le Général Pasdar Soleimani en compagnie de miliciens chiites irakiens à Alep |
La République islamique d'Iran savoure en ce
moment l'accomplissement de "la promesse divine" qu'est la victoire
d'Alep. En son sein, les Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution, ont beaucoup
donné d'eux-mêmes depuis cinq ans, soutenant à bout de bras la vacillante armée
de Bachar el Assad, formant des forces d'appoint sur place, et surtout faisant
venir du Liban des milliers de combattants du Hezbollah, d'Irak des miliciens
chiites, ou encore d'Iran et d'Afghanistan de pauvres Afghans en quête de
subsistance et de statut.
L'Iran, au cas où il aurait parfois douté, se
trouve conforté dans ses objectifs et ses analyses : pas question, bien
entendu, de laisser s'installer en Syrie des sortes de néo-Talibans, qui ne
manqueraient pas, une fois aux commandes, d'écraser toutes les minorités du
pays, puis de revendiquer le Liban, d'aller aussi déstabiliser l'Irak voisin
pour y détruire les sanctuaires les plus sacrés du chiisme, et d'arriver enfin aux
portes de l'Iran : tout ceci avec le soutien plus ou moins avoué, mais en tous
cas massif, de l'Arabie saoudite, obsédée par la menace perse et chiite.
Les Iraniens ne se font pourtant pas d'illusions
sur la personnalité de Bachar. Ils l'ont critiqué à mots à peine couverts pour
la brutalité de sa réaction en 2011, lorsque le soulèvement populaire était
encore pacifique. Ils lui ont au moins une fois proposé, en vain, de
l'installer ailleurs. Mais comme leurs dirigeants le disent régulièrement à
leurs interlocuteurs occidentaux : s'il part demain, qui mettez-vous à sa place ?
Et devant le silence qui leur répond, ils poursuivent : si vous vous en
remettez alors au résultat d'un processus de transition, pourquoi l'en éliminer
d'emblée ? S'il est aussi haï que vous le dites, notamment chez les Sunnites
arabes, qui forment plus de 60% de la population syrienne, pourquoi refuser de
le laisser concourir dans une élection générale organisée par les Nations-Unies
et surveillée par la communauté internationale ?
Affichant son bon droit, et la conviction
d'être le plus constant et le plus déterminé dans la lutte contre le terrorisme,
le régime iranien sait en même temps que sa victoire est fragile. D'abord parce
qu'il faut la partager avec plus fort que lui : la Russie. Certes, celle-ci
était indispensable. A l'été 2015, le Général Soleimani, responsable des
opérations des Pasdaran en Syrie et en Irak, était allé à Moscou pour
représenter l'état d'épuisement de l'armée syrienne et le risque réel de voir
Bachar balayé à court terme. Poutine, qui comprend immédiatement le danger pour
la présence russe sur la côte méditerranéenne, à Latakieh et Tartous, est
convaincu d'intervenir. Mais avec le sentiment aujourd'hui d'être le vrai
vainqueur. La Russie va jusqu'à oublier de s'assurer de l'accord des Iraniens
et des Syriens lorsqu'elle arrête avec les services turcs, au contact des
différentes factions de l'opposition armée, les modalités d'évacuation des
civils et des rebelles demeurés dans Alep-est. D'où le blocage du processus par
les milices pro-iraniennes, avec l'exigence d'obtenir en échange l'évacuation
de populations chiites assiégées par les insurgés dans deux bourgades situées à
quelque 50 kilomètres au sud-ouest d'Alep. Autre vexation pour l'Iran, être
invité par les Russes à Moscou pour discuter de l'avenir de la Syrie non pas
seul, ou avec le gouvernement de Damas, mais avec… la Turquie, soutien de tous
les Jihadistes depuis le début de l'insurrection !
Après Alep
Et puis les Iraniens savent bien que la
victoire d'Alep est loin d'avoir tout réglé. S'ils en avaient besoin, la mort
d'un général Pasdar il y a quelques jours lors de la reprise de Palmyre par
Da'esh est là pour le leur rappeler. S'il fallait reconquérir tous les
territoires échappant encore au régime syrien, d'interminables combats seraient
à prévoir. Les Russes le savent aussi. Ils ont rappelé à Assad, qui affiche
encore l'objectif de reprendre le contrôle de l'ensemble du pays, qu'il n'y a
pas de solution militaire au conflit. C'est sans doute la raison pour laquelle
ils ont décidé de préserver l'avenir en laissant partir les derniers rebelles
d'Alep, plutôt que de les écraser. Les Russes plaident donc pour des
concessions à l'opposition et un processus inclusif de retour à la paix, avec la
constitution d'une union nationale en vue d'œuvrer à l'éradication de Da'esh.
Cette tâche à elle seule, si l'Iran et ses amis veulent rester dans le jeu, implique
encore des sacrifices, alors qu'un mouvement comme le Hezbollah libanais, qui a
joué un rôle décisif dans les moments les plus sombres, a déjà payé un très
lourd tribut à la guerre civile syrienne et ne pourra être éternellement
sollicité.
Enfin, il y a l'inconnue de la nouvelle
administration américaine. Trump a laissé entendre que l'élimination de Da'esh
était sa toute première priorité et qu'il n'écartait pas l'idée de chercher à
cette fin un terrain d'entente avec la Russie et même avec Bachar. La Turquie,
si elle obtient des garanties sur la contention des Kurdes de Syrie, pourrait
aussi se joindre à la partie. Quelle serait dans un tel dispositif la place de l'Iran ?
Certes, les Iraniens interviennent en Irak, soutenant les milices chiites dans
la bataille de Mossoul, où se retrouvent aussi les Américains, mais ils n'y
sont pas aussi près du terrain, aussi associés au quotidien du combat qu'en
Syrie. Si les Etats-Unis et la Russie se mettaient à agir ensemble en Syrie, l'Iran
pourrait être confiné à un rôle secondaire, ou, s'il intervient en force, s'apercevoir
qu'il tire finalement les marrons du feu pour l'Amérique.
La victoire d'Alep pourrait donc être pour
l'Iran le point haut de son aventure syrienne. Sa première préoccupation
devrait être de consolider sa position, de rester un élément incontournable des
solutions à venir, plutôt que d'aller vers de nouvelles conquêtes. D'autant que
la population iranienne pourrait se lasser de ces expéditions sans fin, comme
du soutien à fonds perdus du régime d'Assad. Certes, les interventions en Syrie
et en Irak lui sont présentées comme visant à assurer la protection de l'Iran
contre des entreprises terroristes, et elle adhère à cette vision des choses.
Mais si, dans l'euphorie de la victoire d'Alep, ce discours en venait à dériver
vers l'idée que l'Iran est en position de dominer l'ensemble de la région, les
gens ne seraient plus preneurs. Comme dans tant de pays, la population
s'intéresse d'abord à sa situation économique. Elle attend une relance avec une
impatience croissante depuis la conclusion en juillet 2015 de l'accord de
Vienne sur le nucléaire, ayant permis la levée des premières sanctions. Il ne
faudrait pas que cette reprise se trouve compromise par l'ouverture de crises inutiles.
Il y a déjà suffisamment à faire pour protéger cet accord fragile, et encore
plus fragilisé par l'élection de Donald Trump. C'est là-dessus que l'opinion se
positionnera lors des élections présidentielles du printemps prochain, qui
verront Hassan Rouhani concourir pour un deuxième mandat. C'est là qu'elle
attend du résultat.
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