Je voyais l'autre jour à la télévision le propriétaire d'un hôtel familial à Saint-Michel- en-Grève, commune de Bretagne durement touchée par l'invasion des algues vertes, expliquant comment ses efforts pour moderniser et mettre en valeur son établissement se trouvaient à peu près ruinés par cette dangereuse prolifération qui faisait fuir sa clientèle. Il s'exprimait avec retenue, de façon factuelle, sans émettre de plainte, sans accuser personne, sans rien revendiquer. Mais on percevait le désarroi d'un homme faisant de son mieux son métier et frappé par une situation qui échappait à son contrôle. L'on voyait aussi à ses côtés, un peu en retrait, sa femme le fixant intensément, d'un regard traversé d'inquiétude, mais chargé également de respect et de confiance pour l'homme qui parlait ainsi et qui, dans cette passe difficile, la protégeait. Sans doute s'agissait-il d'une répartition de rôles assez traditionnelle. Mais tel qu'il se présentait dans sa vérité, le couple dégageait une très forte impression de cohésion dans l'adversité, et de grande dignité.
En cette catastrophe écologique, quelle accumulation d'aveuglements, de conjonctions d'intérêts, de petites et grandes lâchetés à tous niveaux de responsabilités a-t-il fallu pour placer ces deux personnes, et beaucoup d'autres, dans une telle difficulté? Bien sûr, l'on voudrait croire que tout le monde finira par s'en sortir. Mais l'on aimerait aussi que dans la ronde des destinées, les coquins se trouvent un peu moins souvent gratifiés de bénédictions et de prospérités. Encore que parmi ceux-là, l'on en rencontre rarement qui soient prêts à admettre qu'ils doivent leur fortune à autre chose qu'à leur talent, leur travail, leur supériorité naturelle.
A peu près dans cette veine, et pour ce qui est de la politique, Chateaubriand écrivait dans ses Mémoires d'outre-tombe : "En général, on parvient aux affaires par ce que l'on a de médiocre, et l'on y reste par ce que l'on a de supérieur. Cette réunion d'éléments antagonistes est la chose la plus rare, et c'est la raison pour laquelle il y a si peu d'hommes d'Etat." Talleyrand, fin connaisseur des arcanes du pouvoir, confiait aussi : "si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient... ". Pour ma part, si je peux me mettre dans le sillage de ces deux navires amiraux de la littérature et de la diplomatie, j’ai depuis longtemps dans l’idée que les structures hiérarchiques ne tiennent que parce qu'à chaque niveau dont elles sont composées, les gens, pour se protéger et protéger le système qui les fait vivre, dissimulent les tares des occupants de l'étage du dessus à ceux de l'étage inférieur. Et lorsque ce pacte du silence est rompu, la pyramide est minée de l’intérieur, la chute n’est plus très loin…Cela ne veut pas dire que tous les mauvais sont en haut et tous les bons en bas. Mais pour le moins, les gens ne sont pas meilleurs au fur et à mesure qu'ils s'élèvent, ils ne s'allègent pas de leurs défauts pour monter, comme ils devraient le faire s'ils étaient des ballons. Mais voilà, les hommes ne sont pas des ballons. Moi non plus d’ailleurs, ce qui me permet de souhaiter à mes semblables, avec quand même une attention particulière aux hôteliers de Saint-Michel-en-Grève, beaucoup de courage et surtout un peu de chance, en une bonne, en une aussi bonne que possible, prochaine année !
lundi 28 décembre 2009
lundi 7 décembre 2009
L'Iran et quelques autres
Il faut toujours essayer de comprendre l'adversaire, en l'occurrence le régime iranien. Celui-ci, selon toutes les apparences, vient donc d'écarter l'offre à la fois généreuse et astucieuse imaginée aux Etats-Unis, lui demandant d'expédier à l'étranger son uranium déjà légèrement enrichi pour le voir revenir sous forme de combustible destiné à son réacteur de recherche. Il a ensuite annoncé en forme de provocation son projet de créer sur son sol dix usines d'enrichissement et de produire lui-même le combustible à base d'uranium enrichi à 20% dont il aura bientôt besoin pour le réacteur en question.
Disons tout de suite que l'on est dans le pur effet d'annonce. A l'heure qu'il est, l'Iran a mis cinq ans pour installer 8.000 centrifugeuses de première génération, dont 4.000 effectivement productives, dans son usine de Natanz, destinée à en accueillir 50.000. Il lui faudra encore quelques années pour remplir cette usine et la faire fonctionner à plein rendement. Beaucoup d'eau aura donc coulé sous les beaux ponts d'Ispahan avant que ne fonctionnent ne serait-ce que deux ou trois des dix usines supplémentaires annoncées, destinées à abriter au total 500.000 centrifugeuses. Ajoutons que l'Iran est très loin de posséder les ressources en minerai d'uranium nécessaire pour alimenter un programme d'enrichissement d'une telle ampleur, formaté pour fournir en combustible dix réacteurs nucléaires producteurs d'électricité. Et qui lui vendrait de l'uranium naturel alors qu'aucun de ces réacteurs, où l'uranium en question devrait aboutir, n'a encore commencé à voir le moindre jour? Disons enfin que s'il s'agissait de produire des bombes, la seule usine de Natanz, une fois achevée, serait tout à fait suffisante pour fournir en quelques années la matière première d'un stock d'armes déjà fort respectable. Quant à la fabrication de combustible pour le réacteur de recherche que possède Téhéran, une telle technologie est à ce jour hors de portée de l'Iran. L'on est donc bien dans le symbole, dans le déclaratoire.
Mais pourquoi alors ce nouveau défi au monde extérieur? parce qu'Ahmadinejad, qui en est l'auteur, a eu besoin de se repositionner rapidement en meilleur défenseur de l'Iran après s'être fait tacler par à peu près toute la classe politique iranienne, conservateurs et réformateurs confondus, pour avoir osé imaginer pactiser avec les Etats-Unis. Car Ahmadinejad avait déjà fait savoir son intérêt pour l'offre américaine. Mais il est vrai que chacun sachant en Iran que celui qui commencerait à normaliser les relations du pays avec l'Amérique serait aussitôt assuré d'une popularité historique, chacun s'empresse aussi de tirer dans le dos de cet audacieux dès qu'il sort de la tranchée. Certes, ce n'est pas par amour des Américains qu'Ahmadinejad, pour sa part, envisageait de renouer avec Washington, mais bien pour se refaire une santé politique. Sa position s'est trouvée en effet fort fragilisée par le flagrant trucage de sa dernière élection et la lourde répression qui a suivi. Personne n'avait envie de lui offrir cette chance. Tout l'affaire se présente donc, au moins pour le moment, comme une occasion ratée.
