mercredi 31 octobre 2012
Iran nucléaire : le temps d'en sortir?
mercredi 26 septembre 2012
Syrie, au milieu du gué
mardi 12 juin 2012
Un conseil de classe à Mayotte
dimanche 27 mai 2012
Une bonne soirée
Heureusement, le ton s'est recueilli lorsque l'on est arrivé à la concurrente française. Là, plus question de rigoler. Pas question de prévenir qu'on allait voir sa petite culotte. Non, l'on nous a expliqué que sa robe avait été spécialement dessinée par le grand Jean-Paul Gaultier, que toute l'équipe avait énormément travaillé (plus que les autres?), qu'elle avait de bonnes chances de gagner si les dés n'étaient pas pipés. Personnellement, j'ai trouvé son numéro pas mal, sauf qu'il ressemblait plutôt à un clip de vente de parfum, où l'on voit une créature de rêve passer d'un salon à l'autre avec de temps en temps un coup de ventilateur dans les voiles, pour symboliser la montée du désir. Finalement, elle a terminé 22ème sur 26, ce qui est plutôt humiliant pour un grand pays de culture comme le nôtre. Peut-être pour la punir de chanter en français? A vrai dire, je n'ai pas vraiment saisi dans quelle langue elle s'exprimait.
Ce qui était très bien aussi, c'étaient les images de l'Azerbaïdjan que l'on pouvait admirer dans les intervalles d'un numéro à l'autre. Les paysages de montagne sont sublimes, Bakou transformée par Bouygues est apparue comme une grande métropole moderne, tous les Azerbaïdjanais pètent de santé.
Et tous ceux qu'on a vus pendant le spectacle parlaient très bien l'anglais, ou plutôt l'américain avec un accent nasillard à souhait. Je dis moi aussi "américain" comme dans les polars où l'on voit maintenant écrit "traduit de l'américain". Quand j'était petit, on écrivait encore "traduit de l'anglais". Puis, il y a eu "traduit de l'anglais (américain)". Demain, pour un polar britannique, l'on lira peut-être "traduit de l'américain (anglais)". Enfin, espérons que pour un auteur canadien français, l'on n'osera jamais mettre "traduit du québécois". Sinon, gare à la levée de boucliers!
Les Azebaïdjanais sont donc mûrs pour entrer dans l'Union européenne. On pourrait même les installer à la place des Grecs, on aura enfin du caviar et du pétrole. Que demander de plus?
En somme, ma femme et moi n'avons rien regretté, c'était une très bonne soirée.
dimanche 15 avril 2012
"Neuf valises"
Il est difficile de trouver un nom à l'innommable. "Holocauste" se réfère à un rite expiatoire, "Shoah", en se répandant, a été partiellement instrumentalisé. L'on serait tenté de voler leur langage aux Nazis en écrivant "la Solution finale", de la même façon que l'on dit "la Nuit de Cristal" ou "la Nuit des longs couteaux". Mais la formule porte en soi trop de douleur et de scandale pour être utilisée autrement qu'entre guillemets. Parlons donc, factuellement, de l'extermination des Juifs d'Europe pendant la Deuxième guerre mondiale.
Grâce à mon ami René Roudaut, ancien ambassadeur de France à Budapest, je viens de découvrir un livre qui couronne à mes yeux les témoignages qui m'ont le plus marqué sur cette histoire et sur l'univers concentrationnaire. Il y a parmi eux le livre éponyme de David Rousset, paru en 1946, mais qui décrit pour l'essentiel ce qu'il a connu, à savoir Buchenwald, camp de travail forcé, entraînant souvent la mort, mais non camp voué aussi à l'extermination massive et systématique par les gaz. Il y a les mémoires de Rudolf Hoess, responsable de bloc à Dachau, puis adjoint au chef du camp de Sachsenhausen, enfin chef du camp d'Auschwitz-Birkenau, mémoires écrites au cours de sa détention avant sa condamnation à la pendaison par un tribunal polonais. Plongée dans le mystère du Mal : Hoess était destiné par ses parents à la prêtrise, son expérience de la Première guerre mondiale l'a conduit sur de tout autres chemins. Il y a, bien entendu, "Si c'est un homme" de Primo Levi. Il y a aussi les récits que j'ai entendus du Général Bertrand d'Astorg, mon ancien patron à Berlin, interné avec son père à Buchenwald, puis dans l'usine satellite souterraine de Dora, où se montaient les V2. D'Astorg a vu son père mourir dans ses bras. Il a vu aussi Wernher von Braun dans les couloirs de Dora, au milieu de la main-d'œuvre esclave. C'est pourquoi il a, bien plus tard, empêché que son nom soit donné à un aéroport de Berlin.
