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mardi 1 janvier 2019

LA LAÏCITÉ EN FRANCE... ET AILLEURS


(paru dans le n° 48 de la revue "Après-demain", décembre 2018)


Il existe à l’Organisation des Nations-Unies un Comité des droits de l’Homme. Composé de 18 experts indépendants, il veille à la bonne application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu en 1966 et ratifié par la France en février 1981. Le Comité peut ainsi recevoir des plaintes de personnes s’estimant atteintes dans leurs droits et qui n’ont pas obtenu satisfaction devant la justice de leur pays. Il émet alors ce qu’il appelle une constatation dans laquelle, s’il estime la plainte justifiée, il peut demander au pays concerné de rectifier sa façon d’agir, éventuellement d’indemniser la victime.

La France deux fois désavouée

La France vient tout récemment d’être désavouée par le Comité dans deux affaires emblématiques de sa conception de la laïcité.
La première affaire concerne le licenciement sans indemnité d’une employée d’une crèche associative qui refusait de quitter son voile au travail. C’est la fameuse affaire « Baby-Loup », dans laquelle les juges français ont finalement donné tort à l’employée. Le Comité des droits de l’Homme lui a au contraire donné raison, en considérant que son droit à manifester librement sa religion avait été violé. Il a estimé que la France n’avait pas démontré que le port du voile par une employée portait atteinte aux droits fondamentaux des enfants ou des parents fréquentant la crèche.

La deuxième affaire concerne le cas de deux femmes condamnées à des amendes pour avoir porté dans la rue le niqab, ou voile intégral, en contravention avec une loi de 2010, interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public. Le Comité a estimé que cette interdiction pouvait se justifier en certaines circonstances ou en certains lieux, par exemple à l’occasion de contrôles d’identité, mais qu’une interdiction générale et absolue couvrant l’ensemble de l’espace public était une mesure excessive qui portait atteinte aux droits des personnes en question.

Voilà donc la justice française déstabilisée, et une partie de l’opinion française désorientée par ces deux prises de position. Comment se fait-il que notre vision de la laïcité soit si mal comprise à l’étranger ?

Certes, les experts du Comité des droits de l’Homme viennent de tous les coins de la terre. Mais parmi les douze experts ayant adopté la première constatation, figurent trois Européens et deux Nord-américains, qui devraient en principe assez bien nous comprendre. Les deux autres constatations, prises en termes à peu près identiques, ont été adoptées par onze experts, avec quand même deux opinions dissidentes donnant raison à la France, exprimées par les experts tunisien et portugais.

La laïcité à travers le monde

La laïcité prend donc des aspects très variés à travers le monde, certes à partir d’un socle commun, dès que l’État, la loi, ne puisent plus leur légitimité dans un ordre supérieur, défini par la foi et la religion. En France, elle commence à apparaître dans les efforts des Rois pour se dégager de la mainmise de la Papauté. Elle prend forme sous la Révolution avec la Constitution civile du clergé, se conforte avec le Code civil et le Concordat napoléonien, et adopte son aspect moderne sous la Troisième république, lorsque la société s’affranchit par une série de lois de l’emprise du clergé. Mais ailleurs, les parcours et les aboutissements sont fort différents. Voici quelques exemples.
Les régimes communistes, athées par principe, ont pratiqué une laïcité fortement hostile à toutes les religions, détruisant les lieux de culte, persécutant les fidèles, contrôlant très étroitement les pratiques religieuses provisoirement tolérées dans l’attente d’un monde nouveau émancipé de toutes « superstitions ».

En Europe, beaucoup d’États se réfèrent à Dieu dans leur Constitution, mais pour affirmer ensuite leur neutralité face à toutes les croyances. La Constitution fédérale suisse est adoptée « au nom du Dieu tout-puissant » mais affirme que nul ne peut subir de discrimination, notamment du fait de ses convictions religieuses ou philosophiques. Le peuple allemand adopte la Loi fondamentale « conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes ». Mais nul ne peut être discriminé en raison de sa croyance ou de ses opinions religieuses ou politiques. La liberté de culte est garantie. Un impôt destiné à financer les Églises est perçu sur les fidèles (de même qu’en Autriche ou en Suisse). Et l’enseignement religieux dans les écoles est dispensé par des fonctionnaires n’appartenant à aucune hiérarchie cléricale. Plus au nord, La Suède jusqu’en 2000, la Norvège jusqu’en 2012 ont eu des Églises d’État. À l’est, la Constitution hongroise demande à Dieu de bénir les Hongrois et rappelle que leur pays est une partie de l’Europe chrétienne. Mais elle établit la séparation des Églises et de l’État. Plus au sud, la Grèce cite abondamment la religion orthodoxe dans le préambule de sa Constitution, mais proclame la liberté de conscience religieuse.

