Il faut saluer Alain Juppé, Bernard Norlain, Alain Richard et Michel Rocard pour leur appel, paru dans le Monde du 15 octobre, à voir la France mieux s'engager dans un processus de désarmement nucléaire général et complet.
L'on se souvient du discours prononcé par Obama à Prague en avril, développant la vision d'un monde débarrassé d'armes nucléaires. L'on se souvient aussi de l'appel dans le même sens lancé par quatre vieux routiers de la politique américaine, Schultz, Perry, Kissinger et Nunn, sur le même thème en janvier 2008. Ce document développait l'analyse qu'un monde totalement débarrassé de la bombe atomique serait, tout bien pesé, moins dangereux à long terme qu'un monde où la prolifération continuerait nécessairement de conduire à une insécurité incontrôlable.
Cette évolution des esprits s'est heurtée jusqu'à présent en France à un scepticisme épais. L'opinion en a été faiblement informée. Dans les milieux spécialisés et dans les cercles du pouvoir, l'on ironisait sur le fait que les quatre signataires de l'appel de 2008 étaient des retraités de la politique, loups convertis bien tard en moutons. Un an plus tard, le discours de Prague était accueilli par des applaudissement polis, et quelques commentaires sur le thème : "Messieurs les Américains, à vous de commencer". Et l'on sentait une sorte de jalousie à voir le Président des Etats-Unis accroître sa popularité mondiale par des effets faciles. L'attribution à Barack Obama du prix Nobel de la paix, que certains avaient rêvé de voir décerner à notre Président pour son intervention dans la crise géorgienne, n'a rien arrangé. Et en septembre dernier, quand Obama, prenant personnellement la présidence du Conseil de Sécurité, a fait adopter une résolution traçant les perspectives d'un désarmement nucléaire mondial, notre président l'a interpellé plutôt vertement sur la nécessité de redescendre sur terre et de régler avant toute chose les crises nord-coréenne et iranienne.
Curieusement, cette attitude française transcende les lignes politiques. A gauche, l'on ne s'est pas montré plus intéressé par ce regain de réflexion sur le désarmement que dans la majorité présidentielle. L'aura entourant la dissuasion nucléaire semble la placer à un niveau de transcendance qui interdit toute analyse critique, à gauche comme à droite. Comme si l'effort historique accompli dans les années 1970 pour échapper au pacifisme un peu niais traditionnellement associé au mouvement socialiste et faire accepter la Force de frappe créait l'obligation morale d'étouffer désormais dans l'oeuf toute tentation de rechute.
Il ressort de tout cela l'image d'un pays crispé sur son statut de puissance nucléaire militaire comme l'un des derniers soutiens de son rang dans le monde. Et ceci décrédibilise notre discours vers ceux dont nous craignons qu'ils se dotent d'un arsenal nucléaire, tant y transparaît l'inquiétude de voir se dévaluer notre position d'exception si trop de pays se trouvaient dotés de la bombe. La justification de notre force de dissuasion par la défense en dernier ressort de nos intérêts suprêmes n'est pas en effet un argument dont les autres aient le droit de s'emparer. Et bien entendu, aucune réflexion originale ne s'amorce chez nous sur ce que sont exactement ces intérêts suprêmes, ni sur la façon dont ils sont ou pourraient être menacés dans le monde d'aujourd'hui et de demain, ni sur l'adéquation de notre arsenal à les défendre. Mais en nous agrippant à cette ligne : "ne faites pas ce que j'ai fait et ce que je continue de faire" c'est tout l'effort collectif en faveur de la non-prolifération que l'on fragilise. Car vingt ans après la fin de la Guerre froide, la plupart des signataires du Traité de non prolifération nucléaire supporte de moins en moins le clivage entre les cinq pays légitimement dotés de la bombe et les autres qu'avait introduit, à titre en principe provisoire, ce traité.
Merci donc aux quatre auteurs de l'article du Monde de rappeler que notre pays "est tout aussi intéressé que les autres puissances nucléaires au rétablissement d'une non-prolifération crédible". Merci d'exprimer "le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités". Un tabou bien français vient d'être rompu. Espérons que s'agrègent aux signataires de cette article suffisamment de talents et de bonnes volontés pour commencer à faire bouger les lignes.
mardi 20 octobre 2009
désarmement nucléaire : un appel français
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