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vendredi 30 juin 2017

DONALD TRUMP AU MOYEN-ORIENT


Ali Khamenei, guide de la révolution islamique, n'a pas raté Donald Trump au lendemain du sommet de Riyad : "le Président américain se tient aux côtés de dirigeants d'un système tribal et arriéré, fait la danse du sabre, mais critique l'élection iranienne qui réunit 40 millions de votants…" Et de fait, ce sommet qui, sur deux jours, les 20 et 21 mai, s'est déroulé en trois formats : sommet entre les États-Unis d'une part et l'Arabie saoudite, puis les Pays du Golfe, et enfin les pays arabes d'autre part, risque de laisser peu de souvenirs.

Certes, si l'on se plonge dans les déclarations et les communiqués produits par la rencontre, l'on y voit que les participants ont inauguré un Centre de ciblage du financement du terrorisme, basé à Riyad, et adopté une déclaration dans laquelle figure notamment l'intention de créer une "Alliance stratégique du Moyen-Orient", à mettre en place d'ici à 2018. Ils y saluent aussi le lancement d'un "Centre global de lutte contre le terrorisme", destiné à "combattre l'extrémisme intellectuel, médiatique et digital, et à promouvoir la coexistence et la tolérance entre les peuples." Ils se félicitent enfin de" la disposition d'un certain nombre de pays islamiques à participer à la Coalition militaire islamique de lutte contre le terrorisme", fondée à Riyad en 2015, "et à constituer une force de réserve de 34.000 hommes en vue d'appuyer, autant que de besoin, des opérations contre des organisations terroristes en Irak et en Syrie." Reste à voir comment vont se concrétiser ces intentions.

La réunion a quand même été marquée par un discours se voulant fondateur de Donald Trump, à l'instar du discours du Caire prononcé par Obama en direction des monde arabe et musulman au début de son premier mandat. Ce discours axé sur un objectif, "vaincre les forces du terrorisme", a débouché sur une formule familière aux Américains : "Ceci est un combat entre le bien et le mal". Quant à la façon de le conduire, deux points ont émergé : le premier, faisant écho aux propos adressés à plusieurs reprises par le Président américain aux membres de l'OTAN, est que "l'Amérique ne peut y être seule, les États de la région doivent y prendre leur part". Le deuxième est que les États-Unis ne saisiront pas cette occasion "pour dire aux autres peuples comment vivre, ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils doivent être, comment ils doivent prier". "Nous cherchons des partenaires, pas la perfection" a ainsi souligné Donald Trump, comme pour exonérer les États présents de leurs faiblesses, et faire passer le message qu'il ne serait pas trop exigeant en matière de références démocratiques et de droits de l'Homme.

L'Iran, ennemi principal

Quant à l'incarnation du terrorisme, Donald Trump la voit sans surprise dans "l'État islamique, Al Qaeda, le Hezbollah et le Hamas" et derrière eux, venant en point d'orgue dans son discours, "le gouvernement iranien", qui leur fournit " refuge, soutien financier, et statut social leur permettant de recruter". "Du Liban à l'Irak et au Yémen" a poursuivi Trump, "l'Iran finance, arme et entraîne les terroristes, les milices et autres groupes extrémistes qui répandent la destruction et le chaos dans toute la région. Durant des décennies, l'Iran a alimenté les brasiers des conflits sectaires et de la terreur. C'est un gouvernement qui parle ouvertement de meurtres de masse, vouant Israël à la destruction, criant mort à l'Amérique, et œuvrant à la ruine de beaucoup des dirigeants et des nations se trouvant en cette salle. Mais les interventions les plus tragiques et les plus déstabilisantes de l'Iran se déroulent en Syrie. Appuyé sur l'Iran, Assad a commis des crimes innommables…" Voilà donc, si l'on avait encore des doutes, désigné l'ennemi principal des États-Unis au Moyen-Orient. "Toutes les nations ayant une conscience doivent œuvrer ensemble pour isoler l'Iran, l'empêcher de financer le terrorisme, et prier pour le jour où le peuple iranien aura le gouvernement juste et droit qu'il mérite." Le projet de Regime Change, déjà caressé par Bill Clinton puis George W. Bush, mis en revanche de côté par Barack Obama, apparaît donc bien comme l'objectif ultime de la croisade de Donald Trump.


Guère de solidarité, donc, avec l'Iran quand il est frappé par ce même terrorisme. Quelque deux semaines après le sommet de Riyad, Da'esh attaque au cœur de Téhéran, faisant une quinzaine de morts. La Maison blanche diffuse alors une déclaration du Président, faisant état de son "affliction" et "ses prières pour les victimes innocentes", mais soulignant aussi que "les États qui parrainent le terrorisme risquent de se retrouver victimes du mal qu'ils encouragent". Cette déclaration est aussitôt qualifiée de "répugnante" par Mohammad Javad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères.

L'apparition d'une nouvelle crise

Pour en revenir à la réunion de Riyad, l'idée avancée par un certain nombre selon laquelle elle donnait le coup d'envoi d'un "OTAN du Moyen-Orient" réunissant le monde arabe et les États-Unis pour faire pièce à l'Iran, a presque aussitôt subi un sérieux revers lorsque la querelle couvant depuis longtemps entre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d'une part, le Qatar d'autre part, a éclaté au grand jour. Le 5 juin, ces deux premiers pays, bientôt suivis de l'Égypte, de Bahreïn, du Yémen, de la Mauritanie, des Comores et des Maldives, rompent brusquement leurs relations diplomatiques avec le troisième. Entre autres mesures coercitives, l'Arabie saoudite, les Émirats et Bahreïn ferment leur espace aérien aux avions de Qatar et expulsent les ressortissants qataris de leur territoire. L'Arabie saoudite instaure en outre un début de blocus en coupant la seule voie terrestre donnant au Qatar un contact avec l'extérieur. Les Émirats interdisent leurs ports aux navires qataris. Ceci, à première vue, suite à la publication d'une dépêche faisant état de propos, ensuite contestés, de l'émir du Qatar marquant de la sympathie pour l'Iran, le Hezbollah, le Hamas… et Israël. Mais ceci n'a été que la goutte faisant déborder le vase. Le soutien constant du Qatar aux Frères musulmans, l'influence exercée dans tout le monde arabe par la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, nourrissant la contestation contre les pouvoirs établis, sont au cœur de la crise.

L'affaire soulève aussitôt une vague d'inquiétude dans la région et au-delà. L'Iran commence à alimenter le Qatar en produits de première nécessité. La Turquie, elle, se propose d'y envoyer des troupes de protection. Quant à la réaction américaine, elle est plus que désordonnée. Alors que le Département d'État émet les propos d'usage appelant à la levée de l'embargo et au raccommodement des parties, Donald Trump, lui, twitte : "lors de mon récent voyage au Moyen-Orient, j'ai dit qu'il n'était plus question de financer l'idéologie radicale. Les dirigeants ont pointé du doigt le Qatar. Et voilà !". Il insiste encore trois jours plus tard en une conférence de presse : "…nous devons arrêter le financement du terrorisme. Le Qatar, malheureusement, a été historiquement un fondateur du terrorisme à très haut niveau". Savait-il que le Qatar accueille la plus grande base américaine du Moyen-Orient, avec 11.000 personnes ? Ignore-t-il le rôle de l'Arabie saoudite dans la genèse et le développement d'Al Qaïda (sans parler du rôle de la CIA) ? il avait pourtant au cours de sa campagne accusé les Saoudiens d'être mêlés aux attentats du 11 Septembre… Les promesses saoudiennes d'achat de 110 milliards d'armement américain ont-elles joué dans ce soutien sans faille à la ligne de Riyad ? Mais après tous ces propos présidentiels, les États-Unis viennent de vendre pour 12 milliards de dollars d'avions de combat F15 au Qatar… Comprenne qui pourra.

Trump et les guerres du Moyen-Orient

Au-delà des mots, quelle forme prennent les interventions de l'Amérique au Moyen-Orient depuis l'inauguration de Donald Trump ?