De l’autre côté de la Manche, l’Angleterre, en une sorte de premier Brexit, s’est séparée de l’Europe catholique au XVIème siècle et s’est dotée d’une Église d’État, l’Église anglicane, placée sous l’égide du Souverain. L’Écosse est également dotée d’une Église d’État, l’Église presbytérienne. Après une période de persécution des autres religions, l’Angleterre a évolué vers la tolérance, au point d’apparaître dès le XVIIIème siècle comme un modèle. Mais longtemps, les Catholiques, entre autres, n’ont pu exercer de fonctions publiques. Tony Blair a attendu de n’être plus Premier ministre pour se convertir officiellement au catholicisme.

Aux États-Unis, la Constitution interdit au Congrès de légiférer pour établir une religion ou pour en interdire le libre exercice. C’est seulement en 1956 qu’est adoptée comme devise officielle du pays « in God we trust » (« en Dieu est notre foi »). Les Églises échappent à l’impôt. Tout peut être prêché sans entraves, y compris les doctrines les plus sectaires. Le créationnisme, qui affirme que Dieu, comme le dit la Bible, a directement créé tous les êtres vivants, homme compris, y est très populaire. Et le sentiment religieux joue, on le sait, un rôle très important dans la vie publique.

La Constitution canadienne proclame :« le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle du droit ». La Charte des droits et libertés protège la liberté de conscience et de religion et les normes communes doivent s’adapter, dans la mesure du possible, aux prescriptions religieuses. La jurisprudence a ainsi été amenée à dégager la notion d’«accommodement raisonnable». Entre autres exemples, les juges ont autorisé les Sikhs à porter sur eux leur poignard rituel, à condition qu’il soit fermement cousu à l’intérieur de leur vêtement.

Loin des pays de tradition judéo-chrétienne, la Turquie, née au lendemain de la Première guerre mondiale sur les débris de l’empire ottoman, s’est voulue un État laïque. En 1924, elle abolit le califat, qui faisait du Sultan « l’ombre de Dieu sur terre » et donc le guide de tous les Musulmans. Mais la première Constitution établit l’Islam comme « la religion de l’État turc ». Une Direction des affaires religieuses, toujours active à ce jour, vient gérer, financer et donc contrôler l’exercice du culte musulman, plus précisément du culte sunnite hanafite, pratiqué par la majorité de la population. Il faut attendre 1937 pour que la laïcité soit citée dans la Constitution. Le principe a été conservé mais la laïcité a été récemment ébranlée par l’arrivée aux commandes du pays de conservateurs, défenseurs des traditions.

L’Islam est cité dans la plupart des Constitutions des pays arabo-musulmans, du moins lorsqu’ils ont en une, et souvent la Charia, ou loi religieuse, est posée comme source du Droit. Le Liban, pays multiconfessionnel, fait toutefois exception. Mais les mêmes textes garantissent ensuite la liberté de conscience. En réalité, les pratiques d’un pays à l’autre sont très diverses, le principe de tolérance est en beaucoup d’endroits fort malmené, parfois par les sociétés encore plus que par les pouvoirs publics. Dans la même région, le Parlement israélien vient de proclamer Israël « État-nation du peuple juif ». L’on semble donc loin de la laïcité. Mais la déclaration d’indépendance de 1948, par laquelle Israël s’engage à assurer « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe » reste en vigueur. Au-delà des formules, il faut donc voir, ici comme ailleurs, comment tout ceci s’applique et s’appliquera.

