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mardi 9 février 2021

REVENIR AU PLUS VITE DANS L'ACCORD SUR LE NUCLEAIRE IRANIEN

S’exprimant tout récemment sur l’actualité internationale devant l’Atlantic Council, Emmanuel Macron, abordant la crise nucléaire iranienne, s’est réjoui de la volonté de dialogue manifestée par la nouvelle administration américaine, en se déclarant « présent et disponible… pour tâcher d’être un médiateur dévoué et sans parti pris dans ce dialogue ». Cette offre éminemment positive a été aussitôt suivie par l’énoncé de ses vues sur le sujet : urgence de mener à bien de nouvelles négociations avec l’Iran, le pays étant « bien plus proche de la bombe nucléaire qu’il ne l’était avant la signature de l’accord » de juillet 2015 ; nécessité d’aborder « les questions des missiles balistiques et de la stabilité de la région" ; intérêt à trouver « un moyen de faire participer l’Arabie saoudite et Israël à ces discussions ». Ce sont en effet de vraies questions. Malheureusement, les afficher d’emblée risque de saper la crédibilité de la médiation envisagée. La tâche d’un médiateur est d’abord d’écouter et de sonder les uns et les autres, puis d’élaborer de façon aussi neutre que possible, par approches successives, une solution acceptable par tous. Le tout dans une totale discrétion. L’objectif semble désormais difficile à atteindre.

          L’Iran plus proche de la bombe ?


Que penser en outre des prises de position de notre Président ? L’Iran est-il bien plus proche de la bombe qu’à la veille de l’accord de Vienne ? Pas exactement. À la veille de cet accord, l’Iran disposait d’un stock d’uranium faiblement enrichi de plus du double de ce qu’il est aujourd’hui. Il disposait également d’un stock d’uranium enrichi à 20% plus de cinq fois supérieur à son stock actuel. Encore ce stock initial d’uranium à 20%, le plus inquiétant, avait-il été déjà divisé par deux en signe de bonne volonté peu après le début des négociations entamées en 2013. En revanche, après l’entrée en vigueur de l’accord conclu en 2015, le stock d’uranium de l’Iran s’est drastiquement réduit. Le stock d’uranium faiblement enrichi passe de quelque 7.000 à 300 kilogrammes, et le stock d’uranium enrichi à 20% disparaît. Mais l’Iran, à ce jour, en raison des infractions commises, a bien recommencé à reconstituer ses stocks. Si le souci principal est vraiment de l’éloigner de la capacité à produire l’arme nucléaire, la priorité absolue devrait donc être de revenir au plus vite à la pleine application de la lettre et de l’esprit de l’accord de Vienne : à savoir la stricte limitation de la production iranienne d’uranium enrichi en échange de la levée des sanctions. Ce qui implique le plein retour des Américains dans l’accord.

Et s’il est ensuite un but de négociation qui devrait l’emporter sur tous les autres, ce serait de consolider et de prolonger dans le temps cet accord, dont la principale faiblesse est la durée limitée. En effet, les contraintes acceptées par l’Iran commencent à se desserrer dès 2025. Les quatre ans qui nous séparent de cette date doivent être mis à profit, d’abord pour restaurer la confiance sérieusement écornée par l’application minimaliste de l’accord par les États-Unis, suivie de leur abrupte sortie en 2018. Ensuite pour bâtir dans l’esprit initial de l’accord un dispositif plus pérenne.

          Programme balistique, influence régionale


Restent, bien entendu, les autres questions soulevées par notre Président, qui rejoignent d’ailleurs la vision de l’administration Biden. Que penser d’une limitation du programme balistique iranien ? Un certain nombre de pays de la région ne pourraient que s’en réjouir. Pour pouvoir progresser sur ce sujet, encore faut-il comprendre la conception qu’en ont les Iraniens. Leur arsenal compense à leurs yeux le déficit de l’Iran en matière d’avions de combat, puisqu’il n’a pas accès aux grands fournisseurs internationaux, et que sa flotte aérienne est totalement obsolète. D’autre part, il voit ses missiles comme un instrument de deuxième frappe, donc de riposte au cas où son territoire se trouverait agressé. C’est donc pour lui sa meilleure, et même sa seule arme crédible de dissuasion. Ceci pour dire que l’on aura du mal à obtenir de lui des garanties en la matière si ceux qui l’inquiètent n’en n’offrent pas d’équivalentes. L’Iran n’a aucune raison d’être le seul à se laisser limer les dents. Il ne saurait y avoir de « mauvais missiles » iraniens et de « bons missiles » et avions de combat saoudiens ou israéliens.

