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jeudi 10 décembre 2020
Fakhrizadeh : les dessous et les effets d'un assassinat
samedi 11 janvier 2020
IRAK : CHEMINEMENT ET PREMIER BILAN DE LA CRISE
Dans la description d’une escalade de violence, la désignation du fait
initial est évidemment déterminant pour faire pencher d’un côté ou de l’autre
le poids de la responsabilité. Pour la crise qui vient d’embraser le
Moyen-Orient, il est possible d’en voir l’origine immédiate dans les frappes
meurtrières, d’abord inexpliquées, intervenues à l’été dernier en Irak sur des
dépôts d’armes détenus par des milices de mobilisation populaire soutenues par
l’Iran. Ces frappes ont fini par être revendiquées du bout des lèvres par le
Premier ministre Netanyahou, et justifiées par la nécessité de détruire des
arsenaux contenant notamment des missiles de moyenne portée, pouvant donc toucher
Israël, introduits en Irak par l’Iran. Responsabilité de l’État
hébreu ou responsabilité primaire de l’Iran, une nouvelle donne était créée dans
la région avec l’élargissement à l’Irak de l’affrontement opposant déjà les
deux pays sur le théâtre syro-libanais-palestinien.
Le premier mort américain
En septembre, le Premier ministre irakien, après enquête, dénonçait
officiellement Israël comme l’auteur de ces frappes, dont chacun à Bagdad considérait
qu’elles n’avaient pu avoir lieu sans l’assentiment des États-Unis. Dès lors, les bases
américaines en Iran devenaient des cibles privilégiées pour les amis irakiens
de l’Iran. Le puissant général Soleimani, principal responsable de la coopération
entre les deux pays, n’allait pas les dissuader d’agir. C’est ainsi qu’entre
octobre et décembre, ces bases sont l’objet d’une dizaine d’opérations de tirs
de roquettes. Elles ne tuent personne, ne font que des blessés. Ceci jusqu’à la
frappe, le 27 décembre, d’une trentaine de roquettes sur une base américaine de
la région de Kirkouk, blessant plusieurs soldats américains et irakiens, et
tuant un interprète américain, d’origine irakienne.
C’était le premier mort américain que chacun redoutait depuis le
premier affrontement direct entre États-Unis et Iran survenu dans la
région au mois de juin 2019, avec la destruction par l’Iran d’un drone
d’observation américain. Précisément parce que l’incident n’avait causé aucun
mort, chacun s’était félicité à l’époque que cette ligne rouge n’ait pas été
franchie. Elle l’était cette fois-ci, fin décembre.
Trump et son dilemme
Trump, déjà entré en campagne électorale, se trouvait dès lors
prisonnier d’un sérieux dilemme : ne pas apparaître comme un Président
faible, tout en évitant d’entraîner le pays dans un conflit que lui
reprocherait ensuite sa base électorale, lassée des aventures lointaines. Président
faible, cela lui avait été récemment reproché lorsqu’il s’était refusé en juin de
répliquer par des frappes à la destruction du drone abattu par l’Iran, et à
nouveau en septembre, lorsqu’il avait fait savoir à l’Arabie saoudite qu’elle
ne pouvait compter sur les États-Unis pour répliquer à l’Iran à la
suite de l’attaque spectaculaire contre ses installations pétrolières. Il
fallait donc agir cette fois-ci de façon visible, et dans l’urgence. La
fébrilité s’empare de l’Administration américaine.