Il y a maintenant pour moi les "Neuf valises" de Béla Zsolt, intellectuel hongrois, journaliste, écrivain, militant politique progressiste, juif bien entendu. Il n'y parle pas de camps, sauf, brièvement, de Bergen-Belsen, à la fin de son récit interrompu par la maladie et son décès en 1949 à Budapest. Mais il a connu les antichambres de la mort : les bataillons de travail juifs envoyés sur le front de l'est, la prison politique à Budapest, le ghetto de Nagyvárad, aujourd'hui Oradea en Roumanie. Lui et sa femme en seront extraits in extremis grâce au groupe de Rezső Kasztner, entré en négociations avec les Nazis pour sauver la vie d'un maximum de Juifs. Kasztner sera assassiné plus tard en Israël par un extrémiste.
"Neuf Valises" est paru en feuilleton, entre 1946 et 1947, dans l'hebdomadaire politique fondé et dirigé par Zsolt. On ose à peine dire que ce livre est d'abord unique et fascinant par son humour. Par l'humour de Zsolt sur lui-même, car il ne s'épargne aucune introspection sur "la mollesse, l'indécision, la faiblesse patente, la générosité de façade" qui l'ont conduit là où il est. Il revient souvent sur les neuf valises bourrées par sa femme de vêtements et de colifichets dont celle-ci refuse absolument de se séparer lorsqu'ils se trouvent à Paris en 1939, ce qui les empêche de partir vers la Côte d'Azur ou vers l'Espagne, et les pousse à revenir à Budapest, seule destination acceptant les bagages accompagnés. C'était évidemment retourner dans la gueule du loup. Humour émanant de l'analyse acérée, combinant dérision et tendresse, de toute la gamme des comportements des victimes qui l'entourent. Humour enfin à l'égard de leurs bourreaux, où l'horreur se mêle au ridicule, sans oublier de signaler les éclairs d'entraide ou de compassion surgissant parfois au milieu cet enfer.
Deux grands récits s'entremêlent dans le livre. Celui-ci commence à l'été 1944 dans le ghetto de Nagyvárad, où se préparent les premiers convois vers Auschwitz, mais où s'entendent aussi les bombardements alliés et les nouvelles confuses de l'approche de l'Armée rouge. Puis vient, sous forme d'un long monologue du narrateur pendant une nuit sans sommeil, le retour sur sa vie dans les bataillons de travail juifs formés par le régime Horthy. Ceux-ci, affectés aux tâches les plus meurtrières, comme le déminage, finissent emportés par la déroute de l'armée hongroise à Voronej, au cœur de l'hiver 1942-1943. Zsolt, alors frappé de typhus, parvient à s'en sortir, notamment grâce aux secours spontanés des paysans ukrainiens qu'il croise sur sa route. Puis le récit rejoint le ghetto de Nagyvárad, d'où le narrateur et sa femme sont extraits juste avant leur départ vers Auschwitz grâce à de faux papiers fournis par des amis du réseau Kasztner. Vient enfin la comique épopée du voyage en train vers Budapest, dans le désordre causé par les bombardements alliés, en compagnie d'un groupe hétéroclite de voyageurs. Après quelques pages sur le camp de Bergen-Belsen, où le couple se retrouve dans le cadre d'une opération d'évacuation vers la Suisse conduite par le même réseau Kasztner, le livre, à notre grand regret, s'achève.
Voilà, la traduction française des "Neuf valises" est parue au Seuil en 2010. lisez ce livre, vous y croiserez des hommes (et des femmes, bien sûr), rien que des hommes, des hommes qui restent toujours des hommes, victimes comme bourreaux. Car les bourreaux ne sont pas des monstres, ce qui serait trop facile, et comme une invite à les exonérer de leurs crimes. Et les victimes ne sont pas parfaites non plus, ce qui les rend encore plus proches de nous. Nous sommes vraiment au cœur de la lutte entre mal et bien en un moment où le mal triomphe. Heureusement, malgré toute sa puissance, pas de façon définitive.
mardi 14 février 2012
Frappes israéliennes sur l'Iran : et après?