Dans beaucoup de pays d’Afrique, les Constitutions et les grandes lois tendent à refléter les traditions juridiques dans laquelle ils ont baigné avant leur indépendance. Mais rites et croyances y jouent un rôle majeur de cohésion sociale. La laïcité n’y est l’affaire que de petits groupes. L’Asie offre, elle, un paysage contrasté. Pour prendre deux exemples, l’Inde et le Japon, l’Inde, dès son indépendance, s’affirme comme une République « séculière », portant un égal respect à toutes les religions. Sur cette base, le droit des personnes combine règles générales et prescriptions que chacun peut invoquer en vertu de sa religion. Et la vie quotidienne de l’immense majorité des Indiens est irriguée par les religions. En outre, ces dernières années, la volonté de faire de l’Inde une nation Hindoue a atteint le sommet de l’État, remettant en cause les principes fondateurs du pays. Au Japon en revanche, si rites et croyances circulent comme ailleurs, elles le font sur un mode discret. La Constitution de 1946 a introduit une séparation radicale entre Églises et État, qui est toujours scrupuleusement respectée.

Retour en France

A l’issue de ce tour d’horizon, la laïcité « à la française » apparaît dans toute son originalité, et peut-être sa solitude. D’autant qu’elle a beaucoup évolué au cours de son histoire, avec des épisodes de tensions et d’intolérance, mais aussi de très nombreux accommodements.

Dans la période récente, elle a semblé aller à l’encontre de l’adage « C’est à l’État d’être laïque, pas aux individus », en cherchant à introduire dans la vie sociale une sorte de laïcité des comportements, notion étrangère à ses fondateurs historiques. Elle a donc tendu à s’éloigner de la conception de la laïcité la plus répandue autour d’elle, fondée sur une neutralité tolérante, et même bienveillante, plutôt que sur une attitude prescriptive.

Or c’est cette protection de la diversité qui imprègne les grands textes fondateurs que sont la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), la Convention européenne des droits de l’Homme (1953) ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2007). Tous trois affirment en effet à l’unisson : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique… la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».

D’où le conflit qui vient de surgir entre la France et les gardiens du Pacte relatif aux droits sociaux et politiques, dont l’article 18 proclame également la liberté pour tout individu « de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé ». Ceci sans autres restrictions que celles « prévues par la loi » et « nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui ». Mais il est vrai aussi que ces formules laissent ouvert le dilemme qui nourrit à ce jour le débat en France : quelles tolérances accorder aux adversaires de la tolérance ? Comment, sans menacer les droits de tout un chacun, contenir les intégrismes de toutes origines ?

samedi 10 janvier 2015

Charlie Hebdo : un témoignage de Paris pour nos amis américains

(traduction de l’anglais, texte paru sur le site américain Lobelog)

Pour comprendre l’émotion unanime qui s’est emparée de la population française et la soulève encore aujourd’hui à la suite du massacre qui s’est produit au siège de Charlie Hebdo, il faut garder à l’esprit que les journalistes et les caricaturistes de cet hebdomadaire étaient immensément populaires chez les Français : non comme des stars des médias, non comme d’intimidants intellectuels, mais comme des bons copains vivant pas très loin, sur lesquels l’on est toujours content de tomber au café d’à côté pour partir dans une bonne poilade, un feu d’artifice de blagues sur l’actualité française et mondiale. Plus c’est gros, mieux ça passe, il n’est plus question de bon ou mauvais goût. A vrai dire, le mauvais goût s’était imposé dès la mort de de Gaulle, avec la fameuse couverture : « bal tragique à Colombey, un mort » et est resté depuis omniprésent. Mais les plaisanteries n’étaient jamais haineuses ; même leurs pires ennemis : le Pen et sa fille, les Nazis, les néo-Nazis et tous les bigots du monde, n’étaient jamais dépouillés de leur personnalité, de leur qualité d’être humain. L’on pouvait presque croire qu’après un dernier éclat de rire, et une grande claque dans le dos, tout pourrait s’arranger.

Et ceci a fonctionné pendant plus de quarante ans. Au moins deux générations de Français ont baigné dans cet humour, non seulement à travers Charlie Hebdo, dont les premières pages étaient visibles chaque semaine dans tous les dépôts de journaux, mais aussi à travers les dessins et les chroniques (à l’humour un peu mieux bridé) que les mêmes journalistes livraient à de nombreux journaux et magazines. Wolinsky, Cabu, étaient en particulier extraordinairement prolifiques et leur coup de crayon était familier à tous les foyers français.

Les collaborateurs de Charlie Hebdo savaient bien sûr que leurs plaisanteries sur l’Islam et ses dérives pourraient leur attirer de très mauvaises plaisanteries en retour. Après l’incendie criminel qui avait frappé leur siège en 2011, ils avaient fait le choix de ne pas varier de ligne. Leur directeur, Charb, avait lâché : « mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ». C’est ce qui est arrivé le 7 janvier dernier.

