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jeudi 12 décembre 2019

L’Iran a-t-il intérêt à mettre fin à l’accord nucléaire de Vienne ?


La République islamique d’Iran s’est réveillée il y a quelques semaines dans une ambiance toute nouvelle pour elle. Dissipée, la jubilation générée par le succès spectaculaire des frappes à la mi-septembre sur des installations pétrolières saoudiennes. Évanoui, le plaisir à savourer l’expansion au fil des ans de l’influence iranienne du Yémen à la Méditerranée. Ses amis du Hezbollah ont brusquement perdu aux yeux des Libanais en colère leur prestige de combattants de la Résistance pour n’être plus qu’un élément d’un système politique inefficace et corrompu. En Irak, les jeunes patriotes se font tuer pour obtenir une démocratie libérée des jeux de factions, la fin des détournements massifs de la richesse nationale, et aussi la levée de la mainmise iranienne sur leur vie politique. En Iran même, les gens, excédés de leurs difficultés quotidiennes croissantes, sont descendus dans la rue pour mettre en cause le régime, entraînant de sa part une répression féroce. 

Et dans sa relation avec le monde extérieur sur le dossier hautement sensible du nucléaire, les choses ne vont guère mieux pour la République islamique. Sa stratégie d’infractions calculées à l’accord nucléaire de Vienne -- dit aussi JCPOA --, lancée l’été dernier, était censée pousser les Européens à desserrer l’étau des sanctions américaines. Mais leur seule réaction a été de menacer l’Iran de déclencher le processus de règlement des différends prévu par le JCPOA. Or ce processus aurait toutes les chances de déboucher sur le rétablissement des sanctions des Nations unies : sanctions mises en place entre 2006 et 2010 pour faire céder l’Iran, et levées en juillet 2015 dans le sillage de la conclusion de l’accord de Vienne. Les efforts des Français pour entraîner au moins une légère détente entre Américains et Iraniens semblent s’être enlisés. Donald Trump, dont les électeurs détestent l’Iran mais refusent l’idée d’une nouvelle guerre dans une région lointaine, n’a que l’arme des sanctions pour les satisfaire. Il n’est pas prêt à l’abandonner. De tous côtés, l’Iran se trouve coincé. 

Bénéfices et risques d’une sortie de l’accord de Vienne 

Une échappatoire lui reste ouverte. Mais elle débouche sur de graves inconnues. Ce serait de se retirer du jour au lendemain de l’accord de Vienne, comme l’a fait Donald Trump en mai 2018. S’il agissait avant le déclenchement du dispositif de règlement des différends contenu dans le JCPOA, il en récolterait un bénéfice immédiat, celui d’échapper à la redoutable procédure simplifiée de rétablissement des sanctions des Nations unies. Selon ce mécanisme exceptionnel, inventé pour l’occasion, la voix d’un seul membre permanent du Conseil de sécurité suffit pour punir le pays récalcitrant partie à l’Accord. Mais pour fonctionner, encore faut-il que ce pays soit toujours là. Une fois l’Iran sorti du JCPOA, plus d’engagements de sa part, et donc plus de violation d’engagement offrant prise à rétablissement immédiat des sanctions. Quand Trump, d’ailleurs, est sorti de l’Accord, chacun a bien dû admettre que les États-Unis étaient aussitôt libérés des engagements qu’ils y avaient contractés. Le même raisonnement vaut pour l’Iran. 

Mais pour ce bénéfice, que de risques ! Le premier serait de voir le Conseil de sécurité mettre en œuvre sa procédure habituelle d’imposition de sanctions. Elle est toutefois beaucoup plus lourde que celle qui avait été taillée sur mesure pour le JCPOA, puisqu’il faudrait, cette fois-ci, qu’aucun des cinq membres permanents du Conseil ne s’y oppose. Or l’Iran pourrait espérer la protection de la Russie ou la Chine, traditionnellement plus indulgentes à son égard que les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. Le second risque serait de voir les Européens rejoindre les États-Unis pour punir l’Iran avec des sanctions proprement européennes, comme ils l’avaient fait dans la période 2010-2012. Mais plus sérieux encore, une fois l’Iran sorti du JCPOA, toute avancée de son programme nucléaire, en principe civil, pourrait être aisément présentée comme une nouvelle course à l’arme atomique, avec le risque de voir les États-Unis, peut-être Israël, d’autres encore, peut-être même certains Européens, considérer le moment venu de détruire du ciel les installations nucléaires iraniennes, et sans doute plus encore. 