La question fort importante de la stabilité de la région et de l’influence que l’Iran y exerce se pose à peu près dans les mêmes termes. Pour faire bref, l’un des moyens d’affaiblir « le front de la résistance » constitué autour de l’Iran serait de progresser dans la solution de la question israélo-palestinienne. Cela ne réglerait pas tout mais autoriserait enfin une détente sur le front régional. Ce jour venu, peut-être Israël et l’Arabie saoudite pourraient être associés à la concertation que le Président de la République appelle de ses vœux.

          La raison de l’Iran


L’Iran a fait dans le passé de grosses bêtises, il en fera encore à l’avenir. Ceci n’exclut pas qu’il puisse avoir parfois raison. Quand son ministre des Affaires étrangères Djavad Zarif appelle à la définition d’une« chorégraphie » permettant d’aboutir simultanément au plein retour des États-Unis dans l’accord de Vienne et au plein retour de l’Iran à ses propres obligations, la proposition paraît relever du simple bon sens. Il est curieux qu’elle se heurte encore à des tergiversations.

De même, quand le Guide suprême Ali Khamenei fait allusion à l’intérêt d’un processus de vérification de la mise en œuvre loyale des engagements pris par les partenaires de l’Iran, notamment en matière de levée de sanctions, de même que l’AIEA vérifie la bonne exécution des engagements nucléaires de l’Iran, il soulève une vraie question. Mais surtout, en cette affaire, il s’agit maintenant d’aller vite. Le temps utile pour dénouer la crise ne dépasse plus les quelques semaines. Car vient ensuite l’élection présidentielle iranienne, qui renvoie la capacité de renouer des contacts utiles avec Téhéran au-delà de l’été. Donc dans un futur incertain, si l’on considère à la fois les surprises pouvant sortir de l’élection et les troubles qui agitent la région.

Paru le 9 février dans Boulevard Extérieur

vendredi 15 avril 2016

Nuages sur l'accord nucléaire avec l'Iran

Boulevard Extérieur
L’accord nucléaire du 14 juillet entre l’Iran et le groupe de puissances dit P5+1 (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie, plus l’Allemagne) a été à juste titre salué comme un succès historique, fruit de plus de dix ans d’efforts diplomatiques. Mais ce sommet atteint, restent encore tous les périls de la descente, c’est-à-dire d’une mise en œuvre qui va durer de dix à quinze ans. 
Le pari de l’accord, c’est qu’au bout de ce temps, la confiance ayant été retrouvée quant aux pratiques et intentions nucléaires de l’Iran, celui-ci pourra être accueilli dans la communauté internationale comme un membre pleinement respectueux des normes de la non-prolifération. Mais pour cela, encore faut-il que toutes les parties s’attachent, selon les termes mêmes de l’accord du 15 juillet, « à appliquer ce plan d’action de bonne foi, dans une atmosphère constructive fondée sur le respect mutuel, et à s’interdire toute action allant à l’encontre de sa lettre, de son esprit et de son intention. » Ce n’est pas à ce jour le chemin emprunté.

