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mardi 22 décembre 2015

Minorités du monde 13. Les Pygmées d'Afrique centrale

Combien sont-ils dans la grande forêt qui s’étend à une dizaine de pays au coeur de l’Afrique, notamment dans le bassin du Congo et la région des Grands Lacs ? 200.000 ? 600.000 ? Pour la plupart, ils n’ont pas d’état-civil, pas de papiers. Ce sont les Pygmées, « les peuples de la forêt », souvent les premiers habitants des régions où ils sont implantés, et dont la petite taille serait le résultat d’une adaptation aux conditions très particulières de survie dans la forêt humide tropicale et équatoriale.

Les Pygmées (eux-mêmes n’aiment pas beaucoup ce terme…) sont à l’origine des chasseurs-pêcheurs-cueilleurs vivant en symbiose avec des populations voisines d’agriculteurs auxquels ils fournissent des produits de la forêt, notamment de la viande, du miel, des plantes médicinales en échange de produits agricoles, de vêtements, d’outils modernes. Ils sont en fait répartis en groupes ethniques ayant des identités bien distinctes : Baka au Cameroun et au Gabon, Bongo ou Babongo au Gabon, Twa ou Batwa dans la région des Grands Lacs, Mbuti au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), Aka en République centrafricaine et en RDC… Ils adoptent en général les langues parlées dans leur environnement. Animistes (lorsqu’ils n’ont pas été convertis), ils révèrent la forêt comme source de la vie.

Cet équilibre et ces modes de vie traditionnels ont été mis à mal par la disparition ou l’exploitation industrielle de la forêt, par l’apparition des grandes plantations, par des politiques d’expulsion ou de sédentarisation forcée, par exemple à l’occasion de la création de parcs nationaux à faune protégée. Les Pygmées deviennent alors eux-mêmes agriculteurs, artisans, ou encore salariés, parfois saisonniers, et toujours de très faible niveau, dans des plantations ou des entreprises d’exploitation forestière. Ils sont aussi parfois réduits en esclavage ou quasi-esclavage par les communautés d’agriculteurs qui les côtoient. Il leur arrive également de se transformer en chasseurs commerciaux, et parfois en braconniers dans les parcs créés sur leurs anciens territoires, pour fournir en viande et autres produits animaux les négociants qui sont à leur contact.

Les Pygmées sont l’objet de comportements lourdement discriminatoires. Ils, et elles, sont souvent victimes de rapts, de tortures, de viols, de meurtres, sous des prétextes rituels, par cupidité, et à l’occasion de conflits ethniques et politiques. Ils ont ainsi particulièrement souffert, et continuent de souffrir, des guerres civiles et ethniques dans la République démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs. Ils ont aussi payé un lourd tribut au génocide rwandais de 1994 : un tiers d’entre eux, soit environ dix mille hommes, femmes et enfants, ont été massacrés, et autant ont été alors chassés de leur habitat.

samedi 2 mai 2015

Minorités du monde 10. Les Coptes d'Égypte


Copte, comme son étymologie et sa consonance l’indiquent, signifie tout simplement égyptien. Et de fait, les Coptes sont les descendants des habitants de l’Égypte byzantine restés fidèles à la foi chrétienne après la conquête musulmane du VIIème siècle. Celle-ci avait été aisément conduite, moins de dix ans après la mort du Prophète Mohammad, dans un pays peu disposé à se défendre, car rétif à la pesante domination politique et dogmatique de Constantinople. L’islamisation du pays est progressive, puisque la population reste en majorité chrétienne probablement jusqu’à la fin du Moyen-âge, et plus longtemps encore dans la Haute-Égypte, zone reculée intéressant peu les conquérants. L’ensemble de la population finit en revanche par adopter l’arabe, et la langue copte, dérivée elle-même de l’égyptien antique, n’est plus guère utilisée qu’à des fins liturgiques.

L’on ne dispose pas à ce jour de statistiques incontestées sur le nombre de Coptes, sans doute en raison de la sensibilité du sujet. Les estimations, souvent intéressées, varient pour la plupart entre cinq et dix pour cent de la population totale, soit entre quatre et huit millions de Coptes. Les deux régions les plus densément peuplées de Coptes sont la Haute-Égypte d’une part, donc un monde rural, l’agglomération du Caire d’autre part, où réside plus d'un million de Coptes.

