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jeudi 10 décembre 2020

Fakhrizadeh : les dessous et les effets d'un assassinat

 En avril 2018, Benyamin Netanyahou dévoile en une conférence de presse les détails du programme nucléaire clandestin de l’Iran obtenus à la suite d’un raid du Mossad dans un entrepôt du sud de Téhéran. Il demande alors à ses auditeurs de retenir le nom de Mohsen Fakhrizadeh, présenté comme le cerveau de ce programme. C’était le baiser de la mort. De fait, deux ans et demi plus tard, Fakhrizadeh est abattu sur une route à l’est de la capitale iranienne en une opération spectaculaire et complexe, mobilisant au moins une demi-douzaine de tireurs, et un solide réseau de soutien logistique. Tous les regards se tournent alors vers Israël. Il est vrai que l’État hébreu cache à peine sa responsabilité dans cinq tentatives antérieures d’assassinat, dont quatre réussies, sur des scientifiques iraniens du nucléaire, entre 2010 et 2012. Pourquoi, huit ans plus tard, Fakhrizadeh ?
 
Un scientifique et militaire qui sort de l’ombre
 
Cet universitaire, également officier dans le corps des Pasdaran, ou Gardiens de la révolution, est déjà repéré dans la première décennie des années 2000 par les Services occidentaux et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) comme le responsable d’un programme nucléaire clandestin devant conduire à l’acquisition de l’arme nucléaire. L’AIEA, dans son travail d’enquête, demande d’ailleurs à l’entendre, mais sans succès. Fin 2003, selon le renseignement américain, Les Iraniens prennent la décision d’interrompre ce programme. Fakhrizadeh est-il alors au chômage ? Pas tout à fait. Une telle entreprise ne peut s’arrêter du jour au lendemain. Selon les indices recueillis par l’AIEA, Fakhrizadeh veille au bon repli de ses hommes et de ses moyens. Tous les dossiers relatifs à ce programme sont alors archivés. Persévérant, il pilote encore pour un temps des études dispersées pouvant être utiles à l’acquisition d’un engin nucléaire. En 2015, l’AIEA affirme ne trouver aucune trace d’activités suspectes au-delà de 2009. Et ceci est confirmé par l’analyse des milliers de documents recueillis par les Israéliens, dont aucun ne se situe après cette date.
 
Pour dissiper une confusion entretenue par beaucoup de commentateurs, il faut ici rappeler que cette histoire est distincte des développements du programme nucléaire iranien placé sous contrôle de l’AIEA. Même si ce programme, lui tout-à-fait visible, suscite depuis longtemps des inquiétudes sur les moyen et long termes, il affiche une finalité industrielle qui ne se confond pas avec un programme de fabrication d’un engin nucléaire. Bien entendu, il est toujours possible de maintenir des passerelles entre un programme visible, internationalement contrôlé, et un programme caché de nature militaire. Pour ce qui concerne l’Iran, il est clair que Fakhrizadeh n’avait autorité que sur le programme clandestin, le premier étant confié à une institution spécifique, l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, gérée par des civils.
 
Il a donc dû se trouver dans une sorte de semi-retraite à compter des années 2010. Il sort d’ailleurs à cette époque de la clandestinité, devient visible dans son rôle de professeur d’université, et son visage apparaît sur des photographies. Il semble avoir joué un rôle discret de conseiller technique de la délégation iranienne dans les négociations ayant abouti en juillet 2015 à la conclusion de l’accord de Vienne renforçant les contrôles sur le programme nucléaire iranien. Il avait été récemment décoré à ce titre par Hassan Rouhani, Président de la République. Il a également été présenté après son décès comme ayant participé aux recherches sur un vaccin iranien contre le Covid19.
 
Pour Israël, agir avant l’inauguration de Biden
 
Mais pour Israël, le loup ne pouvait se transformer en agneau. Pourquoi avoir choisi ce moment pour l’abattre ? Tout simplement, parce ce que plus on attendait, plus augmentait le risque de démarrer sur un très mauvais pied la relation entre Israël et l’administration de Joe Biden, dont la posture à l’égard de la politique de l’État hébreu s’annonce déjà en retrait par rapport à celle de Trump. Un tel attentat, juste avant, ou pire encore, après l’inauguration du nouveau Président américain aurait été vécu par lui comme un camouflet, dont les dégâts auraient été difficiles à réparer. Il faut rappeler que les États-Unis d’Obama, donc de Biden comme vice-président, avaient clairement marqué leur désapprobation des assassinats de scientifiques iraniens dans les années 2010-2012.
 
L’administration Trump a-t-elle été associée à l’assassinat de Fakhrizadeh ? Pas forcément. En a-t-elle été informée au préalable ? Sans doute, mais sans avoir eu nécessairement à prendre parti. Tout laisse à penser que les militaires américains, les agents de la CIA et autres fonctionnaires – l’État profond en somme -- sont déjà, comme toutes les administrations du monde, en position d’attente face à des dirigeants sur le départ. Mieux vaut, dans ces périodes, éviter les initiatives, les excès de zèle, qui pourraient ensuite vous être reprochés par les équipes montantes.
 
L’Iran tombe dans un piège. Pourra-t-il en sortir ?
 
En Iran même, quelles ont été les réactions ? La mort de Fakhrizadeh n’a pas soulevé l’émotion populaire qu’avait provoqué l’assassinat, au début de l’année, du Général Qassem Soleimani par un drone américain. Mais dans les cercles du pouvoir, le choc a été profond : en raison de la déférence que l’homme y inspirait, et aussi pour les béances du dispositif de sécurité que l’affaire a révélé, face à des réseaux parvenus à s’ancrer au cœur de la société iranienne.
 
Après l’attentat, le Président Rouhani a dit l’importance de ne pas tomber dans le piège tendu par Israël en réagissant à contre-temps. C’est qu’il dispose d’une fenêtre étroite pour obtenir de la nouvelle administration américaine, bien disposée a priori, un allègement des sanctions frappant l’Iran. Une formule doit être trouvée avant le mois de juin, date des prochaines élections présidentielles iraniennes. Certes, Rouhani ne quittera pas sa fonction avant août, mais il n’expédiera alors que les affaires courantes. Et l’on ne sait évidemment rien aujourd’hui sur le profil de son successeur, ni sur son comportement dans les affaires nucléaires. Tout ce dont on peut présumer, c’est qu’il émanera des factions conservatrices.
 
Or le Parlement, lui aussi conservateur, sous prétexte de réagir à l’assassinat de Fakhrizadeh, vient de compliquer sérieusement la tâche d’Hassan Rouhani. Une loi, qu’il vient d’adopter en urgence, oblige le gouvernement à accélérer le programme nucléaire iranien, en produisant plus d’uranium légèrement enrichi, en réactivant la production d’uranium enrichi à 20%, en mettant en œuvre la production d’uranium métal, en lançant la construction d’un second réacteur de recherche fonctionnant à l’eau lourde. La loi prévoit enfin de revenir dans les deux mois sur l’acceptation des contrôles renforcés de l’AEIA mis en place dans le cadre de l’accord de Vienne, sauf retrait américain des sanctions contre les banques et le pétrole. Il s’agit là d’autant de dispositions parfaitement provocatrices, propres à susciter des soupçons sur les ambitions militaires de l’Iran. Si elles étaient effectivement mises en œuvre, elles ruineraient toutes chances d’accord avec Washington.
 
Netanyahou peut donc se frotter les mains. Rouhani va sans doute tenter de louvoyer avec la loi, mais ceci ne pourra tenir qu’un temps si le Guide suprême ne lui apporte pas son concours. Ali Khamenei le voudra-t-il ? Il répète à qui veut l’entendre qu’il n’a aucune confiance dans la parole des États-Unis, et manifeste une opposition viscérale à toute ouverture en direction de l’Occident. La lueur d’espoir qui reste à court terme serait de voir l’administration de Joe Biden ignorer ces provocations et faire d’emblée un geste unilatéral en matière de levée des sanctions, en attendant d’être payé de retour. Mais ceci serait-il acceptable par le Congrès, l’opinion publique américaine ? Rien n’est moins sûr, tant il serait aisé de dénoncer une démonstration de faiblesse. Rouhani parviendra-t-il à s’extraire de ce guêpier ? Force est de conclure à ce jour sur de lourdes interrogations. Gouverner n’est nulle part une tâche facile. Elle l’est moins que partout ailleurs en Iran.
 
  

jeudi 12 novembre 2020

BIDEN, L’IRAN, LE NUCLÉAIRE ET LES AUTRES


En septembre dernier, Joe Biden a pris position à l’égard de l’accord nucléaire avec l’Iran, dit aussi JCPOA, conclu en 2015 à Vienne par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, dont Trump a sorti les États-Unis en mai 2018. Il a présenté comme un échec la politique de « pression maximale » qui a suivi. De fait, la multiplication des sanctions américaines a infligé des coups terribles à l’économie et à la population iraniennes, mais n’a pas ramené la République islamique à la table de négociations, comme le calculait la Maison-Blanche. L’Iran a finement joué en demeurant au sein du JCPOA, tout en mettant en place une série d’infractions calculées à l’accord, sur lesquelles il s’est dit prêt à revenir si les choses s’arrangeaient. Ces infractions, en somme modérées, l’ont néanmoins rapproché de la capacité à se doter, s’il en prenait la décision, de l’arme nucléaire. Et dans cette période, les cinq autres pays parties à l’accord ont plutôt été du côté de l’Iran, mettant en lumière la solitude de Washington. 