Manifestement, la méthode d'Obama, qui tenait la bride courte aux militaires, et veillait à ne pas être débordé par des initiatives dont il n'aurait pas pesé à l'avance toutes les conséquences possibles, n'est pas celle de son successeur. Une semaine après son inauguration, celui-ci donne son feu vert à une opération de commando au Yémen, sans trop se pencher sur ses détails. Elle tourne au fiasco. Si quelques membres d'Al Qaeda sont en effet neutralisés, le cadre de cette organisation qui était visé parvient à s'échapper, et de nombreux civils, y compris des enfants, sont tués, ainsi qu'un membre du commando. Depuis, l'armée américaine a cependant été autorisée à être présente au sol pour conseiller les troupes loyales au gouvernement yéménite.

Sur le théâtre irako-syrien, il est significatif que Trump ait, en avril dernier, laissé à son secrétaire d'État à la défense, James Mattis, le soin de déterminer le montant nécessaire de troupes sur le terrain. Et il vient de prendre la même décision pour l'Afghanistan. Depuis quelque temps, le Département d'État à la défense ne communique d'ailleurs plus de chiffres et de détails sur ces sujets. Les commentateurs n'ont pas manqué alors de relever le risque de "mission creep", c'est-à-dire de voir les forces américaines, à la poursuite de résultats insaisissables, peu à peu entraînées de plus en plus profondément dans des conflits sans fin.

En Afghanistan, l'armée a utilisé à la mi-avril, la plus puissante bombe de l'arsenal américain, encore jamais mise en œuvre à ce jour, pour frapper des troupes de Da'esh apparemment installées dans des bunkers et des tunnels près de la frontière avec le Pakistan. L'opération a-t-elle été personnellement autorisée par Donald Trump ? Celui-ci, interrogé par les journalistes, se dérobe : "chacun sait exactement ce qui s'est passé. Ce que je fais, c'est donner l'autorisation aux militaires. Nous avons les plus grands militaires du monde, et ils ont fait leur travail, comme d'habitude. Ils ont reçu une autorisation totale, et voilà ce qu'ils font, franchement, voilà pourquoi ils ont si bien réussi récemment. Regardez ce qui s'est passé ces dernières huit semaines, comparez-les avec les dernières huit années. Il y a une extraordinaire différence…" De fait, il semble bien que la décision ait été prise au niveau du général John Nicholson, responsable du théâtre d'opération afghan.

les dilemmes syriens

Donald Trump a en revanche donné sans conteste son feu vert personnel au tir de 59 missiles Tomahawk sur la base aérienne syrienne de Shayrat, le 6 avril, en punition de l'attaque chimique sur la petite ville de Khan Sheikhoun, imputée à partir de lourdes présomptions au régime syrien. La décision n'allait pas de soi. Durant sa campagne, Donald Trump avait mis en valeur le risque de voir Assad, s'il était poussé vers la sortie, "remplacé par pire que lui". Fin mars, l'ambassadrice américaine aux Nations-Unies, Nikki Haley, déclarait que l'élimination d'Assad n'était plus une priorité. Son ministre, Rex Tillerson, affirmait peu après que le futur d'Assad serait "décidé pat son propre peuple". Les photographies des enfants gazés à Khan Sheikhoun – "des enfants innocents…de beaux bébés cruellement assassinés" selon les termes de Donald Trump – commencent à changer la donne. La décision de frapper est prise peu après que l’avion du Président a atterri à Palm Beach, où Donald Trump se rend pour accueillir Xi Jinping, le Président chinois. Celui-ci est informé de l'opération au dessert.

Mais cette affaire ne change rien au rapport de forces sur le terrain. La grande question à l'approche de l'été, alors que la chute de Mossoul se confirme, est de savoir qui pourra se targuer de la prise de Raqqa, capitale de Da'esh en Syrie, et de Deir Ez-Zor, autre important bastion de l'organisation de l'état islamique, situé à 160 kilomètres au sud-est de Raqqa. Donald Trump souhaiterait évidemment beaucoup porter à son crédit la chute de Raqqa qui sonnerait la fin de l'État islamique, du moins comme entité territoriale. Les États-Unis soutiennent donc avec des moyens de plus en plus importants, ainsi que des forces spéciales, une coalition de Kurdes et d'Arabes syriens qui est en bonne position pour s'emparer de la ville. Le gouvernement syrien, appuyé par des milices formées et encadrées par l'Iran, ainsi que par le Hezbollah libanais, vise dans l'immédiat Deir Ez-Zor, à la lisière de laquelle il est parvenu à conserver une garnison retranchée, assiégée depuis de longs mois par Da'esh. À noter que ni les États-Unis, ni la Syrie, et donc ni la Russie, ni l'Iran, ne souhaitent voir la Turquie, dont les troupes ont pourtant pénétré dans le nord de la Syrie, se mêler de ces affaires.

Le grand désert de l'est syrien, situé à l'extérieur de la "Syrie utile", où se trouvent Raqqa et Deir Ez-Zor, est donc en ce moment le terrain de grandes manœuvres. Il apparaît à présent comme un espace d'intérêt stratégique, notamment dans la mesure où il assure la continuité territoriale entre Syrie et Irak, sujet important à la fois pour Bachar el Assad et pour l'Iran. Un groupe de rebelles, appuyé par des forces spéciales américaines, tient At-Tanf, l'un des points de passage routier entre les deux pays, point important car il conduit non seulement à Bagdad mais aussi à la route reliant l'Irak et la Jordanie. Assad et les Iraniens ont donc tenté de s'en emparer, mais leurs colonnes ont été à quatre reprises arrêtées par des frappes aériennes américaines. Interventions lourdes de sens, puisque, mise à part une frappe présentée comme une erreur du temps d'Obama, c'était la première fois que les États-Unis s'en prenaient à l'armée syrienne et à ses alliés. Du coup, ces forces loyales au régime ont bifurqué plus au nord pour atteindre la frontière avec l'Irak. Les milices shiites irakiennes étant elles-mêmes en voie d'éliminer les forces de Da'esh de l'autre côté de la frontière, les forces rebelles et américaines présentes à At Tanf risquent de se retrouver encerclées, et plutôt en mauvaise posture. Dans l'immédiat, les Américains ont renforcé leur présence à At-Tanf.

Le moment de vérité approche donc, où les Américains devront faire savoir s'ils laissent Assad reprendre le contrôle de l'ensemble de son pays, auquel cas leurs troupes au sol devront à un moment ou à un autre s'effacer, ou s'ils entendent au contraire conserver en Syrie, avec les forces qui leur sont fidèles, des gages territoriaux pouvant ouvrir la voie à une fragmentation du pays.

De nouveau, l'Iran

Dans ce choix, l'analyse des avantages que pourront tirer la Russie et l'Iran de telle ou telle configuration jouera un rôle décisif dans les prises de décision de Donald Trump. Celui-ci a un moment espéré qu'il parviendrait à régler le sort de la Syrie avec Poutine, en éliminant l'Iran du jeu. Il a rapidement pris conscience du caractère illusoire d'un tel projet. Sa crainte doit être à présent que l'Iran émerge comme le grand vainqueur de l'épisode syrien, comme il l'a été de l'intervention américaine en Irak, où l'élimination de Saddam Hussein et la promotion de la démocratie ont permis à la majorité démographique chiite de prendre les commandes du pays.