L'on parierait volontiers sur le fait qu'Israël ne bombardera pas l'Iran. Mais les scénarios échappant à tout contrôle sont souvent ceux que leurs auteurs se flattaient au départ de contrôler. Plaçons-nous donc dans l'hypothèse d'un bombardement.
Il nous est expliqué qu'il devrait avoir lieu sans plus tarder, car l'usine d'enrichissement de Fordo, profondément enterrée, est désormais opérationnelle. Les inspecteurs de l'AIEA l'ont d'ailleurs confirmé. Elle peut donc produire assez d'uranium hautement enrichi pour une ou deux bombes par an. Mais à moins de disposer d'armes capables de percer 90 mètres de terre et de béton, ou encore d'utiliser des armes nucléaires tactiques, il semble déjà trop tard pour détruire le cœur du site. L'on touchera les accès, qui devront être dégagés. Quant aux centrifugeuses, engins fragiles, elles subiront des dommages sérieux, ne serait-ce que sous le souffle et autres effets secondaires des explosions. Il faudra au moins plusieurs mois pour relancer l'usine. Délai significatif, mais non déterminant.
les installations de Natanz et d'Ispahan, situées pour l'essentiel en surface, subiront, elles, des dommages beaucoup plus radicaux. Les Iraniens seront alors plutôt confortés dans leur choix d'avoir enfoui sous terre au moins l'une de leur installations. Rappelons qu'on les menace depuis des années de frappes sur tous leurs sites nucléaires, tout en leur demandant de les garder à ciel ouvert, comme autant de chèvres au piquet.
Enfin, il faut espérer que le réacteur de Bouchehr sera épargné. Il est en effet déjà actif, et ne pose pas de problème de prolifération particulier. Une frappe risquerait de générer, certes à une échelle plus réduite, des conséquences du type Fukushima au bord de la mer fermée et dotée de nombreux riverains qu'est le Golfe persique.
Quant à la riposte de l'Iran, que peut-on imaginer? On le voit mal conduire des opérations de guerre classique, ou même la fermeture durable du détroit d'Ormouz, avec la faible armée dont il dispose sur terre, sur mer et dans les airs. Il peut lancer de son sol quelques dizaines de missiles, équipés de têtes non nucléaires, sur Israël. Ce sera un acte douloureux de vengeance, mais sans conséquences stratégiques. Il peut demander au Hezbollah de tirer les centaines, voire les milliers de missiles à courte à moyenne portée dont il l'a équipé depuis de la fin de la dernière guerre du Liban. Mais de la guerre qui s'ouvrirait, le Hezbollah pourrait bien sortir écrasé.
Restent les opérations de terreur sur les théâtres extérieurs, Europe, Amériques, conduites soit par l'Iran lui-même, soit par ses amis. Notons qu'il n'y a plus eu d'actions de ce genre depuis une quinzaine d'années. A l'exception, certes, de la récente tentative d'assassinat de l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Washington. Mais l'instruction de cette affaire rocambolesque ne semble guère progresser. Le principal accusé a finalement refusé de plaider coupable. Le sujet intéresse moins à niveau politique, maintenant que les premières déclarations ont produit leur effet, avec notamment le vote d'une résolution condamnant sans attendre l'Iran à l'Assemblée générale des Nations Unies.
Il est enfin une sorte de vengeance possible de l'Iran dont on a peu parlé. Ce serait la décision de sortir du Traité de non-prolifération (TNP). Après tout, l'on aurait assisté au bombardement d'installations nucléaires toutes placées sous contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et dans lesquelles aucun détournement de matière fissile n'a été constaté. Et ceci par un pays non membre du TNP et non contrôlé par l'AIEA, si la frappe venait d'Israël, ou encore par un pays membre du TNP, mais autorisé, lui, à conserver à un arsenal nucléaire échappant à tout contrôle, si les États-Unis étaient impliqués. L'Iran pourrait alors à bon droit faire valoir l'article 10 du TNP autorisant un État-membre à s'en retirer si "des événements extraordinaires, en rapport avec l'objet du traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays."