L’on trouve des Coptes dans toutes les couches sociales, des chiffonniers du Caire aux cercles du pouvoir. Dans l’ensemble, la population copte est légèrement plus éduquée, et bénéficie d’un revenu moyen légèrement plus élevé que la population musulmane. Elle est sans doute aussi, dans ses couches supérieures, plus « cosmopolite ». Le phénomène s’est amorcé au milieu du XIXème siècle, lorsque Mohammad Ali, Vice-roi d’Égypte, s’émancipe de la tutelle ottomane et pose les premiers fondements, économiques et politiques, de l’Égypte moderne. Les Coptes acquièrent alors des droits et libertés dont ils feront usage pour asseoir leur influence et leur prospérité. C’est ainsi que l’administration et l’armée leur sont ouvertes et que se développe une classe copte de grands propriétaires. Ils tirent plutôt profit de l’occupation anglaise qui s’installe en 1882, mais jouent aussi un rôle de premier plan dans la marche de l’Égypte vers l’indépendance, notamment au sein du parti Wafd, nationaliste et libéral, fondé au lendemain de la première Guerre mondiale.

La situation se retourne avec la Révolution de 1952 conduite par le mouvement des Officiers libres, qui entraîne le départ des Anglais, l’abolition de la royauté, l’arrivée de Nasser à la tête du pays et l’instauration d’un « socialisme arabe ». Nationalisations et réforme agraire jouent en défaveur de la grande bourgeoisie copte, dont une partie fait alors le choix de l’émigration. Les Coptes perdent aussi leurs positions dans l’appareil d’État, malgré quelques brillantes exceptions, comme Boutros Boutros Ghali, ministre des affaires étrangères, puis vice-premier ministre de 1977 à 1991, avant de devenir secrétaire général des Nations Unies. Les concessions faites par Anouar el Sadate, puis par Hosni Moubarak aux milieux conservateurs de l’Islam dans l’espoir de contrer la popularité croissante des Frères musulmans contribuent à la montée des tensions interconfessionnelles et à la mise en difficulté de la communauté copte.

Le 1er janvier 2011, une bombe artisanale tue 23 fidèles coptes et en blesse une centaine devant une église d’Alexandrie. L’émotion et l’agitation qui s’en suivent forment le prologue du mouvement révolutionnaire qui débute le 25 janvier sur la Place Tahrir pour obtenir le départ de Moubarak. Ce mouvement, dans lequel les Coptes se retrouvent au premier rang, dépasse pour un temps les clivages confessionnels. Mais l’unanimisme initial se dissipe avec l’entrée en scène des Frères musulmans et leur conquête des institutions. A nouveau, les passions sectaires se libèrent, entraînant des attentats meurtriers, des destructions d’églises, des heurts violents entre communautés, ou encore des affrontements entre les Coptes et la police. La majorité de ceux-ci voit donc avec soulagement la reprise en main du pays par l’armée, la destitution du Président Morsi et l’arrivée à la présidence du Maréchal Al Sissi, malgré le coût du processus en matière de libertés politiques et de droits de l’homme.


La communauté copte, privilégiée sous certains aspects, discriminée sous d’autres, attentive au sort des autres chrétiens dans le monde arabe, se sent fragilisée et s’inquiète de son avenir face à la pression du fondamentalisme islamique. Elle fait pourtant intimement partie de la société égyptienne, et l’on imagine mal que l’Égypte puisse un jour se l’aliéner sans détruire une partie essentielle d’elle-même.

lundi 26 janvier 2015

Minorités du monde 9. Les Parsis en Inde

La petite communauté des Parsis a joué un rôle immense dans l’histoire de l’Inde. Ces Zoroastriens, pratiquant donc le culte du feu comme symbole de la divinité, ont quitté l’Iran entre le VIIIème et le Xème siècles, après la conquête de leur pays par les Arabes musulmans, pour s’établir sur les côtes voisines de la région indienne du Gujarat. Sont-ils partis, à la manière de « boat people », pour des raisons économiques, ou encore pour échapper à l’obligation de se convertir à la religion de leurs envahisseurs? Probablement en un mélange des deux.

Ils ont d’abord vécu dans leur nouvel habitat comme de modestes agriculteurs. Peut-être y ont-ils aussi apporté des talents de marchand et d’entrepreneur qui allaient ensuite faire leur prospérité. Mais l’essor de leur communauté ne s’amorce qu’au XVIIème siècle avec l’installation à Surat, puis plus au sud de la côte ouest de l’Inde, à Bombay, de la Compagnie britannique des Indes orientales. Celle-ci applique le principe de neutralité religieuse là où elle s’installe, et recherche des collaborateurs échappant au système des castes. Ceci fait l’affaire des Parsis, qui se mettent donc à son service pendant qu’elle étend son emprise sur l’ensemble du sous-continent indien. Ils se font apprécier pour leur sérieux, leur travail, leur honnêteté, et occupent  des positions de confiance de plus en plus élevées. Leurs enfants, qu’ils éduquent à l’anglaise, fondent leurs propres sociétés de navigation et de commerce. Ils participent notamment aux échanges triangulaires fondés sur le thé chinois, l’opium indien et les produits de l’industrie britannique, se lancent dans la banque, puis dans l’industrie : filatures, industrie légère, puis industrie lourde. La communauté parsie prend ainsi un rôle déterminant dans le développement de l’économie indienne moderne.