En même temps, Donald Trump a compris le risque sérieux qu'il y aurait pour l'Amérique à casser l'accord nucléaire conclu en juillet 2015 à Vienne entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l'Allemagne. Jusqu'à ce jour, l'Iran a respecté sa part des obligations contenues dans l'accord et n'a donné prise à aucune sérieuse mise en cause. L'Europe, la Russie, la Chine, d'autre part, manifestent régulièrement et fermement leur attachement à l'accord. Ce serait l'Amérique qui se retrouverait dans le mauvais rôle, et finalement isolée sur la scène internationale, en cas de rupture. Donald Trump voit donc bien la difficulté à réaliser ce qu'il avait laissé espérer au fil de sa campagne, la fin d'un accord dénoncé comme "le pire qu'ait jamais conclu l'Amérique". Son administration a même dû accomplir des gestes positifs pour maintenir l'accord en vie, puisque les États-Unis doivent, à intervalles réguliers, renouveler les waivers, ou exemptions, appliquées à beaucoup de leurs sanctions contre l'Iran, en vue de tenir les engagements qu'ils ont pris dans l'accord de Vienne. Pour masquer, autant que possible, cet embarrassant changement de cap, Donald Trump en est réduit à hausser à la voix, à multiplier les attaques verbales contre l'Iran, et même à prendre à son égard quelques sanctions additionnelles, à vrai dire sans conséquences, mais qui lui permettent de se mettre au diapason des autres adversaires déclarés de Téhéran : l'Arabie saoudite, on l'a déjà vu, et bien entendu Israël. Mais la difficulté pour Donald Trump est alors de ne pas être entraîné trop loin, c’est-à-dire à la rupture de l'accord de Vienne : à Washington même, par une classe politique violemment hostile à l'Iran, et qui rêve de sanctions encore plus dures, toujours plus dures, comme le montrent les projets en cours de discussion au Congrès ; et aussi par ses amis au Proche et Moyen-Orient.

Et enfin, Israël

L'album de Donald Trump au Moyen-Orient ne serait pas complet si n'y figurait pas Israël. Après le sommet de Riyad, Trump s'est rendu à Jérusalem, notamment pour y rencontrer le Premier ministre Netanyahu et pour se rendre au Mur des lamentations, ainsi qu'à Bethléem, où il a vu Mahmoud Abbas. Trump et Netanyahu se sont retrouvés sans difficulté pour pointer du doigt l'Iran. Sur le reste, les choses ont été plus floues. Rien n'a été dit sur le transfert de l'ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, promis pendant la campagne, mais dont chacun pressent les crises incontrôlables qu'un tel geste pourrait soulever. Donald Trump s'est flatté de pouvoir donner un nouvel élan au processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, mais s'en est tenu à de vagues formules quant aux détails, demandant par exemple à Netanyahu de "faire preuve de retenue pour un petit moment sur la colonisation" ou disant qu'il envisageait aussi bien une solution à deux États qu'à un État. "J'aime la solution qu'aiment les deux parties. Je suis heureux avec celle qui plaît aux deux parties. Je peux vivre avec l'une et l'autre" a ainsi lâché Donald Trump. L'on comprend que ses auditeurs l'aient quitté plutôt perplexes.

*

Combien de temps le Président américain pourra-t-il ainsi tenir, entre propos à l'emporte-pièce, vagues formules, volte-faces, décisions d'un jour, sauts et culbutes ? Le Moyen-Orient, qui s'est imposé comme un piège et un défi à tous les récents présidents des États-Unis depuis Jimmy Carter, n'est pas en voie de se montrer plus tendre pour Donald Trump. Celui-ci avait cru initialement pouvoir se laver les mains de ce qui s'y passait. C'était l'époque de l'"America first". Le voilà aspiré par le tourbillon des crises qui balaient la région. Pour le moment, le drame majeur, frappant de plein fouet, lui a été épargné. Comment se comporterait-il en de telles circonstances ? Dans quelle direction pourrait-il alors entraîner l'Amérique, ses alliés, ses amis ? Les institutions américaines seraient-elles appelées à jouer les garde-fous ? En auraient-elles le temps ? Telles sont les questions qui inquiètent les observateurs. En tout état de cause, le temps paraît lointain où l'on prédisait qu'avec l'apparition des sources d'énergie non-conventionnelles, notamment des pétroles et des gaz de schiste, et la montée en puissance de l'Asie, le Moyen-Orient ne mériterait plus qu'on y investisse en hommes, en moyens, en diplomatie, et glisserait peu à peu vers l'insignifiance. Il reste, et restera encore longtemps, au centre des préoccupations du monde, et un point de fixation majeur pour l'Amérique…et donc pour Donald Trump.

(publié par la Fondation Jean Jaurès le 25 juin 2017) 





mardi 3 novembre 2015

L’Iran, la Russie et les autres : vers une sortie de crise en Syrie

Sur l’insistance de la Russie, l’Iran a donc été admis à la table des négociations sur la Syrie. Il devenait de plus en plus paradoxal, si l’on voulait vraiment en sortir, de tenir à l’écart cet acteur incommode mais majeur, estimant avoir en cette affaire des intérêts vitaux. Du côté donc de Bachar el Assad, l’Iran et la Russie, et en face tous les autres, demandant le départ du même Bachar. Mais il y a des zones de compromis. Ni l’Iran, ni la Russie, ne se sentent liés à la personne même de Bachar. En revanche, ils ont toujours estimé que des puissances extérieures n’avaient pas à préempter une décision appartenant aux Syriens dans leur ensemble. Et tous deux craignent qu’un effondrement des institutions dans la foulée d’une élimination de Bachar et de son clan n’engendre un chaos où s’engouffreraient des monstres. Après les expériences irakienne et libyenne, c’est un point que les Occidentaux doivent pouvoir comprendre. Et puis, Moscou a entretenu avec Damas des relations étroites depuis des décennies. La Russie compte 20 millions de Musulmans. Et à vol d’oiseau, il y a entre les deux pays la distance Paris-Marseille.

Les cauchemars afghans de l’Iran et de la Russie

Quant à l’Iran, il y a un cauchemar qu’il ne veut pas éprouver. C’est une talibanisation de la Syrie. Il a déjà assez souffert des Talibans en Afghanistan. Il a en horreur l’idée que leurs équivalents puissent s’installer à demeure près de l’Irak et déstabiliser ce pays jusqu’à la frontière iranienne. C’est d’ailleurs le général pasdaran Souleymani, responsable des forces spéciales iraniennes intervenant en Syrie et en Irak, qui a convaincu personnellement Poutine qu’il fallait agir d’urgence s’il ne voulait pas voir l’armée syrienne, à bout de forces, s’effondrer.

Venant toujours d’Afghanistan, un autre cauchemar tourmente aussi les Russes. C’est celui de l’enlisement qu’ils y ont connu dans les années 1980. Déjà, il est visible que l’offensive terrestre des forces loyales à Bachar contre les rebelles qui mettent en péril l’axe vital Damas-Alep, n’a pas emporté les résultats escomptés, malgré l’appui massif de l’aviation russe. L’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie ont veillé, avec l’accord des États-Unis, à relever le niveau des armes fournies à l’opposition, avec en particulier des armes anti-blindés. L’impossibilité de remporter un succès décisif pousse donc tout le monde à la négociation. Poutine a préparé le terrain en convoquant Bachar à Moscou. Il lui a sans doute expliqué que l’aide russe avait un prix, qu’il devrait un jour payer. Du côté occidental, il est accepté qu’un départ de Bachar ne soit plus un préalable à un processus de transition, mais plutôt l’une de ses étapes, voire sa conclusion. Tout s’est donc récemment accéléré pour préparer les esprits à un accord.

D’abord réaffirmer les intégrités territoriales, ensuite chasser Da’esh

Il est au moins une question sur laquelle toutes les parties devraient s’entendre sans difficulté : c’est la protection de l’intégrité du territoire syrien. Ce point n’allait pas de soi, tant a été dénoncé l’artificialité des frontières tracées dans la région à l’issue de la première Guerre mondiale, en évoquant l’émergence inévitable, ici d’un Sunnistan, ailleurs d’un Kurdistan, ou encore d’un « réduit alaouite ». Tant en Syrie qu’en Irak, ce serait en vérité ouvrir une boîte de Pandore. La fixation des frontières de telles entités soulèverait la tentation de toucher à celles des pays voisins : Turquie, Iran. Elle ferait naître des conflits au moins aussi brûlants, et encore plus durables, que les conflits en cours. Ce serait enfin négliger qu'au cours d'histoires  tourmentées, s'est enraciné en Syrie comme en Irak un vrai sentiment national.