Les éléments d’une nouvelle donne 

l’Iran pourrait néanmoins neutraliser tous ces risques par une simple déclaration affirmant son intention de respecter, désormais sur une base purement unilatérale et volontaire, les engagements auparavant souscrits dans le cadre de l’accord de Vienne : notamment limitation de ses activités d’enrichissement et, bien entendu, maintien des contrôles renforcés de l’Agence internationale de l’énergie atomique. 

L’on entrerait alors dans une période peut-être plus favorable à la négociation et au dialogue que la période actuelle, dont les vertus semblent s'être épuisées. L’Iran gagnerait en liberté de manœuvre avec la faculté de jouer sur l’évolution, à la baisse ou à la hausse, de ses engagements volontaires, en fonction de l’attitude des autres parties. Les Européens échapperaient enfin aux sarcasmes de l’Iran visant leur impuissance à résister aux sanctions américaines. Ils échapperaient aussi aux reproches de Washington sur leur absence de solidarité avec l’Amérique. N’étant plus, les uns dans l’Accord, les autres dehors, il serait plus aisé aux Européens de se rapprocher de l’administration américaine, voire de présenter avec elle un front commun. Et Donald Trump, qui a toujours expliqué qu’on ne pourrait négocier utilement avec l’Iran qu’après le démantèlement du JCPOA, verrait enfin son vœu exaucé. En somme, du mal pourrait sortir le bien, ou du moins un espoir de bien. Et surtout, avec la perspective d’un allègement des sanctions, un peu de bien pour la population iranienne, qui en a bien besoin.

article publié le 11 décembre 2019 sur le site 




vendredi 21 novembre 2014

Les résolutions du Conseil de sécurité en travers d’un accord avec l’Iran ?

Une fois de plus, nous nous sommes peut-être piégés nous-mêmes en rédigeant les résolutions du Conseil de sécurité destinées à piéger l’Iran. La situation actuelle rappelle par certains aspects la période, autour de 1997, où la plupart des membres du Conseil de sécurité auraient aimé abroger, ou du moins amender, les sanctions adoptées contre le régime de Saddam Hussein dans la foulée de la guerre de 1991, car leurs effets commençaient à échapper à tout contrôle : corruption généralisée, chute dramatique de l’état sanitaire de la population irakienne. Mais il aurait fallu pour cela l’unanimité des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et cette unanimité était hors de portée. Le Président Chirac déclarait à cette époque : « nous voulons, nous, convaincre, et non pas contraindre. Je n’ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs. »

Nous n’en sommes pas à un point aussi dramatique concernant l’Iran. Mais au moment où il serait sans doute utile, pour conclure un accord global sur le programme nucléaire iranien, de pouvoir lever rapidement les sanctions introduites entre 2006 et 2010 par quatre résolutions du Conseil de sécurité, les négociateurs occidentaux paraissent avoir du mal à envisager un tel geste, et sembleraient plutôt enclins à repousser cette décision vers un lointain futur.