Les attentes de Joe Biden 

Biden a donc manifesté l’intention de ramener les États-Unis dans le JCPOA si l’Iran en respectait à nouveau scrupuleusement les termes. Mais il veut aussi que ce retour ouvre une nouvelle séquence diplomatique. Il s’agirait d’abord d’améliorer le texte avec les autres parties à l’accord en renforçant ses dispositions protectrices à l’égard des tentations de prolifération de Téhéran. L’Iran devrait en outre libérer les Américains injustement détenus, progresser en matière de droits de l’Homme, et reculer dans ses « entreprises de déstabilisation » de la région. Biden enfin souligne qu’il continuera d’user de sanctions ciblées pour contrer les violations des droits de l’Homme, le développement du programme balistique et « le soutien au terrorisme ». 

Côté iranien, la réponse est mesurée. Le Guide suprême ne s’est pas prononcé. Le Président Hassan Rouhani a déclaré que les États-Unis devaient « réparer leurs erreurs passées et revenir au respect de leurs engagements internationaux ». Son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Djavad Zarif, a fait savoir qu’il n’était pas question de renégocier les termes du JCPOA. Son porte-parole a ajouté que les États-Unis devraient garantir l’Iran contre le risque d’une nouvelle sortie de l’accord. Il faudrait alors qu’ils ratifient le JCPOA -- mais le Congrès sera difficile à convaincre --, ou du moins qu’ils fassent adopter par le Conseil de sécurité une résolution donnant à l’accord une force obligatoire. Quant aux autres sujets -- droits de l’Homme, terrorisme, programme balistique, influence régionale --, l’on voit mal l’Iran accepter de lever la barrière qu’il a posée entre le nucléaire et ces autres sujets sur lesquels ses interlocuteurs, en particulier le Président Macron, ont déjà tenté de l’entraîner. De telles questions échappent d’ailleurs à la compétence du ministère des affaires étrangères, qu’il s’agisse du balistique et des opérations régionales, chasse gardée des Pasdaran, ou des droits de l’Homme, à la merci du système judiciaire. 

Les autres acteurs, aux États-Unis et ailleurs 

Biden va devoir aussi compter avec d’autres acteurs. D’abord l’administration finissante de Donald Trump, en place jusqu’au 19 janvier. Celle-ci a tout récemment multiplié les sanctions contre l’Iran et fait passer le message qu’elle pourrait continuer jusqu’au dernier moment, avec l’idée de rendre indémêlable le dense dispositif mis en place. À noter que les dernières vagues de sanctions ont été pour l’essentiel lancées au nom de la lutte contre le terrorisme ou la violation des droits de l’Homme. Or, la mise en œuvre du JCPOA n’avait entraîné que la levée – partielle -- des sanctions liées au nucléaire. Même si ces sanctions nucléaires, rétablies par Trump, sont bien levées à nouveau par Biden, toutes les autres sanctions, touchant à des domaines vitaux comme le pétrole ou les banques, resteront en place, neutralisant le bénéfice attendu du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. Biden aura certes la capacité de revenir aussi sur ces autres sanctions, du moins pour celles dont la levée n’obligerait pas à solliciter l’accord du Congrès, mais il sait également que tout mouvement en ce sens serait aussitôt dénoncé par son opposition comme une démission en matière de lutte contre le terrorisme ou de défense des droits de l’Homme. 

Ajoutons que le service du Trésor chargé de l’élaboration et de l’application des sanctions, le redoutable OFAC (Office of Foreign Assets control), est peuplé à tous les étages de « faucons » ayant mis tous leurs talents de juristes au service de la lutte contre l’Iran. Ce sont eux qui ont déjà saboté la mise en œuvre du JCPOA durant la brève période allant de son adoption au départ d’Obama, en interprétant a minima les obligations des États-Unis. Joe Biden ne pourra donc pas faire l’économie d’une reprise en main de cette administration. Et il devra persuader ses équipes qu’il ne suffit pas d’abroger des textes pour effacer les dommages provoqués par une politique. Il y faut aussi une volonté active de relance et de coopération. 

Et puis, Biden devra également compter avec les réactions d’Israël et des pays de la Péninsule arabique, à commencer par l’Arabie saoudite. Il pourra peut-être passer par pertes et profits le froid qui s’installera dans la relation avec le royaume wahhabite, sachant que ce pays a, de toutes façons, trop besoin de l’Amérique. Il se prépare d’ailleurs à lui faire avaler une pilule autrement amère : la fin du soutien de Washington à la «désastreuse guerre au Yémen ». 

Avec Israël, l’entreprise sera plus difficile, en raison des liens qui unissent l’État hébreu avec de larges segments de l’électorat américain. Avant d’agir il faudra s’expliquer et tenter de convaincre. Les interlocuteurs de la nouvelle Administration, s’ils ne peuvent bloquer le changement de ligne, monnayeront au plus haut leur abstention. Et déjà circule en Israël l’idée qu’il faudra peut-être en venir à intervenir seul contre l’Iran. Est-ce crédible ? Cette menace avait déjà été agitée entre 2010 et 2012, mais l’état-major s’était fermement opposé à ces projets en raison de l’incertitude des résultats. Il devrait en être de même aujourd’hui. D’ailleurs, alors que circule aussi aux États-Unis l’idée que Trump pourrait, avant de partir, frapper l’Iran pour créer une situation irréversible, tout laisse à penser que l’État-major américain marquerait son refus. Il l’avait déjà fait aux derniers temps de l’administration de George W. Bush lorsque cette hypothèse avait été un moment caressée. 

L’échéance des présidentielles iraniennes 

Comment, pour Joe Biden, composer avec tous ces éléments ? Il en est un avec lequel il devra au premier chef compter. Des élections présidentielles se tiendront en Iran en juin prochain. À ce jour, tout va dans le sens de la victoire d’un conservateur, voire d’un radical parmi les conservateurs, tant ceux-ci ont verrouillé la vie politique en tirant profit de la déception de la population a l’égard du JCPOA. Le Président Rouhani s’en est trouvé discrédité, et avec lui, l’ensemble des réformateurs et modérés. Cela s’est vu aux élections législatives de février dernier, qui ont amené une majorité écrasante de conservateurs au parlement. Or les États-Unis, comme l’Europe, ont tout intérêt à ce que réformateurs et modérés, quels que soient leurs graves insuffisances, continuent de compter dans la vie politique iranienne. Eux seuls en effet souhaitent une relation, sinon amicale, du moins apaisée avec l’Occident. D’où l’intérêt de préserver l’avenir, en offrant à Rouhani -- qui ne pourra se représenter après deux mandats -- et à ses amis, une ultime occasion de se refaire une santé politique. 

Il faudrait pour cela poser les bases d’une relance bénéfique à la population durant le bref intervalle de quatre mois allant de l’investiture de Joe Biden à la campagne présidentielle iranienne. Il ne sera pas possible en si peu de temps de mener à terme le plein retour des États-Unis dans le JCPOA et d’effacer les effets ravageurs des sanctions de Donald Trump. Mais il devrait être possible, d’abord de libérer toutes les capacités d’aide humanitaire dont l’Iran a besoin en urgence dans la grave crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Ensuite d’accorder sans attendre un montant significatif d’exemptions, ou waivers, aux sanctions sur le pétrole et aux transactions financières internationales, en échange de gestes iraniens également significatifs sur la voie d’un retour au strict respect de ses obligations découlant du JCPOA. Ces mesures partielles mais pragmatiques permettraient d’éclairer l’avenir et de faciliter la suite.

Article paru le 12 novembre 2020 sur le site 

Boulevard Extérieur


samedi 11 janvier 2020

IRAK : CHEMINEMENT ET PREMIER BILAN DE LA CRISE


Dans la description d’une escalade de violence, la désignation du fait initial est évidemment déterminant pour faire pencher d’un côté ou de l’autre le poids de la responsabilité. Pour la crise qui vient d’embraser le Moyen-Orient, il est possible d’en voir l’origine immédiate dans les frappes meurtrières, d’abord inexpliquées, intervenues à l’été dernier en Irak sur des dépôts d’armes détenus par des milices de mobilisation populaire soutenues par l’Iran. Ces frappes ont fini par être revendiquées du bout des lèvres par le Premier ministre Netanyahou, et justifiées par la nécessité de détruire des arsenaux contenant notamment des missiles de moyenne portée, pouvant donc toucher Israël, introduits en Irak par l’Iran. Responsabilité de l’État hébreu ou responsabilité primaire de l’Iran, une nouvelle donne était créée dans la région avec l’élargissement à l’Irak de l’affrontement opposant déjà les deux pays sur le théâtre syro-libanais-palestinien.



Le premier mort américain



En septembre, le Premier ministre irakien, après enquête, dénonçait officiellement Israël comme l’auteur de ces frappes, dont chacun à Bagdad considérait qu’elles n’avaient pu avoir lieu sans l’assentiment des États-Unis. Dès lors, les bases américaines en Iran devenaient des cibles privilégiées pour les amis irakiens de l’Iran. Le puissant général Soleimani, principal responsable de la coopération entre les deux pays, n’allait pas les dissuader d’agir. C’est ainsi qu’entre octobre et décembre, ces bases sont l’objet d’une dizaine d’opérations de tirs de roquettes. Elles ne tuent personne, ne font que des blessés. Ceci jusqu’à la frappe, le 27 décembre, d’une trentaine de roquettes sur une base américaine de la région de Kirkouk, blessant plusieurs soldats américains et irakiens, et tuant un interprète américain, d’origine irakienne.