Quelles seraient les conséquences juridiques d'un tel retrait? L'Iran ne serait pas délié de son devoir d'accueillir les inspections de l'AIEA sur ses installations nucléaires existantes, même détruites, car ses accords de garanties signés avec l'Agence sont indépendants de son appartenance, ou non, au TNP. Tout l'uranium traité dans ces installations, et dont l'AIEA tient une minutieuse comptabilité, resterait aussi indéfiniment sous contrôle de l'Agence, où qu'il se trouve sur le territoire iranien. En revanche, les installations que l'Iran déciderait de créer, et les matières fissiles nouvelles qu'il y introduirait, échapperaient, elles, à toute obligation de contrôle. Ces sites pourraient être enterrés, dispersés, ou encore aisément noyés dans le tissu urbain des villes. En l'absence d'inspections sur ces installations nouvelles, l'on perdrait une source précieuse d'information sur les activités nucléaires de l'Iran. Enfin, ce pays retrouverait juridiquement la liberté de fabriquer la bombe, comme le Pakistan, l'Inde, ou Israël.
Sur le plan politique, pourrait-on alors assister à une vague de retraits du TNP de la part de pays désireux de ne pas se retrouver impuissants face la menace iranienne, tels que l'Égypte, la Turquie, l'Arabie saoudite? C'est possible, sans être certain, car les États-Unis déploieraient tous leurs moyens pour convaincre ces pays de ne pas emprunter un tel chemin.
Poursuivons dans l'hypothèse d'un Iran sortant du TNP. Sauf à être définitivement écrasé ou à changer de régime, l'Iran, une fois débarrassé des contraintes du Traité, pourrait, après avoir pansé ses plaies, se doter d'une première bombe en deux ou trois années. Après l'avoir testée, il devrait ensuite travailler à la miniaturiser et la durcir pour pouvoir en doter ses missiles et donc disposer d'un arsenal crédible : encore au moins cinq à dix ans. Arriverait alors la grande question. L'Iran serait-il tenté de détruire Israël?
Comme le rappelait récemment dans "le Monde" Hossein Mousavian, diplomate iranien longtemps mêlé au dossier nucléaire, des frappes nucléaires sur Israël pourraient tuer autant de Palestiniens que de Juifs. Surtout si les missiles iraniens n'ont pas d'ici là nettement gagné en précision. Une terre que la République islamique considère comme sacrée se trouverait pour des siècles gravement polluée. Et bien entendu, la riposte inévitable d'Israël ou des États-Unis aurait des conséquences encore plus dramatiques sur l'Iran.
L'autre hypothèse plus vraisemblable est que, sous le parapluie nucléaire iranien, les ennemis d'Israël s'enhardissent, n'hésitent plus à le mettre en sérieuse difficulté. Mais l'Iran se trouverait alors l'otage de ses propres amis, qui pourraient, en multipliant les provocations contre l'État hébreu, l'entraîner dans une escalade nucléaire. Il n'est pas certain qu'il ait vraiment envie de s'engager sur cette pente, sachant fort bien, là encore, que pour au moins des décennies, les frappes qu'il pourrait subir seraient incomparablement plus meurtrières que celles qu'il pourrait infliger.
Restent les propos ignobles, et les menaces inacceptables des dirigeants iraniens à l'égard d'Israël. Tant que ceci persistera, Israël est en droit de s'inquiéter, et la communauté internationale de s'émouvoir. L'Iran ne peut se plaindre de récolter la tempête des vents qu'il continue de semer. Mais pour notre part, méfions-nous aussi des anachronismes. Le régime islamique iranien ne s'est jamais posé en porteur d'une civilisation supérieure, qui serait en droit d'asservir ou d'anéantir les peuples qui l'entourent. Il veut la disparition de l'entité politique qu'est l'État juif d'Israël, ce qui doit être condamné, au simple regard de la Charte des Nations Unies. Mais il n'appelle pas à la création de nouveaux Auschwitz. Les dirigeants iraniens ne sont ni Hitler, ni Goebbels. Ils sont Khamenei et Ahmadinejad, et c'est déjà bien assez.