Dans les entreprises à hauts risques, comme la lutte menée
par les insurgés syriens, appuyés par une
partie de la communauté internationale, pour renverser le régime d’Al
Assad, l’on rencontre à un moment ou à un autre le sentiment d’être au milieu
du gué : le courant est violent, le sol glisse sous vos pieds, l’ennemi
vous mitraille de ses positions protégées, parviendra-t-on à atteindre l’autre
rive ? A vrai dire, en ce genre de circonstance, il n’y a guère d’autre
solution que de progresser. Mais l’observateur, en raison même de la sympathie
qu’il éprouve pour ces combattants en situation difficile, en raison même de la
position confortable d’où il s’exprime, en vient à se demander s’il a bien
fait, s’il fait bien encore, d’encourager ceux qui sont en train de se
sacrifier à prendre de tels risques – en mettant aussi en péril leur famille,
leurs enfants, leurs quartier, leur village.
Un éditorialiste, dans le
Figaro du 25 septembre, parlant de la Syrie, invite notre président
« à cesser d’être « normal » pour remettre la France sur la
carte du Monde ». Est-ce vraiment là le sujet ? Avant de se
préoccuper de la place de la France, ne faut-il pas se préoccuper du conflit et
de ses victimes ? Et voir s’il est possible, et comment, d’arrêter
l’hémorragie ?
« Mais », va-t-on dire, « arrêter
l’hémorragie maintenant, ce serait reconnaître à Assad sa victoire, ce serait conforter
un régime cannibale, mis au ban des nations ». Peut-être, mais peut-être
pas. Le retour au calme pourrait-il être aussi le prélude à un jeu politique
plus ouvert, où se desserrerait l’emprise d’un clan sur le pays ? C’est ce
à quoi a travaillé Kofi Annan, c’est ce à quoi travaille Lakhdar Brahimi. Il n’est
pas sûr que l’on ait beaucoup fait, du côté occidental, pour les aider.
Face au dilemme : travailler à la paix, même
imparfaite, même incertaine, ou pousser à l’exacerbation du conflit jusqu’à son
épuisement, nous avons opté, Européens et Américains, pour la deuxième branche
de l’alternative. Ayant choisi notre camp, nous avons évidemment condamné tous
ceux –Chine, Russie, Iran- qui aidaient l’autre. Mais nous aidons aussi le
nôtre.
Chacun donc, ouvertement ou clandestinement, directement ou
indirectement, alimente la fournaise. À ce jeu, l’on peut craindre que chaque
effort supplémentaire des uns soit compensé par un effort supplémentaire des
autres. L’on a vu, en d’autres circonstances, comment ce type de comportement
aboutissait à des issues où tous les combattants se retrouvaient à bout de
forces, sans jamais pouvoir l’emporter l’un sur l’autre. Et si l’un quand même
l’emportait, ce serait dans un tel champ de ruines qu’il n’y aurait plus de
véritable vainqueur. Ce serait dans un tel chaos que tout retour à la normale
se trouverait compromis pour des années. Ceci sans parler des évolutions
incontrôlées qui pourraient embraser les pays voisins, déstabiliser la région,
et punir des communautés entières n’y pouvant mais.
L’on a déjà vu les effets induits en Libye et jusqu’au Sahel
par l’intervention à force ouverte de l’Occident en vue de faire chuter un
régime honni, qui méritait en effet amplement de disparaître. Ces effets
induits sont là pour durer. Notre non-intervention en Syrie pourrait-elle
conduire à des résultats comparables ? Enfin, comme disait Talleyrand: «non-intervention,
ce mot diplomatique et énigmatique signifiant la même chose qu’intervention ».
Nous ne pourrons pas nous étonner, encore moins nous exonérer, de ce que sera
la Syrie de demain. Il n’est pas interdit de commencer à réfléchir aux efforts,
très concrets, auxquels nous pourrons être appelés pour la reconstruire. Pour
répondre au souci de l’éditorialiste du Figaro, une bonne occasion s’offrirait alors à la France de « tenir son rang ».