L'étonnante victoire de Hassan Rouhani
à l’élection présidentielle du 14 juin met en lumière trois succès.
D'abord, pour les Occidentaux, le
succès des sanctions. Leur effet sur la population a clairement ajouté à son
mécontentement et à ses frustrations, et donc à son soutien à un candidat affichant
sa volonté d’un changement de comportement de l’Iran à l’égard du monde
extérieur. Beaucoup parmi les auteurs des sanctions, aux États-Unis ou en
Europe, en attendaient un changement de régime. Il ne s'est pas produit mais
l'élection de Rouhani représente certainement un changement d’époque pour la
république islamique.
Cette élection est aussi un succès
pour le régime. On le disait sclérosé, incapable d'évoluer et de prendre en
compte les aspirations de sa population. Le Guide de la révolution et son
entourage, comme les Pasdaran qui forment désormais l'ossature du système, ont
démontré leur capacité à tirer les leçons du soulèvement de 2009, généré par
des élections truquées. Une fois le processus électoral encadré au départ par
la sélection de huit candidats loyaux au système, le cœur du régime a su
laisser passer au bon moment une grande bouffée de démocratie. Il obtient de ce
comportement un nouveau bail en termes de crédibilité, et peut-être même de
légitimité, tant aux yeux de la population que du monde extérieur.
L’élection est enfin et surtout un
succès pour le peuple iranien, qui a manifesté son irrépressible aspiration à
la démocratie, à la modernité, et à la normalisation de la relation de l'Iran
avec le monde. Cette aspiration a été en grande partie déçue par la présidence
de Khatami, et écrasée sous la présidence d'Ahmadinejad. Elle est réapparue
intacte avec l'élection de Hassan Rouhani. Elle ne fera que se développer.
Ces constats faits, où va-t-on ?
Beaucoup de commentateurs ont dit et
disent encore qu'il n’y aura pas de grands changements, à la suite de cette
élection, le guide suprême étant le seul décideur. Les choses ne sont pas si
simples. Khamenei détermine certainement les grandes orientations, les limites
à ne pas dépasser, mais dans le cadre ainsi fixé, laisse des marges de manœuvre,
souvent importantes, au Président de la république et à son gouvernement, même
en politique extérieure, même en matière nucléaire. Et il peut se laisser
convaincre d’évoluer.
Dans le domaine nucléaire,
précisément, rappelons que Rouhani a été le pilote de la négociation du côté
iranien de 2003 à 2005. C'est lui qui a convaincu Ali Khamenei d’interrompre,
fin 2003, le programme nucléaire militaire conduit de façon clandestine par les
Pasdaran : Ceci parce que l'ennemi principal de l'Iran, Saddam Hussein, était
éliminé et que l'on savait enfin qu'il n'y avait pas de programme irakien
d'armes de destruction massive. Et aussi en réponse au geste de bonne volonté
des Européens qui avaient décidé d'entrer en négociation avec l'Iran.
L'interruption de ce programme clandestin, qu’il a conduite avec énergie, contre
de redoutables obstacles, a depuis été attestée par la communauté américaine du
renseignement, puis par l'Agence internationale de l'énergie atomique. L’on
peut se dire qu'avec le même homme aujourd’hui à la tête du gouvernement
iranien, les risques d'une relance d’un programme nucléaire militaire paraissent
très faibles.
Encore faut-il que les négociateurs
américains et européens aient pleinement conscience de la chance offerte par
cette nouvelle donne à Téhéran. Rouhani a dit vouloir une résolution rapide de
la crise nucléaire et une levée aussi rapide que possible des sanctions. Si les
Occidentaux y voyaient un aveu de faiblesse et pensaient tenir désormais l'Iran
à leur merci, ils ruineraient l’occasion d'une sortie de crise. Déjà, ils
avaient refusé leur confiance au président réformateur Khatami, voulant ne voir
en lui que la façade avenante d’un régime dissimulateur et hostile. Cette
attitude l’avait beaucoup affaibli, et l’on a eu ensuite Ahmadinejad. Il serait
dommage de répéter cette erreur.
Reste la question syrienne. Rouhani
aura, en tous cas dans l’immédiat, moins d’emprise sur ce dossier que sur le
dossier nucléaire, car l’affaire syrienne est entièrement tenue par les
Pasdaran. Mais sa dimension diplomatique pourrait être récupérée par un
gouvernement qui aurait, contrairement à celui d’Ahmadinejad, quelque
crédibilité sur le plan international. Quel que soit le caractère apparemment
irréconciliable des positions et des interventions de part et d’autre, entre
Russie et Occidentaux, entre Iran et pays du Golfe, il y a au moins un élément
de convergence dans la vision d’une sortie de crise : le cheminement ordonné
vers des élections ouvertes, contrôlées par la communauté internationale. Mais
pour espérer progresser, encore faut-il que l’Iran soit considéré comme un
interlocuteur, et non plus comme un adversaire infréquentable. L’arrivée d’un
nouveau président à Téhéran offre en particulier à la France l’occasion
d’évoluer sur ce point en acceptant la participation de l’Iran aux négociations
multilatérales en cours. C’est une occasion à ne pas laisser passer.
(paru sur le site http://www.diploweb.com/)