Ces sanctions du Conseil de sécurité, visant les activités militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran, ne sont pas celles qui font le plus mal. Les plus destructives sont plutôt les sanctions unilatérales adoptées par les États-Unis et l’Union européenne, dans la mesure où elles tendent à déstabiliser l’ensemble de l’économie et des échanges extérieurs de l’Iran. Mais les sanctions du Conseil de Sécurité comportent un « effet de pilori » que les Iraniens perçoivent à juste titre comme profondément humiliant. Elles constituent aussi le socle juridique sur lequel les sanctions européennes, notamment, ont été mises en place. Les Iraniens sont donc anxieux de les voir disparaître dès que possible, par la voie d’une décision du Conseil de sécurité refermant le dossier qu’il avait ouvert en 2006 et le renvoyant au forum qu’il n’aurait dû jamais quitter, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Mais les conditions inscrites dans ces résolutions pour leur levée sont en vérité écrasantes. De fait, leurs rédacteurs semblent avoir poursuivi deux buts simultanés. Le premier a été d’accumuler les exigences permettant de bloquer la marche de l’Iran vers la possession d’un engin nucléaire capable d’atteindre sa cible : suspension de toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche, le développement, et la construction de nouvelles installations ; suspension de toutes activités liées à la construction d’un réacteur de recherche modéré à l’eau lourde ; accès immédiat sur demande de l’AIEA à tous les sites, équipements, personnes et documents permettant de vérifier le respect par l’Iran des décisions du Conseil de sécurité et de résoudre toutes questions en suspens concernant les « éventuelles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien ; ratification rapide du Protocole additionnel à l’accord de garanties passé entre l’Iran et l’AIEA ; interruption de toutes activités liées à des missiles balistiques susceptibles d’emporter des armes nucléaires. Au vu des circonstances dans lesquelles ces résolutions étaient adoptées, il y avait peu de chances de voir les Iraniens se plier à de telles injonctions, qualifiées de « mesures destinées à établir la confiance », qui les auraient obligés à abandonner pratiquement toutes leurs ambitions nucléaires et balistiques.

Le second but était d’un tout autre ordre, et d’une certaine façon peu cohérent avec le premier. Il visait à pousser les Iraniens vers la table de négociation, ainsi qu’il apparaît dans la formule retrouvée dans toutes les résolutions en question, exprimant « la conviction » que l’obéissance de l’Iran « favoriserait une solution diplomatique négociée ». Le Conseil de sécurité exprimait également sa disposition, si l’Iran suspendait ses activités d’enrichissement et de retraitement, à suspendre en retour au moins une partie de ses sanctions, de manière à « faciliter des négociations de bonne foi » et « d’atteindre rapidement un résultat mutuellement acceptable ». Comme on le sait, cette négociation a bien fini par se nouer, mais par des voies radicalement différentes, les Occidentaux ayant finalement renoncé à exiger que l’Iran interrompe toutes ses activités nucléaires sensibles avant d’entrer sérieusement en discussion. L’on peut donc considérer que ce second objectif aura été pleinement atteint dès qu’un accord global, espérons-le en phase finale de mise au point, entrera en vigueur, rendant ainsi caduque cette dimension des résolutions du Conseil de sécurité.

Bien entendu, leur première dimension, celle concernant l’imposition de « mesures destinées à établir la confiance », reste en place. La confiance étant par nature un sentiment difficile à cerner, nous entrons là dans un processus à long terme, sinueux, réversible, dont l’issue n’est que faiblement visible. Un tel processus est aussi malaisément compatible avec le fonctionnement en « tout ou rien » du Conseil de sécurité : une fois ses résolutions levées, elles n’ont aucune chance de pouvoir être rétablies. D’où l’hésitation de l’Occident à s’engager de façon irréversible. Et nous savons tous que les sanctions sont généralement plus faciles à adopter qu’à effacer, car elles tendent à créer dans l’intervalle leurs propres logique et dynamique. Elles donnent naissance à de nouveaux équilibres, à de nouveaux intérêts, ne serait-ce que parmi les personnes chargées de les gérer, qui consacrent tant d’énergie à leur mise en œuvre. Que l’on se souvienne de l’exemple fameux de l’embargo général imposé par les Alliés à l’Allemagne durant la Première guerre mondiale, resté en vigueur plusieurs mois après l’Armistice, qui a donc inutilement prolongé les souffrances de la population et attisé son amertume.