Paix à ces cœurs braves et purs… Beaucoup de grandes rigolades là-haut… et merci en leur nom pour tout le soutien qui s’est si immédiatement et spontanément exprimé à travers le monde.

dimanche 9 novembre 2014

Minorités du Monde 7. Les Rohingyas de Birmanie

Les Rohingyas forment une minorité d’environ 800.000 membres au sein des 55 millions d’habitants du Myanmar, ancienne Birmanie. Située à l’extrême ouest du pays, leur principale région de peuplement, la province de Kachin, est au contact du Bangladesh. Comme les Bangladeshis, les Rohingyas sont de langue et de type indo-européens, ainsi que de religion musulmane, ce qui les distingue de la grande majorité des Birmans, bouddhistes, ainsi que de langue et de type sino-tibétains.

La plupart des Rohingyas ont été encouragés à migrer du Bengale, densément peuplé, à l’époque de la colonisation britannique, pour aller occuper des terres agricoles disponibles dans la Birmanie voisine, également sous domination britannique. Leur présence n’a jamais été vraiment acceptée par la majorité de la population et la classe politique birmanes, qui tendent à les considérer comme des immigrants n’appartenant pas à la nation birmane. Tandis que se développaient à l’époque de l’accès à l’indépendance de la Birmanie des mouvements de rébellion armée parmi les Rohingyas, l’armée birmane a commencé à mener des opérations visant à terroriser les populations et à les renvoyer vers le Bangladesh. Cette situation perdure à ce jour. La dernière campagne militaire d’envergure a été lancée en 2012, à la suite d’affrontements violents entre Rohingyas et Bouddhistes, entraînant le déplacement de plus de cent mille personnes. Des opérations de contre-guerilla appuyées sur le quadrillage du territoire et des déplacements de populations se poursuivent à ce jour dans la province de Kachin. Le processus de transition vers la démocratie amorcé en 2010 par le régime militaire birman n’a donc pas entraîné de progrès significatif pour la minorité rohingya.

Soumis à des persécutions constantes relevant du « nettoyage ethnique », beaucoup de Rohingyas cherchent à quitter leur pays, souvent par la mer, sur des embarcations de fortune. Mais leur principale destination, le Bangladesh, répugne lui-même à les accueillir, ce qui a abouti à la constitution de vastes camps de réfugiés. Le dossier est suivi de près par le secrétariat général des Nations Unies, par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que par l’Organisation de coopération islamique. Mais rien ne laisse entrevoir à ce jour de solution, ou même d’apaisement significatif, à cette crise profonde et durable, lourde de désastres humanitaires. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) s’est intéressé au cas des réfugiés Rohingyas au Bangladesh dans un rapport de mission publié en 2011 (pp.141 à 156).


mercredi 19 septembre 2007

L'Iran, Kouchner, et les autres

En attendant de reprendre le fil de la réflexion sur l'avenir du Parti Socialiste, voici, pour ceux qui s'intéressent à la crise iranienne, un petit éditorial produit pour une lettre hebdomadaire spécialisée dans les questions de défense, et sorti il y a quarante-huit heures.

IRAN : LA CIBLE

Les connaisseurs du microcosme washingtonien sont désormais convaincus que l'administration américaine ne résistera pas indéfiniment à la tentation de frapper l'Iran : pas l'envahir, bien sûr, mais détruire radicalement, non seulement son potentiel nucléaire, mais aussi son potentiel de défense, et surtout de riposte. L'on est déjà dans l'ordre de grandeur de la centaine de sites en tous genres à neutraliser. Ira-t-on jusqu'à frapper des sites proprement politiques? Rien n'est sans doute exclu à ce jour.

Pour les Néo-Conservateurs la frappe de l'Iran leur donnerait enfin, à l'expiration de leurs huit ans au pouvoir, le sentiment d'un devoir historique accompli. L'on voit bien, sinon, qu'ils partiraient avec un sentiment d'inachevé, et l'éternel regret de n'avoir pas osé aller jusqu'au bout de leurs idées. Et ils ont pour agir deux fenêtres de tir : soit début 2008, avant la montée en puissance de la campagne présidentielle, soit l'automne, après l'élection elle-même, où Bush interviendrait alors avec l'accord tacite ou explicite de son successeur.

