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jeudi 12 novembre 2020

BIDEN, L’IRAN, LE NUCLÉAIRE ET LES AUTRES


En septembre dernier, Joe Biden a pris position à l’égard de l’accord nucléaire avec l’Iran, dit aussi JCPOA, conclu en 2015 à Vienne par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, dont Trump a sorti les États-Unis en mai 2018. Il a présenté comme un échec la politique de « pression maximale » qui a suivi. De fait, la multiplication des sanctions américaines a infligé des coups terribles à l’économie et à la population iraniennes, mais n’a pas ramené la République islamique à la table de négociations, comme le calculait la Maison-Blanche. L’Iran a finement joué en demeurant au sein du JCPOA, tout en mettant en place une série d’infractions calculées à l’accord, sur lesquelles il s’est dit prêt à revenir si les choses s’arrangeaient. Ces infractions, en somme modérées, l’ont néanmoins rapproché de la capacité à se doter, s’il en prenait la décision, de l’arme nucléaire. Et dans cette période, les cinq autres pays parties à l’accord ont plutôt été du côté de l’Iran, mettant en lumière la solitude de Washington. 

Les attentes de Joe Biden 

Biden a donc manifesté l’intention de ramener les États-Unis dans le JCPOA si l’Iran en respectait à nouveau scrupuleusement les termes. Mais il veut aussi que ce retour ouvre une nouvelle séquence diplomatique. Il s’agirait d’abord d’améliorer le texte avec les autres parties à l’accord en renforçant ses dispositions protectrices à l’égard des tentations de prolifération de Téhéran. L’Iran devrait en outre libérer les Américains injustement détenus, progresser en matière de droits de l’Homme, et reculer dans ses « entreprises de déstabilisation » de la région. Biden enfin souligne qu’il continuera d’user de sanctions ciblées pour contrer les violations des droits de l’Homme, le développement du programme balistique et « le soutien au terrorisme ». 

Côté iranien, la réponse est mesurée. Le Guide suprême ne s’est pas prononcé. Le Président Hassan Rouhani a déclaré que les États-Unis devaient « réparer leurs erreurs passées et revenir au respect de leurs engagements internationaux ». Son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Djavad Zarif, a fait savoir qu’il n’était pas question de renégocier les termes du JCPOA. Son porte-parole a ajouté que les États-Unis devraient garantir l’Iran contre le risque d’une nouvelle sortie de l’accord. Il faudrait alors qu’ils ratifient le JCPOA -- mais le Congrès sera difficile à convaincre --, ou du moins qu’ils fassent adopter par le Conseil de sécurité une résolution donnant à l’accord une force obligatoire. Quant aux autres sujets -- droits de l’Homme, terrorisme, programme balistique, influence régionale --, l’on voit mal l’Iran accepter de lever la barrière qu’il a posée entre le nucléaire et ces autres sujets sur lesquels ses interlocuteurs, en particulier le Président Macron, ont déjà tenté de l’entraîner. De telles questions échappent d’ailleurs à la compétence du ministère des affaires étrangères, qu’il s’agisse du balistique et des opérations régionales, chasse gardée des Pasdaran, ou des droits de l’Homme, à la merci du système judiciaire. 

Les autres acteurs, aux États-Unis et ailleurs 

Biden va devoir aussi compter avec d’autres acteurs. D’abord l’administration finissante de Donald Trump, en place jusqu’au 19 janvier. Celle-ci a tout récemment multiplié les sanctions contre l’Iran et fait passer le message qu’elle pourrait continuer jusqu’au dernier moment, avec l’idée de rendre indémêlable le dense dispositif mis en place. À noter que les dernières vagues de sanctions ont été pour l’essentiel lancées au nom de la lutte contre le terrorisme ou la violation des droits de l’Homme. Or, la mise en œuvre du JCPOA n’avait entraîné que la levée – partielle -- des sanctions liées au nucléaire. Même si ces sanctions nucléaires, rétablies par Trump, sont bien levées à nouveau par Biden, toutes les autres sanctions, touchant à des domaines vitaux comme le pétrole ou les banques, resteront en place, neutralisant le bénéfice attendu du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne. Biden aura certes la capacité de revenir aussi sur ces autres sanctions, du moins pour celles dont la levée n’obligerait pas à solliciter l’accord du Congrès, mais il sait également que tout mouvement en ce sens serait aussitôt dénoncé par son opposition comme une démission en matière de lutte contre le terrorisme ou de défense des droits de l’Homme. 

Ajoutons que le service du Trésor chargé de l’élaboration et de l’application des sanctions, le redoutable OFAC (Office of Foreign Assets control), est peuplé à tous les étages de « faucons » ayant mis tous leurs talents de juristes au service de la lutte contre l’Iran. Ce sont eux qui ont déjà saboté la mise en œuvre du JCPOA durant la brève période allant de son adoption au départ d’Obama, en interprétant a minima les obligations des États-Unis. Joe Biden ne pourra donc pas faire l’économie d’une reprise en main de cette administration. Et il devra persuader ses équipes qu’il ne suffit pas d’abroger des textes pour effacer les dommages provoqués par une politique. Il y faut aussi une volonté active de relance et de coopération. 

Et puis, Biden devra également compter avec les réactions d’Israël et des pays de la Péninsule arabique, à commencer par l’Arabie saoudite. Il pourra peut-être passer par pertes et profits le froid qui s’installera dans la relation avec le royaume wahhabite, sachant que ce pays a, de toutes façons, trop besoin de l’Amérique. Il se prépare d’ailleurs à lui faire avaler une pilule autrement amère : la fin du soutien de Washington à la «désastreuse guerre au Yémen ». 