            Un inquiétant programme balistique


Côté iranien, la lettre de l’accord, depuis son entrée en vigueur le 16 janvier dernier, a été scrupuleusement appliquée, comme en témoignent les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, dotée à cette occasion de pouvoirs d’inspection hautement renforcés : les milliers de centrifugeuses en excédent ont été démantelées, l’essentiel du stock d’uranium faiblement enrichi a été transféré à l’étranger, le cœur du réacteur d’Arak a été rendu inutilisable par une coulée de béton. 
Mais à la marge de l’accord, les choses se gâtent. Car si l’accord est strictement limité à la question de la prolifération nucléaire, un lien manifeste existe entre celle-ci et la prolifération balistique. Or l’Iran développe avec opiniâtreté un programme de missiles suffisamment puissants pour pouvoir emporter un jour sur longue distance des têtes nucléaires, s’il était décidé d’aménager ces vecteurs à une telle fin. En octobre, puis en mars dernier, il a ainsi procédé à des essais de missiles confirmant sa volonté de disposer d’une capacité de dissuasion balistique à l’égard de tout pays du Proche et du Moyen-Orient.
Ce programme balistique est géré par les Pasdaran ou Gardiens de la révolution, ce corps d’élite politico-militaire, ne rendant des comptes qu’au Guide suprême, Ali Khamenei, et qui intervient lourdement dans le quotidien de la République islamique. Ses chefs n’ont pas fait mystère de leur réticence à l’égard du compromis avec des puissances hostiles que représentait à leurs yeux l’accord nucléaire. Ils ne veulent surtout pas qu’il puisse déboucher sur une détente internationale qui affaiblirait les ressorts du régime. 
Ils accompagnent leur programme balistique de mises en scène et d’une rhétorique agressives qui avivent encore les inquiétudes des observateurs extérieurs, donne des armes à tous ceux, aux États-Unis et ailleurs, qui verraient volontiers capoter l’accord nucléaire, et embarrasse lourdement le gouvernement du président Rohani. Mais c’est précisément l’un des buts recherchés dans l’affrontement qui se dessine de plus en plus visiblement entre d’une part les Pasdaran, gardiens de la pureté des idéaux de la révolution en même temps que de leurs intérêts très concrets dans une économie fermée, d’autre part un Président ayant fait de l’ouverture sur le monde extérieur l’axe directeur de son mandat.

            De lourdes sanctions toujours en vigueur


Du côté américain, les choses ne vont pas mieux. Là encore, la lettre de l’accord a été respectée, les sanctions qui y sont énumérées ont bien été levées, mais à ses marges, toutes les sanctions hors de portée de l’accord, car prises pour des raisons étrangères à la lutte contre la prolifération nucléaire, restent en vigueur. Ce sont, pour beaucoup, des sanctions votées par le Congrès à l’époque Clinton pour punir l’Iran de son soutien au terrorisme et de ses atteintes aux droits de l’homme, et quelques-unes prises encore récemment par le président Obama lui-même. 
Sauf certaines exceptions, dans le domaine aéronautique civil notamment, ou dans des secteurs à dimension humanitaire tels que l’agro-alimentaire et le médical, ces sanctions-là interdisent toujours aux entreprises américaines de frayer avec l’Iran. Jusque là, rien de très gênant, même au contraire, pour les entreprises étrangères, en particulier européennes, qui souhaitent revenir ou prendre pied dans le pays. Mais elles vont de fait bien plus loin, en interdisant à qui que ce soit à travers le monde toute affaire dans lequel un seul citoyen américain serait impliqué, toute affaire aussi où se retrouveraient des institutions ou des individus figurant sur une liste noire, en particulier les fameux Pasdaran, toute affaire enfin qui amènerait une circulation de dollars entre l’Iran et un quelconque correspondant extérieur. De telles règles aboutissent à rendre extraordinairement complexe le montage de la moindre transaction avec l’Iran, et en réalité, à l’interdire.
De fait, les banques européennes, traumatisées par les amendes cuisantes subies récemment par quelques-unes des plus importantes d’entre elles, refusent de bouger. La plus grande partie des projets européens concernant le marché iranien sont donc au point mort, ainsi que le retour en Iran de la plupart des fonds iraniens détenus à l’étranger et gelés par les sanctions, s’élevant à plusieurs dizaines de milliards de dollars, que l’accord nucléaire avait en principe débloqués.
Cette situation a déjà entraîné une vive protestation du Guide de la Révolution qui, pour une fois au moins, n’a pas tout à fait tort de s’en prendre aux États-Unis en les accusant « de tout faire pour priver l’Iran des bénéfices de l’accord ». Il a aussi, non sans raison, exprimé la crainte que la prochaine administration ne se considère pas liée par les engagements de l’administration actuelle. 
Obama a paru d’abord sensible à la critique, en annonçant d’une part la recherche d’un certain assouplissement aux sanctions en vigueur, en mettant d’autre part le Congrès en garde contre le vote de nouvelles sanctions. Il a été sur ce point ouvertement soutenu par David Cameron, alerté sur la situation par les entreprises britanniques. 
L’on ne sait ce que font les Français ou l’Union européenne. Mais aux dernières nouvelles, l’administration du président Obama hésiterait encore à toucher aux sanctions en vigueur, de peur sans doute d’entraîner une violente réaction du Congrès. Et demeure en tout état de cause l’incertitude sur le résultat des prochaines élections américaines. Même si Hillary Clinton l’emportait, celle-ci, dans sa campagne, a manifesté l’intention d’appliquer a minima l’accord avec l’Iran, ce qui pourrait présager de longues difficultés.