Parmi les empires industriels qui sont alors fondés, le plus emblématique est celui de la famille Tata, créé au XIXème siècle, toujours en place et plus puissant que jamais. Il forme un conglomérat d’une trentaine de compagnies majeures, intervenant sur tous les continents et dans tous les grands domaines de l’industrie et des services. Comme la plupart des entreprises fondées et contrôlées par des familles parsies, il se distingue par la rigueur et l’éthique de ses méthodes de gestion, et par un fort investissement philanthropique. Mais les Parsis ne se sont pas limités au monde de l’économie. Ils ont aussi donné à l’Inde des artistes, des intellectuels, des militaires, des sportifs, ainsi que de grands savants, notamment dans le domaine du nucléaire. Le mari d’Indira Gandhi, Feroze Gandhi, homme politique et journaliste éminent, était aussi un Parsi.


La communauté parsie, qui a conservé son centre de gravité à Bombay, aujourd’hui Mumbai, n’a pourtant sans doute jamais dépassé le chiffre de 200.000 membres. Elle a depuis inexorablement diminué sous l’effet de sa très faible fécondité, de l’affaiblissement de ses liens communautaires au fil de mariages mixtes de plus en plus répandus et de sa dispersion vers d’autres continents. Ne comptant plus que quelques dizaines de milliers de membres attachés à leur identité et à leurs traditions, elle est aujourd’hui menacée d’effacement progressif en quelques générations. 

dimanche 21 décembre 2014

Minorités du monde 8. Les Indiens d’Amazonie

 La forêt amazonienne s’étend sur neuf pays et environ six millions de kilomètres carrés, dont cinq millions au Brésil. La partie nord est relativement préservée, la partie sud, en revanche, est de plus en plus exploitée à des fins agricoles et minières, ou encore pour l’extraction de bois, de gaz, de pétrole, et pour la production d’hydro-électricité. Dans cette vaste zone, environ 600 territoires, réunissant de l’ordre du million d’hectares, ont été répertoriés par le gouvernement fédéral brésilien comme territoires indiens. 

C’est là que vivent sur un mode tribal environ 700.000 Amérindiens répartis en quelque 200 communautés. Ils représentent une petite part des descendants des dix à quinze millions d’autochtones présents au Brésil à l’époque de la conquête européenne. L’immense majorité des descendants de ces derniers – pour ceux qui n’ont pas été massacrés ou décimés par les maladies – s’est fondue dans la population d’origine européenne et africaine et en a adopté les modes de vie.

Le souci de protection des Indiens dans leur mode de vie traditionnel est apparu au Brésil au début du XXème siècle. La première institution de cet objet, le Service de protection des Indiens (SPI), a imparfaitement rempli son rôle et a mal résisté à la pression constante d’appropriation de terres amazoniennes, notamment à l’époque de la dictature militaire. Celle-ci (parfois avec l’aide de la Banque mondiale), lance dans les années 1960 de grands projets d’intégration de la région dans l’économie moderne, notamment autour de la construction des 4.000 kilomètres de la route transamazonienne. 

A la suite d’un scandale portant sur ses façons d’agir : massacres, mises en esclavage, abus sexuels, corruption, expropriations…, le SPI est remplacé en 1967 par la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI), toujours en place aujourd’hui. En 1988, la nouvelle constitution du Brésil démocratique définit les droits des peuples autochtones. Le dispositif est très protecteur mais les moyens peinent à suivre. Le processus de cadastrage des terres protégées se fait lentement et donne lieu à de nombreux conflits. Beaucoup de colons et d’entreprises agissent en contravention ouverte avec les lois existantes. 