Et puis, il faudra bien s’attaquer ensemble à l’éradication de Da’esh, ou « Etat islamique ». Pour le moment, personne ne s’y est vraiment attelé. Certainement pas Bachar, qui trouve avantage à pouvoir dire qu’il existe au monde plus abominable que lui. Les Russes, eux, parant au plus pressé, ont surtout frappé ceux qui menaçaient le plus directement la « Syrie utile ». Ils ne voient aucune urgence à aller chercher Da’esh au cœur des déserts excentrés où il est installé. Quant à la coalition internationale montée et portée à bout de bras par les Américains, elle s’est jusqu’à présent limitée à une sorte de service minimum, sauf dans l’épisode de la défense de Kobané, en raison de sa charge symbolique. En Irak, elle ne cherche encore qu’à contenir Da’esh en attendant que l’armée irakienne et une mobilisation populaire au sein même des Sunnites soient en mesure de le chasser. En Syrie, les Américains ont veillé à ne pas s’attaquer aux oppositions radicales, d’ailleurs soutenues par leurs propres alliés : Arabie saoudite, Qatar, Turquie…, au point de renforcer la main de Bachar, ni en sens inverse de mettre Bachar en difficulté au point de faire miroiter la victoire aux rebelles. Là encore, ce sera à l’armée syrienne recomposée, et relégitimée par le départ de Bachar, de faire l’essentiel du travail. Il faudra, le moment venu, l’y aider, et constater déjà à Vienne que c’est la seule voie réaliste de sortie de crise.

(paru dans le Figaro du 2 novembre 2015)

mardi 8 février 2011

Tout ce que vous vouliez savoir sur l'Afghanistan...

... ou en tous cas sur la crise afghane, enfin compréhensible grâce à une "carte sonore" élaborée sur la base des textes et des enregistrements fournis par mon ami Georges Lefeuvre, et éditée par le journal de Genève le Temps. Elle est consultable en cliquant ici. Allez à la rencontre des groupes et des gens dont vous entendez constamment parler sans savoir exactement qui ils sont, où ils sont, ni ce qu'ils font. Retrouvez aussi le jeu des acteurs que sont les pays voisins, le rappel de ce qu'est la ligne Durand, ou des indications sur les voies de sortie de crise. Vous pourrez même conserver une trace écrite de tout cela en cliquant en bas à droite de la page pour obtenir une version PDF de ce beau travail.

Georges Lefeuvre, pour ceux qui ne le connaissent pas, est anthropologue et politologue, et l'un des plus fins connaisseurs de la région composée de l'Afghanistan et du Pakistan. Auteur de nombreux articles et études, il a en particulier publié dans le Monde diplomatique d'octobre dernier une analyse intitulée La frontière afghano-pakistanaise, source de guerre, clef de la paix, lecture indispensable pour ceux qui s'intéressent à la crise en cours. Il est aussi l'auteur de l'inoubliable article Ici, il n'y a pas la guerre ou Le voyage inutile, paru dans le Monde du 4 octobre 2001, qui racontait un voyage au coeur de l'Afghanistan à la veille du 11 Septembre et des orages de fer et de feu qui allaient bientôt s'y déverser.

Dans l'immédiat, allez vite regarder... et écouter! la carte dont je viens de vous parler.

dimanche 28 novembre 2010

Piètres stratèges

Notre président, pour justifier le dispositif de défense anti-missiles récemment adopté par l’OTAN, évoque le tir d’un missile iranien dont il serait "souhaitable que l’on puisse l’intercepter". Certes! Iranien ou autre, personne n’a envie de recevoir un missile sur la tête. Ce qui paraît moins clair, c’est l’enchaînement de circonstances qui conduirait un pays quelconque à envoyer -un missile- sur l’Europe. De deux choses l’une : ou ce pays hostile possède un arsenal sérieux, c’est-à-dire au moins une centaine de missiles, et l’on ne voit pas pourquoi il n’en tirerait, s’il est fâché, qu’un, ou même cinq ou six, pour subir ensuite de dures représailles. Ou il ne possède que quelques missiles, et là encore, on ne voit pas pourquoi il viderait son stock pour aller marcher sur la queue d’un tigre nucléaire en allant provoquer l’Europe ou l’Amérique.

Curieusement, l’éminent expert en affaires stratégiques, Bruno Tertrais, reprend aussi dans l’édition du Monde du 19 novembre cette hypothèse de tir d’un missile, qui pourrait être "accidentel ou non autorisé". Pour un tir accidentel, l’on sait que tout missile, ne serait-ce que pour la sécurité de ses propriétaires, est doté d’un dispositif de destruction en vol. Quand au tir non autorisé, on peut toujours imaginer qu’une équipe de gens mal intentionnés s’empare d’un missile balistique et le mette à feu. Mais c’est quand même une opération qui demande de prendre le contrôle d’un site de tir, de mettre la main sur les codes adéquats et de disposer de dizaines de personnes bien formées. Cela se voit dans les bandes dessinées, mais reste clairement hors de portée des terroristes du monde réel, d’el Qaeda à l’ETA.

Sur la base d’arguments aussi désinvoltes, la mise en place de ce bouclier anti-missiles va quand même mobiliser des milliards de dollars sur au moins une dizaine d’années. Il faudra ensuite entretenir le système. Et même arrivé à maturité, il ne pourra répondre qu’à un spectre étroit d’hypothèses. Il serait en effet saturé par une frappe massive, telle qu’on l’imagine dans un holocauste nucléaire. Il ne vise en outre que les seuls missiles balistiques, passant donc par l’espace extra-atmosphérique, et sera en particulier impuissant face à des missiles dits de croisière, volant à basse altitude.

Cette menace de frappe d’un nombre limité de missiles balistiques sur les forces ou les territoires de l’Occident mérite-t-elle une telle priorité ? Rappelons que Condoleezza Rice, le jour même du 11 septembre 2001, s’apprêtait à prononcer un discours sur l’importance de la défense anti-missiles pour la protection des États-Unis. Elle a dû le rempocher. Mais elle s’insérait, il est vrai, dans une longue file de défenseurs du concept. Il faut reconnaître à l’Amérique de la suite dans les idées. Cela fait cinquante ans, un président après l’autre, que ses administrations investissent dans la mise au point d’un tel dispositif, insensibles aux nombreux déboires subis dans la mise au point de projets successifs. L’on voit à l’œuvre une machine militaro-industrielle apparemment impossible à arrêter.

Mais le réseau extraordinairement complexe de moyens de commandement, de communication, de détection et d’interception qui va se mettre en place entre l’Europe et l’Amérique, à terre, sur mer et dans les airs, représente en tous cas une magnifique machine à intégrer. C’est ce que l’OTAN était du temps de la Guerre froide, qu’il n’est plus depuis la chute de l’empire soviétique, et qu’il va donc redevenir. La menace toute proche de l’Armée rouge à ses frontières obligeait à disposer d’états-majors, de planifications et de moyens opérationnels à bref délai, donc intégrant à un haut degré les forces armées des pays membres de l’Alliance. Même les forces françaises, en dépit de notre décision politique de retrait, s’étaient à petit bruit insérées dans le dispositif, en assumant le rôle essentiel de réserve générale vouée à monter sur tout point du front risquant de céder.

Tout ceci s’est délité après la chute du Mur, et l’OTAN est devenu une sorte de coordination assez lâche, de réservoir de moyens, cherchant à se rendre utile au gré des circonstances: Bosnie, Kossovo, Irak, Afghanistan. Mais tout change à présent: la nouvelle menace balistique ainsi invoquée appelle des temps de réaction -de l’ordre de la minute- encore plus courts que la vieille menace soviétique, et donc des dispositifs hautement intégrés, dans lesquels un ordinateur tapi quelque part en Amérique sera probablement le vrai décideur. Et l’OTAN accédera enfin au statut d’alliance globale: hyper-intégrée pour la défense de son territoire, mais aussi, très au-delà des termes de l’accord qui l’a fondée, prête à se projeter partout dans le monde au nom de l’idée qu’elle se fait de ses valeurs, de ses intérêts et de sa sécurité.

vendredi 25 juin 2010

Héroïne afghane

Avec un million et demi d’héroïnomanes et une consommation de 70 tonnes par an (20% de la consommation mondiale), provoquant chaque année environ 30.000 morts, la Russie est la première victime au monde de l’héroïne. Le reste de l’Europe en consomme 88 tonnes par an et les Français, en particulier, dix tonnes. Toute cette héroïne vient d’Afghanistan. En 2009, huit ans après l’arrivée des Américains et de leurs alliés de l’OTAN, l’on estime que ce pays a produit près de 7.000 tonnes d’opium, soit 90% de la production mondiale. Ceci après un record absolu de 8.200 tonnes en 2007. Il en produisait 200 tonnes en 1980, juste après l’arrivée des Russes, 1.500 tonnes en 1990, peu après leur retrait, 3.200 tonnes en 2000, un an avant le départ des Taliban, et peut-être pas plus de 500 tonnes en 2001, qui a vu en fin d’année l’intervention américaine.