L'Occident sort-il indemne de cet échec? pas tout à fait. Car l'offre de l'équipe d'Obama a été, tant aux Etats-Unis que dans les principaux pays associés à la négociation, assortie de commentaires et de prises de position toutes faites pour la torpiller. Elle a été en effet trop souvent présentée comme un ultimatum : l'offre était à prendre ou à laisser, et à prendre dans un délai fixé. Dans la réalité, il eût été possible d'imaginer plusieurs modalités et calendriers d'échange entre l'uranium iranien et le combustible promis en retour. Et rien ne pressait vraiment pour obtenir une réponse de l'Iran. Certes il était légitime de fixer des délais pour ne pas laisser la négociation s'enliser, mais dans la discrétion. Pourquoi les claironner? Et déjà, avant même que la négociation ne se noue, des voix s'élevaient en Europe et en Amérique pour expliquer urbi et orbi ce que l'on allait faire en cas d'échec : encore plus de sanctions contre l'Iran, et surtout plus efficaces. Du côté iranien, l'on a alors entendu de nombreuses déclarations faisant à peu près passer ce langage : "arrêtez de nous menacer en même temps que vous nous faites des ouvertures. Car accepter ces ouvertures donnerait alors l'impression que l'Iran se soumettrait. Or la République islamique ne peut pas laisser penser qu'elle se soumet".
Ces messages n'ont pas été entendus. Et l'adoption à l'initiative occidentale d'une résolution du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique condamnant l'Iran pour avoir commencé à installer une petite usine d'enrichissement dans la région de Qom et renvoyant l'affaire au Conseil de sécurité a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Certes, la façon dont cette installation a été lancée était condamnable. Mais là encore, pour une usine qui commencera à fonctionner au mieux quelque part en 2011, et qui est désormais ouverte aux inspections de l'AIEA, rien ne pressait. C'est ainsi que quelques jours plus tard Ahmadinejad a annoncé son projet de création de dix grandes usines d'enrichissement.
Que dire à ce jour de la suite prévisible? Tout ceci pourrait être encore rattrapable au prix d'un intense effort diplomatique, mais encore faut-il le vouloir. Rien n'est moins sûr. La relation avec l'Iran pourrait alors s'enfoncer dans un long hiver. Et l'une des premières leçons de l'histoire, c'est que dans cette négociation qui offrait l'espoir d'un début de règlement de la crise nucléaire iranienne, les adversaires les plus redoutables n'ont pas été face à face d'un camp à l'autre, mais bien à l'intérieur de chaque camp. Ce n'est pas une première, mais il est toujours un peu triste de le constater.
Disons tout de suite que l'on est dans le pur effet d'annonce. A l'heure qu'il est, l'Iran a mis cinq ans pour installer 8.000 centrifugeuses de première génération, dont 4.000 effectivement productives, dans son usine de Natanz, destinée à en accueillir 50.000. Il lui faudra encore quelques années pour remplir cette usine et la faire fonctionner à plein rendement. Beaucoup d'eau aura donc coulé sous les beaux ponts d'Ispahan avant que ne fonctionnent ne serait-ce que deux ou trois des dix usines supplémentaires annoncées, destinées à abriter au total 500.000 centrifugeuses. Ajoutons que l'Iran est très loin de posséder les ressources en minerai d'uranium nécessaire pour alimenter un programme d'enrichissement d'une telle ampleur, formaté pour fournir en combustible dix réacteurs nucléaires producteurs d'électricité. Et qui lui vendrait de l'uranium naturel alors qu'aucun de ces réacteurs, où l'uranium en question devrait aboutir, n'a encore commencé à voir le moindre jour? Disons enfin que s'il s'agissait de produire des bombes, la seule usine de Natanz, une fois achevée, serait tout à fait suffisante pour fournir en quelques années la matière première d'un stock d'armes déjà fort respectable. Quant à la fabrication de combustible pour le réacteur de recherche que possède Téhéran, une telle technologie est à ce jour hors de portée de l'Iran. L'on est donc bien dans le symbole, dans le déclaratoire.
Mais pourquoi alors ce nouveau défi au monde extérieur? parce qu'Ahmadinejad, qui en est l'auteur, a eu besoin de se repositionner rapidement en meilleur défenseur de l'Iran après s'être fait tacler par à peu près toute la classe politique iranienne, conservateurs et réformateurs confondus, pour avoir osé imaginer pactiser avec les Etats-Unis. Car Ahmadinejad avait déjà fait savoir son intérêt pour l'offre américaine. Mais il est vrai que chacun sachant en Iran que celui qui commencerait à normaliser les relations du pays avec l'Amérique serait aussitôt assuré d'une popularité historique, chacun s'empresse aussi de tirer dans le dos de cet audacieux dès qu'il sort de la tranchée. Certes, ce n'est pas par amour des Américains qu'Ahmadinejad, pour sa part, envisageait de renouer avec Washington, mais bien pour se refaire une santé politique. Sa position s'est trouvée en effet fort fragilisée par le flagrant trucage de sa dernière élection et la lourde répression qui a suivi. Personne n'avait envie de lui offrir cette chance. Tout l'affaire se présente donc, au moins pour le moment, comme une occasion ratée.