Faute d’une politique de protection drastique, la forêt amazonienne continue de reculer, au Brésil d’abord, mais aussi, et pour les mêmes raisons, dans les pays voisins. La construction en cours du grand barrage de Belo Monte sur l’un des affluents de l’Amazone est l’un des exemples les plus visibles des modifications apportées à l’écosystème et à l’ethnosystème amazoniens. Les communautés indiennes d’Amazonie sont pénétrées par le monde moderne, et la survivance de tribus isolées, vivant en autosuffisance de pêche, de chasse, de cueillette, d’agriculture sur brûlis, apparaît comme un phénomène de plus en plus marginal.

dimanche 9 novembre 2014

Minorités du Monde 7. Les Rohingyas de Birmanie

Les Rohingyas forment une minorité d’environ 800.000 membres au sein des 55 millions d’habitants du Myanmar, ancienne Birmanie. Située à l’extrême ouest du pays, leur principale région de peuplement, la province de Kachin, est au contact du Bangladesh. Comme les Bangladeshis, les Rohingyas sont de langue et de type indo-européens, ainsi que de religion musulmane, ce qui les distingue de la grande majorité des Birmans, bouddhistes, ainsi que de langue et de type sino-tibétains.

La plupart des Rohingyas ont été encouragés à migrer du Bengale, densément peuplé, à l’époque de la colonisation britannique, pour aller occuper des terres agricoles disponibles dans la Birmanie voisine, également sous domination britannique. Leur présence n’a jamais été vraiment acceptée par la majorité de la population et la classe politique birmanes, qui tendent à les considérer comme des immigrants n’appartenant pas à la nation birmane. Tandis que se développaient à l’époque de l’accès à l’indépendance de la Birmanie des mouvements de rébellion armée parmi les Rohingyas, l’armée birmane a commencé à mener des opérations visant à terroriser les populations et à les renvoyer vers le Bangladesh. Cette situation perdure à ce jour. La dernière campagne militaire d’envergure a été lancée en 2012, à la suite d’affrontements violents entre Rohingyas et Bouddhistes, entraînant le déplacement de plus de cent mille personnes. Des opérations de contre-guerilla appuyées sur le quadrillage du territoire et des déplacements de populations se poursuivent à ce jour dans la province de Kachin. Le processus de transition vers la démocratie amorcé en 2010 par le régime militaire birman n’a donc pas entraîné de progrès significatif pour la minorité rohingya.

Soumis à des persécutions constantes relevant du « nettoyage ethnique », beaucoup de Rohingyas cherchent à quitter leur pays, souvent par la mer, sur des embarcations de fortune. Mais leur principale destination, le Bangladesh, répugne lui-même à les accueillir, ce qui a abouti à la constitution de vastes camps de réfugiés. Le dossier est suivi de près par le secrétariat général des Nations Unies, par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que par l’Organisation de coopération islamique. Mais rien ne laisse entrevoir à ce jour de solution, ou même d’apaisement significatif, à cette crise profonde et durable, lourde de désastres humanitaires. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) s’est intéressé au cas des réfugiés Rohingyas au Bangladesh dans un rapport de mission publié en 2011 (pp.141 à 156).


jeudi 2 octobre 2014

Minorités du monde 6. Les Eskimos du cercle arctique

Les Eskimos sont les descendants de populations semi-nomades de chasseurs-pêcheurs rattachées au rameau mongol, venues au fil des millénaires de Sibérie orientale en traversant le détroit de Behring à la recherche de gibier. Ils se répartissent en deux branches linguistiques principales : les Inuits, soit environ 100.000 personnes à peu près également établies entre le nord de l’Alaska, le Grand nord canadien, et le Groenland danois, et les Yupiks, population d’une vingtaine de milliers de personnes installées au sud de l’Alaska et pour quelques-unes encore en Sibérie. L’on peut encore y ajouter les quelque 2.000 autochtones des Îles aléoutiennes.

Les Eskimos subissent aux Temps modernes le sort de la plupart des populations aborigènes au contact des colonisateurs : décimation par les maladies importées, notamment la variole et la tuberculose, ravages de l’alcool, sédentarisation forcée et lente destruction des modes de vie traditionnels sous la pression des commerçants, des administrateurs et des missionnaires. La Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée à Londres en 1670, qui contrôle en particulier le commerce des fourrures dans tout l’ouest canadien et américain, joue un rôle important dans ce processus.

Au cours du XXème siècle, une lente prise de conscience s’opère quant au sort des Eskimos. Le film de Robert Flaherty, « Nanouk l’Esquimau » tourné au début des années 1920 dans le Grand nord canadien, est le premier grand documentaire de l’histoire du cinéma. En I955, l’ethnologue français Jean Malaurie publie « les derniers rois de Thulé » après plusieurs séjours en immersion totale dans des villages inuits du nord du Groenland. Ces deux hymnes à la survie de l’homme en milieu hostile et au respect de la nature contribuent à l’éveil de la sympathie du public envers les Eskimos.

