligatoire, au sens de la Charte des Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord par les participants et par tous les États-membres de l’ONU. C’est ainsi que Trump a pu s’en extraire par une simple décision.

Ceci fait, le JCPOA a néanmoins continué sa route, clopin-clopant, avec l’allure d’une bête blessée, reproche vivant à ceux qui l’avaient quitté. Les Iraniens ont d’abord veillé à en respecter scrupuleusement les termes, ce qu’ont attesté les rapports trimestriels des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Et ceci malgré l’incapacité des Européens, des Russes et des Chinois à les récompenser par des échanges commerciaux réguliers. L’action dissuasive des sanctions américaines, l’empire du dollar sur les règlements en devises, ont en effet découragé les entreprises susceptibles de travailler avec l’Iran.

Les choix transgressifs de l’Iran

Déjà en mai 2019, un an après sa sortie de l’Accord, l’Administration américaine, ne voyant aucun fléchissement du côté de Téhéran, portait un premier coup à l’architecture de l’Accord de Vienne. Elle met fin alors aux dérogations qui permettaient à l’Iran d’exporter ses productions d’uranium légèrement enrichi et d’eau lourde lorsque les stocks accumulés dépassaient les limites posées par l’Accord. Ces plafonds avaient été mis en place pour empêcher l’Iran de constituer des provisions importantes de deux matières pouvant contribuer à la production de l’arme nucléaire. Dès lors, l’Iran n’a d’autre choix, pour respecter le plafond de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, en vérité le plus critique en termes de prolifération, que d’arrêter tout ou partie de ses centrifugeuses, ou encore de rediluer son uranium légèrement enrichi au fur et à mesure de sa production. Mais il choisit une troisième voie, transgressive celle-là, en s’affranchissant de ce plafond, et donc en accumulant progressivement un stock d’uranium enrichi qui à ce jour, au bout d’un an, a été multiplié par huit. L’Iran précise toutefois qu’il n’a pas l’intention de sortir de l’Accord de Vienne et qu’il reviendra à une stricte application de l’accord dès que les autres parties lui permettront d’en tirer les bénéfices attendus. Et pour faire pression sur ses partenaires, toujours impuissants à contrer les menées de Washington, il donne de deux mois en deux mois de nouveaux coups de canif au JCPOA : franchissement du taux d’enrichissement maximal de l’uranium autorisé par l’Accord, qui passe de 3,67% à 4,5%, reprise des activités de recherche et de développement pour la mise au point de centrifugeuses plus performantes, relance de l’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, que l’Accord de Vienne avait mis en sommeil. Le JCPOA semble alors à l’agonie.

Une entourloupe à l’horizon

Mais en avril dernier, le Secrétaire d’État Mike Pompeo redonne du grain à moudre aux soutiens de l’Accord par une nouvelle provocation. Il déclare en effet vouloir absolument empêcher que soit prochainement levé l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran instauré par le Conseil de sécurité antérieurement à la conclusion du JCPOA, et que le Conseil s’était engagé par sa résolution de juillet 2015 à abolir en octobre 2020. Il annonce donc que les États-Unis vont prochainement présenter au Conseil un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment ces sanctions. Il annonce surtout qu’au cas où cette résolution serait rejetée -- hypothèse fort probable en raison notamment du soutien à l’Iran de la Russie et de la Chine, détentrices du droit de veto --, il n’hésiterait pas à faire jouer la clause dite de snap-back, contenue dans la résolution de juillet 2015, permettant à tout participant au JCPOA de rétablir par son seul vote tout ou partie des sanctions de l’ONU précédemment infligées à l’Iran.

Le raisonnement fait alors scandale. Il s’appuie en effet sur une entourloupe juridique, la résolution de juillet 2015 ne précisant pas expressément qu’un pays désigné comme « participant » au JCPOA, en l’occurrence les États-Unis, cesserait de l’être au moment où il se retirerait de l’Accord. La manœuvre paraît indigne d’un pays sérieux. Pourrait-elle néanmoins réussir ? Assistera-t-on à une révolte de tout ou partie des membres du Conseil de sécurité ? L’on en saura plus dans les semaines ou les mois à venir.

Haro sur les coopérations nucléaires avec l’Iran

Mais en attendant, Mike Pompeo, décidément acharné à poursuivre la destruction du JCPOA, remet fin mai le couvert. Il annonce que les États-Unis vont mettre bientôt fin aux dérogations, ou waivers, qui protégeaient des sanctions américaines la coopération instaurée par l’Accord entre l’Iran et ses partenaires pour réorienter certains projets nucléaires iraniens posant de sérieux risques de détournement à des fins militaires. C’est ainsi que l’Iran avait commencé à bénéficier d’une aide pour modifier les plans d’un réacteur de recherche en cours de construction près de la ville d’Arak de façon à réduire drastiquement sa production de plutonium. Or le plutonium offre la deuxième voie d’accès à la bombe aux côtés de l’enrichissement de l’uranium. Pompeo annonce aussi que les États-Unis empêcheront de fournir à l’Iran le combustible à base d’uranium enrichi à 20% nécessaire au fonctionnement du petit réacteur de recherche de Téhéran, vendu dans les années 1960 à l’Iran par les Américains eux-mêmes. À noter que Mike Pompeo n’a pas évoqué dans sa déclaration les quelque mille centrifugeuses du site enterré de Fordo qui devaient être réaffectées à d’innocentes activités de recherche et de production d’isotopes médicaux, la coopération internationale en cette affaire ayant été interrompue par la décision iranienne d’utiliser à nouveau ces centrifugeuses pour la production d’uranium enrichi.

La décision américaine apparaît ainsi à tout le monde comme une sorte de « pousse-au-crime », et du côté iranien, renaissent les déclarations évoquant la possibilité de sortir définitivement du JCPOA, ou même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il est clair en tous cas dès à présent que l’Iran ne laissera pas passer une nouvelle humiliation au Conseil de sécurité sans une réaction de première grandeur. Et l’une des réactions possibles à cette nouvelle vague de punitions pourrait être de reprendre sur son sol l’enrichissement d’uranium à 20%, auquel avait mis fin l’Accord de Vienne. L’on se rapprocherait alors dangereusement des hauts enrichissements à visée militaire.

Les timidités de l’Europe

Comment ont réagi à ces attaques américaines les autres partenaires du JCPOA ? Les Russes ont été jusqu’à présent les plus clairs pour condamner les derniers projets américains. Les Chinois, empêtrés dans bien d’autres querelles avec les États-Unis, sont restés plus discrets, mais ne manqueront pas le moment venu d’agir comme les Russes. Quant aux Européens, ils n’ont pas encore officiellement indiqué comment ils réagiraient au cas où les Américains pousseraient leurs projets au Conseil de sécurité. Peut-être comptent-ils sur les Russes et les Chinois pour les bloquer. À ce jour, seul Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, a marqué publiquement sa désapprobation de la mise en œuvre de la procédure de snap-back par les États-Unis. En ce qui concerne le retour des sanctions contre les activités nucléaires iraniennes bénéficiant d’une coopération internationale, les trois Européens participant au JCPOA – Allemand, Britannique et Français -- ont inauguré la formule d’une déclaration commune « regrettant profondément »’la décision américaine, déclaration émise toutefois, non par les ministres avec le Haut représentant de l’Union européenne, mais par les porte-parole de leurs administrations respectives. Façon de se défausser sur des fonctionnaires subordonnés de la responsabilité de de mettre en cause les États-Unis.

Ceci augure mal de la volonté européenne de poursuivre malgré les sanctions américaines une coopération fort utile pour la non-prolifération. Elle pourrait pourtant continuer, au moins en mode dégradé, dans la mesure où elle est sans doute portée par une majorité d’entreprises de service public, peut-être mieux à même de résister aux sanctions, dans la mesure aussi où un certain nombre d’activités de coopération pourrait ne pas se traduire en flux financiers, cible principale des sanctions, mais en soutiens pratique et intellectuel. Osera-t-on ainsi finasser ? Rien n’est moins sûr.