L'Occident sort-il indemne de cet échec? pas tout à fait. Car l'offre de l'équipe d'Obama a été, tant aux Etats-Unis que dans les principaux pays associés à la négociation, assortie de commentaires et de prises de position toutes faites pour la torpiller. Elle a été en effet trop souvent présentée comme un ultimatum : l'offre était à prendre ou à laisser, et à prendre dans un délai fixé. Dans la réalité, il eût été possible d'imaginer plusieurs modalités et calendriers d'échange entre l'uranium iranien et le combustible promis en retour. Et rien ne pressait vraiment pour obtenir une réponse de l'Iran. Certes il était légitime de fixer des délais pour ne pas laisser la négociation s'enliser, mais dans la discrétion. Pourquoi les claironner? Et déjà, avant même que la négociation ne se noue, des voix s'élevaient en Europe et en Amérique pour expliquer urbi et orbi ce que l'on allait faire en cas d'échec : encore plus de sanctions contre l'Iran, et surtout plus efficaces. Du côté iranien, l'on a alors entendu de nombreuses déclarations faisant à peu près passer ce langage : "arrêtez de nous menacer en même temps que vous nous faites des ouvertures. Car accepter ces ouvertures donnerait alors l'impression que l'Iran se soumettrait. Or la République islamique ne peut pas laisser penser qu'elle se soumet".
Ces messages n'ont pas été entendus. Et l'adoption à l'initiative occidentale d'une résolution du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique condamnant l'Iran pour avoir commencé à installer une petite usine d'enrichissement dans la région de Qom et renvoyant l'affaire au Conseil de sécurité a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Certes, la façon dont cette installation a été lancée était condamnable. Mais là encore, pour une usine qui commencera à fonctionner au mieux quelque part en 2011, et qui est désormais ouverte aux inspections de l'AIEA, rien ne pressait. C'est ainsi que quelques jours plus tard Ahmadinejad a annoncé son projet de création de dix grandes usines d'enrichissement.
Que dire à ce jour de la suite prévisible? Tout ceci pourrait être encore rattrapable au prix d'un intense effort diplomatique, mais encore faut-il le vouloir. Rien n'est moins sûr. La relation avec l'Iran pourrait alors s'enfoncer dans un long hiver. Et l'une des premières leçons de l'histoire, c'est que dans cette négociation qui offrait l'espoir d'un début de règlement de la crise nucléaire iranienne, les adversaires les plus redoutables n'ont pas été face à face d'un camp à l'autre, mais bien à l'intérieur de chaque camp. Ce n'est pas une première, mais il est toujours un peu triste de le constater.
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mardi 10 novembre 2009
La malédiction du Pharaon
Il doit peser une sorte de malédiction du Pharaon sur les relations franco-américaines. La France, qui a fait dans son histoire la guerre à tout le monde, n'a, par un heureux hasard, jamais fait la guerre aux Etats-Unis. Elle a même sérieusement contribué à leur naissance. Et pourtant, Dieu sait si ces relations ont été presque continûment crispées, aigres, traversées de méfiances et de malentendus. L'on se souvient en particulier, tout au long de la Guerre froide, de la façon dont les Français se désolaient des tensions entre Etats-Unis et URSS, formant obstacle au bonheur de l'Europe, mais dénonçaient avec vigueur le condominium des super-puissances dès que les deux Grands parvenaient à s'entendre sur un quelconque sujet. C'est sur ce motif, par exemple, que nous avons refusé pendant un quart de siècle de signer le Traité de non-prolifération nucléaire.
Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?
L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".
Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.
Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.
Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.
Avec Nicolas Sarkozy, nous avions enfin touché un ami et admirateur assumé de l'Amérique, bien décidé de ne plus s'encombrer de l'héritage gaulliste, ou même chiraquien. Il a ainsi pris le risque d'afficher dans sa campagne électorale son intention de ramener les forces françaises dans l'organisation intégrée de l'OTAN, et a tenu promesse sur ce point qui lui tenait clairement à coeur contre la grande majorité de la classe politique française, qui s'accommodait fort bien du statu quo. Difficile de faire mieux comme déclaration d'amour à l'Amérique. Et patatras! avec l'arrivée d'Obama, tout repart sur les vieux schémas. Comment? Pourquoi?
L'on avait pourtant bien commencé avec les vacances américaines de notre président à l'été 2007 et sa rencontre avec George W. Bush. Ni la bouderie de Cecilia, ni la façon dont Nicolas Sarkozy avait rembarré, de façon impensable en ce pays, les journalistes et photographes américains, n'avaient empêché le courant de passer. Encore tout retourné de ce qu'il avait entendu de son nouvel ami, il présentait de retour à Paris à la réunion des ambassadeurs "l'alternative catastrophique" qui se profilait : "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Et sur l'Afghanistan, il décidait d'y envoyer 700 hommes supplémentaires au nom des droits de l'Homme et de la lutte contre le terrorisme, garantissant notre présence là-bas "jusqu'à la victoire".
Aujourd'hui, la situation est à nouveau dégradée entre la France et les Etats-Unis, notamment autour du dossier iranien. Obama juge clairement que la France en a trop fait dans l'interpellation des gens du régime, dans l'énoncé de son scepticisme face à tout essai de dialogue, et dans l'agitation de la menace de sanctions renforcées, le tout mettant en péril sa politique de la main tendue, déjà sur le fil du rasoir. Du coup, la France n'a été informée que tardivement du projet américain de récupérer l'uranium déjà enrichi en Iran et pouvant, en théorie, finir en bombe, pour le retourner sous la forme inoffensive de combustible destiné à un réacteur de recherche. Bien qu'appelée à fabriquer ce combustible, elle a boudé l'idée, y voyant une façon de légitimer les opérations contestées d'enrichissement conduites par l'Iran. Notre président a aussi tenté de se remettre en scène avec la communication planétaire des trois leaders, Obama, Brown et lui-même, dénonçant la découverte d'une usine clandestine d'enrichissement d'uranium en Iran, mais les inspecteurs de l'AIEA, après s'être rendus sur place, ont dû constater qu'ils n'avaient rien vu d'inquiétant. Et dernière humiliation, ce sont les Iraniens eux-mêmes qui ont dit lors d'une réunion à Vienne qu'ils ne souhaitaient pas voir les Français à la même table de négociation qu'eux, les considérant comme des interlocuteurs non fiables.