Au Canada, après des décennies de querelles entre le gouvernement fédéral et les provinces, notamment le Québec, sur la gestion des peuples autochtones, marquées par des entreprises brouillonnes de délocalisations et de relocalisations, un territoire fédéral, le Nunavut (« notre terre »), est créé en 1999 comme pays des Inuits. D’une superficie de 2 millions de kilomètres carrés, il couvre l’ouest et le nord de la Baie d’Hudson. Sa capitale, Iqaluit (« les poissons »), située au sud de la Terre de Baffin, compte 7.000 habitants, dont 60% d’Inuits. L’ensemble du territoire regroupe 35.000 habitants.

En Alaska, Inuits et Yupiks sont d’abord traités à l’instar des populations amérindiennes des États-Unis. En 1971, le Congrès américain leur verse en compensation des malheurs infligés une indemnité d’un milliard de dollars et leur remet la propriété d’environ 178.000 kilomètres carrés (soit le dixième de la superficie totale de l’Alaska). Les ressources de ces territoires sont gérées par des sociétés dont les Eskimos sont au départ les seuls actionnaires. Ceci n’a pas éteint leurs revendications, souvent liées à la découverte en 1968 de très importantes réserves de pétrole dans l’extrême-nord de l’Alaska. Si leur sort s’est amélioré, ils se situent toujours dans les catégories les plus défavorisées de la population américaine.


Quant au Groenland et ses Inuits, après une longue période de statut colonial, il est rattaché en 1950 au Danemark comme territoire autonome. Cette autonomie s’est consolidée au fil des années, tandis que s’étendaient les bienfaits de la social-démocratie. Ses 56.000 habitants, dont 88% d’Inuit, pour partie métissés, disposent d’un parlement de 31 membres, d’un gouvernement, d’une capitale de 16.000 habitants, Nuuk (« le cap »), d’un drapeau et d’un hymne national. Conformément à la volonté de ses habitants, désireux de protéger leurs ressources de chasse et de pêche, le Groenland n’appartient pas à l’Union européenne. Le gouvernement central danois n’y exerce plus de responsabilités que pour les affaires étrangères et la défense. Le Groenland pourrait un jour s’orienter vers la pleine indépendance. Les Inuits seraient alors enfin les citoyens d’un pays souverain où ils seraient majoritaires.

vendredi 8 août 2014

Minorités du monde 5. Les Kurdes Yazidis

Les Yazidis, Kurdes irakiens pour l’essentiel, forment une communauté religieuse de quelques centaines de milliers d’adeptes installés pour leur grande majorité dans des régions rurales autour de Mossoul. Mais de petites communautés, la plupart déclinantes, se retrouvent aussi dans les Kurdistans syrien et turc, ainsi qu’en Géorgie et en Arménie. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, une importante diaspora yazidi s’est dirigée vers l’Europe, en priorité vers l’Allemagne, où se retrouvent plusieurs dizaines de milliers de Yazidis, venus de Turquie puis d’Irak.

Le Yazidisme est une religion syncrétiste, combinant à un Islam de type soufi de nombreux éléments pré-islamistes, empruntés au Zoroastrisme et au Manichéisme. Elle se caractérise par ses rites de pureté, ses règles d’endogamie, la croyance en la métempsychose et l’organisation de la société en castes. Pour les Yazidis, un Dieu unique a créé le monde, puis l’a confié à un groupe de sept archanges, parmi lesquels domine Tawous e Malek, le Paon-Archange, qui règle le destin de l’humanité. Celui-ci est souvent assimilé à Satan par les observateurs extérieurs, ce qui explique la désignation des Yazidis comme des adorateurs du diable, et les persécutions qui s’en sont suivies.

Ceci a été vrai du temps de l’Empire ottoman, où la population Yazidi a subi de nombreux massacres, mais aussi dans la période récente, où les Yazidis ont été soumis à des arabisations forcées, à des conversions forcées à l’Islam, ainsi qu’à des déportations massives. En vue de consolider son contrôle de la région disputée de Mossoul, l’administration centrale irakienne a tenté de les intégrer aux Arabes, tandis que les responsables du Kurdistan s’efforçaient au contraire de les rattacher à la mouvance kurde. Mais d’un côté comme de l’autre, peu a été fait pour élever le niveau de vie et d’éducation de ces populations rurales, fortement défavorisées, d’où la tentation de l’exil. L’on se souvient de l’échouage volontaire sur les côtes du Var, en février 2001, d’un cargo portant plus de 900 Kurdes irakiens. Ils étaient pour la plupart Yazidis.


Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les Yazidis ont été aussi frappés par des attentats venant de groupes sunnites extrémistes. Ainsi, en 2007, quatre camions chargés d’explosifs ont simultanément été mis à feu dans deux villages yazidis en pleine période de festivités, faisant 400 morts. La création récente d’un « califat » islamique englobant notamment la région de Mossoul a entraîné pour eux, comme pour les Chrétiens et les Chiites, de nouveaux malheurs. C’est par milliers qu’ils ont abandonné leurs maisons, pour tenter de se réfugier en zone contrôlée par les Kurdes.

dimanche 20 juillet 2014

Minorités du monde 4. Les Gagaouzes de Moldavie


Lorsque la Moldavie, territoire soviétique situé entre Roumanie et Ukraine, à majorité roumanophone, proclame son indépendance au début des années 1990, les Slavophones de Transnistrie, province de l’est au contact de l’Ukraine, font sécession et créent, avec le soutien de la Russie, un État séparé, non reconnu par la communauté internationale, mais toujours en place aujourd’hui. A la même période, au sud de la Moldavie, une autre communauté, celle des Gagaouzes, s’inquiète lorsqu’elle voit son pays adopter comme seule langue officielle le roumain, et proclame alors sur environ 10% du territoire de la Moldavie une « République socialiste soviétique de Gagaouzie ». Cette communauté est composée de Turcs chrétiens de confession orthodoxe, qui, contrairement à la majorité des Moldaves, craignent alors par-dessus tout un rattachement du pays à la Roumanie voisine qui les ferait disparaître dans un vaste ensemble roumanophone. Les fortes tensions qui s’installent entre les autorités centrales moldaves et les Gagaouzes ne s’apaisent que lorsque la Moldavie rejette en mars 1994 par référendum le projet d’une union avec la Roumanie. A la fin de l’année un statut spécial est accordé à la région gagaouze. Elle dispose de ses propres pouvoirs législatif et exécutif, d’une capitale, Comrat (30.000 hab.), d’un drapeau et d’une totale autonomie en matière de culture, d’éducation, de questions sociales et de finances locales. Sur les quelque 3,4 millions de Moldaves, la région en question regroupe au total 170.000 habitants, dont 80% de Gagaouzes.

Force est de reconnaître que l’inquiétude des Gagaouzes quant à une absorption de la Moldavie par la Roumanie ne s’est pas apaisée au fil des dix années écoulées. En février 2014, lors d’un référendum organisé par le gouvernement local mais non reconnu par le gouvernement central moldave, la quasi-unanimité des voix exprimés (avec 70% de participation) s’est prononcée en faveur de l’union douanière avec la Russie, contre l’intégration à l’Union européenne, et en faveur de l’indépendance de la Gagaouzie au cas où la Moldavie abandonnerait sa souveraineté. 

Mais d’où viennent ces fameux Gagaouzes ? Ce sont, sans guère de doute, les descendants de tribus turques qui, poussées par d’autres envahisseurs, se sont installées au Moyen-âge au sud du delta du Danube, et se sont alors converties au christianisme. Puis, encouragées par les Russes qui souhaitaient peupler le territoire récemment conquis et encore par endroits désert de la Bessarabie, elles ont migré vers le nord au début du XIXème siècle pour occuper leur habitat actuel. La région est pauvre, dotée de peu de réserves d’eau, et vit encore aujourd’hui pour l’essentiel d’agriculture, notamment de viticulture. Adossée au statut favorable qui lui a été accordée, la communauté gagaouze s’efforce à présent de conforter son identité par la mise en valeur de sa langue turque et de son histoire, et d’acquérir aussi un peu de prospérité. Mais les moyens lui manquent cruellement. Nous pouvons l’aider, et contribuer aussi à la rapprocher de l’Union européenne, en plaçant de temps en temps sur nos tables des vins gagaouzes.

jeudi 3 juillet 2014

Minorités du Monde 3. Les Ouïgours de Chine

8 millions d’Ouïghours pour près d’un milliard et demi de Chinois, voilà de quoi nourrir le sentiment d’appartenir à une minorité, même si votre terre, le Xinjiang, ancien Turkestan oriental ou chinois, occupe un sixième du territoire de la Chine. Mais c’est un territoire ingrat, composé d’immenses déserts et de montagnes arides, dont les fleuves se perdent dans les sables, parsemé d’oasis où se concentre la vie. Il s’insère entre deux régions bouddhiques, le Tibet d’un côté, la Mongolie de l’autre, mais ses populations autochtones sont musulmanes.

Les Ouïghours, nomades de langue turque, apparaissent dans l’histoire au VIIIème siècle, dans l’actuelle Mongolie extérieure. Poussés par les Kirghizes, ils s’installent un siècle plus tard dans leur habitat actuel, se sédentarisent, se mêlent aux populations indo-européennes des oasis. Un moment convertis au manichéisme, pratiquant aussi le christianisme nestorien, ils finissent par tous rejoindre l’Islam sunnite.