Avec Israël, l’entreprise sera plus difficile, en raison des liens qui unissent l’État hébreu avec de larges segments de l’électorat américain. Avant d’agir il faudra s’expliquer et tenter de convaincre. Les interlocuteurs de la nouvelle Administration, s’ils ne peuvent bloquer le changement de ligne, monnayeront au plus haut leur abstention. Et déjà circule en Israël l’idée qu’il faudra peut-être en venir à intervenir seul contre l’Iran. Est-ce crédible ? Cette menace avait déjà été agitée entre 2010 et 2012, mais l’état-major s’était fermement opposé à ces projets en raison de l’incertitude des résultats. Il devrait en être de même aujourd’hui. D’ailleurs, alors que circule aussi aux États-Unis l’idée que Trump pourrait, avant de partir, frapper l’Iran pour créer une situation irréversible, tout laisse à penser que l’État-major américain marquerait son refus. Il l’avait déjà fait aux derniers temps de l’administration de George W. Bush lorsque cette hypothèse avait été un moment caressée. 

L’échéance des présidentielles iraniennes 

Comment, pour Joe Biden, composer avec tous ces éléments ? Il en est un avec lequel il devra au premier chef compter. Des élections présidentielles se tiendront en Iran en juin prochain. À ce jour, tout va dans le sens de la victoire d’un conservateur, voire d’un radical parmi les conservateurs, tant ceux-ci ont verrouillé la vie politique en tirant profit de la déception de la population a l’égard du JCPOA. Le Président Rouhani s’en est trouvé discrédité, et avec lui, l’ensemble des réformateurs et modérés. Cela s’est vu aux élections législatives de février dernier, qui ont amené une majorité écrasante de conservateurs au parlement. Or les États-Unis, comme l’Europe, ont tout intérêt à ce que réformateurs et modérés, quels que soient leurs graves insuffisances, continuent de compter dans la vie politique iranienne. Eux seuls en effet souhaitent une relation, sinon amicale, du moins apaisée avec l’Occident. D’où l’intérêt de préserver l’avenir, en offrant à Rouhani -- qui ne pourra se représenter après deux mandats -- et à ses amis, une ultime occasion de se refaire une santé politique. 

Il faudrait pour cela poser les bases d’une relance bénéfique à la population durant le bref intervalle de quatre mois allant de l’investiture de Joe Biden à la campagne présidentielle iranienne. Il ne sera pas possible en si peu de temps de mener à terme le plein retour des États-Unis dans le JCPOA et d’effacer les effets ravageurs des sanctions de Donald Trump. Mais il devrait être possible, d’abord de libérer toutes les capacités d’aide humanitaire dont l’Iran a besoin en urgence dans la grave crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Ensuite d’accorder sans attendre un montant significatif d’exemptions, ou waivers, aux sanctions sur le pétrole et aux transactions financières internationales, en échange de gestes iraniens également significatifs sur la voie d’un retour au strict respect de ses obligations découlant du JCPOA. Ces mesures partielles mais pragmatiques permettraient d’éclairer l’avenir et de faciliter la suite.

Article paru le 12 novembre 2020 sur le site 

Boulevard Extérieur


mardi 1 janvier 2019

LA LAÏCITÉ EN FRANCE... ET AILLEURS


(paru dans le n° 48 de la revue "Après-demain", décembre 2018)


Il existe à l’Organisation des Nations-Unies un Comité des droits de l’Homme. Composé de 18 experts indépendants, il veille à la bonne application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu en 1966 et ratifié par la France en février 1981. Le Comité peut ainsi recevoir des plaintes de personnes s’estimant atteintes dans leurs droits et qui n’ont pas obtenu satisfaction devant la justice de leur pays. Il émet alors ce qu’il appelle une constatation dans laquelle, s’il estime la plainte justifiée, il peut demander au pays concerné de rectifier sa façon d’agir, éventuellement d’indemniser la victime.

La France deux fois désavouée

La France vient tout récemment d’être désavouée par le Comité dans deux affaires emblématiques de sa conception de la laïcité.
La première affaire concerne le licenciement sans indemnité d’une employée d’une crèche associative qui refusait de quitter son voile au travail. C’est la fameuse affaire « Baby-Loup », dans laquelle les juges français ont finalement donné tort à l’employée. Le Comité des droits de l’Homme lui a au contraire donné raison, en considérant que son droit à manifester librement sa religion avait été violé. Il a estimé que la France n’avait pas démontré que le port du voile par une employée portait atteinte aux droits fondamentaux des enfants ou des parents fréquentant la crèche.

La deuxième affaire concerne le cas de deux femmes condamnées à des amendes pour avoir porté dans la rue le niqab, ou voile intégral, en contravention avec une loi de 2010, interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public. Le Comité a estimé que cette interdiction pouvait se justifier en certaines circonstances ou en certains lieux, par exemple à l’occasion de contrôles d’identité, mais qu’une interdiction générale et absolue couvrant l’ensemble de l’espace public était une mesure excessive qui portait atteinte aux droits des personnes en question.

Voilà donc la justice française déstabilisée, et une partie de l’opinion française désorientée par ces deux prises de position. Comment se fait-il que notre vision de la laïcité soit si mal comprise à l’étranger ?

Certes, les experts du Comité des droits de l’Homme viennent de tous les coins de la terre. Mais parmi les douze experts ayant adopté la première constatation, figurent trois Européens et deux Nord-américains, qui devraient en principe assez bien nous comprendre. Les deux autres constatations, prises en termes à peu près identiques, ont été adoptées par onze experts, avec quand même deux opinions dissidentes donnant raison à la France, exprimées par les experts tunisien et portugais.