Encore au moins cinq mois de crise

Et puis, la suite dépend aussi du comportement de l’Iran. Celui-ci est en ce moment en délicatesse avec l’AIEA, car lui refusant l’accès à deux sites non déclarés, suspectés d’avoir abrité des activités ou des équipements nucléaires clandestins, et refusant aussi de s’expliquer sur la découverte en un autre site par les inspecteurs de l’Agence de particules d’uranium d’un type introuvable dans la nature, donc témoignant d’une activité humaine. Si le conflit ne se résout pas, l’affaire pourrait en principe atterrir sur la table du Conseil de sécurité, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran.

Tout laisse donc augurer dans les mois à venir de relations chahutées en matière nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, mais aussi entre l’Iran et ses partenaires du JCPOA, enfin entre ces derniers et les États-Unis. Sans oublier l’AIEA, vouée à naviguer dans une mer semée d’écueils. À ceci s’ajoutent les tensions politiques dans le Golfe persique, et les tensions encore plus graves parcourant le Proche-Orient. Israël, mais aussi l’Arabie saoudite, restent en embuscade pour favoriser tout ce qui pourrait déstabiliser l’Iran. C’est donc un chemin chaotique que la diplomatie internationale va devoir parcourir jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dont il faut espérer qu’elle débouchera sur de plus souriantes perspectives.

mercredi 18 octobre 2017

SORTIR PAR LE HAUT DE LA CRISE NUCLÉAIRE AVEC L'IRAN


Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il peut le faire de sa propre initiative.

maintenir en vie l'accord de Vienne

L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il le fait quand il se sent agressé.

Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, Président Rouhani en tête.

Une initiative pour l'Europe

Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des Iraniens.

     Le premier serait de ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à quoi aspire l'Iran.

·   Le deuxième geste serait de ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.

      Le troisième geste serait d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.

vers une solution régionale

Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.


Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.

mercredi 14 janvier 2015

Et si l’Iran annonçait qu’il envisage la possibilité de se retirer du TNP ?

Le risque d’échec de la négociation nucléaire en cours avec l’Iran a repris quelque substance après l’émergence des difficultés mises en lumière lors des dernières réunions d’Oman et de Vienne. La solution des principaux points de désaccord, portant notamment sur la capacité d’enrichissement de l’Iran, et plus encore, sur le calendrier de levée des sanctions, va réclamer des deux parties des décisions politiques courageuses, allant à contre-courant des positions dominantes dans leurs classes politiques respectives. La nouvelle majorité du Congrès américain, en particulier, souhaite clairement s’inviter dans le processus. Elle pourrait à tout moment, en adoptant de nouvelles sanctions, soit entraîner l’échec de la négociation soit, si celle-ci était déjà moribonde, en provoquer la mort définitive.

L’espoir d’un accord permanent et global ainsi ébranlé, l’idée a été lancée de s’accrocher à une sorte de moindre mal, en renouvelant indéfiniment l’accord provisoire en cours. Après tout, le Plan commun d’action adopté le24 novembre 2013 offre aux États-Unis et à ses partenaires au sein du groupe dit P5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) un contrôle effectif des ambitions nucléaires iraniennes en contrepartie d’un très modeste allègement des sanctions. Aussi longtemps que l’activité iranienne d’enrichissement demeurera plafonnée au faible taux de 5%, loin des 90% nécessaires pour une arme nucléaire, et aussi longtemps que le réacteur de recherche d’Arak restera inachevé, les deux voies vers la bombe (uranium hautement enrichi et plutonium de qualité militaire) seront parfaitement verrouillées.

Mais pour l’Iran, l’acceptation d’une telle formule signifierait le gel du développement de ses capacités nucléaires et la renonciation à tout espoir de retrouver à un horizon déterminé une liberté de décision dans le cadre de règles permanentes et clairement établies. Il est donc douteux que Téhéran attende passivement que les États-Unis fassent leur choix dans la gamme des options qui s’offrent à leurs yeux : prolongation, ou non, de cet accord provisoire, signature ou non, d’un accord global et à long terme, imposition, ou non, de nouvelles sanctions à l’Iran… voire déclenchement, ou non, de frappes contre les installations nucléaires iraniennes.

Les responsables de la négociation du côté du groupe P5+1 devraient donc se garder de l’illusion qu’ils sont enfin parvenus à coincer l’Iran sous le poids des sanctions, aggravé en ce moment par la chute spectaculaire des prix du pétrole. Téhéran dispose encore de cartes majeures à jouer. Américains et Européens pourraient se retrouver poussés à un réexamen de leur comportement si, par exemple, l’Iran en venait à annoncer qu’il étudie l’opportunité de lancer dans un futur proche une procédure de retrait du Traité de non-prolifération.

L’article X du Traité stipule : « Chaque Partie…aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des évènements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. » L’Iran est en position d’avancer que le blocus à peu près intégral imposé à son économie et à sa population a tous les aspects d’une mesure extraordinaire, discriminatoire, heurtant profondément ses intérêts suprêmes. Bien entendu, le vote de nouvelles sanctions par le Congrès américain ne ferait qu’aggraver les choses. Et Téhéran pourrait souligner qu’un tel comportement venant de membres du TNP autorisés à conserver un arsenal nucléaire à l’encontre d’un cosignataire ayant renoncé à la bombe est contraire à l’esprit et à la lettre du Traité.

Dans la même veine, l’Iran pourrait ajouter que quelles que soient les infractions commises dans le passé aux obligations découlant de son accord avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – infractions pour la plupart admises et corrigées -, personne, même au sein des nombreux inspecteurs de l’Agence ayant procédé à des milliers d’heures de contrôles, n’a pu apporter un élément matériel pointant vers la fabrication d’un engin nucléaire explosif ou la préparation d’un premier test. Téhéran pourrait aussi avancer que l’accent mis dans la négociation en cours par le groupe P5+1 sur le fameux « breakout time » ou temps de la course à la bombe, montre que l’Iran reste à ce jour positionné derrière la ligne de départ d’une telle entreprise. Il pourrait conclure que le Conseil de sécurité n’avait aucun droit d’imposer à l’Iran des sanctions du type prévu par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies uniquement en cas de « menace à la paix » ou de « rupture de la paix ». A plus forte raison, pourrait-il aussi conclure que certains des membres les plus éminents du Conseil n’avaient aucun droit à mettre en place leurs propres sanctions dans le sillage des premières.

Dans le même temps, l’Iran, s’il veut apparaître comme un acteur responsable, devrait, dans une telle hypothèse, clairement affirmer que son retrait éventuel du TNP n’aura aucune influence sur la pérennité de son accord de garanties passé avec l’AIEA, non plus que sur son intention de ne jamais acquérir la bombe. Conformément aux clauses de cet accord, les matières nucléaires actuellement placées sous contrôle de l’AIEA demeureraient alors soumises à exactement les mêmes contrôles et inspections. Les nouvelles installations, telles que les réacteurs supplémentaires que les Russes prévoient de construire sur le site de Bouchehr, seraient également l’objet de la même surveillance de la part de l’AIEA.