Au XVIIIème siècle, après plusieurs expéditions, les Chinois parviennent à incorporer la région à leur empire. Elle est néanmoins mal contrôlée, les Russes tentent d’y étendre leur influence, et des révoltes locales aboutissent à plusieurs reprises à la création d’indépendances éphémères : un émirat de Kashgarie dans la seconde moitié du XIXème siècle, une République du Turkestan oriental dans les années 1930, qui renaît sous protectorat soviétique dans les années 1940.

En 1949, avec l’avènement de la République populaire chinoise, le Turkestan oriental, ou Xinjiang, est à nouveau fermement arrimé à la Chine. Le régime de Mao Tsé-Tung y mène alors une politique systématique d’installation de populations Han venues du cœur du pays et institutionnalise l’usage du mandarin. L’afflux de colons et de militaires fait passer la proportion de Chinois ethniques au Xinjiang de 6% au début des années 1950 à 40% aujourd’hui. De 1964 à 1996, la Chine utilise en outre le site de Lop Nor au cœur du désert central du Xinjiang, pour conduire 45 essais nucléaires, dont 23 dans l’atmosphère.

Alors que les Ouïghours s’identifiaient traditionnellement à leurs oasis respectives – le nom même d’Ouïghour pour les désigner dans leur ensemble ne renaît et ne se popularise qu’à l’époque contemporaine, dans les années 1930 –, cette politique du gouvernement chinois donne aux Ouïghours le sentiment de n’être plus chez eux et ravive leur sentiment national. Le phénomène est encore accentué à compter des années 1990 avec l’accès à l’indépendance de leurs voisins Kirghizes, Kazakhs, Tadjiks et Ouzbeks du fait de la disparition de l’URSS. Les manifestations s’enchaînent, et sont généralement réprimées avec une brutalité extrême : morts par tirs de la police, arrestations massives, exécutions publiques de meneurs. Elles tournent aussi à l’émeute, comme en 2009, dans la capitale du Xinjiang, Urumqi, où des affrontements entre Ouïghours et Hans font environ 200 morts.


Les indépendantistes passent aux actions terroristes, frappent au Xinjiang même, et vont jusqu’à commettre en 2013 un attentat-suicide à la voiture piégée sur la place Tian’anmen. En mars 2014, dans la gare de Kunming, au Yunnan, donc à nouveau bien loin du Xinjiang, un groupe d’Ouïghours armés de couteaux frappe à l’aveugle des voyageurs et tue 29 personnes. Le gouvernement chinois demande donc l’inscription des principaux mouvements indépendantistes Ouïghours sur les listes nationales et internationales d’organisations terroristes. Le cycle de violence qui s’est déclenché ne semble pas près de s’éteindre, même si le rapport de force paraît écrasant en faveur du gouvernement central chinois.

samedi 17 mai 2014

Minorités du monde 2. Les Mapuches du Chili

Les Mapuches (« peuples de la terre ») forment un peuple indien d’environ 1,5 million d’individus, installés pour l’essentiel dans la partie centrale du Chili. Ils sont également présents dans la Pampa argentine, où ils ont pénétré dans les temps modernes en franchissant la cordillère des Andes. Habitants originels du Chili, les Mapuches ont résisté victorieusement aux tentatives d’expansion vers le sud de l’empire Inca, et se sont ensuite longuement battus contre les envahisseurs espagnols. L’un de leurs jeunes chefs, Lautaro, élevé en milieu espagnol, prend la tête de leur résistance, familiarise ses troupes avec la tactique des Conquistadors, notamment avec l’usage de la cavalerie, et inflige aux Espagnols plusieurs cuisantes défaites, dont l’une voit périr Pedro de Valdivia, le conquérant du Chili.

Lautaro meurt lui-même au combat trois années plus tard. Mais pendant trois siècles, les Européens ne se risquent guère à pousser leur avantage et de vastes territoires au sud de la capitale Santiago, groupés sous le nom d’Araucanie, restent hors du contrôle du gouvernement central. Un aventurier français, Antoine de Tounens, tente même d’y fonder en 1860 un royaume indépendant. Entre temps la colonisation se développe, notamment avec l’installation systématique dans la région d’immigrants allemands. Face à la résistance des Mapuches, l’armée chilienne mène plusieurs campagnes de « pacification ». Il lui faut près de 20 ans d’efforts pour que les territoires mapuches passent définitivement, en 1883, sous contrôle de l’État chilien. Il en est à peu près de même, et à même époque, de l’autre côté des Andes, avec la politique argentine de « conquête du désert ».

