(paru le 16 décembre 2017 dans "l'Orient le Jour")
Dès 2008, Obama a cherché avec l’Iran un accord permettant de mieux encadrer
son programme nucléaire. Il y est parvenu en juillet 2015 à Vienne, en
compagnie des Allemands, des Anglais, des Français, des Chinois et des Russes.
Mais pour apaiser son Congrès, très hostile à l’Iran, il a dû accepter de
certifier tous les trois mois que l’Iran respectait ses engagements et que l’accord
était bien dans l’intérêt de l’Amérique. Faute de quoi, le Congrès aurait la
liberté d’imposer à Téhéran de nouvelles sanctions entraînant le retrait des États-Unis
de l’accord.
Trump, lui, dès sa campagne électorale, a déclaré que l’accord de
Vienne était « le pire jamais signé par l’Amérique », et promis qu’il
le dénoncerait sans tarder. Une fois élu, sous la pression de collaborateurs de
bon sens, il a d’abord hésité. Mais le 13 octobre dernier, il a refusé de
certifier l’accord, l’envoyant donc à l’examen du Congrès.
La surprise est alors venue du Congrès, quand celui-ci s’est dérobé.
Beaucoup de Sénateurs et de Représentants, même hostiles à l’accord, ont tiré
les leçons du fait accompli et jugé qu’il serait désormais plus dangereux d’en
sortir que d’y rester.
À
la croisée de plusieurs chemins
La balle est donc revenue du côté du Président Trump. Celui-ci a le
pouvoir de prendre seul la décision de sortir de l’accord. S’il le fait, l’Iran
aura le choix, soit de continuer quand même à l’appliquer avec les cinq autres
pays partenaires, soit d’en sortir. On entrerait alors dans l’inconnu.
Mais il n’est pas exclu que Trump, pesant le risque de décrédibiliser
la parole de l’Amérique et de se retrouver une fois de plus isolé sur la scène
internationale, reste finalement dans l’Accord. En ce cas, il se vengera sans
doute de son échec en accentuant la pression sur l’Iran dans deux domaines sensibles
qui ne relèvent pas de l’accord de Vienne : le programme balistique de
Téhéran, et son influence régionale.
Sur ces points, la position de la France mérite d’être relevée. Le
Président Macron, dans l’espoir de renouer les fils du dialogue, s’est
positionné à mi-chemin des États-Unis et de l’Iran. Il défend très
fermement contre le Président Trump la survie de l’accord nucléaire. En
revanche, il le rejoint pour demander à l’Iran de limiter d’une part ses
ambitions balistiques, d’autre part ses ambitions régionales.
Mais il a peu de chances d’être entendu de Téhéran. Les Iraniens
considèrent, non sans quelque raison, que les affaires balistiques relèvent de
leur défense nationale, sujet non-négociable sous la contrainte. Ceci d’autant
plus qu’aucun autre pays de la région n’a accepté de limitations en ce domaine.
Quant à son influence régionale, ni la France, ni même les Etats-Unis n’ont
guère, en ce moment, de cartes en main pour l’obliger à abandonner ses acquis.
Le risque est alors que, pour faire plier l’Iran sur ces deux sujets,
les États-Unis,
éventuellement aidés d’autres pays, notamment européens, peut-être de la
France, multiplient les pressions et les sanctions. Ce serait une voie sans
issue. Ceux qui connaissent un peu les Iraniens savent que plus on insiste pour
les faire céder, plus ils ont tendance à se braquer. C’est ce qui s’est passé
dans la crise nucléaire. Elle ne s’est dénouée que lorsque les Américains ont
enfin accepté de leur parler sans conditions préalables, et sans a priori sur
la solution à trouver.
Lumières au bout du tunnel
Pour sortir de la nouvelle crise qui se dessine,
la voie est étroite. Mieux vaut, pour l’explorer, disposer de quelques repères.
D’abord se dire qu’en matière stratégique et de défense, il n’y a de
limitations acceptables pour une nation souveraine (sauf si elle sort vaincue
d’une guerre, et encore…), que librement consenties, et partagées avec les
autres nations concernées. Il faut qu’à la fin du processus, chacun ait le
sentiment d’un résultat équitable, où il trouve son compte : un résultat
gagnant-gagnant, comme on dit aujourd’hui. Ceci est vrai, entre autres, dans le
domaine balistique.
Compte tenu de la lourdeur des contentieux déchirant les pays de la
région, mieux vaut aussi commencer par des sujets limités, traités de façon
discrète, entre spécialistes. Il y en a plusieurs sur lesquels les pays du
Proche et du Moyen-Orient ont des progrès à faire. Beaucoup, par exemple, n’ont
pas encore adhéré au Protocole additionnel de l’Agence internationale de
l’énergie atomique, pourtant indispensable pour se présenter en pays
respectable dans le domaine nucléaire. Beaucoup n’ont pas signé le Code de la
Haye, code minimal de transparence en matière balistique. Beaucoup n’ont pas rejoint
le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires, alors qu’ils sont
pourtant membres du Traité de non-prolifération, et que cette adhésion ne
représenterait aucune obligation supplémentaire. Sur ces sujets et quelques
autres, chacun semble attendre que son voisin prenne l’initiative.
Sur de tels sujets, les pays extérieurs à la région, notamment les
Occidentaux, devraient, pour une fois, s’abstenir d’agir en donneurs de leçons.
S’ils voulaient être utiles, mieux vaudrait qu’ils interviennent de façon
indirecte, en convainquant quelques pays-clés de s’intéresser à ces dossiers et
de tenter d’entraîner leurs voisins. Sur les trois sujets évoqués, la Turquie,
par exemple, qui parvient à parler à tout le monde, pourrait jouer un rôle
moteur. Et le Liban, précisément parce qu’il ne fait d’ombre à personne, serait
aussi écouté s’il intervenait avec la finesse que l’on connaît à sa diplomatie.
En avançant ainsi pas à pas, le Proche et Moyen-Orient aurait une chance de
montrer qu’il est capable de progresser vers son autonomie.