C’était le premier mort américain que chacun redoutait depuis le premier affrontement direct entre États-Unis et Iran survenu dans la région au mois de juin 2019, avec la destruction par l’Iran d’un drone d’observation américain. Précisément parce que l’incident n’avait causé aucun mort, chacun s’était félicité à l’époque que cette ligne rouge n’ait pas été franchie. Elle l’était cette fois-ci, fin décembre.



Trump et son dilemme



Trump, déjà entré en campagne électorale, se trouvait dès lors prisonnier d’un sérieux dilemme : ne pas apparaître comme un Président faible, tout en évitant d’entraîner le pays dans un conflit que lui reprocherait ensuite sa base électorale, lassée des aventures lointaines. Président faible, cela lui avait été récemment reproché lorsqu’il s’était refusé en juin de répliquer par des frappes à la destruction du drone abattu par l’Iran, et à nouveau en septembre, lorsqu’il avait fait savoir à l’Arabie saoudite qu’elle ne pouvait compter sur les États-Unis pour répliquer à l’Iran à la suite de l’attaque spectaculaire contre ses installations pétrolières. Il fallait donc agir cette fois-ci de façon visible, et dans l’urgence. La fébrilité s’empare de l’Administration américaine.



Le choix est fait de frapper plusieurs bases de la milice Kataeb Hezbollah, jugée responsable de l’attaque du 27 décembre. Ces frappes interviennent le 29 décembre et provoquent quelques dizaines de morts, parmi lesquels un certain nombre de responsables. Deux jours plus tard, à l’occasion des cérémonies de deuil se déroulant à Bagdad, une foule en colère force les premières défenses de l’ambassade américaine. Bien que les manifestants s’en retirent peu après, Trump voit se lever le spectre de la prise de l’ambassade américaine à Téhéran en novembre 1979, suivie de la détention pendant 444 jours de 52 otages : l’une des humiliations les plus cuisantes subies par l’Amérique, et fatale à la carrière du Président Jimmy Carter. Persuadé que les Iraniens sont derrière cette nouvelle offensive, Trump, auquel sont présentées plusieurs options de réplique, choisit alors sans doute la plus transgressive, celle qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé retenir : abattre le général Soleimani, chef mythique de la force spéciale Al Qods, gérant depuis plus de 20 ans les opérations extérieures de l’Iran. Son exécution le 3 janvier au matin par des frappes de drones lors de son arrivée à l’aéroport de Bagdad en compagnie d’autres responsables iraniens et irakiens provoque dans la région une onde de choc inédite.



Le choc et l’humiliation



Pour les Iraniens, régime et population cette fois-ci confondus, c’est le choc et l’humiliation de voir abattu comme un vulgaire terroriste un militaire charismatique, considéré comme exemplaire, ayant protégé l’Iran, par une stratégie de défense avancée, contre les menées de l’Etat islamique. Des millions d’Iraniens sortent dans les rues pour lui rendre un dernier hommage. Pour les Irakiens, c’est le deuil de leurs propres morts et l’humiliation de voir leur territoire utilisé pour un règlement de compte. Pour le Premier ministre en particulier, c’est l’humiliation de voir Soleimani exécuté alors qu’il se rendait à son invitation, pour un entretien dans le cadre d’une médiation conduite par l’Irak entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le Parlement irakien vote alors dans l’urgence une résolution enjoignant au gouvernement de faire partir du pays toutes les forces étrangères.



Le régime iranien, pour sa part, crie vengeance mais pèse soigneusement sa réponse. Il choisit, pour une fois, de viser directement l’ennemi principal, et à force ouverte, seule réponse digne à ses yeux d’une nation à l’honneur offensé. Mais avant de frapper le 8 janvier deux bases américaines en Irak, il prévient les autorités irakiennes, qui préviennent à leur tour les Américains. Bilan : zéro mort, zéro blessé. Trump peut siffler la fin de l’escalade. Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei peut dire, lui, que l’Iran a donné une gifle à l’Amérique. Il rappelle néanmoins que le but à atteindre est le départ des troupes américaines de l’ensemble de la région. Le pire est évité, mais il faut s’attendre à la poursuite dans la période qui s’ouvre d’incidents de basse intensité, pouvant eux-mêmes dégénérer en nouvelles crises.



Gagnants et perdants de la crise



Dans l’immédiat, deux gagnants en cette affaire, deux régimes qui s’étaient récemment discrédités, qui avaient vu leur propre population se soulever contre eux, qui n’avaient pas hésité à écraser la contestation dans le sang : les régimes iranien et irakien. Grâce à Trump, ils ont repris des couleurs. Les voilà réinvestis d’un peu de légitimité, et gratifiés, jusqu’à nouvel ordre, d’un certain soutien populaire -- dans le cas iranien, toutefois, voilà ce soutien déjà érodé par la destruction, certes involontaire, d'un avion de ligne par les Pasdaran... Et les grands perdants sont donc ceux qui avaient espéré, dans l’un et l’autre pays, pouvoir remettre en cause l’inefficacité et la corruption de leurs dirigeants. Pauvres sacrifiés de l’Histoire, martyrs aux noms déjà effacés, victimes de la fureur et du chaos générés par le combat des puissants.



Gagnants aussi, au moins pour un temps, les débris de l’État islamique en Irak, qui vont sans doute bénéficier d’un peu de répit, la « Coalition globale » contre Da’esh conduite par les Américains devant donner pour le moment la priorité à la sécurité de ses personnels et moyens sur place. Et gagnants certainement tous les jihadistes, tous les sécessionnistes, avec une chance de relever la tête si la coalition devait un jour quitter le pays, le laissant à la faiblesse de son armée et à ses luttes de factions.



Perdants aussi, mais c’est moins grave, les Européens, tétanisés par cette crise, qui n’ont pas trouvé d’autre langage que d’inviter les parties à la retenue, qui n’ont pas osé critiquer leur grand ami américain, qui n’ont réuni quelque courage que pour exiger de l’Iran qu’il soit raisonnable pour deux. Ils auront beaucoup à faire pour regagner quelque crédit auprès des Iraniens, comme d’ailleurs auprès des Irakiens, toutes opinions confondues.

article publié le 10 janvier 2020 par le site 
Boulevard Extérieur

samedi 4 mai 2019

MONSIEUR TRUMP ET LES PASDARAN


Il y a d’abord eu, le 8 avril, une déclaration du Président Trump annonçant son intention de placer les Gardiens de la Révolution islamique, ou Pasdaran, sur la liste des organisations terroristes dressée par son Département d’État ; puis le 15 avril, l’inscription effective de l’organisation sur cette liste, y compris sa filiale, le mouvement de jeunesse dit des Bassidji ou « mobilisés ». Voilà donc les Pasdaran en bonne compagnie, aux côtés du Hezbollah libanais, du Hamas et du Jihad islamique palestiniens, mais aussi avec leurs pires ennemis : Da’esh, el Qaida. Au moins ne croiseront-ils pas dans cet enfer leurs vieux adversaires, les Moudjaheddine du Peuple iraniens : inscrits sur cette liste en 1997, mais rayés en 2012, grâce à l’intense lobbying d’amis américains tels que John Bolton ou Rudy Giuliani, gravitant aujourd’hui autour de Donald Trump.
Donald Trump et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, ont tous deux souligné que les États-Unis qualifiaient pour la première fois d’organisation terroriste une institution d’État étranger, et rappelé que le régime iranien, par son usage systématique de la terreur, se différenciait fondamentalement de tout autre type de gouvernement. La décision de l’Administration visait à accroître encore la pression sur Téhéran pour le contraindre à mettre fin à ses agissements de hors-la-loi.

             De minces effets


En réalité, la mesure est, pour l’essentiel, symbolique. L’Organisation des Gardiens de la révolution et toutes ses succursales sont déjà sous sanctions américaines depuis huit à douze ans pour leurs entreprises terroristes, leur rôle en matière de prolifération nucléaire et balistique et leurs violations des droits de l’Homme. Elles sont d’ailleurs aussi sous sanctions européennes. Quant à l’État iranien lui-même, il est officiellement qualifié depuis janvier 1984 par le Département d’État de « soutien du terrorisme ».
La nouvelle mesure produit au plus deux effets. D’abord, tout membre de l’Organisation, voire ancien membre, et toute personne lui ayant apporté son soutien peut se voir interdire pour ce seul motif l’accès au sol américain, ou en être expulsé. Ce qui fait des millions de personnes, si l’on met dans le lot les fameux Bassidjis, sans oublier les étrangers. Mais, à vrai dire, depuis le « Muslim Ban » de Trump en février 2017, ce sont pratiquement tous les Iraniens qui sont interdits de territoire américain. Ensuite, l’échelle des peines pouvant frapper une personne physique ou morale apportant son soutien aux Pasdaran se trouve aggravée par la qualification d’action criminelle. Mais les peines antérieures, déjà fort lourdes, étaient pleinement efficaces, comme l’a démontré l’assèchement des échanges de tous genres avec l’Iran après le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de Vienne et le retour des sanctions américaines.