Les pays négociant avec l’Iran sont-ils prêts à tirer les leçons de l’Histoire ? La levée des sanctions du Conseil de sécurité apparaît actuellement comme une sorte de nœud gordien. Ce nœud devrait être tranché, sinon immédiatement après la signature d’un accord global avec l’Iran, du moins à l’issue d’une période relativement brève d’observation de la détermination avec laquelle Téhéran commencera à mettre en œuvre sa part d’obligations contenues dans « le Plan global d’action ». Ce vote du Conseil de sécurité pourrait être aussi opportunément lié à la ratification formelle par l’Iran du Protocole additionnel qu’il a signé en 2003, les deux gestes étant également irréversibles.


Ceci ne signifie pas que seraient abandonnées les demandes auxquelles l’Iran pourrait n’avoir pas entre temps pleinement répondu, par exemple sur la clarification des anciennes «dimensions militaires éventuelles » de son programme nucléaire. Mais cela voudrait dire que ces demandes seraient désormais exclusivement traitées au niveau de l’AIEA. Et cela voudrait surtout dire que le Conseil de Sécurité, à la lumière des progrès atteints dans la mise en œuvre de l’accord, ne considérerait plus le cas iranien comme une « menace à la paix » selon les termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, sous l’égide duquel les résolutions en cause ont été adoptées : le seul chapitre autorisant l’emploi de mesures coercitives contre un État membre, en vue de « maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationales ».

publié par le site LobeLog (version anglaise) et par BBC Persian (version persane)

samedi 22 mars 2014

Auto-détermination et droit international sous les Tropiques


En 1841, l’Île de Mayotte, qui compte alors environ 3.000 habitants, est cédée par le sultan Andriantsoly à la France contre une rente viagère personnelle de 1.000 piastres. Les trois autres iles de l’archipel des Comores, la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli, sont plus tard placées sous protectorat et directement gérées par la France à partir de 1912, à la suite de la conquête de Madagascar.

En 1946, les quatre îles de l’archipel des Comores sont pour la première fois placées sous administration unifiée. Elles sont dotées en 1957 d’une assemblée territoriale élue.

A la suite de l’élection en 1972 aux Comores d’une assemblée favorable à l’indépendance, une loi du 23 novembre 1974 prévoit l’organisation d’une consultation des populations de l’archipel. Prudemment, la loi prévoit que dans un délai de six mois après la proclamation des résultats, le Parlement français sera « appelé à se prononcer sur la suite qu’il estimera devoir donner à cette consultation ». A même époque, deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, en date des 14 décembre 1973 et 13 décembre 1974, demandent à la France « de garantir l’unité et l’intégrité territoriale de l’Archipel des Comores ». La France ne prend pas part au vote de la première résolution, la seconde est adoptée sans vote.

La consultation a lieu le 22 décembre 1974. Sur 175.000 inscrits, 163.000 prennent par au vote, 154.000 votent pour l’indépendance. Toutefois, à Mayotte, sur 16.000 inscrits, dont 12.400 votes exprimés , 4.300 seulement font le choix de l’indépendance, 8.100 électeurs expriment le souhait de demeurer attachés à la France.

Le 6 juillet 1975, devant les hésitations de la France, le président du gouvernement des Comores proclame unilatéralement l’indépendance du pays. Le détachement de la Légion étrangère présent aux Comores (environ 200 hommes) se replie sur Mayotte.

Le 12 novembre 1975, l’Assemblée générale des Nations Unies, sur proposition du Conseil de sécurité, admet les Comores comme membre de l’ONU, en rappelant que le nouvel État inclut bien les quatre îles de l’archipel. La France ne prend pas part au vote.

Le 31 décembre 1975, une loi détache la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli de la République française et organise une nouvelle consultation de la population de Mayotte. Cette loi, déférée par l’opposition au Conseil constitutionnel, est déclarée par celui-ci conforme à la Constitution.

Le 28 janvier 1976, le Président des Comores saisit d’urgence le Conseil de sécurité des Nations Unies du projet de consultation de la population de Mayotte.