Viktor Ivanov, chargé en Russie de la lutte contre la drogue, s’est beaucoup plaint auprès de son homologue américain et des responsables de l’OTAN de la faible motivation en la matière des Occidentaux présents en Afghanistan. De fait, ceux-ci, malgré leur présence massive, ne sont parvenus à enrayer ni la croissance de la culture du pavot, ni le trafic correspondant d’opium et d’héroïne. Selon le rapport 2010 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, les saisies d’opium en Afghanistan se sont situées en dessous de 50 tonnes en 2009, soit 0,5 pour mille de la production. Les saisies d’héroïnes se sont élevées, elles, à moins de 3 tonnes en 2008 pour une production supérieure à 500 tonnes. Notons que l’Iran et la Turquie, par lesquels passe l’essentiel du trafic de la « route des Balkans » s’achevant en Europe occidentale, ont respectivement saisi en 2008 23 et 15 tonnes d’héroïne afghane, donc beaucoup plus que les Afghans eux-mêmes.

L’on comprend la frustration des Russes. Viktor Ivanov s’est fait répondre par le porte-parole de l’OTAN : «Nous ne pouvons nous mettre en une situation où nous retirerions leur seule source de revenu à des gens vivant dans le deuxième pays le plus pauvre du monde, sans être capables de leur proposer une alternative.». Mais si l’on hésite à viser les cultivateurs, l’on pourrait s’attaquer aux trafiquants. Leurs réseaux, dans les dernières années, se sont considérablement renforcés. Mais rien ne semble pouvoir les atteindre. Rencontrant en mai dernier son homologue américain, Ivanov lui a remis une liste de neuf grands barons de la drogue, établis en Afghanistan ou en Asie centrale. L’on serait heureux de connaître, même à demi-mot, les suites données à cette information.

Tout ceci est d’autant plus paradoxal que chacun s’accorde à penser que le trafic de drogue est la principale source de financement du terrorisme et des mouvements subversifs hostiles à l’Occident. Or, si l’on a bien compris, c’est pour lutter contre la terreur qui menace nos cités que nos soldats traquent les Taliban, pour l’essentiel des paysans pachtouns, dans les hautes vallées d’Afghanistan.

Pendant ce temps-là, l’argent de la drogue n’a jamais autant coulé à flots, ni corrompu autant d’hommes et d’institutions sur les chemins qu’il emprunte. Toujours selon les Nations Unies, le marché mondial de l’héroïne et de l’opium représente une masse annuelle de 65 milliards de dollars dont 58 générés par la production afghane. Sur cette masse, guère plus de 400 millions reviennent aux cultivateurs afghans, les seuls dignes de compassion en cette affaire.

Au regard de ce chiffre plutôt modeste, notons que la guerre en Afghanistan coûtera au bas mot 73 milliards de dollars aux Américains en 2010, et 330 millions d’euros aux Français. Les Taliban, qui avaient d’abord laissé filer la culture du pavot, étaient parvenus, d’ailleurs sous la pression de la communauté internationale qui leur reprochait de pourrir la terre entière avec l'opium afghan, à réduire très sensiblement la production dans la dernière période de leur domination. Avec tous les moyens dont nous disposons, avec tout l’argent que nous dépensons pour ce pays, pourquoi n’arrivons-nous pas à faire au moins aussi bien qu’eux ?

mardi 10 novembre 2009

La malédiction du Pharaon

Il doit peser une sorte de malédiction du Pharaon sur les relations franco-américaines. La France, qui a fait dans son histoire la guerre à tout le monde, n'a, par un heureux hasard, jamais fait la guerre aux Etats-Unis. Elle a même sérieusement contribué à leur naissance. Et pourtant, Dieu sait si ces relations ont été presque continûment crispées, aigres, traversées de méfiances et de malentendus. L'on se souvient en particulier, tout au long de la Guerre froide, de la façon dont les Français se désolaient des tensions entre Etats-Unis et URSS, formant obstacle au bonheur de l'Europe, mais dénonçaient avec vigueur le condominium des super-puissances dès que les deux Grands parvenaient à s'entendre sur un quelconque sujet. C'est sur ce motif, par exemple, que nous avons refusé pendant un quart de siècle de signer le Traité de non-prolifération nucléaire.

Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?

L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".

Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.

Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.

Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.

dimanche 14 septembre 2008

Un autre regard sur l'Afghanistan

Sarah Chayes est une talentueuse journaliste américaine qui a couvert l'entrée de la Coalition en Afghanistan, en particulier à Kandahar. Elle y est retournée pour y conduire une mission humanitaire et a séjourné pendant quelque deux ans dans cette ville pourtant réputée peu accueillante pour les Occidentaux. Elle en a rapporté un témoignage "La punition de la vertu", qui présente une réalité fort éloignée du discours simplifié sur "notre combat pour les valeurs" et contre "les barbares moyenâgeux et terroristes qui prennent les populations en otage". En voici un extrait éclairant. Je le livre en écho au décapant article publié il y a quelques jours par Christophe Jaffrelot dans "le Monde" sur le sens de notre engagement en Afghanistan.

"L'on m'a souvent demandé si nous avions le droit, nous Occidentaux, "d'imposer la démocratie" à des gens "qui pourraient tout simplement n'en pas vouloir" ou qui pourraient "n'y être pas prêts". Je pense, au moins pour ce qui concerne l'Afghanistan, que l'on a exactement inversé la question. De mes discussions avec des Anciens et avec beaucoup d'autres, j'ai constaté que les Afghans savent précisément ce qu'est la démocratie, même s'ils ne sont pas forcément capables de définir le terme. Et ils la réclament. Ils attendent de leur gouvernement ce que la plupart des Américains et des Européens attendent des leurs : des routes carrossables, des écoles pour leurs enfants, des médecins aux diplômes certifiés pour qu'ils n'empoisonnent pas les gens, un minimum de responsabilité publique des gouvernants, et de la sécurité, de la loi et de l'ordre. Et ils veulent réellement participer d'une certaine façon à forger le destin de leur pays.

Mais les Afghans ont reçu très peu de tout cela, grâce à des seigneurs de la guerre comme Gul Agha Shirzai, que l'Amérique a contribué à maintenir au pouvoir. La politique américaine en Afghanistan n'a pas imposé, elle n'a même pas encouragé la démocratie, comme le proclamait le gouvernement des Etats-Unis. Elle a au contraire barré la route de la démocratie. Elle a institutionnalisé la violence.

L'imprévisibilité déstabilise l'esprit humain. Il était clair, et les habitants de Kandahar le disaient sans ambages, que l'oppression des Taliban avait pesé plus lourdement sur eux que l'oppression qu'ils connaissaient à présent. Et pourtant, du temps des Taliban, il y avait un système : il y avait la loi et l'ordre. Il y avait une certaine version du Droit. L'on connaissait les règles car elles étaient explicites. Et quand on les respectait, si dures et intransigeantes qu'elles fussent, l'on était à peu près tranquille d'avoir la paix.