Donc, avant d'agir l'on prendra le Monde à témoin (comme pour l'Irak...) que les Nations Unies ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Concrètement, qu'il est impossible d'obtenir du Conseil de Sécurité une résolution vraiment musclée, passant à un palier supérieur de sanctions : celles qui ne se contentent pas d'humilier, mais qui font vraiment mal. Ceci va prendre encore quelques mois de palabres.

La Russie, la Chine paraissent à cette heure imperméables à tout effort de conviction. Peut-être alors, en une sorte d'intermède, se tournera-t-on vers l'Europe pour en obtenir une bordée de sanctions, venant rejoindre les sanctions unilatérales américaines.

Mais mettra-t-on les vingt-sept Européens d'accord? Rien n'est moins sûr s'il s'agit de faire mal, et donc de se faire mal à soi-même... et même si l'on réussissait en tout, ce tout fera-il plier l'Iran? Voilà plus d'un quart de siècle que ce pays est sous un embargo américain qui paralyse, ou du moins ralentit gravement, le développement de pans entiers de son économie, à commencer par sa capacité d'exploitation de pétrole et de gaz. Mais la République islamique est toujours là à défier le Monde et l'Amérique.

Voilà pourquoi l'Iran a sans doute été au coeur de la conversation des présidents français et américain, lors du déjeuner estival de Kennebunkport, dans la résidence familiale des Bush.

Voilà pourquoi, quinze jours plus tard, devant un parterre d'ambassadeurs français, Nicolas Sarkozy, encore tout plein des propos entendus, a présenté sur un ton fortement anxiogène le premier "des trois défis du XXIème siècle" qu'était "la menace de la confrontation entre l'Islam et l'Occident", et a conclu sur l'évocation de cette "alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran".

Voilà enfin pourquoi, pris à son tour dans une telle ambiance, Bernard Kouchner a laissé échapper l'idée qu'il fallait "se préparer au pire"... c'est-à-dire à "la guerre". Bien sûr, il s'est ensuite laborieusement défendu de tout entraînement sur une telle pente, se lançant même dans une construction hasardeuse selon laquelle il fallait encore plus de sanctions sur l'Iran pour lui épargner un conflit. Mais les mots, à ce niveau, s'envolent et prennent leur vie propre. Et ces mots-là, à travers le monde, ont pris toute la dimension d'une "self-fulfilling prophecy" : d'une prophétie auto-réalisatrice, comme le disent nos amis américains.

vendredi 31 août 2007

Apocalypse now?

Je ne peux m'empêcher de revenir sur le discours de notre président et sa tonalité profondément "anxiogène", comme l'ont si bien pointé nos militants socialistes de l'étranger.

Quel que soit le choc ressenti devant le terrorisme qui nous frappe, du 11 Septembre aux attentats de Londres, de Madrid, ou de la station de métro Saint-Michel, n'oublions jamais qu'il s'agit en quelque sorte des dégâts collatéraux d'un conflit qui déchire au premier chef le monde musulman lui-même. Les deuils qu'il crée dans ce monde-là, de l'Afghanistan au Maroc, en passant par l'Irak, le Proche-Orient et la Tchéchénie, sont infiniment plus nombreux que ceux qu'il a créés aux pires moments de crise en Amérique ou en Europe.

Quand Oussama ben Laden frappe les Twin Towers, il sait bien qu'il ne va pas faire s'effondrer les Etats-Unis et, avec eux, la "civilisation occidentale". Il cherche à démontrer qu'il est capable de prendre le leadership moral, puis politique, du monde musulman pour conquérir ensuite le reste du monde. Et ce fantasme marche en effet fort bien auprès de ces individus coincés par leur parcours personnel entre deux mondes, et frustrés de n'appartenir entièrement ni à l'un ni à l'autre. C'est bien le profil des auteurs des attentats du 11 septembre.

Le tragique en toute cette affaire, ce n'est pas "l'affrontement entre l'Islam et l'Occident", comme croit l'avoir découvert notre président, c'est l'implosion du monde musulman sur lui-même, c'est le malheur terrible que l'exaltation suicidaire de petites minorités fait peser sur lui.