De fait, dans la nouvelle situation juridique qui serait créée, l’Iran, pour s’exonérer légalement des contrôles de l’Agence, devrait construire et faire fonctionner de nouvelles installations nucléaires sans aucune assistance extérieure, en utilisant exclusivement de l’uranium extrait de son sol et des éléments combustibles fabriqués en Iran. Pour écarter toutes craintes sur ce dernier point, l’Iran aurait alors intérêt à assortir son éventuel retrait du TNP d’une déclaration selon laquelle il continuerait à appliquer sur une base volontaire les engagements contenus dans ce traité en maintenant notamment sous contrôle de l’AIEA toutes ses installations et matières nucléaires, présentes et à venir. Une telle démarche n’est pas sans précédent. La France, qui n’a rejoint le TNP qu’en 1992, avait exposé dès 1968 aux Nations-Unies à la fois les raisons de principe qui la retenaient d’adhérer au Traité et sa détermination, au nom de la non-prolifération, à se comporter exactement comme un signataire. En même temps, l’Iran serait sans doute enclin à rappeler que tout projet d’attaque contre ses installations placées sous garanties de l’AIEA mettrait fin à l’ensemble de ces gestes de bonne volonté.

Enfin, dans le fil de tels engagements, l’Iran aurait tout intérêt à déclarer qu’il serait prêt à réintégrer le TNP le jour même où seraient levées les sanctions qui le frappent. Considérant l’importance de ne pas laisser se créer un précédent susceptible d’affecter la cohérence et l’efficacité du dispositif de non-prolifération construit autour du Traité, le risque d’un retrait de l’Iran devrait conduire les principaux membres du groupe P5+1 à faire face à leur responsabilité de gardiens principaux du TNP. Avec un peu de chance, cette perspective pourrait donner à réfléchir au Congrès américain, et contribuer à accélérer la conclusion de l’accord général en cours de discussion avec l’Iran.

mercredi 2 juillet 2014

Mauvais accord plutôt que pas d’accord ?

« Mieux vaut pas d’accord qu’un mauvais accord » : a-t-on entendu à satiété ces derniers temps à propos de la négociation en cours avec l’Iran.

Vraiment ? Bien entendu, chacun comprend ce que signifie « pas d’accord ». Mais comment savoir à quel moment un accord devient mauvais, plutôt que bon ou même moyen ? C’est là qu’arrivent les experts. Un mauvais accord, expliquent-ils, est un accord qui permettrait aux Iraniens de produire l’uranium hautement enrichi nécessaire pour une bombe en moins de six mois. Un mauvais accord est un accord qui ne ferait pas la lumière complète sur les recherches qu’ils ont menées dans le temps pour fabriquer la bombe. Un mauvais accord est un accord qui les laisserait poursuivre leur programme de missiles balistiques. Et cætera…Et l’on finit par comprendre que tout accord moins que parfait ne pourrait être qu’un inacceptable mauvais accord.

Mais ce genre d’approche va à l’encontre de tout processus diplomatique, fait de compromis et d’échanges. Il aboutit à la conclusion qu’un accord parfait est un accord qui n’a pas eu à être négocié, et dans lequel le gagnant rafle toute la mise. Et de fait, beaucoup pensent que la non-prolifération est une affaire trop cruciale pour être soumise à compromis. Elle ne mérite que des accords parfaits.

L’Histoire, pourtant, ne confirme pas cette façon de voir. Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), mère de tous les accords de non-prolifération, est, dans son ensemble comme en détail, un vaste compromis. Certains pays sont autorisés à développer des arsenaux nucléaires, mais pas les autres. Les pays qui ont accepté de renoncer à toute ambition nucléaire militaire sont quand même autorisés à pousser leurs capacités nucléaires jusqu’à la fine démarcation au-delà de laquelle commence la fabrication d’un engin nucléaire explosif. Personne n’était heureux du résultat au moment où le TNP a été conclu et personne ne se satisfait aujourd’hui de la situation à laquelle ce dispositif a abouti.

Le TNP apparaît donc comme un accord profondément imparfait : au fond, un mauvais accord. C’est en tous cas ce que la France a longtemps pensé, puisqu’elle a mis plus de vingt ans à y adhérer. Mais aurait-il mieux valu ne pas avoir d’accord ? Non, évidemment. Dans un genre différent, les accords de limitation d’armements stratégiques conclus pendant et après la Guerre froide entre l’URSS puis la Russie et les États-Unis, et signés du côté américain par les Présidents Nixon, Carter, Reagan, George H.W. Bush, Obama… étaient certainement fort imparfaits. Aurait-il mieux valu qu’ils ne fussent jamais signés ?

Pour revenir à la négociation avec l’Iran, l’envie prend d’être provocant en écrivant qu’à peu près n’importe quel accord (dans les paramètres de la négociation en cours) serait préférable à une absence d’accord. L’absence d’accord signifie en effet le développement sans contrôle du programme iranien, la croissance continue de ses capacités d’enrichissement et de son stock d’uranium enrichi, l’achèvement d’un réacteur de recherche hautement plutonigène, éventuellement la reprise des recherches sur la fabrication d’un engin nucléaire. Et par voie de conséquence l’exacerbation des tensions entre la communauté internationale et la République islamique, pouvant aboutir à des frappes sur les installations nucléaires iraniennes et à une confrontation armée.

Au regard de telles perspectives, un accord imparfait retrouve tout son charme. Souvenons-nous que les relations internationales sont nourries de processus itératifs. Les accords parfaitement agencés, cherchant à régler toutes les questions, produisent rarement des résultats durables. C’est l’histoire du traité de Versailles… L’important est de saisir au bon moment ce qui se trouve à portée de main. L’art de la diplomatie tient précisément à la capacité de discerner, puis de lier ensemble les points extrêmes de ce qui peut être accepté de bon gré par des parties en conflit. Il intègre aussi l’humilité de laisser à d’autres le soin de régler plus tard les questions sans solution immédiate, en pariant sur le fait que le nouvel environnement créé par les questions réglées offrira de nouvelles perspectives. Il garde à l’esprit l’idée qu’un accord même imparfait, s’il est fidèlement appliqué de part et d’autre, peut devenir une machine à produire de la confiance. C’est ce qui s’est passé avec le Plan commun d’action conclu le 24 novembre dernier entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, et l’Iran. Cet accord provisoire, donc par essence imparfait, a créé les circonstances favorables à la recherche d'un dispositif plus ambitieux.

Au stade actuel des négociations, comment donner un tour concret à ces considérations générales ? Regardons la question la plus difficile, à savoir le niveau acceptable des activités iraniennes d’enrichissement. Sur ce point, la zone évidente de compromis tourne autour du maintien pour plusieurs années de ces activités à leur présent niveau, étant entendu qu’il conviendrait de les exprimer en Unités de travail de séparation (UTS) pour neutraliser l’incidence du remplacement éventuel des centrifugeuses actuelles par des centrifugeuses plus performantes. Le chiffre à retenir serait alors de 8.000 à 10.000 UTS par an.

Pour cela, les Iraniens devront admettre qu’ils n’ont pas besoin d’une capacité d’enrichissement de taille industrielle (50.000 UTS et au-delà) tant que ne seront pas sorties de terre leurs futures centrales nucléaires. Ils devraient au contraire tirer avantage de ce délai pour mettre au point des centrifugeuses plus performantes et plus sûres que le modèle primitif, à très faible rendement, qui forme l’essentiel de leur parc actuel de centrifugeuses. Ils auraient aussi tout intérêt à faire de sérieux progrès en matière de fabrication de combustibles nucléaires s’ils veulent être prêts le jour venu à satisfaire au moins partiellement les besoins de leurs futures centrales.


Les Occidentaux, de leur côté, doivent prendre en compte l’insurmontable difficulté politique pour le gouvernement iranien à envisager un démantèlement même partiel d’une capacité nationale d’enrichissement si durement acquise. Il est vrai qu’accepter le maintien de cette capacité à son niveau actuel porte en théorie le risque de voir les Iraniens acquérir rapidement des quantités significatives d’uranium hautement enrichi, s’ouvrant ainsi la voie vers la bombe. Mais au regard des conséquences autodestructrices d’une rupture d’accord aussi flagrante, le risque paraît limité, certainement beaucoup plus limité que les risques créés par l’absence de tout accord. Un tel risque est-il vraiment ingérable pour la coalition des pays les plus puissants au monde, avec tout leur potentiel diplomatique, de renseignement, et de planification opérationnelle ? Bien sûr, un tel compromis sera dénoncé avec une véhémence égale comme un mauvais accord par les critiques des deux bords. C’est pourquoi il forme probablement le bon compromis, ou dit autrement, un accord ni  bon, ni mauvais : mais mieux encore, un accord équitable.

paru en version anglaise sur le site Lobelog http://www.lobelog.com/bad-deal-better-than-no-deal/

mercredi 7 mai 2014

Accord nucléaire avec l’Iran : dernière – dure – ligne droite ?