Maintenant, à les écouter, il n'y avait plus de loi. L'oppression était arbitraire. Elle frappait sans raison, et donc déstabilisait les gens. Peut-être le nombre d'incidents réels à Kandahar n'était-il pas si élevé. Il n'était certainement pas aussi élevé que du temps des Moujaheddin, et les habitants de Kandahar le reconnaissaient. Ils étaient reconnaissants à la présence américaine pour le calme relatif qu'elle avait apporté, assurant que si les soldats américains s'en allaient, le sang coulerait dans les rues comme la rivière Arghandab au moment du dégel. Mais l'imprévisibilité de ces incidents, leur aspect arbitraire, leur donnaient une capacité démesurée à déstabiliser les esprits.

Et les gens commençaient à se souvenir du temps des Taliban. Ils parlaient de la possibilité de circuler en auto dans Herat la nuit, libres de peur. Ils évoquaient ce temps où ils pouvaient laisser une liasse de billets enveloppée dans un châle en pleine rue, pendant qu'ils allaient acheter ailleurs des melons. Ils commençaient à évoquer avec nostalgie la paix des Taliban.

Ainsi, l'image un peu effacée des anciens Taliban commençait à se reconstituer, dans la tête des gens, comme une alternative. Pas attractive, certes, mais comme n'étant pas totalement hostile aux intérêts des gens non plus. Rien d'idéologique n'entrait dans le raisonnement. Leur pensée était pratique, et ils se souvenaient qu'ils avaient tiré des avantages pratiques de la loi des Taliban."

vendredi 20 juin 2008

aide française à l'Afghanistan : du discours à la réalité

L'on se souvient des récents propos du Président de la République, en direction des dirigeants des pays de l'OTAN, en direction aussi des Français, pour expliquer que l'effort militaire de la France en Afghanistan, qui allait s'accroître, devait être vu comme l'un des éléments de l'effort global visant à la reconstruction du pays. C'est ce qui lui permettait de dire le 24 avril dernier à la télévision :"nous sommes aux côtés des Afghans" et à trois reprises "ce n'est pas la guerre".

Quoi que l'on pense du reste, l'on s'était donc réjoui d'entendre notre président annoncer à la dernière réunion des donateurs à Paris, le 12 juin, un doublement de l'aide française. A y regarder de plus près, le geste semble néanmoins plus que modeste. Depuis 2002, l'aide totale française à l'Afghanistan s'élèverait à 113 millions. A la Conférence de Paris, nous venons d'annoncer un engagement de 107 millions d'euros pour la période 2008-2010, soit 36 millions d'euros par an.

C'est quand même très peu : 107 millions sur trois ans, c'est 0,5% de l'aide promise le 12 juin par la communauté internationale sur la période. Si l'on est sceptique sur la réalité de ces promesses, prenons pour exemple le Canada qui a déjà dépensé fin 2007 plus de 600 millions de dollars en Afghanistan, et compte en 2011 avoir doublé ce chiffre. Notre effort est faible aussi à l'égard du coût de notre engagement militaire, que notre ministre de la défense évalue à 139 millions d'euros pour 2008, hors financement des prochains renforts. Ces 36 millions d'euros d'aide que nous serions prêts à dépenser par an sont enfin sans doute bien moins que ce que l'armée américaine dépense en un seul jour pour sa guerre en Afghanistan.

Certes, pourrait-on dire, la France contribue à l'aide de l'Union européenne, qui a déboursé un milliard d'euros sur la période 2002-2006, et qui compte en dépenser 640 de plus entre 2007 et 2010. Or nous finançons environ 17% de ces montants. Mais l'Allemagne, également gros contributeur, à près de 19%, et la Grande-Bretagne dans une moindre mesure, autour de 10%, parviennent à faire un effort d'aide bilatérale beaucoup plus significatif que nous en Afghanistan : l'Allemagne a promis de verser 420 millions d'euros entre 2008 et 2010, soit quatre fois plus que nous, et la Grande-Bretagne 1,2 milliard de dollars sur cinq ans, soit en moyennne annuelle cinq fois plus que nous.

Comment, dans ces conditions, prendre au sérieux le propos de notre Président au Sommet de l'OTAN du 3 avril dernier : "L’enjeu essentiel pour nous, c’est la reconstruction"? L'on a le droit d'être économe. L'on a le droit de penser qu'une part importante de l'aide déversée sur l'Afghanistan n'atteint jamais ses destinataires. Mais qu'on nous épargne alors ces doctes conseils sur les moyens de faire accéder les Afghans, et les Afghanes, aux bienfaits de la civilisation.

vendredi 2 mai 2008

Les mini-jupes de Kaboul

L'Iran au plus fort du régime taliban a accueilli près de deux millions d'Afghans. C'était alors le pays au monde qui avait sur son sol le plus grand nombre de réfugiés étrangers. Avec la chute de ce régime, l'Iran a naturellement poussé les Afghans à rentrer chez eux. Il y a eu de fortes résistances, car beaucoup s'étaient intégrés dans leur pays d'accueil. Les oppositions les plus tenaces sont venues des femmes. Pour elles, l'Iran était un paradis! elles sortaient à peu près à leur guise dans la rue, et se promenaient à visage découvert. Leurs maris avaient appris à les aider à la maison, à faire les courses avec elles, et même à porter les paquets! et leurs filles allaient à l'école... Dans les familles qui sont finalement rentrées, de nombreux drames se sont déclenchés, précisément du côté des femmes qui ne supportaient pas, soit de retrouver leur mode de vie antérieur, soit, pour les plus jeunes, de devoir s'adapter à des contraintes qu'elles n'avaient jamais subies et qui leur paraissaient insupportables.

Cette oppression très réelle des femmes (qui s'étend d'ailleurs en Afghanistan bien au-delà de la seule zone contrôlée par les Talibans) justifie-t-elle, comme ont tenté de nous en convaincre récemment notre Président et notre Premier Ministre, l'intervention en cours? "Femmes martyrisées" a dit le Président à Bucarest. "En 1996, une femme afghane est condamnée à avoir le pouce tranché pour avoir porté du vernis" a rappelé le Premier Ministre à l'Assemblée nationale. Régime "moyen-âgeux" auquel nous n'avons rien à dire, a souligné le Président à la télévision. Nous nous battons pour des valeurs, a bien insisté le Premier Ministre, pas pour du pétrole. C'était déjà à peu près les arguments de Georges Marchais lorsqu'il justifiait l'intervention soviétique en Afghanistan par le "droit de cuissage" encore pratiqué par un "régime féodal".

En somme, et tout ce que nous avons récemment entendu y converge, nous ne sommes pas engagés dans une guerre, -c'est bien ce qu'a dit le Président de la République à la télévision- mais dans un combat civilisateur. Hélas, le discours répandu, jusque dans ses accents les plus martiaux -"est-ce qu'on se couche?"- se situe par un malheureux hasard dans le droit fil du discours colonialiste le plus éculé. Déjà la conquête de l'Algérie était une "pacification", "un combat pour la civilisation". Déjà la guerre d'Algérie, la deuxième, celle du XXème siècle, n'avait pas le droit d'être appelée une guerre. L'on combattait une poignée de rebelles tenant une population en otage. C'est exactement ce que Nicolas Sarkozy a expliqué à Hamid Karzai lorsqu'ils se sont retrouvés au sommet de l'OTAN : "nous faisons la guerre à une bande de terroristes qui qui ont pris le contrôle de votre pays, nous ne faisons pas la guerre aux Afghans."

Mais alors il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Mission civilisatrice? chiche, mais on ne "civilise" pas une population en quatre ou cinq ans. Du temps d'avant les Talibans, rappelait je ne sais qui avec une certaine nostalgie, l'on pouvait voir des mini-jupes à Kaboul. Si c'est l'accès à ce type de droit que nous visons, et pour toutes les femmes afghanes, il n'est plus possible de dire, comme le Président : "nous devons mettre le paquet, et ensuite rentrer chez nous". Organisons-nous pour rester là au moins une génération, et si possible deux ou trois. Mettons le paquet, pour parler comme notre Président, pour une colonisation, une vraie colonisation, comme au bon vieux temps.

jeudi 27 mars 2008

Réponse à "Nicolas, le Terrible et le Parti socialiste"

Je crois intéressant de diffuser la réponse à mon dernier papier que je viens de recevoir de mon ami Georges Le Guelte, fin connaisseur des affaires nucléaires et de prolifération.