Et notre président n'a pas à prendre ce ton docte pour lui expliquer comment se débarrasser de cette maladie qui le ronge. Après tout, il a fallu à cet "Occident" si volontiers donneur de leçons une guerre mondiale, ayant coûté au moins cinquante millions de morts, pour nous débarrasser de cette autre exaltation meurtrière qu'étaient le fascisme et le nazisme. Et là aussi, que de dégâts collatéraux provoqués par ce drame collectif!

S'il vous plaît, Monsieur le Président, assez de ces propos apocalyptiques destinés à faire peur aux bons Français. Dans la bouche de celui qui doit guider et incarner notre pays, ils sont aussi malvenus que le genre "y'a bon Banania" de votre déjà fameux discours de Dakar.

mardi 28 août 2007

la France, l'Occident et les autres

Les Français de l'étranger membres du Parti socialiste ont élaboré à l'occasion de leur réunion annuelle à Paris un très bon papier d'analyse du discours de notre Président aux Ambassadeurs. J'espère qu'il sera diffusé par leur Fédération. Dommage que les journalistes et même les dirigeants de gauche qui se sont exprimés ne l'aient pas lu avant d'ouvrir la bouche.

Cela leur aurait en particulier évité d'y voir une quelconque inflexion dans les positions de Nicolas Sarkozy sur la question de l'adhésion turque à l'Europe. Pour qui lit bien le discours, notre Président ne s'oppose certes pas à la poursuite des négociations, mais sur les seules questions qui ne préjugent pas du choix entre adhésion pleine et entière et simple association.

Et notre président d'enfoncer le clou : "Je ne vais pas être hypocrite. Chacun sait que je ne suis favorable qu'à l'association. C'est l'idée que j'ai portée pendant toute la campagne électorale. C'est l'idée que je défends depuis des années. Je pense que cette idée d'association sera un jour reconnue par tous comme la plus raisonnable... J'ai dit au Premier Ministre turc : occupons-nous des trente chapitres compatibles avec l'association, on verra pour la suite. Il me semble que c'est une solution qui ne trahit pas le souhait des Français et qui, en même temps, permet à la Turquie d'avoir une espérance. Il est évident que si on devait refuser cette formule de compromis, je veux simplement rappeler que, pour la poursuite des discussions, il faut l'unanimité."

Comme on l'a compris, notre Président ne souhaite donc pas que l'on aille au delà de négociations compatibles avec l'association, et n'hésitera pas, si l'Europe franchissait cette ligne, à utiliser son droit de veto à Bruxelles. Franchement où est "l'inflexion" saluée par nos bons analystes?

Et puis, comme le souligne fort bien le papier des militants socialistes, mais ils sont pour le moment bien seuls à le dire, il y a, pour reprendre leurs termes, "le ton anxiogène du discours, basé essentiellement sur la notion totalement inacceptable de confrontation entre l'Islam (une religion) et l'Occident (un ensemble géographique). Cette vision du monde occidentalo-centriste est proche du néo-conservatisme américain et confirme une vision judéo-chrétienne de l'Europe. Il s'intéresse uniquement à la "securité du monde occidental" et exprime une phobie du monde arabe."

Il n'y a pas une virgule à changer à cette critique. Et quant aux solutions pour éviter cet affrontement apocalyptique, que propose notre Président? tout simplement "encourager, aider, dans chaque pays musulman les forces de modération et de modernité à faire prévaloir un Islam ouvert, un Islam tolérant, acceptant la diversité comme un enrichissement... Je souhaite que notre coopération renforce les programmes tournés vers l'ouverture et le dialogue des sociétés etc."

Nous sommes donc invités à convaincre les gentils Musulmans modérés de se débarrasser de leurs terroristes et à progresser vers... vers... pas la démocratie quand même, le mot n'est pas prononcé, on sait que ces gens-là en sont incapables, mais vers..."un mouvement des sociétés, encouragé par les gouvernements"... Là on marche sur la pointe des pieds...

Quel triste mélange de paternalisme et d'interventionisme! décidément, l'on est dans la droite ligne du discours de Dakar, où l'on a vu notre président célébrer "la souffrance de l'homme noir", puis "la profondeur et la richesse de l'âme africaine", sans oublier sa "sagesse ancestrale", ni "l'homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires", mais pour rappeler aimablement que "dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès". Franchement, quelle politique étrangère va sortir d'une telle vision du monde?