Les acteurs

A ce jour, les négociateurs des deux parties sur l’avenir du programme nucléaire iranien ont été d’une remarquable discrétion. Même à niveau politique, chacun a été étonnamment tranquille. Ceci est de bon augure. Trop d’occasions ont été gâchées dans le passé par des rafales de déclarations calibrées pour les opinions intérieures. Il faut spécialement féliciter ici Wendy Sherman, la négociatrice américaine, pour être parvenue à si peu en dire en tant de mots, et si aimablement, dans ses nombreuses réunions en off avec la presse.

L’association aux négociations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est d’une valeur inestimable. L’Agence apporte une expertise unique et certifie régulièrement la façon dont l’Iran s’acquitte de ses engagements. Elle contribue ainsi de façon décisive à la bonne progression des discussions.

De façon surprenante, les négociateurs iraniens apparaissent comme l’élément moteur du processus. Ils ont saisi l’initiative à l’occasion de la visite à New-York, en septembre dernier, du président Hassan Rouhani, et ne l’ont jamais abandonnée, donnant le rythme, fixant les objectifs. C’est le ministre iranien des affaires étrangères qui a proposé d’aborder dès le mois de mai la rédaction de l’accord final et de tenter d’aboutir à la fin juillet.

Ceci contraste plaisamment avec la lenteur et la rigidité jusque là manifestées du côté iranien, notamment à l’époque d’Ahmadinejad, mais aussi dans des circonstances beaucoup plus favorables, dans la période 2003-2005, alors que Rouhani conduisait lui-même la négociation. A cette époque, les diplomates iraniens qui se trouvaient en première ligne subissaient un lourd dispositif de contrôle freinant tous leurs mouvements. Tirant les leçons de l’expérience, Rouhani, aussitôt élu président de la République, a obtenu carte blanche du guide de la Révolution, Ali Khamenei, sur le pilotage du dossier nucléaire. Khamenei s’est réservé la définition des lignes rouges et la capacité d’émettre réserves et critiques, mais a jusqu’à présent soutenu l’équipe des négociateurs.

De fait, l’une des premières décisions de Rouhani a été de transférer la négociation du dossier nucléaire du Conseil suprême de sécurité nationale au ministère des affaires étrangères. Il a ensuite mis en place des circuits courts d’arbitrage et de contrôle et réuni une équipe de diplomates aguerris, parfaitement à l’aise avec les codes et les mœurs de leurs partenaires occidentaux. Ce dispositif a fait merveille. Il a mis aussi en relief la maladresse collective de l’équipe d’en face, formée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne (P5+1). Ceci s’est vu début novembre dernier, quand quatre ministres occidentaux des affaires étrangères se sont rués prématurément à Genève, semant la confusion devant des médias médusés. Mais comme le disait Foch : «  après avoir dirigé une coalition, j’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon… ».

Le fond des choses

Pour en arriver au cœur du sujet, un certain nombre de points en cette affaire semblent près d’être réglés. L’Iran est prêt à plafonner à 5% l’enrichissement de son uranium, et à limiter son stock d’uranium légèrement enrichi immédiatement réutilisable pour des enrichissements plus élevés, donc plus sensibles. L’usine d’enrichissement souterraine de Fordo, fort controversée, finira probablement en unité de recherche et de développement. Le réacteur de recherche d’Arak, actuellement en construction, pouvait dans sa configuration de départ générer à peu près dix kilogrammes de plutonium par an, soit assez pour une ou deux bombes. Ali Akbar Salehi, président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a laissé entendre que cette configuration pourrait être modifiée pour utiliser de l’uranium légèrement enrichi plutôt que de l’uranium naturel. Cela diviserait par un facteur allant de 5 à 10 la capacité plutonigène du réacteur. Et l’Iran a déjà confirmé qu’il n’avait pas l’intention de se doter de l’unité de retraitement qui serait indispensable pour extraire du plutonium de qualité militaire des combustibles consommés dans le cœur de ses réacteurs.

En fonction du rythme de levée des sanctions, l’Iran semble aussi prêt à revenir à une mise en œuvre de facto du Protocole additionnel de l’AIEA, permettant un contrôle renforcé sur l’ensemble de ses activités nucléaires. De plus, il devrait être prêt à lancer la procédure de ratification de ce Protocole dès que le Conseil de sécurité se sera lui-même montré disposé à retirer de son agenda le dossier nucléaire iranien, lavant ainsi la cuisante humiliation infligée en 2006 à l’Iran, lorsqu’il avait voté sa première résolution sur le sujet.

Les points à régler

A ce jour, cinq points difficiles sont encore sur la table. Le plus ardu concerne le format de la capacité iranienne d’enrichissement. Le Plan commun d’action adopté en novembre dernier évoque la nécessité de définir à ce sujet « des paramètres correspondant à des besoins concrets, assortis de limites définies d’un commun accord portant sur l’étendue et le niveau d’enrichissement ». Mais l’Occident s’est plutôt concentré sur la question du breakout time, ou temps nécessaire pour acquérir assez d’uranium enrichi pour une première bombe, dans le cas où l’Iran déciderait de renier tous ses engagements. Ce délai a été évalué à environ deux mois dans l’état actuel du programme d’enrichissement iranien. D’où l’idée que pour rallonger significativement ce délai, l’Iran devrait ramener le nombre de ses centrifugeuses des 20.000 actuellement installées à 2, 4 ou 6.000.

Une telle réduction du nombre de ses centrifugeuses est clairement inacceptable pour l’Iran. Emboîtant le pas aux éléments les plus conservateurs du régime, le Guide suprême a récemment exclu tout marchandage sur les acquis de l’Iran en matière nucléaire. Heureusement, d’autres voies s’ouvrent pour apaiser les inquiétudes de l’Occident. D’abord, disposer d’assez d’uranium pour une bombe ne veut pas dire avoir la bombe. Il y a encore plusieurs mois de travail pour y arriver. Ensuite, l’on peut s’interroger sur la nécessité pour la communauté internationale de disposer de plus d’un ou deux mois pour répondre de façon appropriée à un évènement aussi attendu, aussi analysé, que la course de l’Iran vers la bombe. Si elle n’y parvient pas en deux mois, pourquoi réussirait-elle en six ? Troisièmement, ce fameux Breakout Time pourrait être aisément rallongé sans réduire le nombre actuel de centrifugeuses, simplement en obtenant de l’Iran qu’il emploie aussi vite que possible son uranium légèrement enrichi comme combustible de réacteur, ce qui le rendrait inutilisable pour des enrichissements supérieurs conduisant à la bombe. Sur ce point, l’alimentation du réacteur de recherche d’Arak en combustible à base d’uranium légèrement enrichi pourrait résoudre une bonne partie du problème.

Il est toutefois malheureux que les Iraniens aient fait jusque là aussi peu d’efforts pour identifier les « besoins pratiques » mentionnés, à leur initiative, dans l’accord de Genève. Le porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique a annoncé qu’un document détaillé était en cours d’élaboration à ce sujet, et serait soumis pour approbation au Parlement iranien, sans doute sous forme de loi de programmation nucléaire. Mais la durée d’un tel processus risque fort de s’étendre très au-delà du terme fixé à la négociation en cours.

