En cette période de difficultés budgétaires croissantes pour nos armées, je tombe par hasard sur ce petit texte d'Alfred Jarry, paru dans la Revue blanche de mai 1901, sous le titre "Protégeons l'armée". Il garde des accents actuels, même si nous n'avons plus, comme le regretterait certainement Jarry s'il était parmi nous, de service militaire.
Si le zèle du ministre de la guerre ne se ralentit pas, d'ici fort peu de jours une certaine association de personnes en armes, bien connue sous le nom abrégé d'"armée", aura vécu : il est présumable en effet que, de suppression d'abus en suppression d'abus, il n'en restera plus rien. Il est temps que s'émeuvent de cette disparition imminente les antiquaires, les historiens, les folkloristes et les conservateurs de nos monuments nationaux. S'il est du ressort de ces fonctionnaires de veiller au bon entretien de la partie morte de l'armée, trophées de victoires ou reliques de défaites, dans des musées spécialement aménagés, il ne leur appartient pas moins d'en maintenir la partie vivante, la génération sous les drapeaux, dûment enclose dans d'autres locaux pareillement disposés à cet effet. Ainsi sera sauvegardée, présente et durable, la notion du militaire, indispensable au bonheur des hommes, parce qu'elle implique la notion du civil. C'est à cause d'elle que la plupart des familles françaises jugeraient incomplète l'éducation de leurs fils si elles ne les envoyaient, pendant un an ou trois, se livrer à des observations personnelles sur l'existence du soldat. Ils reviennent mûrs pour la vie bourgeoise et gratifiés du certificat de bonne conduite : comme quoi "ils ont servi leur patrie avec honneur et fidélité"; mais ils n'ont plus -enfin- sauf dans des limites n'excédant pas vingt-huit ou treize jours à la fois, à la servir.
dimanche 14 avril 2013
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