            Le diable dans les détails


Côté américain, le projet a suscité l’opposition des bureaux du Département d’État et du Pentagone, conscients des risques de dérapage incontrôlé que pourrait générer un contact plus ou moins rugueux entre éléments armés, notamment dans les eaux ou l’espace aérien du Golfe persique. Trump est passé outre. Mais on peut faire confiance aux plus hauts gradés américains pour réduire les risques à près de zéro : depuis 2003 et le fiasco irakien, ils manifestent une aversion constante à toute idée de conflit avec l’Iran. Quant au Département d’État, il en est à préparer une série de directives pour que des officiels étrangers, des membres d’organisations non-gouvernementales ou même des hommes d’affaires ne se trouvent pas empêchés de pénétrer aux États-Unis pour avoir, entre autres exemples, serré la main d’un Pasdar.
Pour éviter toute escalade, on peut aussi faire confiance aux Pasdaran, fort conscients, malgré quelques rodomontades, de leur infériorité de moyens face à l’Amérique. Tout en développant des tactiques de combat du faible au fort, ils n’éprouvent aucune urgence à les mettre en œuvre. Ils démontrent d’ailleurs en Syrie leur capacité de « patience stratégique », selon l’expression de Barack Obama, en encaissant sans riposter les coups très durs que leur porte régulièrement l’aviation israélienne. Là, le seul but qui vaille est de parvenir à doter le Hezbollah libanais d’un arsenal de missiles de précision suffisamment nombreux, puissants et fiables pour tenir le territoire israélien sous leur menace. Alors, la donne au Moyen-Orient se trouverait radicalement changée. Mais y parviendront-ils ?

             Trois résultats collatéraux


La décision de Donald Trump a quand même produit à l’heure qu’il est trois résultats significatifs. Le premier a été de donner un coup de pouce à Benyamin Netanyahu en pleine campagne électorale. Dès l’annonce à Washington de la mesure, ce dernier a publiquement remercié le Président américain d’avoir ainsi répondu à une demande de sa part : façon de passer à l’électorat israélien le message qu’il avait le Président des États-Unis à sa main. À voir l’issue très serrée du scrutin, le geste de Trump a peut-être été décisif.
Le second résultat a été de déclencher en Iran un réflexe de solidarité nationale autour des Pasdaran. Oubliées les mises en cause de leurs façons d’agir, tant en Iran qu’à l’étranger. Les voilà transformés en cause sacrée. Le Président Rouhani, qui pourtant ne les aime guère, a déclaré que la décision de Trump était une « insulte à toutes les forces armées et plus largement au grand peuple iranien ». Les députés unanimes, conservateurs et réformateurs confondus, ont élaboré en urgence un projet de loi faisant miroir à la mesure de Washington en qualifiant de terroristes toutes les forces américaines stationnées au Moyen-Orient. Voilà donc les Pasdaran renforcés, légitimés comme jamais.
Le troisième résultat touche aux relations entre l’Europe et l’Iran. La désignation des Pasdaran comme organisation terroriste rend encore plus incertaine la mise du système bancaire et financier iranien aux normes du Groupe d’action financière (GAFI), organisation multi-gouvernementale qui traque à travers le monde le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Déjà beaucoup, au cœur du régime, mettent des bâtons dans les roues du gouvernement du Président Rouhani qui déploie son énergie à cette mise en conformité. La position des opposants se trouve désormais encore renforcée. Mais sans cette adhésion de l’Iran aux normes du GAFI, le dispositif de compensation dit INSTEX, en cours de montage, destiné à faciliter les échanges commerciaux entre l’Iran et l’Europe sans passer par le dollar, aura beaucoup de mal à fonctionner. Le piège est en train de se refermer sur la seule ouverture qu’avait imaginée l’Union européenne pour alléger, même à petite échelle, l’effet des sanctions américaines.
Comme l’écrivait naguère le grand humoriste iranien Ebrahim Nabavi, hélas depuis emprisonné puis exilé : « Heureusement que les Iraniens et les Américains ne sont pas les seuls habitants de la planète et que d’autres peuples existent, sinon il ne resterait rien de notre monde. »
article paru le 4 mai 2019 sur le site Boulevard Extérieur

vendredi 26 mai 2017

Rouhani : la victoire, et après?



célébration de la victoire de Rouhani àTéhéran (photographie de l'auteur)


Hassan Rouhani vient donc d'être réélu pour un deuxième mandat présidentiel avec 61% des voix exprimées, contre 39% à son principal adversaire, Ebrahim Raïssi. C'est un score supérieur à l'attente des observateurs. Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, et le corps des Pasdaran n'ont pas cherché à peser sur le résultat de l'élection, malgré leur proximité avec Ebrahim Raïssi, candidat ultra-conservateur, président de la très puissante fondation Astan e Qods, en charge du mausolée de l'Imam Reza à Machhad. Après la gestion calamiteuse de l'élection présidentielle de 2009, qui avait fait descendre des millions d'Iraniens dans la rue, le cœur du régime semble avoir définitivement compris qu'il y avait des pratiques auxquelles il valait mieux renoncer s'il ne voulait pas mettre à nouveau les institutions en péril. Déjà, d'ailleurs, en 2013, lors de la première élection à la présidence d'Hassan Rouhani, la population avait été satisfaite du déroulement de l'élection. La République islamique est donc capable d'apprendre et d'évoluer.

L'importance de la participation

La participation électorale a atteint le chiffre de 73%, chiffre élevé pour l'Iran. Seul Khatami avait mieux fait en 1997, avec une participation de 80%. Ce taux est l'un des éléments clefs de l'élection. En effet, les faibles participations tendent en Iran à favoriser l'expression des fidèles du régime, les plus motivés pour se rendre en toutes circonstances dans les bureaux de vote. En revanche, les modérés, les réformateurs, les plus sceptiques à l'égard des institutions, ne se déplacent en nombre que convaincus de l'importance de l'enjeu. Cela a été le cas cette fois-ci. La personnalité de Raïssi, profondément réactionnaire, marquée par un lourd passé de procureur impitoyable aux ennemis de la Révolution, et se lançant dans un discours de plus en plus populiste, a produit chez les Iraniens les plus évolués l'effet d'un repoussoir, un peu, mutatis mutandis, à l'image de Marine le Pen en France. Le principal slogan de la campagne de Rouhani, "nous ne ferons pas machine arrière", cristallisait bien ce sentiment. Et Rouhani s'est enhardi au fil de ses prises de parole, s'en prenant aux Pasdaran, s'engageant à rechercher la levée des dernières sanctions frappant l'Iran, promettant de nouveaux progrès en matière de libertés, prenant parti pour une détente dans les relations avec le monde extérieur.

Ce discours a porté. Rouhani, initialement positionné comme centriste modéré, a réussi à rallier l'ensemble du camp réformateur. Le verdict des urnes a été sans appel, et s'est aussi traduit dans le résultat des élections municipales, qui se tenaient le même jour. De grandes villes conservatrices ont basculé du côté des soutiens de Rouhani, comme Ispahan ou Machhad. A Téhéran aussi, les conservateurs vont passer la main aux réformateurs. Plus de femmes qu'auparavant se sont portées candidates, et elles seront plus nombreuses à siéger dans les conseils municipaux. Le soir de l'annonce des résultats, des foules pacifiques ont manifesté en une atmosphère de liesse bon enfant dans tous les coins du pays. Décidément, l'Iran bouge et se place à l'avant-garde de sa région en matière de pratiques démocratiques. Même s'il y a encore du chemin à faire, le contraste est saisissant avec l'état de la vie politique dans les pays voisins de la Péninsule arabique, pourtant grands amis de l'Occident.

Consolider la victoire

Mais maintenant, il va falloir transformer cet essai. Rouhani parviendra-t-il à échapper à la malédiction du deuxième mandat qui a frappé ses deux derniers prédécesseurs ? Ahmadinejad, bien qu'initialement soutenu par le cœur du régime, avait fini par se brouiller avec à peu près tout le monde et par perdre toute capacité d'agir. Avant lui, Khatami avait vu tous les projets de réforme qu'il avait fait passer au Parlement bloqués par le Conseil des gardiens de la Constitution. Ahmadinejad, qui a tenté de se présenter à la dernière élection présidentielle, a été disqualifié d'emblée, comme d'ailleurs l'avait été en 2013 Ali Akbar Rafsandjani, également ancien président de la République. Khatami, lui, est interdit de parole et d'image sur tous les médias iraniens. Décidément, Président de la République est un métier à risque en Iran. Dans l'immédiat, nul doute que le cœur du régime va tenter de neutraliser tous les efforts de réforme et d'ouverture annoncés par Hassan Rouhani, considérant qu'il a joué son rôle historique en concluant l'accord nucléaire de 2015, et qu'il serait désormais bien inspiré de consacrer à la gestion des affaires courantes.

Certes, Rouhani peut faire le pari d'une disparition prochaine du Guide de la Révolution, Ali Khamenei, âgé et malade, ce qui rebattrait le jeu de cartes. Mais ce serait une façon de s'en remettre entièrement à la Providence. Le Guide travaille d'ailleurs en ce moment même à assurer sa succession par quelqu'un à son image. A supposer que cette succession intervienne à bref délai, rien ne garantit donc que la tâche de Rouhani s'en trouverait facilitée.