Entre temps, nous savons que les Russes ont l’obligation de fournir pour encore huit ans le combustible à base d’uranium légèrement enrichi nécessaire à la centrale nucléaire de Bouchehr. Ce temps passé, ils résisteront à l’idée d’introduire dans cette centrale du combustible d’origine iranienne, la vente de combustible étant pour eux l’élément le plus profitable de leur contrat avec l’Iran. Ils agiront de même lorsqu’ils discuteront de la construction et de la gestion de nouveaux réacteurs en Iran. En tout état de cause, de tels réacteurs, ou des réacteurs venant d’ailleurs, ne seront pas opérationnels en Iran avant une décennie. Tout ceci pour dire que si un nombre de l’ordre de 20.000 centrifugeuses était finalement jugé acceptable par la communauté internationale, aucun « besoin concret » ne se dessine à l’horizon qui justifierait un relèvement de ce chiffre dans les années à venir.

Autre point difficile, celui de la recherche et du développement dans le domaine nucléaire. L’Ouest souhaiterait voir l’Iran renoncer à toute activité de ce type, notamment dans le domaine de la centrifugation. A nouveau, le Guide suprême et les Conservateurs ont tracé là une ligne rouge. De fait, les ingénieurs iraniens travaillent à la mise au point de modèles de centrifugeuses d’un rendement pouvant atteindre jusqu’à quinze fois celui du modèle primitif actuellement utilisé. Là, une solution simple a été suggérée par Salehi : plutôt que de définir pour l’ensemble des activités d’enrichissement iraniennes un plafond en nombre de centrifugeuses, qui pourrait être contourné par l’utilisation de centrifugeuses plus performantes, les parties à l’accord devraient fixer ce plafond en unités de travail de séparation (UTS), l’équivalent des chevaux-vapeur en matière nucléaire. Ainsi l’introduction des centrifugeuses plus performantes qui pourraient être mises au point réduirait à due proportion le total des centrifugeuses autorisées.

Un troisième sujet difficile concerne les recherches en cours de l’AIEA sur les « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien. Des demandes d’accès répétées à des installations et à des personnes suspectes sur la base des résolutions du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et du Conseil de sécurité ont été repoussées ou esquivées par l’Iran. En fait, dans le fil des évaluations de la communauté américaine du renseignement, il est largement admis par les experts que le programme iranien de mise au point d’une bombe a été arrêté fin 2003 avant d’avoir atteint son but. Dix ans ont passé, ce programme s’enfonce donc peu à peu dans l’histoire. Mais les gens qui s’y sont impliqués ont dû se faire promettre une certaine forme d’immunité en échange de leur acceptation de l’interrompre, d’où la difficulté à faire la pleine lumière sur le sujet. En des occasions du même genre, comme en Égypte, en Corée du Sud ou à Taïwan, l’AIEA a accepté de ne pas divulguer le détail des découvertes de ses inspecteurs, une fois assurée de la cessation et de la neutralisation de ces programmes. Une formule du même genre mériterait d’être explorée dans le cas iranien.

Le quatrième point tourne autour des missiles balistiques iraniens. L’Occident souhaite les inclure dans la négociation comme source de préoccupation identifiée par le Conseil de sécurité, mais cette perspective a été aussitôt rejetée par l’Iran. Il faut ici comprendre que Téhéran a accepté de négocier sur son programme nucléaire comme programme civil, placé sous l’égide du Traité de non prolifération (TNP). Des négociations sur des missiles relèvent d’un tout autre monde, celui de la défense et du désarmement, où les négociations sont par définition collectives, à l’exception des mesures unilatérales imposées à des nations vaincues. S’il y a une solution ici, c’est par l’affirmation de l’intention des parties d’œuvrer à l’ouverture d’une négociation collective sur le niveau et la distribution des missiles balistiques dans la région, avec l’idée d’amener les participants à rejoindre le Code international de conduite contre la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye.

Le dernier point, peu mis encore en lumière, mais pas le moins difficile, concerne la durée de l’accord général sur lequel la négociation est supposée déboucher. Selon les termes du Plan commun d’action ouvrant la voie à cet accord, celui-ci, une fois pleinement mis en œuvre pour la durée de toutes ses dispositions, devra laisser la place au régime de droit commun applicable aux membres du TNP. L’Iran serait alors relevé de tous ses engagements spécifiques, tels que la limitation de ses activités d’enrichissement. Bien entendu, les contrôles de l’AIEA sur l’ensemble du programme iranien, relevant d’un accord à durée illimitée, demeureraient. Mais pour passer ainsi d’un régime d’exception au régime de droit commun, la communauté internationale s’attendra à être pleinement rassurée sur la nature pacifique du programme iranien. Pour en arriver là, la conduite générale du régime iranien et la qualité de ses relations avec le monde extérieur joueront un rôle au moins aussi important que l’état de son programme nucléaire. Mais ce genre de considération ne peut être mis par écrit dans un accord. Les Iraniens insisteront probablement sur une durée maximale de cinq ans. L’Occident, pour sa part, verrait bien ce régime de contraintes spéciales indéfiniment prolongé. Il faut espérer, si des solutions ont été trouvées sur tous les autres points en suspens, qu’une forte pression s’exercera pour dégager un compromis sur ce point ultime, afin de boucler la négociation.

mardi 14 février 2012

Frappes israéliennes sur l'Iran : et après?

L'on parierait volontiers sur le fait qu'Israël ne bombardera pas l'Iran. Mais les scénarios échappant à tout contrôle sont souvent ceux que leurs auteurs se flattaient au départ de contrôler. Plaçons-nous donc dans l'hypothèse d'un bombardement.

Il nous est expliqué qu'il devrait avoir lieu sans plus tarder, car l'usine d'enrichissement de Fordo, profondément enterrée, est désormais opérationnelle. Les inspecteurs de l'AIEA l'ont d'ailleurs confirmé. Elle peut donc produire assez d'uranium hautement enrichi pour une ou deux bombes par an. Mais à moins de disposer d'armes capables de percer 90 mètres de terre et de béton, ou encore d'utiliser des armes nucléaires tactiques, il semble déjà trop tard pour détruire le cœur du site. L'on touchera les accès, qui devront être dégagés. Quant aux centrifugeuses, engins fragiles, elles subiront des dommages sérieux, ne serait-ce que sous le souffle et autres effets secondaires des explosions. Il faudra au moins plusieurs mois pour relancer l'usine. Délai significatif, mais non déterminant.

les installations de Natanz et d'Ispahan, situées pour l'essentiel en surface, subiront, elles, des dommages beaucoup plus radicaux. Les Iraniens seront alors plutôt confortés dans leur choix d'avoir enfoui sous terre au moins l'une de leur installations. Rappelons qu'on les menace depuis des années de frappes sur tous leurs sites nucléaires, tout en leur demandant de les garder à ciel ouvert, comme autant de chèvres au piquet.

Enfin, il faut espérer que le réacteur de Bouchehr sera épargné. Il est en effet déjà actif, et ne pose pas de problème de prolifération particulier. Une frappe risquerait de générer, certes à une échelle plus réduite, des conséquences du type Fukushima au bord de la mer fermée et dotée de nombreux riverains qu'est le Golfe persique.

Quant à la riposte de l'Iran, que peut-on imaginer? On le voit mal conduire des opérations de guerre classique, ou même la fermeture durable du détroit d'Ormouz, avec la faible armée dont il dispose sur terre, sur mer et dans les airs. Il peut lancer de son sol quelques dizaines de missiles, équipés de têtes non nucléaires, sur Israël. Ce sera un acte douloureux de vengeance, mais sans conséquences stratégiques. Il peut demander au Hezbollah de tirer les centaines, voire les milliers de missiles à courte à moyenne portée dont il l'a équipé depuis de la fin de la dernière guerre du Liban. Mais de la guerre qui s'ouvrirait, le Hezbollah pourrait bien sortir écrasé.