Le Conseil de sécurité aborde l’affaire des Comores le 4 février. Le représentant de la France déclare au Conseil que la consultation qui doit avoir lieu à Mayotte « découle d’une scrupuleuse application du principe d’auto-détermination ». Le 6 février, un projet de résolution déposé par la Tanzanie, le Bénin, la Guyane, la Libye et le Panama demande à la France de renoncer à son projet de consultation. Le projet recueille 11 voix favorables, 3 abstentions et le veto de la France. La résolution est donc repoussée. Pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, la France a utilisé seule son droit de veto.

La consultation des Mahorais a lieu le 8 février 1976. Sur 21.000 inscrits, 18.000 prennent par au vote, 17.800 choisissent de demeurer au sein de la République française.

Le 24 décembre 1976, une loi érige Mayotte en collectivité territoriale de la République française. Jusqu’en 1994, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte chaque année (sauf en 1978) une résolution demandant à la France de restaurer l’unité et l’intégrité territoriales des Comores. Chaque fois, la France vote contre, soit seule, soit en compagnie de Monaco.

Une loi organique du 21 février 2007 confère à Mayotte le statut de collectivité d’Outre-Mer.

Le 29 mars 2009, les Mahorais sont invités à se prononcer sur l’accès de l’île au statut de département français. Sur 71.000 inscrits, 43.800 prennent part au vote. Le nouveau statut est adopté par 41.000 électeurs. Le 7 décembre 2010, deux lois organisent la transformation de Mayotte en département français. Cette transformation intervient le 31 mars 2011.

samedi 17 avril 2010

Poudre aux yeux, chiffons de papier...

Nous tous aimons bien Obama, mais là, sur les affaires nucléaires, il a fait un peu fort récemment dans l'usage de la poudre aux yeux. Il est vrai qu'il a intérêt à bouger à l'approche de l'échéance délicate que représente la prochaine conférence d'examen du Traité de non-prolifération nucléaire. Les cinq pays que cet accord international signé par presque tout le monde reconnaît comme possesseurs de l'arme nucléaire, Etats-Unis en tête, vont en effet y être soumis, une fois encore et peut-être plus que jamais, à fortes critiques et pressions des autres Etats-membres pour leur maigre bilan en matière de désarmement.

La conférence au sommet qui vient de se tenir à Washington sur le thème du terrorisme nucléaire visait ainsi à occuper le terrain, mais elle a brassé plus de vent que de concret. Le sujet, déjà bien traité par les spécialistes, méritait-il vraiment de déranger une quarantaine de chefs d'Etat ou de gouvernement? Cela fait une bonne quinzaine d'années, au moins, que l'on agite le spectre d'une bombe atomique lancée par de méchants Islamistes, mais le sérieux d'une telle menace reste à démontrer. Même s'il n'y a pas de risque zéro, la mise au point, ou même le vol et la mise en oeuvre d'un engin nucléaire, le tout sans se faire repérer, réclament des capacités technologiques et des moyens d'agir hors de portée d'un groupe de malfaiteurs, si bien organisé soit-il. Alors que l'on se préoccupait déjà beaucoup à l'époque des risques d'attentat nucléaire, les attaques du 11 Septembre ont utilisé comme seule arme des couteaux de poche et comme principal investissement des cours de pilotage et des billets d'avion.

Quant à l'accord START que viennent de signer à Prague les présidents russe et américain, il marque de très faibles reculs quantitatifs des arsenaux nucléaires par rapport à l'accord précédent, signé en 2002 à Moscou par G.W. Bush et Vladimir Poutine. Son principal acquis, non négligeable, est de prévoir un système de vérification mutuelle contraignant alors que rien de tel n'existait dans le Traité de Moscou, qui tenait plutôt de la déclaration d'intention commune. Mais avec un plafond de 1.550 armes déployées, dans lequel un bombardier compte pour une seule arme quel que soit le nombre de bombes emportées, les arsenaux nucléaires des Etats-Unis et de la Russie demeurent fortement redondants. D'autant que les armes rangées sur étagère n'entrent pas dans le calcul, non plus que les armes nucléaires déployées hors des frontières des deux parties, donc des armes encore entreposées par les Etats-Unis en Europe.