Depuis, les Mapuches se sont majoritairement fondus dans la population chilienne, y compris dans la population urbaine, lui donnant son aspect en grande partie métissé. Mais dans leurs régions d’origine, les Mapuches, restés agriculteurs, et souvent regroupés en communautés, gardent le souvenir des persécutions subies. Ils s’efforcent aussi de protéger leur langue, le mapudungun (« langue de la terre »), encore parlée en différents dialectes par quelques centaines de milliers de locuteurs.

Au début des années 1970, à l’occasion de la réforme agraire lancée par l’Unité populaire, les Mapuches tentent de récupérer une partie de leurs terres. En réaction à ce mouvement, le régime du général Pinochet mène une politique de démantèlement des terres communautaires et de distribution de titres de propriété individuels. Le retour de la démocratie conduit en revanche à la promulgation en 1993 d’une « loi indigène », reconnaissant l’existence de propriétés collectives et mettant en place une Corporation nationale de développement indigène. Ces nouvelles dispositions n’éteignent toutefois pas les tensions entre les communautés mapuches et leur environnement. On a pu le voir à l’occasion de la construction sur des terres mapuches, dans de hautes vallées des Andes, de deux centrales hydro-électriques au tournant des années 2000, ou encore dans les conflits générés par l’exploitation forestière intensive de leurs zones d’habitat.

lundi 7 avril 2014

Minorités du Monde 1. Les Tatars de Crimée



Peuple nomade d’Asie centrale, voisin des Mongols, appartenant au rameau turc, les Tatars débouchent avec ceux-ci en Europe orientale au XIIIème siècle. Après avoir poussé jusqu’en Europe centrale, ils fondent des royaumes, les khanats, au nord de la Mer Noire et de la Caspienne, autour de la Volga. C’est alors qu’ils se sédentarisent et commencent à se mêler aux populations locales. Un siècle plus tard, un nouveau conquérant, Tamerlan, envahit la région, puis les Russes à leur tour étendent leur territoire. Une partie des Tatars reflue vers la Crimée, péninsule plus aisée à défendre. Le dernier des khanats tatars, le khanat de Crimée, dont la population s’est convertie à l’Islam, s’intègre au XVème siècle à l’Empire ottoman. Les Tatars de Crimée mènent encore pendant deux siècles des raids dans les plaines russe et ukrainienne pour alimenter un trafic prospère d’esclaves. Ils se heurtent alors aux Cosaques, troupes irrégulières composées de paysans-soldats, qui les imitent dans leurs méthodes de razzia. Mais à la fin du XVIIIème siècle, à la suite d’une défaite ottomane face aux Russes, le Khanat de Crimée disparaît, absorbé dans l’empire des Tsars.

Dès lors, les Tatars de Crimée s’enfoncent dans la condition de peuple minoritaire. Tout au long du XIXème siècle, le gouvernement russe mène une politique de colonisation du pays par des paysans slaves. Il pousse massivement et brutalement les Tatars à émigrer, vers la Sibérie, vers l’Anatolie ottomane, ou encore vers les territoires européens de l’Empire ottoman. C’est ainsi qu'on en retrouve aujourd’hui en Roumanie, en Bulgarie et en Turquie. L’URSS ne se comporte pas mieux à leur égard. Ils payent lourdement le prix des famines générées  par la guerre civile des débuts de la révolution, puis par la politique stalinienne de collectivisation de l’agriculture. Durant la deuxième guerre mondiale, la Crimée est occupée par les Nazis et une partie des Tatars se retrouve enrôlée dans les troupes auxiliaires des armées allemandes. C’est le motif choisi en 1944 par Staline et Beria pour déporter les Tatars de Crimée vers des territoires excentrés de l’Union soviétique, notamment vers l’Ouzbékistan. 200.000 seront ainsi expulsés, une partie importante périra dans l’opération. Il faudra attendre la dislocation de l’URSS pour qu’ils soient autorisés à regagner leur patrie, entre temps rattachée à l’Ukraine par Kroutchev. Ils s'y réinstalleront tant bien que mal. 250.000 Tatars sont actuellement recensés en Crimée. Ils y représentent environ 12% de la population et s’efforcent de protéger leur langue, d’origine turque, écrite aujourd’hui en alphabet cyrillique ou latin. Ils n’ont guère été choyés par le gouvernement de Kiev, mais à la lecture de leur histoire, on comprend qu’ils voient avec inquiétude le retour de leur pays dans le giron de la Russie. Ils s’opposent en cela à leurs vieux adversaires, les Cosaques, qui ont retrouvé leur rôle d’auxiliaires des troupes russes pour la prise du contrôle du territoire de la Crimée.