Le choix est fait de frapper plusieurs bases de la milice Kataeb
Hezbollah, jugée responsable de l’attaque du 27 décembre. Ces frappes
interviennent le 29 décembre et provoquent quelques dizaines de morts, parmi
lesquels un certain nombre de responsables. Deux jours plus tard, à l’occasion
des cérémonies de deuil se déroulant à Bagdad, une foule en colère force les premières
défenses de l’ambassade américaine. Bien que les manifestants s’en retirent peu
après, Trump voit se lever le spectre de la prise de l’ambassade américaine à
Téhéran en novembre 1979, suivie de la détention pendant 444 jours de 52
otages : l’une des humiliations les plus cuisantes subies par
l’Amérique, et fatale à la carrière du Président Jimmy Carter. Persuadé que les
Iraniens sont derrière cette nouvelle offensive, Trump, auquel sont présentées
plusieurs options de réplique, choisit alors sans doute la plus transgressive, celle
qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé retenir : abattre le général
Soleimani, chef mythique de la force spéciale Al Qods, gérant depuis plus de 20
ans les opérations extérieures de l’Iran. Son exécution le 3 janvier au matin
par des frappes de drones lors de son arrivée à l’aéroport de Bagdad en
compagnie d’autres responsables iraniens et irakiens provoque dans la région
une onde de choc inédite.
Le choc et l’humiliation
Pour les Iraniens, régime et population cette fois-ci confondus, c’est
le choc et l’humiliation de voir abattu comme un vulgaire terroriste un
militaire charismatique, considéré comme exemplaire, ayant protégé l’Iran, par
une stratégie de défense avancée, contre les menées de l’Etat islamique. Des
millions d’Iraniens sortent dans les rues pour lui rendre un dernier hommage.
Pour les Irakiens, c’est le deuil de leurs propres morts et l’humiliation de
voir leur territoire utilisé pour un règlement de compte. Pour le Premier
ministre en particulier, c’est l’humiliation de voir Soleimani exécuté alors
qu’il se rendait à son invitation, pour un entretien dans le cadre d’une
médiation conduite par l’Irak entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le Parlement
irakien vote alors dans l’urgence une résolution enjoignant au gouvernement de
faire partir du pays toutes les forces étrangères.
Le régime iranien, pour sa part, crie vengeance mais pèse soigneusement
sa réponse. Il choisit, pour une fois, de viser directement l’ennemi principal,
et à force ouverte, seule réponse digne à ses yeux d’une nation à l’honneur offensé.
Mais avant de frapper le 8 janvier deux bases américaines en Irak, il prévient
les autorités irakiennes, qui préviennent à leur tour les Américains.
Bilan : zéro mort, zéro blessé. Trump peut siffler la fin de l’escalade.
Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei peut dire, lui, que l’Iran a donné une
gifle à l’Amérique. Il rappelle néanmoins que le but à atteindre est le départ
des troupes américaines de l’ensemble de la région. Le pire est évité, mais il faut
s’attendre à la poursuite dans la période qui s’ouvre d’incidents de basse
intensité, pouvant eux-mêmes dégénérer en nouvelles crises.
Gagnants et perdants de la crise
Dans l’immédiat, deux gagnants en cette affaire, deux régimes qui s’étaient
récemment discrédités, qui avaient vu leur propre population se soulever contre
eux, qui n’avaient pas hésité à écraser la contestation dans le sang : les
régimes iranien et irakien. Grâce à Trump, ils ont repris des couleurs. Les
voilà réinvestis d’un peu de légitimité, et gratifiés, jusqu’à nouvel ordre,
d’un certain soutien populaire -- dans le cas iranien, toutefois, voilà ce soutien déjà érodé par la destruction, certes involontaire, d'un avion de ligne par les Pasdaran... Et les grands perdants sont donc ceux qui
avaient espéré, dans l’un et l’autre pays, pouvoir remettre en cause
l’inefficacité et la corruption de leurs dirigeants. Pauvres sacrifiés de
l’Histoire, martyrs aux noms déjà effacés, victimes de la fureur et du chaos
générés par le combat des puissants.
Gagnants aussi, au moins pour un temps, les débris de l’État
islamique en Irak, qui vont sans doute bénéficier d’un peu de répit, la « Coalition
globale » contre Da’esh conduite par les Américains devant donner pour le
moment la priorité à la sécurité de ses personnels et moyens sur place. Et
gagnants certainement tous les jihadistes, tous les sécessionnistes, avec une
chance de relever la tête si la coalition devait un jour quitter le pays, le laissant
à la faiblesse de son armée et à ses luttes de factions.