La laïcité à travers le monde

La laïcité prend donc des aspects très variés à travers le monde, certes à partir d’un socle commun, dès que l’État, la loi, ne puisent plus leur légitimité dans un ordre supérieur, défini par la foi et la religion. En France, elle commence à apparaître dans les efforts des Rois pour se dégager de la mainmise de la Papauté. Elle prend forme sous la Révolution avec la Constitution civile du clergé, se conforte avec le Code civil et le Concordat napoléonien, et adopte son aspect moderne sous la Troisième république, lorsque la société s’affranchit par une série de lois de l’emprise du clergé. Mais ailleurs, les parcours et les aboutissements sont fort différents. Voici quelques exemples.
Les régimes communistes, athées par principe, ont pratiqué une laïcité fortement hostile à toutes les religions, détruisant les lieux de culte, persécutant les fidèles, contrôlant très étroitement les pratiques religieuses provisoirement tolérées dans l’attente d’un monde nouveau émancipé de toutes « superstitions ».

En Europe, beaucoup d’États se réfèrent à Dieu dans leur Constitution, mais pour affirmer ensuite leur neutralité face à toutes les croyances. La Constitution fédérale suisse est adoptée « au nom du Dieu tout-puissant » mais affirme que nul ne peut subir de discrimination, notamment du fait de ses convictions religieuses ou philosophiques. Le peuple allemand adopte la Loi fondamentale « conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes ». Mais nul ne peut être discriminé en raison de sa croyance ou de ses opinions religieuses ou politiques. La liberté de culte est garantie. Un impôt destiné à financer les Églises est perçu sur les fidèles (de même qu’en Autriche ou en Suisse). Et l’enseignement religieux dans les écoles est dispensé par des fonctionnaires n’appartenant à aucune hiérarchie cléricale. Plus au nord, La Suède jusqu’en 2000, la Norvège jusqu’en 2012 ont eu des Églises d’État. À l’est, la Constitution hongroise demande à Dieu de bénir les Hongrois et rappelle que leur pays est une partie de l’Europe chrétienne. Mais elle établit la séparation des Églises et de l’État. Plus au sud, la Grèce cite abondamment la religion orthodoxe dans le préambule de sa Constitution, mais proclame la liberté de conscience religieuse.

De l’autre côté de la Manche, l’Angleterre, en une sorte de premier Brexit, s’est séparée de l’Europe catholique au XVIème siècle et s’est dotée d’une Église d’État, l’Église anglicane, placée sous l’égide du Souverain. L’Écosse est également dotée d’une Église d’État, l’Église presbytérienne. Après une période de persécution des autres religions, l’Angleterre a évolué vers la tolérance, au point d’apparaître dès le XVIIIème siècle comme un modèle. Mais longtemps, les Catholiques, entre autres, n’ont pu exercer de fonctions publiques. Tony Blair a attendu de n’être plus Premier ministre pour se convertir officiellement au catholicisme.

Aux États-Unis, la Constitution interdit au Congrès de légiférer pour établir une religion ou pour en interdire le libre exercice. C’est seulement en 1956 qu’est adoptée comme devise officielle du pays « in God we trust » (« en Dieu est notre foi »). Les Églises échappent à l’impôt. Tout peut être prêché sans entraves, y compris les doctrines les plus sectaires. Le créationnisme, qui affirme que Dieu, comme le dit la Bible, a directement créé tous les êtres vivants, homme compris, y est très populaire. Et le sentiment religieux joue, on le sait, un rôle très important dans la vie publique.

La Constitution canadienne proclame :« le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle du droit ». La Charte des droits et libertés protège la liberté de conscience et de religion et les normes communes doivent s’adapter, dans la mesure du possible, aux prescriptions religieuses. La jurisprudence a ainsi été amenée à dégager la notion d’«accommodement raisonnable». Entre autres exemples, les juges ont autorisé les Sikhs à porter sur eux leur poignard rituel, à condition qu’il soit fermement cousu à l’intérieur de leur vêtement.

Loin des pays de tradition judéo-chrétienne, la Turquie, née au lendemain de la Première guerre mondiale sur les débris de l’empire ottoman, s’est voulue un État laïque. En 1924, elle abolit le califat, qui faisait du Sultan « l’ombre de Dieu sur terre » et donc le guide de tous les Musulmans. Mais la première Constitution établit l’Islam comme « la religion de l’État turc ». Une Direction des affaires religieuses, toujours active à ce jour, vient gérer, financer et donc contrôler l’exercice du culte musulman, plus précisément du culte sunnite hanafite, pratiqué par la majorité de la population. Il faut attendre 1937 pour que la laïcité soit citée dans la Constitution. Le principe a été conservé mais la laïcité a été récemment ébranlée par l’arrivée aux commandes du pays de conservateurs, défenseurs des traditions.

L’Islam est cité dans la plupart des Constitutions des pays arabo-musulmans, du moins lorsqu’ils ont en une, et souvent la Charia, ou loi religieuse, est posée comme source du Droit. Le Liban, pays multiconfessionnel, fait toutefois exception. Mais les mêmes textes garantissent ensuite la liberté de conscience. En réalité, les pratiques d’un pays à l’autre sont très diverses, le principe de tolérance est en beaucoup d’endroits fort malmené, parfois par les sociétés encore plus que par les pouvoirs publics. Dans la même région, le Parlement israélien vient de proclamer Israël « État-nation du peuple juif ». L’on semble donc loin de la laïcité. Mais la déclaration d’indépendance de 1948, par laquelle Israël s’engage à assurer « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe » reste en vigueur. Au-delà des formules, il faut donc voir, ici comme ailleurs, comment tout ceci s’applique et s’appliquera.