Restent les opérations de terreur sur les théâtres extérieurs, Europe, Amériques, conduites soit par l'Iran lui-même, soit par ses amis. Notons qu'il n'y a plus eu d'actions de ce genre depuis une quinzaine d'années. A l'exception, certes, de la récente tentative d'assassinat de l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Washington. Mais l'instruction de cette affaire rocambolesque ne semble guère progresser. Le principal accusé a finalement refusé de plaider coupable. Le sujet intéresse moins à niveau politique, maintenant que les premières déclarations ont produit leur effet, avec notamment le vote d'une résolution condamnant sans attendre l'Iran à l'Assemblée générale des Nations Unies.

Il est enfin une sorte de vengeance possible de l'Iran dont on a peu parlé. Ce serait la décision de sortir du Traité de non-prolifération (TNP). Après tout, l'on aurait assisté au bombardement d'installations nucléaires toutes placées sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et dans lesquelles aucun détournement de matière fissile n'a été constaté. Et ceci par un pays non membre du TNP et non contrôlé par l'AIEA, si la frappe venait d'Israël, ou encore par un pays membre du TNP, mais autorisé, lui, à conserver à un arsenal nucléaire échappant à tout contrôle, si les États-Unis étaient impliqués. L'Iran pourrait alors à bon droit faire valoir l'article 10 du TNP autorisant un État-membre à s'en retirer si "des événements extraordinaires, en rapport avec l'objet du traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays."

Quelles seraient les conséquences juridiques d'un tel retrait? L'Iran ne serait pas délié de son devoir d'accueillir les inspections de l'AIEA sur ses installations nucléaires existantes, même détruites, car ses accords de garanties signés avec l'Agence sont indépendants de son appartenance, ou non, au TNP. Tout l'uranium traité dans ces installations, et dont l'AIEA tient une minutieuse comptabilité, resterait aussi indéfiniment sous contrôle de l'Agence, où qu'il se trouve sur le territoire iranien. En revanche, les installations que l'Iran déciderait de créer, et les matières fissiles nouvelles qu'il y introduirait, échapperaient, elles, à toute obligation de contrôle. Ces sites pourraient être enterrés, dispersés, ou encore aisément noyés dans le tissu urbain des villes. En l'absence d'inspections sur ces installations nouvelles, l'on perdrait une source précieuse d'information sur les activités nucléaires de l'Iran. Enfin, ce pays retrouverait juridiquement la liberté de fabriquer la bombe, comme le Pakistan, l'Inde, ou Israël.

Sur le plan politique, pourrait-on alors assister à une vague de retraits du TNP de la part de pays désireux de ne pas se retrouver impuissants face la menace iranienne, tels que l'Égypte, la Turquie, l'Arabie saoudite? C'est possible, sans être certain, car les États-Unis déploieraient tous leurs moyens pour convaincre ces pays de ne pas emprunter un tel chemin.

Poursuivons dans l'hypothèse d'un Iran sortant du TNP. Sauf à être définitivement écrasé ou à changer de régime, l'Iran, une fois débarrassé des contraintes du Traité, pourrait, après avoir pansé ses plaies, se doter d'une première bombe en deux ou trois années. Après l'avoir testée, il devrait ensuite travailler à la miniaturiser et la durcir pour pouvoir en doter ses missiles et donc disposer d'un arsenal crédible : encore au moins cinq à dix ans. Arriverait alors la grande question. L'Iran serait-il tenté de détruire Israël?

Comme le rappelait récemment dans "le Monde" Hossein Mousavian, diplomate iranien longtemps mêlé au dossier nucléaire, des frappes nucléaires sur Israël pourraient tuer autant de Palestiniens que de Juifs. Surtout si les missiles iraniens n'ont pas d'ici là nettement gagné en précision. Une terre que la République islamique considère comme sacrée se trouverait pour des siècles gravement polluée. Et bien entendu, la riposte inévitable d'Israël ou des États-Unis aurait des conséquences encore plus dramatiques sur l'Iran.

L'autre hypothèse plus vraisemblable est que, sous le parapluie nucléaire iranien, les ennemis d'Israël s'enhardissent, n'hésitent plus à le mettre en sérieuse difficulté. Mais l'Iran se trouverait alors l'otage de ses propres amis, qui pourraient, en multipliant les provocations contre l'État hébreu, l'entraîner dans une escalade nucléaire. Il n'est pas certain qu'il ait vraiment envie de s'engager sur cette pente, sachant fort bien, là encore, que pour au moins des décennies, les frappes qu'il pourrait subir seraient incomparablement plus meurtrières que celles qu'il pourrait infliger.

Restent les propos ignobles, et les menaces inacceptables des dirigeants iraniens à l'égard d'Israël. Tant que ceci persistera, Israël est en droit de s'inquiéter, et la communauté internationale de s'émouvoir. L'Iran ne peut se plaindre de récolter la tempête des vents qu'il continue de semer. Mais pour notre part, méfions-nous aussi des anachronismes. Le régime islamique iranien ne s'est jamais posé en porteur d'une civilisation supérieure, qui serait en droit d'asservir ou d'anéantir les peuples qui l'entourent. Il veut la disparition de l'entité politique qu'est l'État juif d'Israël, ce qui doit être condamné, au simple regard de la Charte des Nations Unies. Mais il n'appelle pas à la création de nouveaux Auschwitz. Les dirigeants iraniens ne sont ni Hitler, ni Goebbels. Ils sont Khamenei et Ahmadinejad, et c'est déjà bien assez.

mardi 7 juin 2011

Nucléaire iranien, comment s'en sortir?

La tribune qui suit paraît dans le Monde du 9 juin, et quelques autres journaux européens et du continent américain. Elle est signée de six anciens ambassadeurs européens à Téhéran : Guillaume Metten (Belgique), Roberto Toscano (Italie), François Nicoullaud (France), Richard Dalton (Royaume-Uni), Steen Hohwü-Christensen (Suède), Paul von Maltzahn (Allemagne).

Nous avons été ambassadeurs de différents pays européens en Iran dans la dernière décennie. Nous avons suivi de près la montée de la crise entre ce pays et la communauté internationale sur la question nucléaire. Le long enlisement de ce dossier nous est inacceptable.

Le monde arabe et le Moyen-Orient entrent dans une nouvelle époque. Aucun pays n’y est à l’abri du changement. La République islamique d’Iran subit la désaffection de la meilleure part de sa population. Partout, de nouvelles perspectives se dessinent. Les périodes d’incertitude sont propices aux remises en question. Le moment est venu de le faire sur la question nucléaire iranienne.

En droit international, la position de l’Europe et des États-Unis est moins solide qu’il n’y paraît. Elle s’incarne, pour l’essentiel, en une série de résolutions votées au Conseil de sécurité qui font référence au chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorisant la mise en œuvre de mesures coercitives en cas de «menaces contre la paix».

Mais où est la menace? Serait-ce l’enrichissement d’uranium dans les centrifuges iraniennes? Il s’agit certes d’une activité nucléaire sensible, menée par un pays sensible, dans une région elle-même hautement sensible. La préoccupation exprimée par la communauté internationale est légitime et l’Iran a un devoir à la fois moral et politique d’y répondre. Mais rien dans le droit international, rien dans le Traité de non-prolifération (TNP) n’interdit en son principe une telle activité. D’autres pays que l’Iran, signataires ou non du TNP, s’y adonnent sans être accusés de menacer la paix. Et cette activité est soumise en Iran aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Certes, ces inspections sont bridées par un accord de garanties obsolète, datant des années 1970. Mais il est vrai aussi que l’AIEA n’a jamais relevé en Iran de détournement de matières nucléaires à des fins militaires.