Au fond, à le voir évoluer, l'on se dit que l'Amérique qu'aime notre président, c'est l'Amérique qu'aime aussi son ami, notre Johnny national : celle des grands espaces et des chevauchées, celle des cow-boys taciturnes, des barbecues géants et de la puissance décomplexée, l'Amérique de John Wayne et de George W. Bush. C'est cette Amérique qu'il s'efforce, comme Johnny dans son genre, d'imiter, galopant en Camargue, descendant les marches de l'Elysée comme celles d'un Saloon. Cette Amérique n'a évidemment rien à voir avec celle d'Obama, unissant un monde intellectuel et patricien, branché sur les grandes universités de la côte Est, au monde des classes moyennes, aussi peu exotiques que possible dans quelque pays que se soit, et aussi au monde des pauvres, évidemment à peu près invisible aux vacanciers.
Donc, une fois de plus, c'est raté. On y avait cru pourtant aux débuts de François Mitterrand, précédé d'une solide réputation d'atlantiste, et aussi aux débuts de Jacques Chirac, qui s'était risqué à dire à la télévision américaine, et même en anglais, son amour des Fast Food et des hamburgers. Mais Reagan pour le premier, l'Irak pour le second, sont passés par là... Quel Enchanteur, quel prince ou quelle princesse pourra un jour dissiper la malédiction du Pharaon? Et avec quelle formule magique? Qui a là-dessus une petite idée? J'attends là-dessus vos commentaires, quitte à revenir sur le sujet.
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mardi 20 octobre 2009
désarmement nucléaire : un appel français
Il faut saluer Alain Juppé, Bernard Norlain, Alain Richard et Michel Rocard pour leur appel, paru dans le Monde du 15 octobre, à voir la France mieux s'engager dans un processus de désarmement nucléaire général et complet.
L'on se souvient du discours prononcé par Obama à Prague en avril, développant la vision d'un monde débarrassé d'armes nucléaires. L'on se souvient aussi de l'appel dans le même sens lancé par quatre vieux routiers de la politique américaine, Schultz, Perry, Kissinger et Nunn, sur le même thème en janvier 2008. Ce document développait l'analyse qu'un monde totalement débarrassé de la bombe atomique serait, tout bien pesé, moins dangereux à long terme qu'un monde où la prolifération continuerait nécessairement de conduire à une insécurité incontrôlable.
Cette évolution des esprits s'est heurtée jusqu'à présent en France à un scepticisme épais. L'opinion en a été faiblement informée. Dans les milieux spécialisés et dans les cercles du pouvoir, l'on ironisait sur le fait que les quatre signataires de l'appel de 2008 étaient des retraités de la politique, loups convertis bien tard en moutons. Un an plus tard, le discours de Prague était accueilli par des applaudissement polis, et quelques commentaires sur le thème : "Messieurs les Américains, à vous de commencer". Et l'on sentait une sorte de jalousie à voir le Président des Etats-Unis accroître sa popularité mondiale par des effets faciles. L'attribution à Barack Obama du prix Nobel de la paix, que certains avaient rêvé de voir décerner à notre Président pour son intervention dans la crise géorgienne, n'a rien arrangé. Et en septembre dernier, quand Obama, prenant personnellement la présidence du Conseil de Sécurité, a fait adopter une résolution traçant les perspectives d'un désarmement nucléaire mondial, notre président l'a interpellé plutôt vertement sur la nécessité de redescendre sur terre et de régler avant toute chose les crises nord-coréenne et iranienne.
Curieusement, cette attitude française transcende les lignes politiques. A gauche, l'on ne s'est pas montré plus intéressé par ce regain de réflexion sur le désarmement que dans la majorité présidentielle. L'aura entourant la dissuasion nucléaire semble la placer à un niveau de transcendance qui interdit toute analyse critique, à gauche comme à droite. Comme si l'effort historique accompli dans les années 1970 pour échapper au pacifisme un peu niais traditionnellement associé au mouvement socialiste et faire accepter la Force de frappe créait l'obligation morale d'étouffer désormais dans l'oeuf toute tentation de rechute.
Il ressort de tout cela l'image d'un pays crispé sur son statut de puissance nucléaire militaire comme l'un des derniers soutiens de son rang dans le monde. Et ceci décrédibilise notre discours vers ceux dont nous craignons qu'ils se dotent d'un arsenal nucléaire, tant y transparaît l'inquiétude de voir se dévaluer notre position d'exception si trop de pays se trouvaient dotés de la bombe. La justification de notre force de dissuasion par la défense en dernier ressort de nos intérêts suprêmes n'est pas en effet un argument dont les autres aient le droit de s'emparer. Et bien entendu, aucune réflexion originale ne s'amorce chez nous sur ce que sont exactement ces intérêts suprêmes, ni sur la façon dont ils sont ou pourraient être menacés dans le monde d'aujourd'hui et de demain, ni sur l'adéquation de notre arsenal à les défendre. Mais en nous agrippant à cette ligne : "ne faites pas ce que j'ai fait et ce que je continue de faire" c'est tout l'effort collectif en faveur de la non-prolifération que l'on fragilise. Car vingt ans après la fin de la Guerre froide, la plupart des signataires du Traité de non prolifération nucléaire supporte de moins en moins le clivage entre les cinq pays légitimement dotés de la bombe et les autres qu'avait introduit, à titre en principe provisoire, ce traité.
Merci donc aux quatre auteurs de l'article du Monde de rappeler que notre pays "est tout aussi intéressé que les autres puissances nucléaires au rétablissement d'une non-prolifération crédible". Merci d'exprimer "le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités". Un tabou bien français vient d'être rompu. Espérons que s'agrègent aux signataires de cette article suffisamment de talents et de bonnes volontés pour commencer à faire bouger les lignes.
L'on se souvient du discours prononcé par Obama à Prague en avril, développant la vision d'un monde débarrassé d'armes nucléaires. L'on se souvient aussi de l'appel dans le même sens lancé par quatre vieux routiers de la politique américaine, Schultz, Perry, Kissinger et Nunn, sur le même thème en janvier 2008. Ce document développait l'analyse qu'un monde totalement débarrassé de la bombe atomique serait, tout bien pesé, moins dangereux à long terme qu'un monde où la prolifération continuerait nécessairement de conduire à une insécurité incontrôlable.