Enfin, la doctrine américaine d'usage de l'arme nucléaire, récemment révisée, nous laisse sur notre faim. L'on se réjouit de voir confirmée l'intention des Etats-Unis de ne plus procéder à des essais nucléaires et d'adhérer au traité d'interdiction de tels essais, comme de l'intention de ne pas développer de nouvelles armes. L'on se réjouit aussi de voir fortement atténuées les lourdes ambiguïtés en matière d'usage de l'arme qui se dégagaient de la précédente doctrine, publiée en 2002 du temps de G.W. Bush, il est vrai sous le coup de l'émotion du 11 Septembre. Mais force est de constater que la dernière position des Etats-Unis sur la façon dont ils répondraient à une agression venant d'un Etat ne possédant pas l'arme nucléaire est en retrait sur les assurances qu'ils avaient données en 1995 devant les Nations-Unies : ils déclaraient à l'époque qu'ils n'utiliseraient pas leur arsenal nucléaire contre des pays signataires du TNP non dotés de l'arme nucléaire, sauf dans l'hypothèse où ceux-ci conduiraient leur agression en alliance ou en association avec un pays doté lui-même de cette arme. Quinze ans plus tard, les Etats-Unis se limitent à dire qu'ils n'utiliseront pas leurs armes nucléaires contre les pays membres du TNP non dotés de cette arme dès lors que ceux-ci respectent bien les obligations du Traité.

Même combinée avec l'engagement simultanément exprimé de ne mettre en oeuvre l'arsenal nucléaire américain que dans des circonstances extrêmes, mettant en jeu les intérêts vitaux des Etats-Unis, ou ceux de leurs alliés ou partenaires, cette position ouvre de fait la voie à des attaques nucléaires préventives contre des pays que l'on soupçonnerait de vouloir se doter de l'arme. Suivez mon regard... Etait-ce indispensable? Les moyens conventionnels des Etats-Unis seraient-ils insuffisants s'il fallait en arriver là? Et faut-il en déduire que la déclaration de 1995 citée plus haut, pourtant solennellement présentée aux Nations-Unies, puis référencée dans une résolution du Conseil de sécurité avec les déclarations similaires d'autres pays possesseurs de l'arme nucléaire, n'est plus aujourd'hui qu'un chiffon de papier?

vendredi 16 novembre 2007

carnets de voyage : la France à Kaboul

Pour ceux que cela pourrait intéresser, voici le compte-rendu, pour les membres de Français du Monde-ADFE, de mon voyage à Kaboul dans le cadre de la campagne pour des élections partielles à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de New Delhi.

Grâce à l'obstination de nos amis d'Islamabad - merci à Valérie et à Faqir Khan! -, nous arrivons avec Paul Graf à embarquer mardi sur le vol humanitaire des Nations Unies, petit avion à hélices de 20 places. En une heure de vol paisible, nous voici à Kaboul, aussitôt pris en charge par l'Ambassade de France.

Arrêt au cimetière des Européens, où nous nous recueillons sur les très modestes tombes des Français et de bien d'autres qui, du XIXème siècle à ces derniers mois, ont donné leur vie à ce pays. En traversant la ville poussiéreuse, encore stigmatisée par plus de vingt années de guerre, nous passons par le quartier des nouveaux puissants du jour, barons de la politique et de la drogue, où se pressent des dizaines de villas toutes neuves, plus kitsch les unes que les autres, au murs couleurs pastel, avec colonnades, frontons et escaliers extérieurs massifs, marbres et stucs ostentatoires.