Les combats à venir

S'il ne veut pas finir rejeté par ses électeurs, s'il veut tenir les promesses déjà lancées lors de sa première élection en 2013 et qu'il vient de renouveler, Rouhani va devoir passer en force et casser quelques codes de la République islamique. Il perçoit les possibilités d'interaction entre les progrès en interne et les progrès dans la relation extérieure. Il sait qu'il doit labourer en même temps ces deux terrains. Heureusement, en dépit de redoutables obstacles, quelques avancées à forte portée symbolique, mais aussi à effets concrets, sont à sa portée.

Sur le front intérieur par exemple, la commission des lois du Parlement iranien a déjà pris position en faveur de l'abolition de la peine de mort pour trafic de drogue. L'introduction de cet amendement dans la loi pénale réduirait d'environ 90% les exécutions en Iran, ce qui ramènerait leur nombre à quelques dizaines par an au lieu de plusieurs centaines, peut-être mille, voire plus, à ce jour. Même si c'est encore trop, c'en serait fini de l'image désastreuse de l'Iran comme premier ou deuxième pays au monde pour les exécutions judiciaires rapportées au nombre d'habitants.

Sur le front extérieur, deux gestes spectaculaires permettraient à l'Iran d'étonner les plus hostiles à son égard et de se poser d'emblée en précurseur dans sa région en matière de prolifération nucléaire et balistique. Et ces gestes ne mettraient pas en péril les fondamentaux de la République islamique.

Le premier serait d'adhérer au Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE, ou CTBT en anglais). l'Iran, en ratifiant ce traité qu'il a déjà signé, ne contracterait aucune obligation nouvelle, puisqu'il a déjà renoncé à acquérir l'arme atomique en adhérant au Traité de non-prolifération nucléaire. Mais il donnerait l'exemple dans son voisinage, et même au-delà, puisque ni l'Arabie saoudite, ni l'Égypte, ni la Syrie, ni Israël, ni même les États-Unis ou la Chine n'ont encore adhéré à ce traité. A noter d'ailleurs que l'Iran avait déjà accepté au tournant du siècle l'installation sur son sol de dispositifs de détection d'explosions nucléaires dans le cadre du TICE. Il pourrait alors les réactiver. Ce serait un signal positif supplémentaire vers le monde extérieur.

Le second geste serait d'adhérer au Code de conduite contre la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye. Ce code oblige, pour l'essentiel, les signataires à faire connaître chaque année les lignes générales de leurs programmes de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux, ainsi que les sites de lancement utilisés, et à notifier à l'avance les tirs prévus. A l'époque de l'observation satellitaire, ces simples mesures de transparence ne pèseraient en rien sur les choix de l'Iran en matière balistique. Les programmes en ce domaine, sont gérés, comme on le sait, par les Pasdaran. Rouhani devrait pouvoir vaincre les résistances de ces derniers. Il y était, après tout, parvenu en 2003, lorsqu'il s'occupait du dossier nucléaire et qu'il avait obtenu des Pasdaran l'arrêt de leurs activités nucléaires non déclarées. S'il réussissait, l'Iran, là encore, se placerait en pointe dans sa région puisqu'aucun pays de la Péninsule arabique n'a encore adhéré à ce code de conduite, non plus que l'Égypte, la Jordanie, Israël, le Liban, ou la Syrie.

Le rôle de l'Europe

Si l'on poursuit la prospective, il faudrait alors que de tels gestes soient à la fois encouragés et suivis de retour. Il n'est guère possible dans l'immédiat d'attendre quoi que ce soit des États-Unis, sinon le maintien en vie de l'accord nucléaire de 2015, ce qui serait déjà beaucoup. Israël devrait déjà trouver dans ces signaux l'indication que l'Iran ne souhaite plus se positionner en "menace existentielle" de l'État hébreu, ce qui d'ailleurs embarrasserait plutôt M.Netanyahu. l'Europe, elle, a les moyens d'œuvrer, sur de telles bases, à une détente entre l'Iran et le monde extérieur. Voilà un chantier qui devrait pouvoir mobiliser la nouvelle administration française, si elle souhaite contribuer, comme elle l'a laissé entendre, aux progrès de la paix au Moyen-Orient.

paru le 25 mai sur le site Boulevard Extérieur

mercredi 12 avril 2017

JOURS TRANQUILLES A TEHERAN APRES LA FRAPPE AMERICAINE


Au sortir des fêtes de Norouz, la République islamique d'Iran a réagi de façon, somme toute, mesurée à la frappe décidée par Donald Trump sur la base aérienne militaire syrienne de Shayrat, menée elle-même en riposte au bombardement au gaz sarin intervenu sur Khan Cheikhoun. À la suite de la première attaque, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, rappelant que l'Iran avait lui-même été lourdement victime de l'arme chimique du temps de sa guerre contre Saddam Hussein, avait exprimé sa condamnation de tout usage de telles armes, "quels qu'en soient les auteurs et les victimes". Après l'intervention américaine, le Président Rouhani et le Ministre des Affaires étrangères Zarif se sont relayés pour dénoncer une violation de la loi internationale et une action faisant le jeu des "terroristes", pour réclamer aussi une commission d'enquête – "sans les Américains" –  afin de rechercher l'origine des armes chimiques utilisées à Khan Sheikhoun. Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique, a pour sa part qualifié d'"erreur stratégique" l'intervention américaine. Il en a profité pour rappeler que "d'anciens officiels américains avaient créé ou aidé Daesh", ajoutant : "…et les officiels actuels sont en train de renforcer Daesh et ses semblables".

Des Gardiens dans le collimateur

Il est à noter que la hiérarchie de l'Organisation des gardiens de la Révolution islamique, ou Pasdaran, garde prétorienne du Régime, est restée jusqu'à présent silencieuse. Elle est pourtant prompte d'ordinaire à s'exprimer sur ce genre de sujet, sans craindre les escalades, du moins verbales. Se tait-elle sur instruction ? Il est vrai qu'elle est dans le collimateur de la nouvelle administration américaine. De façon générale, pour son rôle très concret dans le soutien iranien à Bachar el Assad, au Hezbollah libanais, aux Houthis yéménites, et à d'autres encore. Plus précisément pour sa mise en œuvre récente de plusieurs tirs balistiques, jugés contraires à l'appel formulé par le Conseil de sécurité dans la foulée de l'accord nucléaire conclu en juillet 2015. Et aussi pour des incidents répétés dans les eaux du Golfe persique, où les vedettes des Pasdaran ont pris l'habitude de venir narguer les navires américains. Durant sa campagne, Donald Trump avait exprimé son intention de "faire gicler hors d'eau" les auteurs de ces provocations.

En outre, le Congrès américain a sur le feu deux projets de loi, l'un présenté au Sénat, l'autre à la Chambre des représentants, visant en particulier à punir l'Iran pour la poursuite de ses activités balistiques. La fusion et l'aboutissement de ces projets risquent de menacer la survie de l'accord nucléaire de 2015, l'Iran pouvant être amené à juger que les États-Unis auraient alors rompu leur engagement de veiller à lui maintenir "le plein bénéfice de la levée des sanctions" prévu par l'accord. De plus, le projet soumis au Sénat prévoit de placer les Gardiens de la Révolution islamique sous le coup des sanctions applicables aux organisations terroristes. Ce serait une première pour une entité d'État, avec des effets juridiques et pratiques malaisément contrôlables. La première victime pourrait en être la coordination jugée utile, à un moment ou à un autre, entre Iraniens et Américains dans la lutte contre Daesh. Et quid des répliques, visibles ou plus vraisemblablement masquées, aux effets d'une telle désignation, auxquelles pourraient se laisser aller les Pasdaran ?

Élections à l'horizon

Dans l'immédiat toutefois, le Sénat semble avoir mis en veilleuse la procédure d'adoption de son projet de loi, pour tenir compte, selon le président de sa Commission des affaires étrangères, des possibles réactions de l'Union européenne et de la proximité des élections présidentielles iraniennes. De fait, le premier tour de cette élection arrive bientôt, le 19 mai. Nul doute que le Président Rouhani s'apprête à briguer un deuxième mandat. Même s'il se présente en position favorable, grâce notamment à l'incapacité de ses adversaires conservateurs à se mettre d'accord sur une candidature unique, il est néanmoins fragilisé par au moins deux facteurs. Le seul élément incontestable de son bilan est la conclusion de l'accord nucléaire de 2015 avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne. Mais l'attente populaire d'un retour de la prospérité à la suite de la levée des sanctions internationales s'est trouvée déçue par la lenteur avec laquelle se démantèlent les multiples obstacles mis en place par les États-Unis et les Européens durant les années d'isolement de l'Iran. Beaucoup de ces obstacles, à la fois psychologiques et juridiques, sont encore en place. En outre, les espoirs qu'Hassan Rouhani avait soulevés en matière d'ouverture de la société, d'avancées dans le domaine des libertés publiques et des droits de l'Homme, sont restés lettre morte, en raison du blocage systématique de toutes initiatives en ce sens par le cœur conservateur du régime.

La lente progression du principe de réalité

Ceci pour dire qu'en effet, toute nouvelle mesure punitive prise à Washington qui viendrait ajouter aux difficultés d'Hassan Rouhani, partisan discret d'un apaisement des tensions avec Washington, aurait un effet contre-productif en renforçant ses adversaires. Même les parlementaires américains les plus hostiles à ce pays semblent l'avoir compris. Et l'administration de Donald Trump aussi, puisque l'entourage de ce dernier a fait tout récemment passer le message que la dénonciation de l'accord nucléaire conclu par Obama, pourtant "le pire jamais conclu par les États-Unis", n'était pas à l'ordre du jour.