"D'accord avec ton message sur le discours de Sarkozy à Cherbourg, bien que je sois moins indulgent que toi à son égard. La seule mesure nouvelle qu'il ait annoncée est en effet la réduction du nombre d'avions et de têtes. Pour le reste, il s'est contenté de gommer quelques-unes des élucubrations les plus ridicules du discours de Chirac le 19 janvier 2006, telles que l'idée d'inclure l'approvisionnement en hydrocarbures parmi les intérêts relevant de la dissuasion nucléaire.

En particulier pour ce qui concerne le désarmement, il se borne à reprendre le discours le plus traditionnel : nous avons donné l'exemple, et maintenant nous ne bougerons plus avant que les autres aient fait les mêmes gestes que nous. Comme position de négociation, c'est de bonne guerre, et il serait peu avisé, me semble-t-il, de faire du désarmement unilatéral sans rien demander aux autres. Mais comme tu le soulignes, j'aurais aimé qu'il réponde à Gordon Brown et le soutienne. Je crains qu'il ne le fasse pas plus lors de sa visite à la reine.

Cela dit, je regrette aussi qu'il redonne un intérêt au TICE (traité d'interdiction complète des essais) et à la convention d'interdiction de la production de matières fissiles militaires, deux traités qui n'ont aucun intérêt pour personne. Exiger qu'ils soient ratifiés par les autres pays avant d'accepter de nouvelles mesures de désarmement revient à dire que l'on refuse toute nouvelle négociation, puisqu'on sait très bien que le Sénat américain ne les ratifiera pas.

En revanche, mille fois d'accord avec toi sur le silence du PS, mais on pourrait en dire autant s'agissant de l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Que vont-elles y faire? Combattre le terrorisme-international-équipé-d'armes-de- destruction-massive-et-de-missiles-balistiques? Ou essayer de reconstituer une société? Et dans ce cas, les militaires ne devraient-ils pas être accompagnés de spécialistes civils de toutes sortes, y compris des ingénieurs pour construire des infrastructures collectives, etc...

Dans ma naïveté, je pensais que la décision d'envoyer de nouvelles troupes nous donnait un moyen de négocier sur les objectifs et le calendrier de l'OTAN en Afghanistan. Espère-t-on autre chose qu'une nouvelle invitation à déjeûner avec Bush? Sur ce sujet aussi, le PS aurait pu dire des choses, d'autant qu'à ma connaissance, il n'y a pas eu le moindre débat au Parlement sur le sujet. Si le PS n'est pas capable de dire quoi que ce soit sur la présence de troupes françaises en Afghanistan, du moins aurait-il pu exposer sa conception de la démocratie."

vendredi 16 novembre 2007

carnets de voyage : la France à Kaboul

Pour ceux que cela pourrait intéresser, voici le compte-rendu, pour les membres de Français du Monde-ADFE, de mon voyage à Kaboul dans le cadre de la campagne pour des élections partielles à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de New Delhi.

Grâce à l'obstination de nos amis d'Islamabad - merci à Valérie et à Faqir Khan! -, nous arrivons avec Paul Graf à embarquer mardi sur le vol humanitaire des Nations Unies, petit avion à hélices de 20 places. En une heure de vol paisible, nous voici à Kaboul, aussitôt pris en charge par l'Ambassade de France.

Arrêt au cimetière des Européens, où nous nous recueillons sur les très modestes tombes des Français et de bien d'autres qui, du XIXème siècle à ces derniers mois, ont donné leur vie à ce pays. En traversant la ville poussiéreuse, encore stigmatisée par plus de vingt années de guerre, nous passons par le quartier des nouveaux puissants du jour, barons de la politique et de la drogue, où se pressent des dizaines de villas toutes neuves, plus kitsch les unes que les autres, au murs couleurs pastel, avec colonnades, frontons et escaliers extérieurs massifs, marbres et stucs ostentatoires.

L'ambassade se trouve au coeur du quartier diplomatique et gouvernemental, lourdement protégé par barbelés, sacs de sable et chicanes. Datant des années 1960, elle a, elle aussi, souffert de temps difficiles. C'est néanmoins, avec ses massifs de roses et sa grande pelouse arborée, un vrai havre de paix. Une dizaine de policiers français, visiblement aguerris, assurent sa sécurité et veillent, avec trois voitures blindées, à la protection des déplacements sensibles.

Mais ce qui frappe en parlant aux uns et aux autres, c'est la faiblesse des moyens humains. Quelques agents à peine pour couvrir non seulement l'évolution de la situation intérieure, mais aussi l'international, l'économique, le consulaire, la coopération. La petite équipe a un moral d'acier, indispensable pour ne pas sombrer dans un environnement extraordinairement difficile.

Tous sont profondément motivés et de la plus haute qualité. Il le faut pour maintenir à flot notre image, alors que des pays aux intérêts proches des nôtres, Grande-Bretagne, Allemagne ou Canada, sans parler des Américains, ont su adapter leurs effectifs aux enjeux, et disposent de moyens sans comparaison avec les nôtres. Ici, comme en d'autres endroits difficiles, Paris demande de faire plus avec moins, et se montre faiblement réactif. Dans des circonstances de ce type, pourquoi ne parvient-on pas à réorienter, au moins pour un temps, quelques agents de postes paisibles et bien pourvus afin de renforcer nos équipes?

Il y a évidemment nos cinq coopérants, conduits par notre ami Michel Ouliac, auprès des deux lycées de tradition française, Malalai pour les filles, Esteqlal pour les garçons : 7.000 élèves au total, avec l'ambition pour notre part d'enseigner à terme en français à partir de la classe de seconde au moins les matières scientifiques, et de diriger les meilleurs éléments vers notre enseignement supérieur. Deux beaux établissements, construits en leur temps par la France. Ils ont eux aussi souffert de l'intervention soviétique et de la guerre, non seulement dans leurs murs, mais encore bien plus par la dispersion du corps enseignant francophone, qu'il faut patiemment reconstituer et motiver. Ils ont néanmoins, avec notre soutien, déjà restauré leur image et leur force d'attraction.

Il y a aussi notre centre culturel, animé avec une foi vibrante par Gabriel Buti. C'est une très belle structure : grand hall polygonal pour les expositions, salle de spectacle de 450 places, bien équipée, médiathèque à la chaleureuse ambiance. Avec de très modestes moyens de fonctionnement, heureusement démultipliés par beaucoup d'imagination, notre centre occupe une place hautement visible, unique en son genre, dans une ville à peu près privée de toute offre culturelle.

Et grâce à l'hospitalité de Michel et Roseline Ouliac, nous avons passé notre unique soirée avec une trentaine de Français (dont une bonne moitié de Françaises!) travaillant ici, soit pour des ONG, soit pour des institutions humanitaires de la famille des Nations Unies. Tous gens de qualité, clairement compétents dans leurs domaines respectifs, parlant avec ferveur de leurs projets, qu'il s'agisse de santé publique, de médecine d'urgence ou réparatrice, d'agriculture et de micro-développement, de lutte contre la drogue, d'adduction d'eau ou tout simplement de logistique associée.

Mais tous aussi se montrent inquiets quant à la pérennité de leurs programmes, alors que l'Afghanistan cède la place dans les médias internationaux à d'autres urgences humanitaires, telles que le Darfour, et que commence à apparaître la fatigue des donateurs. Là comme ailleurs, le secret du succès réside pourtant dans la capacité à maintenir notre aide sur longue durée, en la protégeant des fluctuations des modes, des aléas politiques et stratégiques.

