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vendredi 30 septembre 2011

Le devoir de protéger ou la triste histoire d'un fusil à un coup

Dans l'espace, les grands astres dévient par leur masse la trajectoire de la lumière. Sur terre, les États plient les règles du droit international à raison de leur puissance. L'affaire libyenne vient à nouveau de le démontrer.

Autour des années 2000, émerge non sans mal aux Nations Unies le principe du "devoir de protéger". Deux circonstances y ont contribué. D'abord les opérations militaro-humanitaires "Provide Comfort", menées sur mandat du Conseil de sécurité dans la foulée de la guerre du Golfe de 1991. Il s'agissait de secourir les Kurdes d'Irak soulevés contre Saddam Hussein. L'on assiste alors à la montée en puissance du "droit d'ingérence", notamment défendu par les Français. Mais il soulève trop de réticences de la part d'États jaloux de leur souveraineté.

L'autre circonstance, de type inverse, est le malaise généré par l'inertie de l'ONU et de la quasi-totalité des États face au génocide rwandais de 1994. La réflexion est à nouveau ouverte sur la question de l'ingérence. Sur la base des travaux d'une commission indépendante, le Sommet mondial de l'ONU réuni en 2005 insère dans sa déclaration finale la notion du devoir incombant en dernier ressort à la communauté internationale de protéger les populations victimes de leurs propres dirigeants.

C'est sur cette base qu'est votée le 17 mars dernier au Conseil de sécurité la résolution 1973 relative à la Libye, qui autorise "toutes mesures nécessaires", sauf occupation étrangère d'aucune sorte, "pour la protection des populations et des zones civiles menacées d'attaque".

Premier glissement par rapport à ce texte, la déclaration du Sommet de Paris, deux jours plus tard, où l'on peut lire :"Nous assurons le peuple libyen de notre détermination à être à ses côtés pour l’aider à réaliser ses aspirations et à bâtir son avenir et ses institutions dans un cadre démocratique." Rien là que d'honorable, mais l'on va déjà au-delà du simple devoir de protéger. Et au cours du sommet, notre président de la République, plaçant l'intervention imminente sous l'égide de "la conscience universelle", martèle: "Nous intervenons pour permettre au peuple libyen de choisir lui-même son destin."

Le 21 mars, Alain Juppé indique pourtant lors d'une réunion à Bruxelles : " cette résolution nous demande de protéger les populations civiles contre les exactions du régime Kadhafi. C’est ce que nous faisons. Elle ne nous demande pas de mettre en place un autre régime."

Un nouveau glissement intervient néanmoins avec la déclaration commune de Nicolas Sarkozy et de David Cameron, le 28 mars : " Il n’y a de solution durable que politique… Ainsi que le souligne la résolution de la Ligue arabe, le régime actuel a perdu toute légitimité. Kadhafi doit donc partir immédiatement." Et les deux dirigeants invitent à lancer "un processus de transition représentatif, une réforme constitutionnelle et l’organisation d’élections libres et régulières."

A partir de là, tout s'enchaîne. Les forces aériennes de l'OTAN pèsent de tout leur poids dans ce qui tourne à la guerre civile. L'on tutoie la ligne jaune de l'engagement au sol en faisant intervenir des drones et des hélicoptères, en dépêchant sur place des conseillers militaires, en livrant des armes. Des détails qui émergent sur la prise de Tripoli, l'on voit notre président se poser en chef de guerre en approuvant un plan d'opérations fondé sur une étroite coordination entre insurgés et frappes de l'OTAN.

Depuis 1991, l'on s'est donc enhardi. La coalition de la guerre du Golfe avait pour mandat du Conseil de sécurité de sortir les armées de Saddam du Koweït. Dès cette mission accomplie, la question s'était posée de l'opportunité d'aller à Bagdad renverser le dictateur. Mais George Bush, respectueux du droit, s'y était opposé.