Perdants aussi, mais c’est moins grave, les Européens, tétanisés par
cette crise, qui n’ont pas trouvé d’autre langage que d’inviter les parties à
la retenue, qui n’ont pas osé critiquer leur grand ami américain, qui n’ont réuni
quelque courage que pour exiger de l’Iran qu’il soit raisonnable pour deux. Ils
auront beaucoup à faire pour regagner quelque crédit auprès des Iraniens, comme
d’ailleurs auprès des Irakiens, toutes opinions confondues.
article publié le 10 janvier 2020 par le site

mercredi 21 décembre 2016
Alep, point haut de l'aventure iranienne en Syrie
![]() |
le Général Pasdar Soleimani en compagnie de miliciens chiites irakiens à Alep |
La République islamique d'Iran savoure en ce
moment l'accomplissement de "la promesse divine" qu'est la victoire
d'Alep. En son sein, les Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution, ont beaucoup
donné d'eux-mêmes depuis cinq ans, soutenant à bout de bras la vacillante armée
de Bachar el Assad, formant des forces d'appoint sur place, et surtout faisant
venir du Liban des milliers de combattants du Hezbollah, d'Irak des miliciens
chiites, ou encore d'Iran et d'Afghanistan de pauvres Afghans en quête de
subsistance et de statut.
L'Iran, au cas où il aurait parfois douté, se
trouve conforté dans ses objectifs et ses analyses : pas question, bien
entendu, de laisser s'installer en Syrie des sortes de néo-Talibans, qui ne
manqueraient pas, une fois aux commandes, d'écraser toutes les minorités du
pays, puis de revendiquer le Liban, d'aller aussi déstabiliser l'Irak voisin
pour y détruire les sanctuaires les plus sacrés du chiisme, et d'arriver enfin aux
portes de l'Iran : tout ceci avec le soutien plus ou moins avoué, mais en tous
cas massif, de l'Arabie saoudite, obsédée par la menace perse et chiite.
Les Iraniens ne se font pourtant pas d'illusions
sur la personnalité de Bachar. Ils l'ont critiqué à mots à peine couverts pour
la brutalité de sa réaction en 2011, lorsque le soulèvement populaire était
encore pacifique. Ils lui ont au moins une fois proposé, en vain, de
l'installer ailleurs. Mais comme leurs dirigeants le disent régulièrement à
leurs interlocuteurs occidentaux : s'il part demain, qui mettez-vous à sa place ?
Et devant le silence qui leur répond, ils poursuivent : si vous vous en
remettez alors au résultat d'un processus de transition, pourquoi l'en éliminer
d'emblée ? S'il est aussi haï que vous le dites, notamment chez les Sunnites
arabes, qui forment plus de 60% de la population syrienne, pourquoi refuser de
le laisser concourir dans une élection générale organisée par les Nations-Unies
et surveillée par la communauté internationale ?
Affichant son bon droit, et la conviction
d'être le plus constant et le plus déterminé dans la lutte contre le terrorisme,
le régime iranien sait en même temps que sa victoire est fragile. D'abord parce
qu'il faut la partager avec plus fort que lui : la Russie. Certes, celle-ci
était indispensable. A l'été 2015, le Général Soleimani, responsable des
opérations des Pasdaran en Syrie et en Irak, était allé à Moscou pour
représenter l'état d'épuisement de l'armée syrienne et le risque réel de voir
Bachar balayé à court terme. Poutine, qui comprend immédiatement le danger pour
la présence russe sur la côte méditerranéenne, à Latakieh et Tartous, est
convaincu d'intervenir. Mais avec le sentiment aujourd'hui d'être le vrai
vainqueur. La Russie va jusqu'à oublier de s'assurer de l'accord des Iraniens
et des Syriens lorsqu'elle arrête avec les services turcs, au contact des
différentes factions de l'opposition armée, les modalités d'évacuation des
civils et des rebelles demeurés dans Alep-est. D'où le blocage du processus par
les milices pro-iraniennes, avec l'exigence d'obtenir en échange l'évacuation
de populations chiites assiégées par les insurgés dans deux bourgades situées à
quelque 50 kilomètres au sud-ouest d'Alep. Autre vexation pour l'Iran, être
invité par les Russes à Moscou pour discuter de l'avenir de la Syrie non pas
seul, ou avec le gouvernement de Damas, mais avec… la Turquie, soutien de tous
les Jihadistes depuis le début de l'insurrection !