Cette évolution des esprits s'est heurtée jusqu'à présent en France à un scepticisme épais. L'opinion en a été faiblement informée. Dans les milieux spécialisés et dans les cercles du pouvoir, l'on ironisait sur le fait que les quatre signataires de l'appel de 2008 étaient des retraités de la politique, loups convertis bien tard en moutons. Un an plus tard, le discours de Prague était accueilli par des applaudissement polis, et quelques commentaires sur le thème : "Messieurs les Américains, à vous de commencer". Et l'on sentait une sorte de jalousie à voir le Président des Etats-Unis accroître sa popularité mondiale par des effets faciles. L'attribution à Barack Obama du prix Nobel de la paix, que certains avaient rêvé de voir décerner à notre Président pour son intervention dans la crise géorgienne, n'a rien arrangé. Et en septembre dernier, quand Obama, prenant personnellement la présidence du Conseil de Sécurité, a fait adopter une résolution traçant les perspectives d'un désarmement nucléaire mondial, notre président l'a interpellé plutôt vertement sur la nécessité de redescendre sur terre et de régler avant toute chose les crises nord-coréenne et iranienne.
Curieusement, cette attitude française transcende les lignes politiques. A gauche, l'on ne s'est pas montré plus intéressé par ce regain de réflexion sur le désarmement que dans la majorité présidentielle. L'aura entourant la dissuasion nucléaire semble la placer à un niveau de transcendance qui interdit toute analyse critique, à gauche comme à droite. Comme si l'effort historique accompli dans les années 1970 pour échapper au pacifisme un peu niais traditionnellement associé au mouvement socialiste et faire accepter la Force de frappe créait l'obligation morale d'étouffer désormais dans l'oeuf toute tentation de rechute.
Il ressort de tout cela l'image d'un pays crispé sur son statut de puissance nucléaire militaire comme l'un des derniers soutiens de son rang dans le monde. Et ceci décrédibilise notre discours vers ceux dont nous craignons qu'ils se dotent d'un arsenal nucléaire, tant y transparaît l'inquiétude de voir se dévaluer notre position d'exception si trop de pays se trouvaient dotés de la bombe. La justification de notre force de dissuasion par la défense en dernier ressort de nos intérêts suprêmes n'est pas en effet un argument dont les autres aient le droit de s'emparer. Et bien entendu, aucune réflexion originale ne s'amorce chez nous sur ce que sont exactement ces intérêts suprêmes, ni sur la façon dont ils sont ou pourraient être menacés dans le monde d'aujourd'hui et de demain, ni sur l'adéquation de notre arsenal à les défendre. Mais en nous agrippant à cette ligne : "ne faites pas ce que j'ai fait et ce que je continue de faire" c'est tout l'effort collectif en faveur de la non-prolifération que l'on fragilise. Car vingt ans après la fin de la Guerre froide, la plupart des signataires du Traité de non prolifération nucléaire supporte de moins en moins le clivage entre les cinq pays légitimement dotés de la bombe et les autres qu'avait introduit, à titre en principe provisoire, ce traité.
Merci donc aux quatre auteurs de l'article du Monde de rappeler que notre pays "est tout aussi intéressé que les autres puissances nucléaires au rétablissement d'une non-prolifération crédible". Merci d'exprimer "le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités". Un tabou bien français vient d'être rompu. Espérons que s'agrègent aux signataires de cette article suffisamment de talents et de bonnes volontés pour commencer à faire bouger les lignes.
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dimanche 13 septembre 2009
retour sur les bonus
Revenons posément sur l'affaire des traders. Notre président est formidable. La formule qu'il a trouvée pour étêter leurs rémunérations mirobolantes– bonus quand on gagne de l'argent, malus quand on en perd – ouvre une nouvelle voie dans les relations du travail et même au-delà. Si cela marche pour les traders – et on ne voit pas pourquoi cela ne marcherait pas – il faudra songer à l'étendre à d'autres activités, aux sportifs par exemple. Les primes de victoire seraient désormais compensées par des amendes en cas de perte. Avec un tel système, quand Laure Manaudou, malgré tout l'argent dépensé en frais de déplacement par l'équipe de France et donc par le contribuable, échoue lamentablement aux Jeux de Pékin, elle passerait à la caisse, larme à l'oeil ou pas. Même principe pour les footballeurs de l'équipe de France. Même principe pour les cavaliers, et même pour leurs chevaux, dont on pourrait régler le picotin d'avoine en fonction du nombre d'obstacles franchis ou renversés.
L'on pourra ensuite passer aux primes des fonctionnaires, en tous cas pour ceux qui ne sont pas trop mal servis, comme les agents du ministère des finances. En cas de mauvaises rentrées fiscales, comme en ce moment, on ne voit pas pourquoi les inspecteurs des impôts n'en seraient pas un peu de leur poche. Les administrateurs de la direction du Budget seraient d'autant moins bien payés que le déficit serait plus élevé. Les militaires envoyés en opérations extérieures pourraient aussi voir baisser leur rémunération de campagne en cas de revers ou d'enlisement dans des combats douteux. Enfin, les diplomates verraient leur prime d'expatriation amputée en cas de dégradation des relations diplomatiques ou de la balance commerciale française avec leur pays d'accueil.
Revenons au coeur du sujet. Si notre Président a dû en arriver à une formule aussi complexe : étalement des primes sur trois ans, système de malus, c'est qu'il s'est lui-même interdit, avec son bouclier fiscal, le meilleur moyen, à savoir l'impôt, pour lutter contre les rémunérations exorbitantes tout en recyclant utilement les gains inappropriés. Un bon impôt bien lourd sur les bonus des traders, sur les parachutes dorés des dirigeants de grandes sociétés, et sur d'autres gains choquants pour le public, quoi de mieux pour dissuader les inventeurs et bénéficiaires de ces dispositifs? C'est vrai, les intéressés pourraient s'évader en Suisse ou en Belgique. Mais ceux qui ont envie de partir partent de toutes façons, et ne reviennent guère. Et s'il s'agit vraiment de parasites, où est la perte?