Dans beaucoup de pays d’Afrique, les Constitutions et les grandes lois tendent à refléter les traditions juridiques dans laquelle ils ont baigné avant leur indépendance. Mais rites et croyances y jouent un rôle majeur de cohésion sociale. La laïcité n’y est l’affaire que de petits groupes. L’Asie offre, elle, un paysage contrasté. Pour prendre deux exemples, l’Inde et le Japon, l’Inde, dès son indépendance, s’affirme comme une République « séculière », portant un égal respect à toutes les religions. Sur cette base, le droit des personnes combine règles générales et prescriptions que chacun peut invoquer en vertu de sa religion. Et la vie quotidienne de l’immense majorité des Indiens est irriguée par les religions. En outre, ces dernières années, la volonté de faire de l’Inde une nation Hindoue a atteint le sommet de l’État, remettant en cause les principes fondateurs du pays. Au Japon en revanche, si rites et croyances circulent comme ailleurs, elles le font sur un mode discret. La Constitution de 1946 a introduit une séparation radicale entre Églises et État, qui est toujours scrupuleusement respectée.

Retour en France

A l’issue de ce tour d’horizon, la laïcité « à la française » apparaît dans toute son originalité, et peut-être sa solitude. D’autant qu’elle a beaucoup évolué au cours de son histoire, avec des épisodes de tensions et d’intolérance, mais aussi de très nombreux accommodements.

Dans la période récente, elle a semblé aller à l’encontre de l’adage « C’est à l’État d’être laïque, pas aux individus », en cherchant à introduire dans la vie sociale une sorte de laïcité des comportements, notion étrangère à ses fondateurs historiques. Elle a donc tendu à s’éloigner de la conception de la laïcité la plus répandue autour d’elle, fondée sur une neutralité tolérante, et même bienveillante, plutôt que sur une attitude prescriptive.

Or c’est cette protection de la diversité qui imprègne les grands textes fondateurs que sont la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), la Convention européenne des droits de l’Homme (1953) ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2007). Tous trois affirment en effet à l’unisson : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique… la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».

D’où le conflit qui vient de surgir entre la France et les gardiens du Pacte relatif aux droits sociaux et politiques, dont l’article 18 proclame également la liberté pour tout individu « de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé ». Ceci sans autres restrictions que celles « prévues par la loi » et « nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui ». Mais il est vrai aussi que ces formules laissent ouvert le dilemme qui nourrit à ce jour le débat en France : quelles tolérances accorder aux adversaires de la tolérance ? Comment, sans menacer les droits de tout un chacun, contenir les intégrismes de toutes origines ?

dimanche 16 mai 2010

N'oublions pas Farzad Kamangar

Farzad Kamangar, instituteur dans la petite ville de Kamyaran, dans le Kurdistan iranien, marié et père de famille, a été exécuté à l'âge de 34 ans, le 9 mai dernier, à la prison centrale de Téhéran à l'issue de près de quatre ans de captivité. Il était accusé d'avoir participé à des attentats conduits par un groupe séparatiste kurde. De fait, s'il était bien militant autonomiste et syndicaliste, ainsi que militant des droits de l'homme, Farzad était l'être le plus plus pacifique qui soit. C'était aussi un vrai poète. Au cours de son séjour en prison, il avait écrit la lettre qui suit, adressée aux enfants de son école, qui mérite de rester gravée dans nos mémoires, et qui mériterait, le jour où cela deviendra possible, d'être lue chaque année dans toutes les écoles d'Iran.

Salut les enfants… Vous me manquez tous. Je passe mes jours et mes nuits ici, chantant les chansons de la vie en me rappelant vos doux souvenirs. Chaque jour, je salue le soleil au lieu de vous saluer. Je me lève chaque matin avec vous, mais derrière ces hauts murs. Je ris et dors en pensant à vous. Parfois, je suis complètement submergé par la nostalgie. Je souhaiterais qu’il soit possible de tout oublier, tout comme lors du retour d’une sortie scolaire, nous nous lavions de la poussière de notre fatigue avec l’eau claire de la rivière d’un petit village. Je souhaite que cela soit possible… Je souhaite qu’il soit possible que nos oreilles entendent le son de l’eau et que nos corps sentent la caresse des fleurs, comme nous le faisions lors de nos classes au milieu de la magnifique symphonie de la nature.

Je souhaite que nous puissions laisser nos livres d'arithmétique avec tous leurs problèmes sous un rocher, parce que quand “le père n’apporte pas de pain sur la table” [1], quelle différence cela fait-il si Pi égale 3,14 ou 100,14 ?

Nous avions laissé de côté les chapitres de science avec leurs composés chimiques et physiques. Nous espérions voir une réaction faite de “miracle et d’amour” en saluant les nuages dans le ciel, les regardant dériver avec le vent. Nous attendions un changement qui empêcherait que Koroush, votre camarade de classe, ne finisse ouvrier luttant pour gagner un morceau de pain, et ne tombe d’un immeuble pour nous quitter à jamais.

Nous attendions un Norouz différent qui apporterait une nouvelle paire de chaussures, de beaux habits et une nappe pleine de sucreries et de bonbons pour nous tous.