Faut-il le regretter? Moins chanceuses que les Kurdes, les populations irakiennes du Sud ont été alors massacrées. Et le peuple irakien a encore connu douze ans d'oppression, aggravée par un lourd régime de sanctions internationales. Il a dû subir la guerre de 2003 et ses séquelles.

Alors, de Bush père ou de Sarkozy, qui a eu le bon réflexe? Il faudra attendre pour trancher de voir comment tourne la Libye, comment se comportent ses nouvelles institutions, comment s'en sort sa population.

Mais il y a déjà une grande victime de l'opération libyenne. C'est le devoir de protéger. A peine intégré dans le droit international, il s'est trouvé instrumentalisé, et donc discrédité. Nous aurons du mal à obtenir à nouveau du Conseil de sécurité, sur une telle base, l'autorisation d'intervenir militairement pour protéger des populations menacées, même si cette intervention est moralement très justifiée.

(article paru dans lemonde.fr du 29 septembre)

mercredi 23 mars 2011

"Deux poids deux mesures", Munich, pétrole et Plan Marshall

Chaque action internationale fondée des principes fait aussitôt fleurir l’argument des «deux poids, deux mesures». Et de fait, il est toujours aisé de trouver ailleurs des circonstances qui justifieraient au moins autant, sinon plus, une action de même type. Va-t-on lutter contre la famine en Somalie ? L’on nous rappelle que quelque part dans les Grands Lacs, dans le Sahel ou au fin fond de l’Asie centrale, la situation est bien pire : comment ose-t-on ne rien faire ? Frappe-t-on la Libye de Kadhafi ? L’on nous défie d’en faire autant à Bahreïn ou en Syrie. Dénonce-t-on l’état des droits de l’Homme dans tel modeste pays ? L’on nous reproche notre silence face à la Chine. Et ainsi ad nauseam… Serait-il possible de répliquer que les « deux poids deux mesures » sont consubstantiels à l’histoire du Monde, ayant commencé avec la création d’Adam et d’Ève ? Ou, ce qui revient à peu près au même, qu’ils n’existent pas vraiment, toute situation étant par définition unique ? Pour ceux qui en douteraient, rappelons que le meilleur partisan de la lutte contre les « deux poids deux mesures » était ce jovial brigand de l’Attique nommé Procuste, qui, étendant tour à tour sur le même lit les voyageurs qu’il avait capturés, raccourcissait ceux qui en débordaient, étirait au contraire les trop petits.

Notons aussi que ceux qui se plaignent de se voir injustement singulariser se tiennent cois quand les « deux poids deux mesures » jouent en leur faveur. Pour puiser dans mes souvenirs personnels, je me souviens d’un officiel iranien protestant contre les condamnations du monde extérieur qui s’élevait à l’époque contre les lapidations pratiquées par la justice de son pays. Il soulignait qu’il y en avait tout autant en Arabie Saoudite sans que personne ne semble s’en émouvoir. Pourquoi cette mauvaise foi ? Je lui avais répondu, sans m’attirer de réplique, que lorsqu’on parlait de lapidations en Arabie saoudite, ce qui arrivait quand même de temps en temps, les Iraniens ne levaient pas le doigt pour rappeler au monde qu’ils en faisaient autant. J’avais ajouté que son propos nous invitait implicitement à placer son pays sur le même plan que les Saoudiens. Les Iraniens, peuple de vieille civilisation, n’avaient-ils pas tendance à se considérer comme légèrement supérieurs à leurs voisins bédouins? En ce cas, ils devaient accepter que l’on soit plus exigeant à leur égard.

Une fois épuisé le sujet des « deux poids, deux mesures », reste encore à gloser sur le rôle de la convoitise dans les affaires du monde. Malheur à ceux qui posent leurs yeux sur les pays possesseurs de pétrole ! Si l’on est aimable, c’est pour s’emparer de leur précieuse ressource. Si on les attaque, c’est pour la même raison. Pas d’autre explication aux deux guerres contre l’Irak de Saddam Hussein, ou à l’expédition contre Kadhafi. « Le monde entier applaudirait des deux mains si le gendarme du monde et ses lieutenants français et britanniques faisaient preuve de la même fermeté et imposaient le même traitement à tous ces monarques, princes, roitelets et présidents à vie (ou à mort) qui humilient leurs peuples. La réalité est, hélas, tout autre. L'Oncle Sam parle et agit selon la tête du client, au sens mercantile du terme », écrivait récemment El Watan. Et dans les colonnes d’el Khabar :« la vraie guerre est celle du pétrole».