L'on pourra ensuite passer aux primes des fonctionnaires, en tous cas pour ceux qui ne sont pas trop mal servis, comme les agents du ministère des finances. En cas de mauvaises rentrées fiscales, comme en ce moment, on ne voit pas pourquoi les inspecteurs des impôts n'en seraient pas un peu de leur poche. Les administrateurs de la direction du Budget seraient d'autant moins bien payés que le déficit serait plus élevé. Les militaires envoyés en opérations extérieures pourraient aussi voir baisser leur rémunération de campagne en cas de revers ou d'enlisement dans des combats douteux. Enfin, les diplomates verraient leur prime d'expatriation amputée en cas de dégradation des relations diplomatiques ou de la balance commerciale française avec leur pays d'accueil.
Revenons au coeur du sujet. Si notre Président a dû en arriver à une formule aussi complexe : étalement des primes sur trois ans, système de malus, c'est qu'il s'est lui-même interdit, avec son bouclier fiscal, le meilleur moyen, à savoir l'impôt, pour lutter contre les rémunérations exorbitantes tout en recyclant utilement les gains inappropriés. Un bon impôt bien lourd sur les bonus des traders, sur les parachutes dorés des dirigeants de grandes sociétés, et sur d'autres gains choquants pour le public, quoi de mieux pour dissuader les inventeurs et bénéficiaires de ces dispositifs? C'est vrai, les intéressés pourraient s'évader en Suisse ou en Belgique. Mais ceux qui ont envie de partir partent de toutes façons, et ne reviennent guère. Et s'il s'agit vraiment de parasites, où est la perte?
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mercredi 26 août 2009
Lois et modèles
Si l'on suit de bons modèles, l'on n'a pas besoin de lois. C'est ce que défendaient les disciples de Confucius, vers 200 avant Jésus-Christ, contre les légistes qui posaient les bases juridiques du premier empire chinois. Il est vrai que les personnes que l'on se choisit pour modèle, vivantes ou mortes, mythiques ou réelles, vous indiquent la marche à suivre, vous maintiennent sur le droit chemin. "Qu'aurait fait mon maître, ou ma mère, en telle circonstance? En un tel moment, tel saint, tel héros ont ainsi agi". Parce qu'ils sont des êtres complexes, et complets, et qu'ils se présentent d'ailleurs en cohorte pour mieux répondre à toutes les questions de la vie, les modèles offrent une source d'inspiration inépuisable, qui nous guident silencieusement, et que l'on croise dans les moments décisifs. Même quand ils s'éloignent de nous au fil du temps, ils nous imprègnent pour toujours du sens du devoir.
Les lois en revanche ne contiennent rien d'autre que leurs propres prescriptions. Elles sont impuissantes à régler d'autres conflits que ceux qu'elles ont envisagé. Comme elles ne pourront jamais traiter l'infinité du réel et de ses potentialités, elles sont forcément parsemées de béances, dans lesquelles tout un chacun est en droit de s'engouffrer. Prosaïquement, c'est ainsi que se pratique l'évasion fiscale. Mais si beaucoup n'ont pas l'idée d'y recourir, c'est qu'ils sont retenus par leur conception de la morale, ou même des simples convenances.
De fait, les sociétés sont régulées par une combinaison de lois et de modèles. Elles ont besoin des deux. C'est d'ailleurs sur ce compromis que s'est achevée la querelle des Confucianistes et des légistes. Chez nous, par exemple, l'école (Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Pasteur etc.), le cathéchisme, la Bible, mais aussi la presse, la radio, la télévision (de Gaulle, l'Abbé Pierre, Zidane...) nous alimentent en modèles. Dans le même temps les parlementaires, les juges et la police produisent et appliquent l'arsenal des lois.
Quand les modèles qui inspirent une société sont puissants, quand ils sont reconnus par tous, les lois peuvent être simples, et beaucoup de conflits se règlent sans avoir besoin de la loi . En sens inverse, plus ils sont faibles, plus il faut de lois, et jusqu'à l'infini. L'on se désole par les temps qui courent de la judiciarisation de notre société, et de l'inflation législative qui noie jusqu'aux juges chargés de dire le droit. L'on nous annonce que nous commençons à vivre, à l'américaine, dans un monde de lawyers. C'est sans doute parce que nous manquons de modèles, de modèles assez puissants pour limiter le recours aux lois.
Les lois en revanche ne contiennent rien d'autre que leurs propres prescriptions. Elles sont impuissantes à régler d'autres conflits que ceux qu'elles ont envisagé. Comme elles ne pourront jamais traiter l'infinité du réel et de ses potentialités, elles sont forcément parsemées de béances, dans lesquelles tout un chacun est en droit de s'engouffrer. Prosaïquement, c'est ainsi que se pratique l'évasion fiscale. Mais si beaucoup n'ont pas l'idée d'y recourir, c'est qu'ils sont retenus par leur conception de la morale, ou même des simples convenances.
De fait, les sociétés sont régulées par une combinaison de lois et de modèles. Elles ont besoin des deux. C'est d'ailleurs sur ce compromis que s'est achevée la querelle des Confucianistes et des légistes. Chez nous, par exemple, l'école (Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Pasteur etc.), le cathéchisme, la Bible, mais aussi la presse, la radio, la télévision (de Gaulle, l'Abbé Pierre, Zidane...) nous alimentent en modèles. Dans le même temps les parlementaires, les juges et la police produisent et appliquent l'arsenal des lois.
Quand les modèles qui inspirent une société sont puissants, quand ils sont reconnus par tous, les lois peuvent être simples, et beaucoup de conflits se règlent sans avoir besoin de la loi . En sens inverse, plus ils sont faibles, plus il faut de lois, et jusqu'à l'infini. L'on se désole par les temps qui courent de la judiciarisation de notre société, et de l'inflation législative qui noie jusqu'aux juges chargés de dire le droit. L'on nous annonce que nous commençons à vivre, à l'américaine, dans un monde de lawyers. C'est sans doute parce que nous manquons de modèles, de modèles assez puissants pour limiter le recours aux lois.
dimanche 9 août 2009
Parti Socialiste : quel Au-delà?
Le Parti Socialiste affiche tous les symptômes de l'agonie. Même la SFIO des années 1960, portant tout le poids de la guerre d'Algérie et de la fin de la IVème République, n'était pas agitée des soubresauts que connaît aujourd'hui son successeur.