Nous repartons par le même avion des Nations Unies en fin de matinée du mercredi, pour refaire un dernier point avec nos amis d'Islamabad, avant de prendre en début de soirée un bus sur Lahore, où nous arrivons à une heure avancée de la nuit. Quelques heures de sommeil, et départ le lendemain matin, Paul sur Téhéran, moi sur Paris. Mardi prochain, nous nous retrouvons en Iran pour poursuivre la campagne.

jeudi 15 novembre 2007

carnets de voyage : le Pakistan dans la tourmente

Une semaine de séjour, de longues conversations avec de fins connaisseurs de la région (notamment notre ami Georges Lefeuvre) et la lecture d'une presse écrite abondante, de haute qualité et étonnamment libre, conduisent à la conviction que ce pays de 170 millions d'habitants aborde une tourmente qui pourrait être l'une des pires de son histoire.

Le général-président Musharraf a récemment dissous la Cour suprême qui menaçait de le priver de son poste, et proclamé l'état d'urgence au nom de la lutte contre le terrorisme. La société civile a mal réagi à ce qu'elle considère comme l'instauration de la loi martiale, et Benazir Bhutto a pris la tête des protestations contre cette décision, en réclamant la tenue des élections législatives prévues pour le début de l'année prochaine. Les Etats-Unis, l'Europe, le Commonwealth font pression dans le même sens au nom de la défense des droits de l'Homme et de la démocratie.

Mais le retour à l'ordre et au calendrier constitutionnels n'a rien en soi de rassurant. Il rendrait en effet probable le retour de Benazir, icône en Occident, mais lourdement discréditée dans son pays par sa pratique clanique et corruptrice du pouvoir. Il paraît surtout douteux qu'elle puisse avec son parti, ou même en coalition avec d'autres qui ont, comme le sien, si souvent cédé aux Islamistes, faire face à la montée de l'insurrection talibane qui menace l'Etat pakistanais dans son existence même.

Car le Pakistan, en un effet de dominos, se trouve aujourd'hui déstabilisé par la persistance de la crise afghane. L'intervention américaine a en effet redonné à Ben Laden et à ses "Arabes", éléments importés dont la greffe n'avait pas vraiment pris du temps de la lutte nationale contre les Soviétiques, une nouvelle chance de créer le lien entre un jihad local, résistance séculaire des populations pachtounes contre tout envahisseur, et un jihad global. Ce jihad global qui cherche toutes les occasions, de la Tchétchénie à l'Irak, pour recréer, en opposition à la mondialisation déstructurante conduite par l'Occident, le Califat des origines, la grande communauté des Croyants.

Les Pachtounes, rappelons-le, forment à peu près la moitié de la population de l'Afghanistan, mais sont au moins deux fois plus nombreux dans la zone Nord-Ouest du Pakistan. Pour eux, la frontière qui les sépare n'a aucun sens, elle ne devrait donc pas exister. Et les Islamistes réfugiés dans ce sanctuaire de montagnes s'associent désormais à cette aspiration pour détruire le Pakistan en tant qu'Etat. La proie est autrement plus appétissante que le maigre Afghanistan. C'est certainement pour eux un but en soi, désormais prioritaire. Et ce serait d'ailleurs le meilleur biais pour déloger les Occidentaux de Kaboul et faire tomber le régime qu'ils soutiennent.

Les militants pachtounes, ou Talibans, mènent en ce moment l'offensive pour étendre leur contrôle à toute la zone du Pakistan où leur communauté est majoritaire. Les derniers combats, où ils affrontaient des supplétifs pachtounes comme eux, donc faiblement motivés, leur ont laissé l'avantage du terrain. L'armée régulière se voit obligée de monter au front. Elle est composée majoritairement de Penjabis, ce qui risque d'exacerber les tensions inter-communautaires. Elle n'est pas formée à la contre-guerilla. Il n'est donc pas certain qu'elle fasse beaucoup mieux que toutes les armées du monde qui ont eu à affronter les Pachtounes sur leur territoire.

La mouvance islamiste où se rejoignent un solide fond pakistanais, mais aussi des Tchétchènes, des Ouzbeks et, bien sûr, les Arabes de Ben Laden, soutient cette offensive en portant le fer bien au-delà de la région pachtoune, dans l'ensemble du pays. Ce sont les attentats suicides comme celui de Karachi (140 morts) qui a marqué le retour d'exil de Benazir. C'est aussi la transformation spectaculaire de la Mosquée rouge d'Islamabad en fort retranché, qu'il a fallu réduire par de sanglants combats.

L'on discerne ici la stratégie bien connue qui vise à ajouter au combat frontal la démoralisation de l'arrière : meilleure façon de faire perdre à leur tour le moral aux troupes de première ligne. Or les Américains, dont les trois quarts de l'approvisionnement destiné à leurs troupes en Afghanistan passent par le Pakistan, ne peuvent tolérer l'effondrement de cet Etat. Et ils ne peuvent tolérer qu'un pays doté de l'arme nucléaire tombe entre les mains de fondamentalistes musulmans.

La scène est donc dressée pour une pénétration de l'armée américaine au Pakistan, en appui à l'armée nationale. Bush peut y voir l'occasion de jouer son va-tout avant de quitter la Maison blanche. Avec un peu de chance, il pourrait en effet remporter des succès au moins provisoires et qui sait, mort ou vif, capturer Ben Laden. L'armée pakistanaise, inquiète du défi des Talibans, fait de son côté passer le message qu'elle pourrait enfin accepter la coopération opérationnelle de l'armée américaine.

Mais il y a dans tout cela une part de fuite en avant. Comment l'opinion pakistanaise prendra-t-elle la présence américaine sur son sol? Talibans et Islamistes s'en trouveront-ils légitimés dans leur combat, verront-ils affluer de nouveaux adeptes? Comment par ailleurs combiner les impératifs de la lutte contre le terrorisme et la consolidation de la démocratie? et si l'Amérique en profitait pour à peu près au même moment frapper l'Iran? Alors de l'Euphrate à l'Indus, là où s'était joué le "grand jeu" d'Alexandre, l'on pourrait en 2008 voir monter les flammes d'une large zone de crise.

jeudi 8 novembre 2007

Afghanistan : la grande godille

Tout ceci aura été mis en valeur par les éditorialistes lorsque vous lirez ces lignes, mais je ne résiste pas à l’envie de mettre personnellement en parallèle quatre propos de Nicolas Sarkozy, émis en un délai de six mois.

6 mai 2007, " A vous de juger ", France 2

"Il était certainement utile qu'on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme, mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive… Il y a eu un moment donné pour aider le gouvernement de M. Karzaï, où il fallait faire un certain nombre de choix, et d'ailleurs le président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d'éléments. C'est une politique que je poursuivrai."

5 juin 2007, interview au New York Times

"Nous d’avons pas mission de rester la-bas indéfiniment, mais partir maintenant montrerait un manque d’unité avec nos alliés."

27 août 2007, discours aux Ambassadeurs

" Face à des crises internationales telles que celle de l'Irak, il est aujourd'hui établi que le recours unilatéral à la force conduit à l'échec ; mais les institutions multilatérales, qu'elles soient universelles, comme l'ONU, ou régionales, comme l'OTAN, peinent à convaincre de leur efficacité, du Darfour à l'Afghanistan. "

et curieusement, dans le même discours :

" Notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan... Mais nos actions en Afghanistan seraient vaines si, de l'autre côté de la frontière, le Pakistan demeurait le refuge des Talibans et d'Al Qaeda, avant d'en devenir, peut-être, la victime. Je suis convaincu qu'une politique plus déterminée de la part de toutes les autorités pakistanaises est possible et qu'elle est dans leur intérêt à long terme. Nous sommes naturellement prêts à les y aider. "

…Ce qui semble laisser entendre que l’on pourrait intervenir, non seulement en Afghanistan, mais aussi au Pakistan.

Enfin, le 7 novembre, devant le Congrès américain :

"Je vous le dis solennellement aujourd'hui : la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu'il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c'est l'avenir de nos valeurs et celui de l'Alliance atlantique."

Notons bien désormais que l’avenir de l’OTAN se joue entre Hérat, Kandahar et Kaboul…

Comprendra qui pourra. Ou faut-il comprendre que Nicolas Sarkozy tient à chacun, de l’électeur français au Congressman américain, le discours que celui-ci veut entendre ?