Je voudrais qu’il soit possible de réviser encore en secret notre alphabet kurde, loin du regard furieux du directeur de l’école, que nous puissions nous chanter des poèmes et des chansons dans notre langue maternelle, et nous prendre par la main et danser et danser encore. Je souhaite pouvoir une fois encore être le gardien de but des garçons de première année d'école élémentaire, qui rêvent de devenir Ronaldo pour pouvoir ainsi marquer un but et battre leur instituteur. Quel dommage que notre terre, nos rêves et nos désirs se recouvrent de poussière bien plus rapidement que cela n'arriverait sur un simple portrait ! Je souhaite pouvoir être encore un membre permanent du jeu de la Chaîne avec les filles de première année d’école primaire, ces mêmes filles qui, je le sais, écriront un jour en secret dans leur journal “j’aurais voulu ne jamais naître fille”.

Je sais que vous avez grandi et que vous allez vous marier, mais pour moi, vous restez les mêmes anges purs qui portent encore les baisers d’Ahoura Mazda dans leurs yeux magnifiques. Qui sait, si vous n’étiez pas nées dans une telle misère et une telle souffrance, vous pourriez maintenant collecter des signatures pour la Campagne des droits des femmes. Ou si vous n’étiez pas nées dans ce coin de terre oubliée de Dieu, vous ne seriez pas forcées de dire adieu, avec les larmes aux yeux, à l’école pour “la blanche dentelle de la féminité” et expérimenter “l’amère histoire du deuxième sexe”.

Filles du pays d’Ahoura, demain, lorsque vous cueillerez des fleurs dans les vallées pour faire des couronnes à vos enfants, parlez-leur de toute la pureté et du bonheur de votre enfance.

Garçons du pays du soleil, je sais que vous ne pouvez plus vous asseoir, chanter et rire avec vos camarades de classe, parce qu’après la tristesse d’être devenus des hommes, vous devez faire face à la dure réalité de devoir gagner votre pain. Rappelez-vous de ne pas tourner le dos à vos poèmes, à vos chansons, à vos Leila et à vos rêves. Apprenez à vos enfants à être des enfants “des poèmes et des pluies” pour leur terre, pour le présent, et pour demain.

Je vous quitte pour le vent et le soleil afin que, dans un futur proche, vous chantiez les leçons de l’amour et de la sincérité à votre terre.

Votre ami d’enfance, camarade de jeu et instituteur,

Farzad Kamangar

28 février 2008

(1)"le père apporte le pain sur la table" : première phrase du livre de lecture à l'école primaire.

vendredi 2 mai 2008

Les mini-jupes de Kaboul

L'Iran au plus fort du régime taliban a accueilli près de deux millions d'Afghans. C'était alors le pays au monde qui avait sur son sol le plus grand nombre de réfugiés étrangers. Avec la chute de ce régime, l'Iran a naturellement poussé les Afghans à rentrer chez eux. Il y a eu de fortes résistances, car beaucoup s'étaient intégrés dans leur pays d'accueil. Les oppositions les plus tenaces sont venues des femmes. Pour elles, l'Iran était un paradis! elles sortaient à peu près à leur guise dans la rue, et se promenaient à visage découvert. Leurs maris avaient appris à les aider à la maison, à faire les courses avec elles, et même à porter les paquets! et leurs filles allaient à l'école... Dans les familles qui sont finalement rentrées, de nombreux drames se sont déclenchés, précisément du côté des femmes qui ne supportaient pas, soit de retrouver leur mode de vie antérieur, soit, pour les plus jeunes, de devoir s'adapter à des contraintes qu'elles n'avaient jamais subies et qui leur paraissaient insupportables.

Cette oppression très réelle des femmes (qui s'étend d'ailleurs en Afghanistan bien au-delà de la seule zone contrôlée par les Talibans) justifie-t-elle, comme ont tenté de nous en convaincre récemment notre Président et notre Premier Ministre, l'intervention en cours? "Femmes martyrisées" a dit le Président à Bucarest. "En 1996, une femme afghane est condamnée à avoir le pouce tranché pour avoir porté du vernis" a rappelé le Premier Ministre à l'Assemblée nationale. Régime "moyen-âgeux" auquel nous n'avons rien à dire, a souligné le Président à la télévision. Nous nous battons pour des valeurs, a bien insisté le Premier Ministre, pas pour du pétrole. C'était déjà à peu près les arguments de Georges Marchais lorsqu'il justifiait l'intervention soviétique en Afghanistan par le "droit de cuissage" encore pratiqué par un "régime féodal".

En somme, et tout ce que nous avons récemment entendu y converge, nous ne sommes pas engagés dans une guerre, -c'est bien ce qu'a dit le Président de la République à la télévision- mais dans un combat civilisateur. Hélas, le discours répandu, jusque dans ses accents les plus martiaux -"est-ce qu'on se couche?"- se situe par un malheureux hasard dans le droit fil du discours colonialiste le plus éculé. Déjà la conquête de l'Algérie était une "pacification", "un combat pour la civilisation". Déjà la guerre d'Algérie, la deuxième, celle du XXème siècle, n'avait pas le droit d'être appelée une guerre. L'on combattait une poignée de rebelles tenant une population en otage. C'est exactement ce que Nicolas Sarkozy a expliqué à Hamid Karzai lorsqu'ils se sont retrouvés au sommet de l'OTAN : "nous faisons la guerre à une bande de terroristes qui qui ont pris le contrôle de votre pays, nous ne faisons pas la guerre aux Afghans."