Nul doute, donc, que l'on parie du côté iranien sur la progression du principe de réalité dans l'esprit de Donald Trump, au fil de la période d'apprentissage dans laquelle celui-ci se trouve engagé. L'on doit se dire ainsi à Téhéran, et peut-être ailleurs, que le bombardement de la base de Shayrat va vite montrer ses limites, y compris aux yeux de son instigateur. Le geste ne pouvait être que symbolique, à partir du moment où les Russes avaient été prévenus et la base, pour l'essentiel, évacuée. D'ailleurs, des avions syriens en ont décollé un jour à peine suivant l'intervention américaine. La répétition d'une telle frappe ne pourrait produire, au mieux, que d'autres coups d'épée dans l'eau. Et l'action de la coalition internationale menée par les Etats-Unis pour lutter contre Daesh va se trouver compliquée, tant que les Russes maintiendront coupée la ligne d'échange d'informations sur les activités, notamment aériennes, des uns et des autres, qui permettait d'éviter les risques d'affrontement par accident. Téhéran, qui a ses habitudes dans le temps long, doit se dire que le soulagement libérateur du passage à l'acte finira par se dissiper chez ses auteurs. Il pourra alors observer sans déplaisir la difficulté pour les Américains à naviguer entre le risque de glissade vers l'insignifiance et les risques encore plus lourds de l'escalade de la violence.

publié le 11 avril 2017 dans Boulevard Extérieur

mercredi 21 décembre 2016

Alep, point haut de l'aventure iranienne en Syrie

le Général Pasdar Soleimani en compagnie
 de miliciens chiites irakiens à Alep
La République islamique d'Iran savoure en ce moment l'accomplissement de "la promesse divine" qu'est la victoire d'Alep. En son sein, les Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution, ont beaucoup donné d'eux-mêmes depuis cinq ans, soutenant à bout de bras la vacillante armée de Bachar el Assad, formant des forces d'appoint sur place, et surtout faisant venir du Liban des milliers de combattants du Hezbollah, d'Irak des miliciens chiites, ou encore d'Iran et d'Afghanistan de pauvres Afghans en quête de subsistance et de statut.

L'Iran, au cas où il aurait parfois douté, se trouve conforté dans ses objectifs et ses analyses : pas question, bien entendu, de laisser s'installer en Syrie des sortes de néo-Talibans, qui ne manqueraient pas, une fois aux commandes, d'écraser toutes les minorités du pays, puis de revendiquer le Liban, d'aller aussi déstabiliser l'Irak voisin pour y détruire les sanctuaires les plus sacrés du chiisme, et d'arriver enfin aux portes de l'Iran : tout ceci avec le soutien plus ou moins avoué, mais en tous cas massif, de l'Arabie saoudite, obsédée par la menace perse et chiite.

Les Iraniens ne se font pourtant pas d'illusions sur la personnalité de Bachar. Ils l'ont critiqué à mots à peine couverts pour la brutalité de sa réaction en 2011, lorsque le soulèvement populaire était encore pacifique. Ils lui ont au moins une fois proposé, en vain, de l'installer ailleurs. Mais comme leurs dirigeants le disent régulièrement à leurs interlocuteurs occidentaux : s'il part demain, qui mettez-vous à sa place ? Et devant le silence qui leur répond, ils poursuivent : si vous vous en remettez alors au résultat d'un processus de transition, pourquoi l'en éliminer d'emblée ? S'il est aussi haï que vous le dites, notamment chez les Sunnites arabes, qui forment plus de 60% de la population syrienne, pourquoi refuser de le laisser concourir dans une élection générale organisée par les Nations-Unies et surveillée par la communauté internationale ?

Affichant son bon droit, et la conviction d'être le plus constant et le plus déterminé dans la lutte contre le terrorisme, le régime iranien sait en même temps que sa victoire est fragile. D'abord parce qu'il faut la partager avec plus fort que lui : la Russie. Certes, celle-ci était indispensable. A l'été 2015, le Général Soleimani, responsable des opérations des Pasdaran en Syrie et en Irak, était allé à Moscou pour représenter l'état d'épuisement de l'armée syrienne et le risque réel de voir Bachar balayé à court terme. Poutine, qui comprend immédiatement le danger pour la présence russe sur la côte méditerranéenne, à Latakieh et Tartous, est convaincu d'intervenir. Mais avec le sentiment aujourd'hui d'être le vrai vainqueur. La Russie va jusqu'à oublier de s'assurer de l'accord des Iraniens et des Syriens lorsqu'elle arrête avec les services turcs, au contact des différentes factions de l'opposition armée, les modalités d'évacuation des civils et des rebelles demeurés dans Alep-est. D'où le blocage du processus par les milices pro-iraniennes, avec l'exigence d'obtenir en échange l'évacuation de populations chiites assiégées par les insurgés dans deux bourgades situées à quelque 50 kilomètres au sud-ouest d'Alep. Autre vexation pour l'Iran, être invité par les Russes à Moscou pour discuter de l'avenir de la Syrie non pas seul, ou avec le gouvernement de Damas, mais avec… la Turquie, soutien de tous les Jihadistes depuis le début de l'insurrection !

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Après Alep

Et puis les Iraniens savent bien que la victoire d'Alep est loin d'avoir tout réglé. S'ils en avaient besoin, la mort d'un général Pasdar il y a quelques jours lors de la reprise de Palmyre par Da'esh est là pour le leur rappeler. S'il fallait reconquérir tous les territoires échappant encore au régime syrien, d'interminables combats seraient à prévoir. Les Russes le savent aussi. Ils ont rappelé à Assad, qui affiche encore l'objectif de reprendre le contrôle de l'ensemble du pays, qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit. C'est sans doute la raison pour laquelle ils ont décidé de préserver l'avenir en laissant partir les derniers rebelles d'Alep, plutôt que de les écraser. Les Russes plaident donc pour des concessions à l'opposition et un processus inclusif de retour à la paix, avec la constitution d'une union nationale en vue d'œuvrer à l'éradication de Da'esh. Cette tâche à elle seule, si l'Iran et ses amis veulent rester dans le jeu, implique encore des sacrifices, alors qu'un mouvement comme le Hezbollah libanais, qui a joué un rôle décisif dans les moments les plus sombres, a déjà payé un très lourd tribut à la guerre civile syrienne et ne pourra être éternellement sollicité.

Enfin, il y a l'inconnue de la nouvelle administration américaine. Trump a laissé entendre que l'élimination de Da'esh était sa toute première priorité et qu'il n'écartait pas l'idée de chercher à cette fin un terrain d'entente avec la Russie et même avec Bachar. La Turquie, si elle obtient des garanties sur la contention des Kurdes de Syrie, pourrait aussi se joindre à la partie. Quelle serait dans un tel dispositif la place de l'Iran ? Certes, les Iraniens interviennent en Irak, soutenant les milices chiites dans la bataille de Mossoul, où se retrouvent aussi les Américains, mais ils n'y sont pas aussi près du terrain, aussi associés au quotidien du combat qu'en Syrie. Si les Etats-Unis et la Russie se mettaient à agir ensemble en Syrie, l'Iran pourrait être confiné à un rôle secondaire, ou, s'il intervient en force, s'apercevoir qu'il tire finalement les marrons du feu pour l'Amérique.

La victoire d'Alep pourrait donc être pour l'Iran le point haut de son aventure syrienne. Sa première préoccupation devrait être de consolider sa position, de rester un élément incontournable des solutions à venir, plutôt que d'aller vers de nouvelles conquêtes. D'autant que la population iranienne pourrait se lasser de ces expéditions sans fin, comme du soutien à fonds perdus du régime d'Assad. Certes, les interventions en Syrie et en Irak lui sont présentées comme visant à assurer la protection de l'Iran contre des entreprises terroristes, et elle adhère à cette vision des choses. Mais si, dans l'euphorie de la victoire d'Alep, ce discours en venait à dériver vers l'idée que l'Iran est en position de dominer l'ensemble de la région, les gens ne seraient plus preneurs. Comme dans tant de pays, la population s'intéresse d'abord à sa situation économique. Elle attend une relance avec une impatience croissante depuis la conclusion en juillet 2015 de l'accord de Vienne sur le nucléaire, ayant permis la levée des premières sanctions. Il ne faudrait pas que cette reprise se trouve compromise par l'ouverture de crises inutiles. Il y a déjà suffisamment à faire pour protéger cet accord fragile, et encore plus fragilisé par l'élection de Donald Trump. C'est là-dessus que l'opinion se positionnera lors des élections présidentielles du printemps prochain, qui verront Hassan Rouhani concourir pour un deuxième mandat. C'est là qu'elle attend du résultat.

Boulevard Extérieur

mercredi 17 août 2016

Iran, Arabie saoudite : une si longue querelle


« Nous sommes chez nous dans le Golfe persique. La côte du Golfe persique et la plupart des côtes de la mer d’Oman appartiennent à notre puissante nation, nous devons donc être présents dans cette région »

 Ali Khamenei, Guide de la Révolution islamique, mai 2016.

 « Si l'Iran changeait ses agissements politiques, rien ne nous empêcherait de tourner la page et de construire la meilleure des relations basée sur le bon voisinage, sans ingérence dans les affaires d'autrui »

 Adel Al Jubeir, ministre saoudien des affaires étrangères, mars 2016.
  