La « menace contre la paix » serait-elle dans l’avancement d’un programme clandestin de construction d’une arme nucléaire? Depuis au moins trois ans, la communauté américaine du renseignement ne retient plus cette hypothèse. Son directeur, James Clapper, témoignait en février dernier au Congrès : « nous continuons à penser que l’Iran garde ouverte l’option du développement d’armes nucléaires… Toutefois, nous ne savons pas si l’Iran décidera finalement de construire des armes nucléaires… Nous continuons de juger que le processus de décision de l’Iran en matière nucléaire est guidé par une approche en termes de coûts et d’avantages, ce qui offre à la communauté internationale des occasions d’influencer Téhéran ». Aujourd’hui, une majorité d’experts, y compris en Israël, semble plutôt estimer que l’Iran cherche à se poser en « pays du seuil », techniquement capable de produire une bombe, mais s’abstenant pour l’instant de le faire. On peut à bon droit le regretter mais rien dans le TNP, rien dans le droit international, n’interdit une telle ambition. D’autres pays que l’Iran, engagés comme lui à ne jamais se doter de l’arme nucléaire, ont déjà atteint un tel seuil, ou sont en passe d’y parvenir. Ils ne sont pas autrement inquiétés.

Mais, nous dit-on, c’est la mauvaise volonté de l’Iran, son refus de sérieusement négocier, qui ont obligé nos pays à le traîner en 2006 au Conseil de sécurité. Là encore, les choses sont moins claires. Rappelons qu’en 2005, l’Iran était prêt à discuter d’un plafond au nombre de ses centrifugeuses et à maintenir le taux de son enrichissement très au-dessous des hauts pourcentages d’intérêt militaire. Il se montrait surtout disposé à mettre en œuvre le Protocole additionnel qu’il avait déjà signé avec l’AIEA, autorisant des inspections intrusives sur l’ensemble de son territoire, même sur des sites non déclarés. Mais à l’époque, les Européens et les Américains voulaient contraindre l’Iran à renoncer à son programme d’enrichissement. Et au moins dans l’esprit des Iraniens, le même objectif plane toujours derrière l’insistance du Conseil de Sécurité à obtenir la suspension de toutes leurs activités d’enrichissement. Avant d’accuser ce pays de bloquer la négociation, il est temps d’admettre que l’objectif « zéro centrifuge opérant en Iran »,de façon définitive ou même temporaire, a tout d’une prétention irréaliste, et a conduit à l’impasse actuelle.

Reste un dilemme assurément présent dans la tête de beaucoup de nos dirigeants. Pourquoi offrir au régime iranien une ouverture qui pourrait l’aider à restaurer sa légitimité interne et internationale? Ne vaut-il mieux pas attendre que lui succède un régime plus présentable? C’est une vraie question. Mais c’est peut-être exagérer l’effet de cette négociation nucléaire sur des évolutions intérieures bien plus profondes. Ronald Reagan qualifiait l’URSS d’ « empire du mal ». Il a néanmoins intensément négocié avec Mikhail Gorbatchev en matière de désarmement nucléaire. Doit-on lui reprocher d’avoir retardé le cours de l’Histoire ? Les pays intéressés par l’Iran doivent certainement maintenir la pression sur les questions de droits politiques et de droits de l’Homme, mais aussi s’obliger à régler une question entêtante et urgente de prolifération. Nous réduirions ainsi une source importante de tension dans une région qui aspire plus que jamais à la tranquillité.

L’échec de la rencontre de janvier dernier à Istanbul et le décevant échange de lettres entre les deux parties qui a suivi mettent en relief les difficultés de sortie d’un aussi long blocage. Sur la méthode, plus la négociation sera discrète et technique, plus elle aura de chances d’aboutir. Sur le fond, l’on sait déjà que toute solution se construira sur la qualité du dispositif d’inspection de l’AIEA.

Et là, ou nous avons confiance dans la capacité de l’AIEA à surveiller tous ses États-membres, Iran compris. Ou nous ne lui faisons pas confiance, et l’on se demande pourquoi conserver une organisation efficace avec les seuls pays vertueux. De fait, la première étape serait sans doute pour les deux parties de demander ensemble à l’AIEA ce qui lui paraîtrait nécessaire pour contrôler pleinement le programme nucléaire iranien et garantir de façon crédible qu’il est bien pacifique dans toutes ses dimensions. Sur la base de sa réponse, une négociation pragmatique pourrait s’engager.

samedi 17 avril 2010

Poudre aux yeux, chiffons de papier...

Nous tous aimons bien Obama, mais là, sur les affaires nucléaires, il a fait un peu fort récemment dans l'usage de la poudre aux yeux. Il est vrai qu'il a intérêt à bouger à l'approche de l'échéance délicate que représente la prochaine conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire. Les cinq pays que cet accord international signé par presque tout le monde reconnaît comme possesseurs de l'arme nucléaire, Etats-Unis en tête, vont en effet y être soumis, une fois encore et peut-être plus que jamais, à fortes critiques et pressions des autres Etats-membres pour leur maigre bilan en matière de désarmement.

La conférence au sommet qui vient de se tenir à Washington sur le thème du terrorisme nucléaire visait ainsi à occuper le terrain, mais elle a brassé plus de vent que de concret. Le sujet, déjà bien traité par les spécialistes, méritait-il vraiment de déranger une quarantaine de chefs d'Etat ou de gouvernement? Cela fait une bonne quinzaine d'années, au moins, que l'on agite le spectre d'une bombe atomique lancée par de méchants Islamistes, mais le sérieux d'une telle menace reste à démontrer. Même s'il n'y a pas de risque zéro, la mise au point, ou même le vol et la mise en oeuvre d'un engin nucléaire, le tout sans se faire repérer, réclament des capacités technologiques et des moyens d'agir hors de portée d'un groupe de malfaiteurs, si bien organisé soit-il. Alors que l'on se préoccupait déjà beaucoup à l'époque des risques d'attentat nucléaire, les attaques du 11 Septembre ont utilisé comme seule arme des couteaux de poche et comme principal investissement des cours de pilotage et des billets d'avion.

Quant à l'accord START que viennent de signer à Prague les présidents russe et américain, il marque de très faibles reculs quantitatifs des arsenaux nucléaires par rapport à l'accord précédent, signé en 2002 à Moscou par G.W. Bush et Vladimir Poutine. Son principal acquis, non négligeable, est de prévoir un système de vérification mutuelle contraignant alors que rien de tel n'existait dans le Traité de Moscou, qui tenait plutôt de la déclaration d'intention commune. Mais avec un plafond de 1.550 armes déployées, dans lequel un bombardier compte pour une seule arme quel que soit le nombre de bombes emportées, les arsenaux nucléaires des Etats-Unis et de la Russie demeurent fortement redondants. D'autant que les armes rangées sur étagère n'entrent pas dans le calcul, non plus que les armes nucléaires déployées hors des frontières des deux parties, donc des armes encore entreposées par les Etats-Unis en Europe.

Enfin, la doctrine américaine d'usage de l'arme nucléaire, récemment révisée, nous laisse sur notre faim. L'on se réjouit de voir confirmée l'intention des Etats-Unis de ne plus procéder à des essais nucléaires et d'adhérer au traité d'interdiction de tels essais, comme de l'intention de ne pas développer de nouvelles armes. L'on se réjouit aussi de voir fortement atténuées les lourdes ambiguïtés en matière d'usage de l'arme qui se dégagaient de la précédente doctrine, publiée en 2002 du temps de G.W. Bush, il est vrai sous le coup de l'émotion du 11 Septembre. Mais force est de constater que la dernière position des Etats-Unis sur la façon dont ils répondraient à une agression venant d'un Etat ne possédant pas l'arme nucléaire est en retrait sur les assurances qu'ils avaient données en 1995 devant les Nations-Unies : ils déclaraient à l'époque qu'ils n'utiliseraient pas leur arsenal nucléaire contre des pays signataires du TNP non dotés de l'arme nucléaire, sauf dans l'hypothèse où ceux-ci conduiraient leur agression en alliance ou en association avec un pays doté lui-même de cette arme. Quinze ans plus tard, les Etats-Unis se limitent à dire qu'ils n'utiliseront pas leurs armes nucléaires contre les pays membres du TNP non dotés de cette arme dès lors que ceux-ci respectent bien les obligations du Traité.