Mais alors il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Mission civilisatrice? chiche, mais on ne "civilise" pas une population en quatre ou cinq ans. Du temps d'avant les Talibans, rappelait je ne sais qui avec une certaine nostalgie, l'on pouvait voir des mini-jupes à Kaboul. Si c'est l'accès à ce type de droit que nous visons, et pour toutes les femmes afghanes, il n'est plus possible de dire, comme le Président : "nous devons mettre le paquet, et ensuite rentrer chez nous". Organisons-nous pour rester là au moins une génération, et si possible deux ou trois. Mettons le paquet, pour parler comme notre Président, pour une colonisation, une vraie colonisation, comme au bon vieux temps.

dimanche 6 avril 2008

petite lueur venue d'Iran

Bonne nouvelle venant d'Iran! Quelques lecteurs fidèles se souviennent peut-être qu'en juillet dernier (cf. articles des 20 et 30 juillet) plusieurs pays européens (la France, bonne dernière, et traînant un peu des pieds...) avaient protesté contre la récente lapidation en Iran d'un homme accusé d'adultère et avaient demandé que soit épargnée la femme arrêtée avec lui, croupissant depuis onze ans en prison et en instance d'exécution.

La presse iranienne vient de signaler que cette femme, Mokarrameh Ibrahimi, avait quitté la prison de Qazvin. Bien sûr, c'est une toute petite nouvelle. Bien sûr, ce n'est qu'une mince lueur dans une nuit profonde des droits de l'homme. Mais pour Mokarrameh, le pire a été évité.

Merci à ceux qui se sont mobilisés en cette occasion, en rappelant à l'Iran qu'il avait promis depuis déjà plusieurs années de ne plus mettre en oeuvre le supplice de la lapidation. Le message est passé. Ceci nous encourage à ne jamais baisser les bras.

samedi 9 février 2008

Le "eux ou nous " de Rama Yade

Rama Yade prend la défense dans le Monde du 5 février de "deux femmes d'honneur": Taslima Nasreen et Ayaan Hirsi Ali, toutes deux menacées par des intégristes musulmans. C'est bien. Elle nous invite à ne pas choisir "le parti de la prudence". Nous sommes, bien sûr, d'accord.

Et elle poursuit : "Alors que la main des terroristes ne tremble pas quand il s'agit de tuer, le monde occidental, lui, tremblerait-il désormais quand il s'agit d'affirmer ses valeurs de liberté, de justice, de solidarité? c'est pourquoi je propose que l'Europe fasse de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes une priorité partout dans le monde, y compris les pays musulmans".

Aucune raison, en effet, d'exclure les pays musulmans du bénéfice de cette initiative européenne. L'important est de voir par quelles méthodes Mme Rama Yade entend la conduire. Espérons qu'elle produira d'intéressantes propositions, notamment à l'occasion de la Présidence française.

Mais faut-il vraiment terminer en écrivant : "Nous sommes à un tournant civilisationnel. Ce sera eux ou nous"?

Si c'est cela le fond du raisonnement, nous n'irons pas très loin. Ou alors trop loin, car voilà notre ministre embarquée dans les théories à la Huntington sur le "choc des civilisations".

"Nous disons solennellement qu'il est crucial pour notre nation et ses alliés de gagner cette guerre. Nous combattons pour nous défendre nous-mêmes, mais nous croyons aussi que nous combattons pour défendre ces principes universels des droits de l'Homme et de la dignité humaine qui sont le plus bel espoir de l'humanité".

Voilà ce qu'écrivait en février 1962 une soixantaine d'intellectuels américains, dont Samuel Huntington, et aussi Francis Fukuyama, l'inventeur de "la fin de l'Histoire", à l'orée de la guerre d'Afghanistan.

Le combat pour les droits de l'Homme est un noble combat. Mais il n'autorise pas à raisonner en termes de "eux ou nous". Il ne peut à lui seul justifier des guerres où l'on laisserait à Dieu le soin "de reconnaître les siens" dans le mélange obligé de victimes innocentes et de méchants coupables.

mardi 27 novembre 2007

Les chacals de Monsieur Poutine

Ça y est, Poutine a sauté le pas en qualifiant publiquement ses adversaires politiques de chacals, tournant autour des ambassades étrangères, en attente de fonds de l'Occident.

J'avais dans une précédente rubrique traité cette question du vocabulaire déshumanisant sur un mode plutôt léger, à propos de la façon dont Sarkozy traitait les fonctionnaires de "petits pois". Mais là, nous sommes devant l'un des marqueurs très significatifs de la tentation totalitaire, qui nous ramène aux mauvais jours des "vipères lubriques", terme visant dans les années 1930 les Trotskistes, des "hyènes capitalistes", voire des "hyènes dactylographes" et des "rats visqueux".

Poutine nous fait donc régresser dans le monde des signes de la société totémique, où l’individu se fond dans la tribu, elle-même dotée de tous les droits, et surtout du droit du plus fort, de l’animal dans lequel elle s’incarne. Et dans ce monde archaïque, les symboles jouent dans les deux sens : aux adversaires les animaux impurs, à soi et aux siens les animaux nobles : loups gris, panthères noires, tigres tamouls et autres. Mais se qualifier ainsi, et qualifier les autres, c’est bien dire que l’on entre dans un monde de combat sans règles, de combat d’animaux où tous les instincts sont mobilisés pour détruire l’adversaire.

Comment détruit-on des chacals ? on tire à vue, on les empoisonne, on les met en cage. C’est ce que l’on a fait à Anna Politkovskaïa, à Alexandre Litvinenko, et maintenant à Garry Kasparov. Pour les animaux nuisibles, il n’y a pas d’Etat de droit. Il y a en revanche des primes de capture et d’abattage. Quel est leur montant dans les officines de M.Poutine ?

jeudi 18 octobre 2007

journée mondiale bla bla bla

J'adore le dernier communiqué du Quai d'Orsay sur la journée mondiale de la misère. Le voilà, à déguster bien installé dans son fauteuil :

"La France s'associe à la journée mondiale du refus de la misère, co-organisée par l'ONU et ATD Quart-monde, dont nous célébrons aujourd'hui le 20ème anniversaire.