Après Alep
Et puis les Iraniens savent bien que la
victoire d'Alep est loin d'avoir tout réglé. S'ils en avaient besoin, la mort
d'un général Pasdar il y a quelques jours lors de la reprise de Palmyre par
Da'esh est là pour le leur rappeler. S'il fallait reconquérir tous les
territoires échappant encore au régime syrien, d'interminables combats seraient
à prévoir. Les Russes le savent aussi. Ils ont rappelé à Assad, qui affiche
encore l'objectif de reprendre le contrôle de l'ensemble du pays, qu'il n'y a
pas de solution militaire au conflit. C'est sans doute la raison pour laquelle
ils ont décidé de préserver l'avenir en laissant partir les derniers rebelles
d'Alep, plutôt que de les écraser. Les Russes plaident donc pour des
concessions à l'opposition et un processus inclusif de retour à la paix, avec la
constitution d'une union nationale en vue d'œuvrer à l'éradication de Da'esh.
Cette tâche à elle seule, si l'Iran et ses amis veulent rester dans le jeu, implique
encore des sacrifices, alors qu'un mouvement comme le Hezbollah libanais, qui a
joué un rôle décisif dans les moments les plus sombres, a déjà payé un très
lourd tribut à la guerre civile syrienne et ne pourra être éternellement
sollicité.
Enfin, il y a l'inconnue de la nouvelle
administration américaine. Trump a laissé entendre que l'élimination de Da'esh
était sa toute première priorité et qu'il n'écartait pas l'idée de chercher à
cette fin un terrain d'entente avec la Russie et même avec Bachar. La Turquie,
si elle obtient des garanties sur la contention des Kurdes de Syrie, pourrait
aussi se joindre à la partie. Quelle serait dans un tel dispositif la place de l'Iran ?
Certes, les Iraniens interviennent en Irak, soutenant les milices chiites dans
la bataille de Mossoul, où se retrouvent aussi les Américains, mais ils n'y
sont pas aussi près du terrain, aussi associés au quotidien du combat qu'en
Syrie. Si les Etats-Unis et la Russie se mettaient à agir ensemble en Syrie, l'Iran
pourrait être confiné à un rôle secondaire, ou, s'il intervient en force, s'apercevoir
qu'il tire finalement les marrons du feu pour l'Amérique.
La victoire d'Alep pourrait donc être pour
l'Iran le point haut de son aventure syrienne. Sa première préoccupation
devrait être de consolider sa position, de rester un élément incontournable des
solutions à venir, plutôt que d'aller vers de nouvelles conquêtes. D'autant que
la population iranienne pourrait se lasser de ces expéditions sans fin, comme
du soutien à fonds perdus du régime d'Assad. Certes, les interventions en Syrie
et en Irak lui sont présentées comme visant à assurer la protection de l'Iran
contre des entreprises terroristes, et elle adhère à cette vision des choses.
Mais si, dans l'euphorie de la victoire d'Alep, ce discours en venait à dériver
vers l'idée que l'Iran est en position de dominer l'ensemble de la région, les
gens ne seraient plus preneurs. Comme dans tant de pays, la population
s'intéresse d'abord à sa situation économique. Elle attend une relance avec une
impatience croissante depuis la conclusion en juillet 2015 de l'accord de
Vienne sur le nucléaire, ayant permis la levée des premières sanctions. Il ne
faudrait pas que cette reprise se trouve compromise par l'ouverture de crises inutiles.
Il y a déjà suffisamment à faire pour protéger cet accord fragile, et encore
plus fragilisé par l'élection de Donald Trump. C'est là-dessus que l'opinion se
positionnera lors des élections présidentielles du printemps prochain, qui
verront Hassan Rouhani concourir pour un deuxième mandat. C'est là qu'elle
attend du résultat.
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