Nous sommes bien en une fin de cycle, ouverte par le départ impromptu de Lionel Jospin en 2002. L'on ne dira jamais assez les lourdes conséquences de ce geste solitaire de dépit, pris en dehors de toute analyse politique collective, qui a rompu la chaîne de légitimité au sein du Parti.
Le voilà aujourd'hui peu à peu transformé en parti d'élus locaux : l'on tient des régions, des départements, des communes. Autant de niches qui permettent de voir venir, de récompenser des milliers de militants fidèles, de se consoler des échecs nationaux. Mais ces niches, comme le Parti Communiste en son temps, le Parti Socialiste les perdra à son tour. Si l'on continue ainsi, il lui restera le socialisme municipal par lequel il a commencé, à la fin du XIXème siècle, quelques fêtes de la Rose, puis plus rien.
L'on nous dit que le Parti socialiste, avant même d'avoir besoin d'un leader, a besoin d'un projet. C'est vrai. Pour être lisible et audible aujourd'hui, il devrait être bref, du format que l'on peut lire et commenter à une tribune, et résumer en une minute à la télévision. Le Programme de Bad Godesberg (1959), pourtant très allemand, tenait en sept ou huit pages. La Charte d'Amiens (1905), perfection du genre, contenait trois idées, développées en trente lignes. Elle a porté le projet syndical pendant un demi-siècle, et l'un des principes posés - la séparation entre syndicats et partis - marque encore aujourd'hui notre culture politique.
Enfin ce projet devra être crédible. Il devra pour cela éviter les formules usées ("le juste partage des fruits de la croissance"), et le pathos ("le post-matérialisme"). Il devra s'inscrire d'emblée dans le seul espace de référence qui ait un sens pour agir sur le réel et construire du durable, l'espace européen. Plus personne n'osant croire à l'Europe, c'est donc une longue marche qu'il devra annoncer. Mais ceux qui ont fondé le socialisme n'avaient pas peur de la longue durée. Il faut retrouver le même courage.
Lisible, audible, crédible, ce projet devra enfin être rassembleur. Comment ne pas retomber dans les tristes luttes de motions et de courants? Peut-être en procédant, sur la base de ce projet, au renouvellement général des adhésions. Pour être membre du Parti socialiste rénové, chacun, ancien ou nouveau, aurait à le solliciter et manifesterait par là-même son adhésion au nouveau projet. Un certain nombre, sans doute, choisira alors de partir. Mais d'autres, nouveaux, devraient entrer. Et tous, anciens et nouveaux, se retrouveraient pour adopter, notamment, de nouveaux statuts mettant en place une structure allégée... qu'il serait opportun de doter d'une mécanique inoxydable de contrôle des adhésions et des votes internes.
Bien entendu, pour être pleinement mobilisateur, le nouveau projet devrait s'incarner dans un leader. C'est certainement le point le plus difficile. Peu importe son origine, son parcours politique, son âge ou son profil. Il n'y a pas de règle en la matière, l'histoire enseigne que souvent l'inattendu, et même l'improbable, arrive. L'idéal serait que ce leader émerge dans le processus même d'élaboration du projet, et qu'il en soit le principal inspirateur.
Une telle opération de renouveau peut-elle être conduite dans les deux ans qui nous séparent de la dernière ligne droite avant la prochaine présidentielle? Oui, tout juste, vraiment tout juste, si elle démarrait aujourd'hui. Sinon, la prochaine chance ne se présentera qu'en 2013. Mais que la Gauche gagne ou perde en 2012, la nécessité d'une résurrection du parti : nouveau projet, nouveaux statuts, nouveau mode de fonctionnement, paraît désormais incontournable.
Nous sommes bien en une fin de cycle, ouverte par le départ impromptu de Lionel Jospin en 2002. L'on ne dira jamais assez les lourdes conséquences de ce geste solitaire de dépit, pris en dehors de toute analyse politique collective, qui a rompu la chaîne de légitimité au sein du Parti.
Le voilà aujourd'hui peu à peu transformé en parti d'élus locaux : l'on tient des régions, des départements, des communes. Autant de niches qui permettent de voir venir, de récompenser des milliers de militants fidèles, de se consoler des échecs nationaux. Mais ces niches, comme le Parti Communiste en son temps, le Parti Socialiste les perdra à son tour. Si l'on continue ainsi, il lui restera le socialisme municipal par lequel il a commencé, à la fin du XIXème siècle, quelques fêtes de la Rose, puis plus rien.
L'on nous dit que le Parti socialiste, avant même d'avoir besoin d'un leader, a besoin d'un projet. C'est vrai. Pour être lisible et audible aujourd'hui, il devrait être bref, du format que l'on peut lire et commenter à une tribune, et résumer en une minute à la télévision. Le Programme de Bad Godesberg (1959), pourtant très allemand, tenait en sept ou huit pages. La Charte d'Amiens (1905), perfection du genre, contenait trois idées, développées en trente lignes. Elle a porté le projet syndical pendant un demi-siècle, et l'un des principes posés - la séparation entre syndicats et partis - marque encore aujourd'hui notre culture politique.
Enfin ce projet devra être crédible. Il devra pour cela éviter les formules usées ("le juste partage des fruits de la croissance"), et le pathos ("le post-matérialisme"). Il devra s'inscrire d'emblée dans le seul espace de référence qui ait un sens pour agir sur le réel et construire du durable, l'espace européen. Plus personne n'osant croire à l'Europe, c'est donc une longue marche qu'il devra annoncer. Mais ceux qui ont fondé le socialisme n'avaient pas peur de la longue durée. Il faut retrouver le même courage.
Lisible, audible, crédible, ce projet devra enfin être rassembleur. Comment ne pas retomber dans les tristes luttes de motions et de courants? Peut-être en procédant, sur la base de ce projet, au renouvellement général des adhésions. Pour être membre du Parti socialiste rénové, chacun, ancien ou nouveau, aurait à le solliciter et manifesterait par là-même son adhésion au nouveau projet. Un certain nombre, sans doute, choisira alors de partir. Mais d'autres, nouveaux, devraient entrer. Et tous, anciens et nouveaux, se retrouveraient pour adopter, notamment, de nouveaux statuts mettant en place une structure allégée... qu'il serait opportun de doter d'une mécanique inoxydable de contrôle des adhésions et des votes internes.