Même combinée avec l'engagement simultanément exprimé de ne mettre en oeuvre l'arsenal nucléaire américain que dans des circonstances extrêmes, mettant en jeu les intérêts vitaux des Etats-Unis, ou ceux de leurs alliés ou partenaires, cette position ouvre de fait la voie à des attaques nucléaires préventives contre des pays que l'on soupçonnerait de vouloir se doter de l'arme. Suivez mon regard... Etait-ce indispensable? Les moyens conventionnels des Etats-Unis seraient-ils insuffisants s'il fallait en arriver là? Et faut-il en déduire que la déclaration de 1995 citée plus haut, pourtant solennellement présentée aux Nations-Unies, puis référencée dans une résolution du Conseil de sécurité avec les déclarations similaires d'autres pays possesseurs de l'arme nucléaire, n'est plus aujourd'hui qu'un chiffon de papier?

jeudi 18 mars 2010

En attendant la conférence d'examen du TNP

La conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire qui s'ouvrira début mai à New-York réunira tous les membres de ce célèbre traité datant de 1968, et signé par à peu près tous les Etats du monde, à l'exception d'Israël, de l'Inde et du Pakistan. Les cinq puissances nucléaires militaires reconnues par le Traité y seront soumises à rude pression pour qu'elles accélèrent leurs négociations en vue du démantèlement de leurs arsenaux nucléaires, conformément à l'engagement pris à l'article 6 de ce traité. Ceci d'autant plus qu'elles-mêmes, notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, ont été en première ligne ces dernières années dans la poursuite des contrevenants à l'article 4, par lequel les pays non dotés de la bombe s'engagent à ne jamais l'acquérir. L'on pense à la Corée du Nord, à la Libye, à l'Iran. L'on verra aussi immanquablement surgir la question de la dénucléarisation du Moyen-Orient, c'est-à-dire du désarmement nucléaire d'Israël, demandé depuis longtemps par l'ensemble de ses voisins.

Dans un tel contexte, la présentation apaisante de l'arme nucléaire comme arme de "non-emploi" a de plus en plus de mal à faire recette. Rappellons le concept : A se dote de l'arme parce que B et C ont cru devoir l'acquérir. Mais B ou C n'osera jamais s'en servir contre A puisqu'il subira aussitôt des dommages inacceptables en retour. Quant à D, E, F... qui ne possèdent pas la bombe, ils ne peuvent menacer A et ne risquent donc rien, en tous cas sur le plan nucléaire. En conséquence, l'arme de A, ou de tout autre d'ailleurs, ne sera jamais employée. Après cet impeccable raisonnement, reste à espérer que la réalité acceptera de s'y plier. De fait, la formule d'arme de non-emploi n'est pas loin de l'oxymore, c'est-à-dire de la figure de style associant deux termes contradictoires. Et elle est surtout populaire chez les détenteurs de l'arme, notamment en France où elle a été fort employée par nos stratèges. L'on devine que les non-possesseurs sont plus difficiles à convaincre.

Disons, pour cerner de plus près la réalité, que l'arme nucléaire est d'abord une arme de dissuasion à l'encontre des autres possesseurs de l'arme. Elle a néanmoins une autre dimension : celle d'être à la fois l'arme que l'on acquiert pour ne pas être intimidé par ceux qui la possèdent déjà, mais aussi, une fois qu'on la possède soi-même, une arme d'intimidation à l'égard de tous les autres. Et cette seconde dimension, avec la disparition du monde de la Guerre froide qui portait en son sein le risque d'holocauste nucléaire, se retrouve aujourd'hui la première, voire la seule qui vaille. Mais un nombre croissant de pays supporte de plus en plus mal d'être intimidé de la sorte. Même si ces pays désapprouvent, par exemple, le jeu de l'Iran en matière nucléaire, ils éprouvent un malaise croissant à observer les pressions, les menaces, les leçons de morale dispensées par des pays si lents à se séparer de leurs propres armes. Tout ceci risque de peser lourdement sur le climat et les résultats de la conférence du mois de mai.

mardi 10 novembre 2009

La malédiction du Pharaon

Il doit peser une sorte de malédiction du Pharaon sur les relations franco-américaines. La France, qui a fait dans son histoire la guerre à tout le monde, n'a, par un heureux hasard, jamais fait la guerre aux Etats-Unis. Elle a même sérieusement contribué à leur naissance. Et pourtant, Dieu sait si ces relations ont été presque continûment crispées, aigres, traversées de méfiances et de malentendus. L'on se souvient en particulier, tout au long de la Guerre froide, de la façon dont les Français se désolaient des tensions entre Etats-Unis et URSS, formant obstacle au bonheur de l'Europe, mais dénonçaient avec vigueur le condominium des super-puissances dès que les deux Grands parvenaient à s'entendre sur un quelconque sujet. C'est sur ce motif, par exemple, que nous avons refusé pendant un quart de siècle de signer le Traité de non-prolifération nucléaire.

Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?

L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".

Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.

Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.

Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.

samedi 26 janvier 2008

Une grande première : le chef de gouvernement d'un Etat nucléaire prend officiellement position pour un monde sans armes atomiques

Gordon Brown, Premier Ministre britannique, vient de déclarer lors d'un voyage à New-Delhi, dans un discours tout à fait officiel, que la Grande-Bretagne était prête à prendre la tête d'un processus de vérification et de démantèlement des arsenaux nucléaires destiné à aboutir à un monde sans armes atomiques.

Voici la traduction exacte de ses propos, que l'on peut retrouver à l'adresse suivante http://www.number10.gov.uk/output/Page14323.asp :

"Laissez-moi vous dire que la Grande-Bretagne est prête à utiliser son expertise en vue d'aider à déterminer les moyens nécessaires pour éliminer de façon vérifiable les ogives nucléaires. Et je m'engage à ce que dans le processus de préparation de la conférence d'examen du Traité de non-prolifération de 2010, nous soyons en première ligne de la campagne internationale visant à accélérer le désarmement parmi les Etats possesseurs de l'arme nucléaire, à prévenir la prolifération de la part de nouveaux Etats, et à atteindre en définitive un monde débarrassé d'armes nucléaires."

Déjà, une semaine auparavant, un groupe d'anciens dirigeants américains, conduits par Henry Kissinger et Georges Schultz, avait pris position dans le Wall Street Journal en faveur de la disparition programmée des arsenaux atomiques. Leur étude se terminait ainsi :

"D'une certaine façon, l'objectif d'un monde libéré des armes nucléaires est comme le sommet d'une très haute montagne. A partir du monde troublé actuel, nous ne pouvons même pas voir le sommet de la montagne. Il est tentant et facile de dire que nous ne pourrons pas l'atteindre. Mais les risques qu'il y a à continuer à descendre de la montagne, ou simplement à rester sur place, sont trop réels pour être ignorés. Nous devons tracer un chemin pour atteindre un niveau où le sommet de la montagne devient plus visible."

En ce début 2008, l'engagement pour la disparition des arsenaux nucléaires vient donc de franchir le seuil décisif séparant les utopies des perspectives concrètes. Ce ne sont plus de doux rêveurs qui prennent ainsi position. Ce sont des gens qui savent ce que gouverner veut dire. C'est surtout le chef de gouvernement d'un pays doté de la Bombe, et d'un pays proche de la France, qui vient de briser le tabou. Aurons-nous le courage de nous associer aux propos de Gordon Brown, de donner corps à son projet?