Mais, bien entendu, si l’on ne fait rien, l’on est un Munichois : autre thème inépuisable de chroniques devant des choix difficiles. Munichois, ceux qui hésitent à frapper l’Iran, Munichois à coup sûr si l’on n’était pas intervenu en Libye. Enfin, quand on a tout dit en temps de crise, reste à proposer une sortie en forme de «nouveau plan Marshall», forcément « gagnant-gagnant ». Nous avons eu droit récemment à ce genre d’article pour la Tunisie et sa région, et des dizaines de fois en de nombreux coins d’Afrique et d’Asie. Rappelons qu’il s’agissait en 1947, là encore, d’une configuration unique. Les États-Unis représentaient au lendemain de la deuxième Guerre mondiale 50% de la production mondiale. Quant à l’Europe dévastée, elle avait, malgré les immenses destructions subies, toutes les capacités humaines et techniques du renouveau. Il s’agissait de réamorcer une pompe, pas de fabriquer un moteur. Pour les membres du monde en développement, le processus de mise à niveau est beaucoup plus compliqué, et ne s’enferme pas dans des formules. Au contraire, si l’on veut vraiment aider, ce serait plutôt par un travail patient, taillé sur mesure selon les endroits et les circonstances, ce qui ramène à la dimension positive des « deux poids, deux mesures » !

jeudi 9 août 2007

Petite analyse de texte

Avez-vous lu le communiqué suivant de la Présidence de la République?

"Le président de la République est favorable à l'initiative de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, qui appelle à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur les développements récents des relations entre la France et la Libye, y compris en matière d'armement. Les travaux de cette commission permettront de confirmer toutes les déclarations faites par les autorités françaises et de mettre en valeur l'exemplarité de leur action qui a permis, avec l'Union européenne, de mettre un terme à l'emprisonnement des cinq infirmières et du médecin bulgares."

En quelques lignes, que de biais introduits, plus ou moins subtilement, dans la communication!

Que signifie le Président en disant qu'il est "favorable" à cette initiative? que cela change-t-il au processus? en sens inverse, pourrait-il dire qu'il est "défavorable" à telle ou telle initiative du Parlement? cela pourrait-il arrêter le cours des choses? L'on en arrive à penser qu'en se disant ainsi "favorable", le Président cherche surtout à prendre les devants en faisant comprendre qu'il ne craint pas l'initiative, et donc qu'il n'a rien à se reprocher.

"... initiative de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale". Vraiment? le Président paraît mal informé. Tout lecteur de journal, ou même tout spectateur des journaux télévisés avait compris que l'initiative venait en réalité du Parti socialiste. Pourquoi ainsi le dissimuler?

Plus étonnant, avant même que la Commission d'enquête se soit réunie, notre Président en annonce le résultat : "les travaux de cette commission permettront de confirmer toutes les déclarations faites par les autorités françaises et de mettre en valeur l'exemplarité de leur action etc." Est-ce une façon de dicter aux membres de la future commission, au moins à ceux appartenant à sa majorité, ce que devra contenir son rapport?

"...exemplarité de leur action qui a permis, avec l'Union européenne,..." joli coup peut-être. Mais doit-on vraiment donner en exemple pour notre diplomatie une action consistant à prendre au dernier moment la vedette d'une libération préparée de longue date par de nombreux Européens? Et n'aurait-on pas dû au moins écrire "une action de l'Union européenne qui a permis, avec l'aide de la France..."?