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 La rivalité entre Iran et Arabie saoudite apparaît depuis un demi-siècle comme une donnée constante de la géopolitique du Moyen-Orient. C’était vrai du temps du Chah, et la situation s’est encore dégradée avec la République islamique. Les accalmies ont été plutôt rares et en ce printemps 2016, cette relation traverse à nouveau une mauvaise passe. L’aspect le plus visible en est l’opposition frontale des deux pays sur le dossier syrien. S’y est ajoutée à partir de septembre 2015 une séquence d’évènements dramatiques : panique de foule meurtrière à la Mecque entraînant la mort, entre autres, de quelque quatre cents pèlerins iraniens, puis exécution par l’Arabie saoudite du religieux le plus populaire de la communauté chiite de l’est du pays, réaction iranienne avec la mise à sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran et du Consulat à Machhad, enfin rupture des relations diplomatiques par Riyadh.

 La question de la primauté dans le Golfe persique, espace d’intérêt hautement stratégique, est au cœur de cette tension, chacun étant peut-être encore plus motivé par la crainte de voir l’autre accéder à cette primauté que par l’envie d’y arriver lui-même. Mais le point d’équilibre entre les ambitions des deux parties se dérobe sans cesse et le désordre qui en naît participe aux désordres qui frappent l’ensemble du Moyen-Orient.

 L’Iran se considère chez lui dans le Golfe persique depuis des millénaires. Il se serait volontiers installé sur ses deux rives s’il n’en avait été tenu écarté par l’empire Ottoman, puis par la Grande-Bretagne. L’Arabie saoudite, dans un rôle effacé jusqu’au début des années 1970, accède, elle, peu à peu au premier plan à la suite du retrait britannique de la région et du choix fait par les États-Unis, alors empêtrés dans la guerre du Vietnam, de déléguer la sécurité du Golfe persique à « deux piliers » : Riyadh et Téhéran. Le Chah en profite pour prendre possession des deux îles Tomb et de celle de Moussa, situées à l’orée du détroit d’Ormuz, que les Émirats arabes unis, nouvellement constitués, considèrent comme leur appartenant. Ce sera un sujet de friction permanent, et toujours actuel, avec les Royaumes de la Péninsule arabique. Le Chah prend aussi son rôle suffisamment au sérieux pour venir en 1973 au secours du jeune sultan d’Oman, Qabus Ibn Saïd, dans sa lutte contre la rébellion de la province du Dhofar et scelle ainsi avec ce pays une amitié qui persiste à ce jour. A même époque, Iran et Arabie saoudite se retrouvent quand même côte à côte pour provoquer avec les autres pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) une hausse spectaculaire du prix du baril. Ils disposent désormais d’amples moyens pour financer leur envol économique et stratégique.

 Guerre ouverte et guerres de l’ombre

 Mais les cartes sont rebattues en 1979 avec l’avènement de la République islamique. Celle-ci, emportée à ses débuts par son élan révolutionnaire, veut transformer à son image le monde islamique, et à terme le monde entier. Elle appelle les peuples voisins à renverser, comme elle vient de le faire, leurs dirigeants corrompus et impies. Ses premières cibles sont la dynastie des Saoud, gardiens illégitimes à ses yeux des Lieux saints, et Saddam Hussein, tyran oppresseur d’un pays à majorité chiite. Elle joue alors clairement un rôle déstabilisateur.

 La famille régnante saoudienne se trouve dès l’automne 1979 mise en cause sur deux fronts. En novembre, un commando de Sunnites exaltés prend d’assaut la grande mosquée de la Mecque et parvient à s’y retrancher pendant une dizaine de jours. Au même moment, dans l’est du pays, source de la richesse pétrolifère du royaume, la communauté chiite, inspirée par l’exemple iranien, s’agite. Les autorités réagissent par une vague de répression et le début d’une longue suspicion sur les menées de l’Iran en territoire saoudien.


 Quant à Saddam Hussein, il est le premier dirigeant arabe à reconnaître la République islamique. Mais il s’inquiète vite de l’effervescence des Chiites irakiens, échauffés par les imprécations de Khomeyni, et décide en septembre 1980 d’attaquer son voisin, déclenchant une guerre de huit ans. Informé du projet, le Roi Khaled, fidèle à la politique de prudence et d’équilibre régional du Royaume, tente de dissuader Saddam. Mais une fois la guerre
 déclenchée, il ne lui refuse pas son aide financière, logistique et en pétrole, qui va croissant. Il cherche toutefois une issue qui ne confère pas à l’une des deux parties un ascendant indu au Moyen-Orient. En juin 1982, son successeur, le roi Fahd, s’associe à l’offre de « paix blanche » de Saddam Hussein, dont les forces sont très éprouvées, et propose à l’Iran un chèque de 50 milliards de dollars pour le convaincre de mettre fin au conflit. En vain, Khomeyni veut la chute de Saddam, dont il rêve qu’elle lui ouvrira la route de Jérusalem ! Et la guerre repart pour six années de massacres et de destructions inutiles.


En juin 1984, l’aviation iranienne s’en prend dans le Golfe persique à des tankers saoudiens, amenant Riyadh à définir une zone d’interdiction aérienne au-delà de ses eaux territoriales. Mais cette décision n’empêche pas de nouvelles attaques de tankers et des accrochages entre les aviations des deux pays. En 1985, Riyadh tente pourtant une nouvelle médiation entre Irak et Iran, encore une fois sans succès. Le Roi Fahd se laisse alors convaincre par les Américains d’ouvrir les vannes de sa production pétrolière, de façon à provoquer une baisse du prix du pétrole qui mette à genoux l’Iran… et l’URSS. L’opération est un plein succès, mais il faudra trois ans pour que la guerre prenne fin par épuisement mutuel des belligérants, et un repli de chacun sur sa frontière[1].


 Et puis durant cette période, la République islamique, considérant sans doute qu’elle est en droit d’utiliser l’arme des faibles contre ce qu’elle voit comme une coalition hostile du monde entier ou presque, n’hésite pas à recourir aux prises d’otages et au terrorisme : soit par ses propres moyens, soit en mobilisant des mouvements, ancrés dans les communautés chiites, qu’elle a contribué à former et armer, tels le Hezbollah libanais, fondé en 1982, ou le Hezbollah du Hedjaz, actif dans la Péninsule arabique à compter de 1987. Les lieux de pèlerinage sont le théâtre de sérieux incidents : en 1981, les pèlerins iraniens, expressément encouragés par l’Ayatollah Khomeyni, lancent des slogans hostiles aux États-Unis, à Israël… et s’en prennent à la police ; en 1986, la police découvre des explosifs dans les bagages de pèlerins iraniens ; en 1987, nouvelle manifestation à la Mecque de pèlerins qui brandissent des portraits de l’Ayatollah Khomeyni ; il s’en suit une bousculade, et des tirs de la police qui font plusieurs centaines de morts. A Téhéran, les ambassades du Koweït et d’Arabie saoudite sont alors mises à sac, les diplomates saoudiens sont pris à partie par la foule et l’un d’eux y trouve la mort. Peu après, plusieurs explosions frappent des installations pétrolières dans l’est du pays. Riyadh rompt alors ses relations diplomatiques avec Téhéran. Elles seront rétablies en 1991, sous l’impulsion du Président Rafsandjani, partisan de l’apaisement.

 À même époque, d’autres attentats à l’origine plus ou moins obscure touchent le pays. Des diplomates saoudiens sont assassinés à Ankara, à Karachi et à Bangkok, trois attentats à l’explosif se produisent simultanément à la Mecque. En 1996 encore, intervient un spectaculaire attentat contre un complexe d’habitation à Khobar, occupé par les militaires américains, faisant parmi eux 19 morts. L’action n’est pas revendiquée, mais les Américains désignent rapidement le Hezbollah du Hedjaz, et derrière lui, les Iraniens. Les Saoudiens sont plus prudents. Il est vrai que le Prince héritier Abdallah, régent de fait du royaume depuis 1995, a fait le choix d’une politique dynamique d’engagement dans la région. En signe de bonne volonté, il accueille en 1996 à Riyadh le Président Rafsandjani puis se rend lui-même à Téhéran l’année suivante à l’occasion du sommet de l’Organisation de la Conférence islamique. Et deux ans plus tard, le nouveau président réformateur iranien, Mohammad Khatami, soucieux lui aussi d’améliorer les relations de Téhéran avec le monde extérieur, se rend à Riyadh. Des conversations qui se nouent, émerge en 2001 un accord de sécurité touchant à la lutte contre la drogue et le terrorisme.


 Le prosélytisme saoudien à l’appui des Taliban et des Jihadistes


 Mais la détente qui s’était amorcée à la fin de la guerre Irak-Iran et à la disparition de Khomeyni en 1989 pour se maintenir tant bien que mal jusqu’au début des années 2000 ne résiste pas aux crises qui s’enchaînent dans la région à compter du 11 Septembre : interventions américaines en Afghanistan et en Irak, tension internationale autour du nucléaire iranien, Printemps arabes. Il est vrai que les deux pays abordent cette période porteurs de griefs réciproques tenaces. Côté saoudien, on l’a vu, reproches d’arrogance, de subversion, de terrorisme ; côté iranien, reproches du soutien à Saddam, de la soumission aux États-Unis, de la complaisance à l’égard d’Israël, de l’aide à l’oppression de la dynastie sunnite de Bahreïn sur sa communauté chiite ; reproche, dans un autre registre, de la gestion calamiteuse des Lieux saints et de discrimination à l’égard des pèlerins chiites. Mais surtout, reproche à l’Arabie saoudite de développer dans l’ensemble du monde musulman une politique massive de diffusion du wahhabisme, version rigoriste de l’Islam, hostile au chiisme, dont les effets se font de plus en plus sentir à compter des années 1990 aux frontières de l’Iran. Pakistan et Afghanistan sont en effet devenus des terres d’élection de ce prosélytisme.

