La population mondiale a franchi en 2000 le cap des 6 milliards, et devrait atteindre les 7 milliards vers 2015. Dans les 25 dernières années elle a augmenté de 2,5 milliards d’habitants, chiffre de la population mondiale totale en 1950. Le cap du milliard d’habitants sur notre planète a sans doute été franchi vers 1830. Il a fallu un siècle pour le doubler. Malgré le ralentissement de la fécondité dans un nombre important de pays, il devrait y avoir à peu près 8 milliards d’habitants sur la terre en 2030 et près de 9 milliards en 2050.
Malthus prédisait que la population mondiale dépasserait les capacités agricoles de la planète au milieu du XIXème siècle. Il s’est lourdement trompé. Il a été répondu au défi de l’expansion démographique mondiale par l’expansion des surfaces cultivées, les progrès du machinisme, des engrais artificiels, puis de la génétique. Tout ceci a formé la « révolution verte » qui a permis, par exemple, à l’Inde de démentir les prédictions qui, au moment de son indépendance, lui annonçaient une irrémédiable famine dans les vingt années à venir. Il y a eu enfin les progrès de la conservation des denrées et du transport sur longue distance qui ont permis aux fermiers du Middle West ou aux éleveurs de poulets européens de nourrir à des prix défiant toute concurrence, et notamment la concurrence locale, les populations d’Afrique ou d’ailleurs. Ou encore aux pêcheurs du monde entier de venir ratisser de leurs chaluts les fonds côtiers de l’Afrique.
Mais la progression des rendements tendra à se ralentir, à l’image des records d’athlètes que l’on voit approcher de l’absolu physiologique. Et durant les trente dernières années la surface mondiale des terres arables est restée stable : autour de 1,5 milliards d’hectares. Si de nouvelles surfaces ont été dédiées à l’agriculture en Amérique latine et en Russie, cette expansion a été compensée par l’urbanisation de l’Europe et de l’Asie. Dans les dix dernières années, 8 millions d’hectares cultivés ont ainsi disparu en Chine, soit les deux tiers de toute la surface arable de l’Allemagne. Et l’urbanisation va évidemment s’étendre. Nous venons tout récemment de franchir le seuil de 50% de la population mondiale vivant dans des villes. En 1950, le chiffre n’était que de 30%. Tout ceci sans parler des effets, encore difficilement évaluables, du réchauffement climatique.
L’homme, on le sait, résout les problèmes au moment où ils se posent. Il est quand même étonnant que l’on n’ait pas vu plus vite celui-là approcher. La Banque mondiale, qui veille à s’entourer des meilleurs économistes du monde, vient d'avouer n'avoir consacré que 12% de ses prêts à des projets agricoles en 2007, contre 30% dans les années 1980. Et elle souligne que 4% seulement de toute l’aide publique au développement va aujourd’hui à l’agriculture. Ce qui ne l'empêche pas d'expliquer ensuite doctement aux pays en difficulté comment s'y prendre pour s'en sortir. Que d’étourderie chez de si beaux esprits ! A qui donc se fier ?
A ces données structurelles s’ajoute pour expliquer l’actuelle flambée des prix agricoles la vague spéculative sur les matières premières. En 2000, nous avons vécu l’affaissement boursier de la bulle internet. Le 11 Septembre a ajouté au marasme mondial. Fuyant la bourse, l’argent de la spéculation, gonflé des dollars créés par les déficits historiques américains, s’est dirigé vers l’immobilier. Las, celui-ci à son tour connaît la crise des subprimes : mille milliards de dollars partis en fumée…. Méfiance envers les valeurs boursières, méfiance envers la pierre, que reste-t-il ? les matières premières, bien sûr, l’or, les métaux, le pétrole, les produits agricoles, dont la pénurie alimente aujourd’hui la spéculation.
Phénomènes structurels et phénomènes conjoncturels se combinent donc aujourd’hui pour nourrir la crise. Ce ne sont pas les lois du marché qui vont permettre d'en traiter les racines. Comment mettre en place, aux échelles nationale, régionale, mondiale, des politiques volontaristes à la hauteur du défi? comment empêcher qu'avec l'approfondissement prévisible de la crise ne se développe, au moins dans les pays les plus touchés, la tentation de confier ces politiques volontaristes à des régimes autoritaires? Des bonnes réponses à ces questions dépend notre capacité à ne pas devoir donner, certes avec deux siècles de retard, raison à Malthus.