Exemplaire, vraiment, une action qui a entraîné le commentaire suivant du fils du colonel Khadafi: "j'ai dit à mon père: "je n'arrive pas à croire à l'offre française!"? Oui, il faudra que l'on sache un jour ce qu'ont vraiment offert M.et Mme Sarkozy au Maître de Tripoli pour se placer en première page de l'actualité!

lundi 30 juillet 2007

Droits de l'Homme : entre service minimum et coups de pub

Le 5 juillet dernier un homme est lapidé en Iran pour adultère. La femme concernée attend son exécution.

Le 20 juillet je m'étonne dans mon tout nouveau blog du silence du gouvernement français, alors que de nombreux pays et institutions ont fait connaître leur émotion.

Le 27 juillet, le porte-parole du Quai d'Orsay annonce dans sa conférence de presse habituelle que le chargé d'affaires iranien a été convoqué au ministère "à la demande de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme" pour se voir notifier "l'extrême préoccupation" du gouvernement français à la suite de diverses exécutions en Iran : douze pendaisons le 22 juillet, s'ajoutant à une lapidation pour adultère.

Voilà donc le cas traité dans une protestation "omnibus", émise auprès d'un diplomate iranien qui n'est même pas l'ambassadeur, et non par Mme Yade elle-même, la chose n'étant sans doute pas de son niveau, mais par un fonctionnaire français d'un rang non révélé, mais que l'on peut présumer modeste. C'est ce qu'on appelle en diplomatie une démarche de routine. Et en bon français un service minimum.

Quelques jours avant, deux journalistes iraniens avaient été condamnés à mort pour "espionnage", mais de cela, le Quai d'Orsay, sans doute mal informé, n'a même pas parlé.

L'on a du mal, après cela, à prendre au sérieux les déclarations de Mme Yade, fort sympathique au demeurant, faites à la presse française le 24 juillet: "Je veux que, sur le terrain des Droits de l'Homme, chacun sache que la France est de retour. Qu'elle n'a jamais cessé d'être la patrie des Droits de l'Homme... Si je parviens à faire en sorte que les Droits de l'Homme soient au cœur de notre diplomatie, j'aurai rempli ma mission."

Si la France est de retour, disons, pour être charitable, qu'elle revient sur la pointe des pieds.

Enfin, il y a une brillante exception à cette discrétion: l'affaire libyenne!

Lisons à nouveau Mme Yade dans une déclaration à ce sujet: "Aujourd'hui, la libération des infirmières et du médecin bulgares est une victoire des Droits de l'Homme. Les négociations ont été dures, et leur libération jusqu'au bout incertaine, mais l'important est qu'ils soient enfin libres.

Le rôle essentiel de la France dans cette libération, par l'action courageuse et sans relâche de Cécilia et Nicolas Sarkozy, rappelle que la France, berceau des Droits de l'Homme, a plus que n'importe quel autre pays un devoir en matière de défense des droits fondamentaux."

Ah! qu'en termes galants ces choses-là sont dites! "L'action courageuse et sans relâche" du Président de la République et de son épouse a été, chacun le sait, de brève durée, et tout à fait subsidiaire dans cette libération, où l'Union européenne (incarnée en ce cas par Mme Benita Ferrero-Waldner), et non la France, a joué "le rôle essentiel". L'envoi d'un avion de la République française pour ramener les otages, et les risettes prodiguées au colonel Khadafi ne changent rien à l'affaire.

Non, Monsieur le Président de la République, non, Madame Sarkozy, il n'est pas décent d'instrumentaliser ainsi la cause des Droits de l'Homme au profit de votre image personnelle et du tirage des magazine "people".

Non, Madame le Secrétaire d'Etat, nous ne pouvons qu'être mal à l'aise de vous voir ainsi encenser vos supérieurs dans le plus pur style du culte de la personnalité. Les droits de l'homme méritent un autre langage que celui de la flatterie et de l'auto-satisfaction.

La France, patrie des Droits de l'Homme? c'est une démonstration qui doit être faite tous les jours, sur notre propre sol comme à travers le monde, par un travail opiniâtre, ingrat, souvent obscur, et pas simplement par un bon coup de pub!