 Dès l’occupation soviétique de l’Afghanistan, Riyadh soutient le mouvement des Taliban aux côtés des Américains et des services pakistanais. Après avoir chassé les Russes et pris le pays sous son contrôle, ce mouvement devient la bête noire des Iraniens. Le massacre en 1998 de 11 Iraniens dans la mise à sac du Consulat d’Iran à Mazar-e-Sharif soulève une émotion immense en Iran et met Kaboul et Téhéran à deux doigts de la guerre. L’ancrage d’Al Qaeda des deux côtés de la frontière entre Pakistan et Afghanistan inquiète aussi les Iraniens, qui n’ignorent rien de son origine saoudienne. Et au Baloutchistan, région à cheval entre Iran et Pakistan, dont la population sunnite supporte mal la férule de Téhéran, les autorités iraniennes voient volontiers dans les désordres et le terrorisme qui agitent cette province excentrée la main des Américains, d’Israël… et de l’Arabie saoudite, avec la tolérance complice du Pakistan.

 L’intervention américaine en Afghanistan et en Irak modifie à nouveau la donne dans la région. Dépités, les Saoudiens constatent que l’Iran, débarrassé de ses deux pires ennemis, les Taliban et Saddam Hussein, installent leur influence, côté Afghanistan, dans la province limitrophe d’Herat, et côté Irak, non seulement dans le sud chiite, mais aussi sur le pouvoir central depuis que la communauté chiite en a pris le contrôle à la faveur de la démocratie. Et avec le retrait des Américains, cette influence trouve devant elle un champ à peu près libre… jusqu’au retour en force des Taliban en Afghanistan, et l’apparition de Da’esh dans l’espace irako-syrien.

 Iran et Arabie saoudite face aux printemps arabes

 Puis viennent les Printemps arabes. Pour l’Iran, pas de doute : trente ans après l’Iran, le monde arabe s’engage enfin dans la voie tracée par l’Imam Khomeyni, en chassant ceux qui lui interdisaient de renouer avec le véritable Islam. Mais le monde sunnite reste sourd à ses encombrants conseils. Pour l’Arabie saoudite, il s’agit au contraire de résister à une poussée déstabilisatrice. Elle y réussit assez bien, comme d’ailleurs l’ensemble des monarchies arabes, mais doit quand même venir au secours de Bahreïn pour y mater la sédition de la majorité chiite, derrière laquelle elle voit une fois de plus la main de l’Iran.

 Avec le soulèvement en 2011 d’une partie de la population syrienne contre Assad, puis la montée en puissance de Da’esh en Irak, le cœur du Moyen-Orient devient le champ de la rivalité entre Iran et Arabie saoudite. Le régime iranien avait déjà une solide relation avec le régime d’Hafez el Assad, fondée sur l’hostilité à l’Irak et à Israël, et sur des intérêts souvent convergents au Liban. Il vole au secours de son fils Bachar, en remplaçant sa rhétorique sur la légitimité des révoltes populaires par un discours sur la lutte contre les infiltrations des puissances hostiles : États-Unis, bien entendu, suivi de l’Arabie saoudite et d’Israël. Pour les Iraniens, en effet, pas question de laisser s’installer en Syrie des sortes de néo-Talibans, dont le premier but serait d’aller déstabiliser le fragile Irak voisin et sans doute le Liban, de renvoyer les communautés chiites à leur infériorité séculaire, de raser les lieux saints du chiisme et de camper aux portes de l’Iran. Sa détermination se renforce avec l’irruption en force de Da’esh en Irak. Le corps d’élite des Pasdaran, notamment sa brigade Al Qods, spécialisée dans les interventions extérieures en tous genres, intervient ainsi tant en Irak qu’en Syrie, en principe dans un rôle d’encadrement et de conseil, mais parfois directement en cas d’urgence.

 L’Arabie saoudite a de cette affaire une tout autre vision. Puisque l’Irak a pu tomber sous la coupe de la communauté chiite, donc de l’Iran, par la loi d’airain de l’effet majoritaire, le jeu de la démocratie doit aussi s’appliquer en Syrie, qui compte au moins 60% d’Arabes sunnites, et le régime des Assad, issu de la petite minorité des Alaouites, doit s’effacer. Pour l’y forcer, l’Arabie saoudite, gouvernement et société ensemble, apporte un soutien en argent et en armes à l’opposition armée, sans trop s’attarder sur la qualité de ses diverses composantes. Da’esh, entre autres mouvements jihadistes, est ainsi puissamment aidé à prendre son envol… jusqu’à ce qu’il se retourne contre son bienfaiteur. Et quand les États-Unis montent une coalition internationale contre Da’esh après la chute de Mossoul en juin 2014, les Saoudiens y participent petitement, bientôt absorbés par leur intervention au Yémen.

 Après l’accord nucléaire

 En juillet 2015, un évènement majeur fait monter d’un nouveau cran la crispation saoudienne à l’égard de l’Iran. Un accord est en effet trouvé entre les grandes puissances, États-Unis en tête, et Téhéran, pour mettre fin à la longue crise nucléaire qui opposait depuis quelque douze ans les deux parties et avait mis l’Iran au ban des nations. Riyadh y voit une bascule des priorités de Washington, un abandon de la préférence accordée à l’Arabie saoudite, et la levée du dernier frein aux appétits d’hégémonie de la République islamique sur son environnement. Le spectre d’un « croissant chiite » partant du Yémen, puis courant à travers le Golfe persique et la Mésopotamie pour arriver par le Liban aux rives de Méditerranée, et étouffer ainsi le monde sunnite, est alors agité dans les divans des monarchies arabes[2].

 En outre, début 2015, la mort du roi Abdallah a favorisé l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants, où se détache le prince Mohammed ben Salman, fils favori du nouveau roi. Ce prince, âgé d’une trentaine d’années, est en charge de la défense mais aussi du pétrole et de l’économie. Précédé d’une réputation d’impulsif, il s’affiche en rupture avec la tradition de prudence, de modération, de décision collective pratiquée par la dynastie des Saoud. C’est ainsi que les signaux de Téhéran visant à renouer avec Riyadh sont délibérément repoussés.

 Malgré tout, travailler au rapprochement

 À l’heure qu’il est, force est de constater la prévalence de la méfiance et des préjugés sur les deux rives du Golfe persique. Côté saoudien, le complexe d’une jeune nation encore mal assurée de l’avenir de ses institutions et de sa société entretient l’image d’un monde perse ennemi séculaire du monde arabe. Et le wahhabisme désigne les Iraniens comme porteurs d’un schisme aux limites du paganisme, portant atteinte à la cohésion du monde musulman. Les Iraniens au contraire présentent le chiisme comme l’un des rites de l’islam, rien dans différentes formes de dévotion ne justifiant d’entrer en guerre les uns contre les autres. Pénétrés de leur identité millénaire, ils sont fiers d’avoir porté de grands phares de la culture et de la science universelles. Hors propos officiels, ils laissent transparaître leur commisération pour le monde arabe en général, et en particulier pour les derniers arrivés en civilisation que sont leurs voisins du Golfe persique.

 Chacun sait pourtant qu’il n’y aura pas de début d’apaisement des crises du Proche et du Moyen-Orient sans un minimum de compréhension et d’acceptation mutuelles entre l’Iran et les principaux pays arabes, à commencer, en l’état d’affaiblissement actuel de l’Égypte, par l’Arabie saoudite. Pour l’Iran et l’Arabie saoudite en particulier, la stabilité de la région, et notamment du Golfe persique, a toutes les raisons d’apparaître comme un bien commun, plus précieux que tous les rêves d’influence. C’est à la recherche de cet équilibre que leurs amis et alliés devraient travailler, en sachant qu’il s’agira d’un long processus. Mais tout ce qui sera fait en ce sens vaudra mieux que les interventions directes de puissances extérieures, dont on a vu les désastres qu’elles ont produits au Proche et au Moyen-Orient, et dont on peut craindre des désastres pires encore.


 Pour aller plus loin

 Bernard Hourcade « Géopolitique de l’Iran, les défis d’une renaissance », nouvelle édition, Armand Colin éd., Paris 2016

 Simon Mabon “Saudi Arabia and Iran: Soft Power Rivalry in the Middle East” I.B.Tauris éd., Londres, 2013,

 Banafsheh Keynoush “Saudi Arabia and Iran: Friends or Foes?” Palgrave Macmillan éd. New-York, 2016.


[1] Sur tous ces épisodes, voir Pierre Razoux « la guerre Iran-Irak, première guerre du Golfe 1980-1988 » Perrin éd., Paris 2013.

[2] Sur l’instrumentalisation de l’opposition Sunnites-Chiites, voir Clément Therme, « La nouvelle « guerre froide » entre l'Iran et l'Arabie saoudite au Moyen-Orient », Confluences Méditerranée, 2014/1 N° 88, p. 113-125, éd. L’harmattan, Paris 2014.