L'ambassade se trouve au coeur du quartier diplomatique et gouvernemental, lourdement protégé par barbelés, sacs de sable et chicanes. Datant des années 1960, elle a, elle aussi, souffert de temps difficiles. C'est néanmoins, avec ses massifs de roses et sa grande pelouse arborée, un vrai havre de paix. Une dizaine de policiers français, visiblement aguerris, assurent sa sécurité et veillent, avec trois voitures blindées, à la protection des déplacements sensibles.

Mais ce qui frappe en parlant aux uns et aux autres, c'est la faiblesse des moyens humains. Quelques agents à peine pour couvrir non seulement l'évolution de la situation intérieure, mais aussi l'international, l'économique, le consulaire, la coopération. La petite équipe a un moral d'acier, indispensable pour ne pas sombrer dans un environnement extraordinairement difficile.

Tous sont profondément motivés et de la plus haute qualité. Il le faut pour maintenir à flot notre image, alors que des pays aux intérêts proches des nôtres, Grande-Bretagne, Allemagne ou Canada, sans parler des Américains, ont su adapter leurs effectifs aux enjeux, et disposent de moyens sans comparaison avec les nôtres. Ici, comme en d'autres endroits difficiles, Paris demande de faire plus avec moins, et se montre faiblement réactif. Dans des circonstances de ce type, pourquoi ne parvient-on pas à réorienter, au moins pour un temps, quelques agents de postes paisibles et bien pourvus afin de renforcer nos équipes?

Il y a évidemment nos cinq coopérants, conduits par notre ami Michel Ouliac, auprès des deux lycées de tradition française, Malalai pour les filles, Esteqlal pour les garçons : 7.000 élèves au total, avec l'ambition pour notre part d'enseigner à terme en français à partir de la classe de seconde au moins les matières scientifiques, et de diriger les meilleurs éléments vers notre enseignement supérieur. Deux beaux établissements, construits en leur temps par la France. Ils ont eux aussi souffert de l'intervention soviétique et de la guerre, non seulement dans leurs murs, mais encore bien plus par la dispersion du corps enseignant francophone, qu'il faut patiemment reconstituer et motiver. Ils ont néanmoins, avec notre soutien, déjà restauré leur image et leur force d'attraction.

Il y a aussi notre centre culturel, animé avec une foi vibrante par Gabriel Buti. C'est une très belle structure : grand hall polygonal pour les expositions, salle de spectacle de 450 places, bien équipée, médiathèque à la chaleureuse ambiance. Avec de très modestes moyens de fonctionnement, heureusement démultipliés par beaucoup d'imagination, notre centre occupe une place hautement visible, unique en son genre, dans une ville à peu près privée de toute offre culturelle.

Et grâce à l'hospitalité de Michel et Roseline Ouliac, nous avons passé notre unique soirée avec une trentaine de Français (dont une bonne moitié de Françaises!) travaillant ici, soit pour des ONG, soit pour des institutions humanitaires de la famille des Nations Unies. Tous gens de qualité, clairement compétents dans leurs domaines respectifs, parlant avec ferveur de leurs projets, qu'il s'agisse de santé publique, de médecine d'urgence ou réparatrice, d'agriculture et de micro-développement, de lutte contre la drogue, d'adduction d'eau ou tout simplement de logistique associée.

Mais tous aussi se montrent inquiets quant à la pérennité de leurs programmes, alors que l'Afghanistan cède la place dans les médias internationaux à d'autres urgences humanitaires, telles que le Darfour, et que commence à apparaître la fatigue des donateurs. Là comme ailleurs, le secret du succès réside pourtant dans la capacité à maintenir notre aide sur longue durée, en la protégeant des fluctuations des modes, des aléas politiques et stratégiques.

Nous repartons par le même avion des Nations Unies en fin de matinée du mercredi, pour refaire un dernier point avec nos amis d'Islamabad, avant de prendre en début de soirée un bus sur Lahore, où nous arrivons à une heure avancée de la nuit. Quelques heures de sommeil, et départ le lendemain matin, Paul sur Téhéran, moi sur Paris. Mardi prochain, nous nous retrouvons en Iran pour poursuivre la campagne.