La France, qui participe activement à la lutte conte la misère menée par les organisations internationales, a porté la question de l'extrême pauvreté aux Nations unies dans le prolongement des actions entreprises par le père Wresinski.

L'extrême pauvreté empêche les plus vulnérables de jouir de leurs droits fondamentaux. Elle constitue une atteinte inadmissible à la dignité de la personne. Il convient de la combattre en rendant effectifs les droits existants, dont chaque être humain doit pouvoir jouir.

C'est dans cet esprit que nous soutenons, en liaison avec ATD Quart monde, l'émergence de principes directeurs sur l'extrême pauvreté au Conseil des Droits de l'Homme et que nous allons demander le renouvellement du mandat de l'expert indépendant des Nations unies sur les Droits de l'Homme et l'extrême pauvreté.

La France ne ménagera pas ses efforts pour que de nouveaux progrès dans la lutte contre la misère puissent être accomplis au sein des enceintes multilatérales."

Le paragraphe central qui explique que la misère empêche les gens d'accéder à leurs droits fondamentaux, et que pour la combattre il faut rendre effectifs ces mêmes droits fondamentaux laisse en particulier rêveur. C'est le serpent qui se mort la queue. Imaginons un instant que ces droits fondamentaux deviennent effectifs. Comment les gens pourront-ils y accéder puisqu'ils sont toujours dans la misère?

A moins que ces droits fondamentaux, en devenant effectifs, ne suppriment aussitôt la misère? C'est cela, j'ai compris. le Quai d'Orsay veut nous faire passer le lumineux message que le droit fondamental de tous les miséreux c'est la suppression de la misère. Sommes-nous plus avancés?

Mais si, le Quai d'Orsay nous donne ensuite la formule. Deux choses très importantes à faire pour faire disparaître la misère. D'abord, faire émerger des principes directeurs sur l'extrême pauvreté au Conseil des Droits de l'Homme. Ensuite renouveler le mandat de l'expert des Nations Unies sur la question. Deux tâches herculéennes. La Patrie des Droits de l'Homme va-t-elle y arriver? On retient son souffle...

Après un tel communiqué, la misère qui règne sur ce bas monde doit se sentir dans ses petits souliers. Car la France, vous l'avez lu, "ne ménage pas ses efforts". La misère peut-elle continuer encore longtemps à embêter les pauvres? Si j'en crois le Quai d'Orsay, je ne donnerais pas cher de sa peau.

jeudi 9 août 2007

Petite analyse de texte

Avez-vous lu le communiqué suivant de la Présidence de la République?

"Le président de la République est favorable à l'initiative de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, qui appelle à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur les développements récents des relations entre la France et la Libye, y compris en matière d'armement. Les travaux de cette commission permettront de confirmer toutes les déclarations faites par les autorités françaises et de mettre en valeur l'exemplarité de leur action qui a permis, avec l'Union européenne, de mettre un terme à l'emprisonnement des cinq infirmières et du médecin bulgares."

En quelques lignes, que de biais introduits, plus ou moins subtilement, dans la communication!

Que signifie le Président en disant qu'il est "favorable" à cette initiative? que cela change-t-il au processus? en sens inverse, pourrait-il dire qu'il est "défavorable" à telle ou telle initiative du Parlement? cela pourrait-il arrêter le cours des choses? L'on en arrive à penser qu'en se disant ainsi "favorable", le Président cherche surtout à prendre les devants en faisant comprendre qu'il ne craint pas l'initiative, et donc qu'il n'a rien à se reprocher.

"... initiative de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale". Vraiment? le Président paraît mal informé. Tout lecteur de journal, ou même tout spectateur des journaux télévisés avait compris que l'initiative venait en réalité du Parti socialiste. Pourquoi ainsi le dissimuler?

Plus étonnant, avant même que la Commission d'enquête se soit réunie, notre Président en annonce le résultat : "les travaux de cette commission permettront de confirmer toutes les déclarations faites par les autorités françaises et de mettre en valeur l'exemplarité de leur action etc." Est-ce une façon de dicter aux membres de la future commission, au moins à ceux appartenant à sa majorité, ce que devra contenir son rapport?

"...exemplarité de leur action qui a permis, avec l'Union européenne,..." joli coup peut-être. Mais doit-on vraiment donner en exemple pour notre diplomatie une action consistant à prendre au dernier moment la vedette d'une libération préparée de longue date par de nombreux Européens? Et n'aurait-on pas dû au moins écrire "une action de l'Union européenne qui a permis, avec l'aide de la France..."?

Exemplaire, vraiment, une action qui a entraîné le commentaire suivant du fils du colonel Khadafi: "j'ai dit à mon père: "je n'arrive pas à croire à l'offre française!"? Oui, il faudra que l'on sache un jour ce qu'ont vraiment offert M.et Mme Sarkozy au Maître de Tripoli pour se placer en première page de l'actualité!

jeudi 2 août 2007

droits de l'Homme en Iran, condamnation à mort de journalistes

Ouf! une semaine après le communiqué du Parti Socialiste dénonçant la condamnation à mort de deux journalistes iraniens, le Ministère des Affaires étrangères découvre à son tour l'affaire. Bernard Kouchner vient de protester publiquement. C'est bien. Mieux vaut tard que jamais.

lundi 30 juillet 2007

Droits de l'Homme : entre service minimum et coups de pub

Le 5 juillet dernier un homme est lapidé en Iran pour adultère. La femme concernée attend son exécution.