Bien entendu, pour être pleinement mobilisateur, le nouveau projet devrait s'incarner dans un leader. C'est certainement le point le plus difficile. Peu importe son origine, son parcours politique, son âge ou son profil. Il n'y a pas de règle en la matière, l'histoire enseigne que souvent l'inattendu, et même l'improbable, arrive. L'idéal serait que ce leader émerge dans le processus même d'élaboration du projet, et qu'il en soit le principal inspirateur.
Une telle opération de renouveau peut-elle être conduite dans les deux ans qui nous séparent de la dernière ligne droite avant la prochaine présidentielle? Oui, tout juste, vraiment tout juste, si elle démarrait aujourd'hui. Sinon, la prochaine chance ne se présentera qu'en 2013. Mais que la Gauche gagne ou perde en 2012, la nécessité d'une résurrection du parti : nouveau projet, nouveaux statuts, nouveau mode de fonctionnement, paraît désormais incontournable.
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jeudi 23 juillet 2009
Amères condoléances
Je sors d'un silence de six mois pour rappeler, avant que tout ceci ne s'efface de nos mémoires, qu'il y a une dizaine de jours, 168 personnes sont mortes dans la chute d'un Tupolev 154 - M de la compagnie iranienne Caspian Airlines sur la ligne Téhéran Erevan. Il s'agissait pour l'essentiel d'Iraniens, dont une bonne partie de la communauté arménienne. Il y avait aussi dans l'avion des Arméniens, ainsi que quelques Russes et Géorgiens, et deux Australiens, Il y avait en particulier onze membres de l'équipe junior iranienne de judo.
L'Union européenne, le gouvernement américain ont aussitôt présenté leurs condoléances à l'Iran. Le gouvernement français a fait de même. "la France adresse ses sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes et exprime toute sa sympathie aux peuples et aux autorités iraniennes et arméniennes" a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay.
Deux autres accidents avec le même modèle d'avion se sont produits en Iran, l'un en 2006 lors d'un atterrissage à Mashhad, faisant 29 victimes, l'autre en 2002 près de Khorramabad, faisant 118 morts. Le Tupolev 154 - M est un avion vieillissant. Sa production, entamée au début des années 1980, s'est arrêtée en 1994. La difficulté à se procurer des pièces de rechange fiables pose de sérieux problèmes d'entretien aux compagnies clientes du constructeur russe.
Les avions de l'ancien espace soviétique ont mauvaise réputation en Iran. Sur les onze accidents d'avion intervenus dans ce pays depuis 2001, l'on trouve, outre les trois Tupolev évoqués, trois Antonov, un Ilyouchine, un Yakovlev. Avec les trois derniers accidents concernant un Airbus, un Boeing et un Hercules C 130, l'on atteint un total de 800 victimes.
Rappelons à présent qu'une part de ce bilan est dû aux sanctions américaines qui interdisent de vendre à l'Iran tout avion contenant 10% ou plus de production américaine. Pas de Boeing donc, mais pas d'Airbus non plus, car ils contiennent, eux aussi, des éléments américains. La compagnie européenne pourrait à la rigueur vendre à l'Iran des avions passant au-dessous de la barre des 10% (notamment en les équipant de moteurs Rolls-Royce), mais ni Airbus, ni Rolls-Royce d'ailleurs, ne veulent prendre le risque de se fâcher avec le client américain. C'est ainsi que les compagnies iraniennes se voient contraintes de faire voler des avions hors d'âge, encore à peu près entretenus lorsqu'il s'agit d'avions européens ou américains, nettement moins lorsqu'il s'agit d'avions russes.
Voilà donc l'exemple parfait de sanctions visant un régime et frappant une population qui n'en peut mais, sans parler des victimes collatérales de nationalités diverses. Les condoléances américaines et européennes ont donc pour les Iraniens un goût plutôt amer.
L'Union européenne, le gouvernement américain ont aussitôt présenté leurs condoléances à l'Iran. Le gouvernement français a fait de même. "la France adresse ses sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes et exprime toute sa sympathie aux peuples et aux autorités iraniennes et arméniennes" a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay.
Deux autres accidents avec le même modèle d'avion se sont produits en Iran, l'un en 2006 lors d'un atterrissage à Mashhad, faisant 29 victimes, l'autre en 2002 près de Khorramabad, faisant 118 morts. Le Tupolev 154 - M est un avion vieillissant. Sa production, entamée au début des années 1980, s'est arrêtée en 1994. La difficulté à se procurer des pièces de rechange fiables pose de sérieux problèmes d'entretien aux compagnies clientes du constructeur russe.
Les avions de l'ancien espace soviétique ont mauvaise réputation en Iran. Sur les onze accidents d'avion intervenus dans ce pays depuis 2001, l'on trouve, outre les trois Tupolev évoqués, trois Antonov, un Ilyouchine, un Yakovlev. Avec les trois derniers accidents concernant un Airbus, un Boeing et un Hercules C 130, l'on atteint un total de 800 victimes.
Rappelons à présent qu'une part de ce bilan est dû aux sanctions américaines qui interdisent de vendre à l'Iran tout avion contenant 10% ou plus de production américaine. Pas de Boeing donc, mais pas d'Airbus non plus, car ils contiennent, eux aussi, des éléments américains. La compagnie européenne pourrait à la rigueur vendre à l'Iran des avions passant au-dessous de la barre des 10% (notamment en les équipant de moteurs Rolls-Royce), mais ni Airbus, ni Rolls-Royce d'ailleurs, ne veulent prendre le risque de se fâcher avec le client américain. C'est ainsi que les compagnies iraniennes se voient contraintes de faire voler des avions hors d'âge, encore à peu près entretenus lorsqu'il s'agit d'avions européens ou américains, nettement moins lorsqu'il s'agit d'avions russes.
Voilà donc l'exemple parfait de sanctions visant un régime et frappant une population qui n'en peut mais, sans parler des victimes collatérales de nationalités diverses. Les condoléances américaines et européennes ont donc pour les Iraniens un goût plutôt amer.
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