Le 20 juillet je m'étonne dans mon tout nouveau blog du silence du gouvernement français, alors que de nombreux pays et institutions ont fait connaître leur émotion.

Le 27 juillet, le porte-parole du Quai d'Orsay annonce dans sa conférence de presse habituelle que le chargé d'affaires iranien a été convoqué au ministère "à la demande de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme" pour se voir notifier "l'extrême préoccupation" du gouvernement français à la suite de diverses exécutions en Iran : douze pendaisons le 22 juillet, s'ajoutant à une lapidation pour adultère.

Voilà donc le cas traité dans une protestation "omnibus", émise auprès d'un diplomate iranien qui n'est même pas l'ambassadeur, et non par Mme Yade elle-même, la chose n'étant sans doute pas de son niveau, mais par un fonctionnaire français d'un rang non révélé, mais que l'on peut présumer modeste. C'est ce qu'on appelle en diplomatie une démarche de routine. Et en bon français un service minimum.

Quelques jours avant, deux journalistes iraniens avaient été condamnés à mort pour "espionnage", mais de cela, le Quai d'Orsay, sans doute mal informé, n'a même pas parlé.

L'on a du mal, après cela, à prendre au sérieux les déclarations de Mme Yade, fort sympathique au demeurant, faites à la presse française le 24 juillet: "Je veux que, sur le terrain des Droits de l'Homme, chacun sache que la France est de retour. Qu'elle n'a jamais cessé d'être la patrie des Droits de l'Homme... Si je parviens à faire en sorte que les Droits de l'Homme soient au cœur de notre diplomatie, j'aurai rempli ma mission."

Si la France est de retour, disons, pour être charitable, qu'elle revient sur la pointe des pieds.

Enfin, il y a une brillante exception à cette discrétion: l'affaire libyenne!

Lisons à nouveau Mme Yade dans une déclaration à ce sujet: "Aujourd'hui, la libération des infirmières et du médecin bulgares est une victoire des Droits de l'Homme. Les négociations ont été dures, et leur libération jusqu'au bout incertaine, mais l'important est qu'ils soient enfin libres.

Le rôle essentiel de la France dans cette libération, par l'action courageuse et sans relâche de Cécilia et Nicolas Sarkozy, rappelle que la France, berceau des Droits de l'Homme, a plus que n'importe quel autre pays un devoir en matière de défense des droits fondamentaux."

Ah! qu'en termes galants ces choses-là sont dites! "L'action courageuse et sans relâche" du Président de la République et de son épouse a été, chacun le sait, de brève durée, et tout à fait subsidiaire dans cette libération, où l'Union européenne (incarnée en ce cas par Mme Benita Ferrero-Waldner), et non la France, a joué "le rôle essentiel". L'envoi d'un avion de la République française pour ramener les otages, et les risettes prodiguées au colonel Khadafi ne changent rien à l'affaire.

Non, Monsieur le Président de la République, non, Madame Sarkozy, il n'est pas décent d'instrumentaliser ainsi la cause des Droits de l'Homme au profit de votre image personnelle et du tirage des magazine "people".

Non, Madame le Secrétaire d'Etat, nous ne pouvons qu'être mal à l'aise de vous voir ainsi encenser vos supérieurs dans le plus pur style du culte de la personnalité. Les droits de l'homme méritent un autre langage que celui de la flatterie et de l'auto-satisfaction.

La France, patrie des Droits de l'Homme? c'est une démonstration qui doit être faite tous les jours, sur notre propre sol comme à travers le monde, par un travail opiniâtre, ingrat, souvent obscur, et pas simplement par un bon coup de pub!

vendredi 20 juillet 2007

lapidations en Iran

Début juillet, un homme a été lapidé en Iran. Cela s'est passé en province, sur l'ordre d'un juge qui avait condamné un couple pour adultère. La femme attend.

Pourtant, en 2002, suite aux protestations des pays européens représentés à Téhéran, le pouvoir judiciaire avait déclaré un "moratoire" sur les lapidations. Il y avait eu ensuite des condamnations, mais toutes avaient été suspendues sur l'ordre de la Cour suprême, à qui doit être soumise toute condamnation à mort avant exécution.

Il semble que le juge de cette dernière affaire n'ait pas attendu le retour du dossier de la Cour suprême pour ordonner la mise à exécution de sa sentence. Une enquête administrative a été ouverte sur place.

Quoi qu'il en soit, plusieurs pays, notamment européens, ont protesté auprès du gouvernement iranien contre la rupture de la parole donnée.

La France n'a encore rien fait, en tous les cas publiquement. Madame Rama Yade, secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, par ailleurs éminemment sympathique, n'a apparemment pas bougé.

Le Président de la République avait pourtant déclaré au soir du deuxième tour : "Je veux dire... à toutes les femmes martyrisées dans le monde, je veux leur dire que la fierté, le devoir de la France sera d'être à leurs côtés... la France n'abandonnera pas les femmes qu'on condamne à la burqa, la France n'abandonnera pas les femmes qui n'ont pas la liberté. La France sera du côté des opprimés du monde."

Est-on bien certain d'avoir fait tout ce qui était en notre pouvoir pour cette femme qui attend en prison? pour obtenir du pouvoir iranien l'assurance que l'affreuse "bavure" qui vient d'avoir lieu ne se reproduira pas?

post-scriptum : comme chacun sait, la lapidation n'est pas prescrite par le Coran. Le Prophète Mohammad punissait l'adultère de coups de fouet, et encore sur témoignage de quatre personnes. Pour le VIIème siècle après Jésus-Christ, du temps des Mérovingiens, ce n'était pas si mal... Comment avoir ainsi régressé?