            Remettre l’accord sur ses rails


Nous en sommes là aujourd’hui, et cet aujourd’hui est hautement préoccupant, surtout si l’on songe aux quinze années encore à parcourir. Il faut espérer qu’il s’agit là de ratés de démarrage, que le bon sens triomphera, que personne ne se hasardera donc à casser un accord dont la rupture provoquerait à coup sûr la relance de la prolifération au Moyen-Orient. Mais il est vital de démontrer dans les quelques mois qui restent avant l’élection présidentielle américaine et les remises en cause qu’elle pourrait entraîner, que la confiance est en train de renaître et que l’accord roule sur de bons rails. 
Sans attendre, des inflexions sont nécessaires : du côté iranien en renonçant aux aspects provocateurs de son programme balistique et à son exploitation à des fins politiciennes, du côté américain en cessant d’entraver l’ouverture économique attendue avec anxiété par la population iranienne. Celle-ci, devant l’absence de résultats, commence à se demander si l’Iran n’a pas conclu « un marché de dupes ». La consolidation d’un tel sentiment serait évidemment désastreuse pour la suite. Il y va en cette affaire de l’avenir de l’expérience Rohani, que l’Europe, les États-Unis et bien d’autres, notamment au Moyen-Orient, ont tout intérêt à voir réussir.

vendredi 21 novembre 2014

Les résolutions du Conseil de sécurité en travers d’un accord avec l’Iran ?

Une fois de plus, nous nous sommes peut-être piégés nous-mêmes en rédigeant les résolutions du Conseil de sécurité destinées à piéger l’Iran. La situation actuelle rappelle par certains aspects la période, autour de 1997, où la plupart des membres du Conseil de sécurité auraient aimé abroger, ou du moins amender, les sanctions adoptées contre le régime de Saddam Hussein dans la foulée de la guerre de 1991, car leurs effets commençaient à échapper à tout contrôle : corruption généralisée, chute dramatique de l’état sanitaire de la population irakienne. Mais il aurait fallu pour cela l’unanimité des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et cette unanimité était hors de portée. Le Président Chirac déclarait à cette époque : « nous voulons, nous, convaincre, et non pas contraindre. Je n’ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs. »

Nous n’en sommes pas à un point aussi dramatique concernant l’Iran. Mais au moment où il serait sans doute utile, pour conclure un accord global sur le programme nucléaire iranien, de pouvoir lever rapidement les sanctions introduites entre 2006 et 2010 par quatre résolutions du Conseil de sécurité, les négociateurs occidentaux paraissent avoir du mal à envisager un tel geste, et sembleraient plutôt enclins à repousser cette décision vers un lointain futur.

Ces sanctions du Conseil de sécurité, visant les activités militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran, ne sont pas celles qui font le plus mal. Les plus destructives sont plutôt les sanctions unilatérales adoptées par les États-Unis et l’Union européenne, dans la mesure où elles tendent à déstabiliser l’ensemble de l’économie et des échanges extérieurs de l’Iran. Mais les sanctions du Conseil de Sécurité comportent un « effet de pilori » que les Iraniens perçoivent à juste titre comme profondément humiliant. Elles constituent aussi le socle juridique sur lequel les sanctions européennes, notamment, ont été mises en place. Les Iraniens sont donc anxieux de les voir disparaître dès que possible, par la voie d’une décision du Conseil de sécurité refermant le dossier qu’il avait ouvert en 2006 et le renvoyant au forum qu’il n’aurait dû jamais quitter, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Mais les conditions inscrites dans ces résolutions pour leur levée sont en vérité écrasantes. De fait, leurs rédacteurs semblent avoir poursuivi deux buts simultanés. Le premier a été d’accumuler les exigences permettant de bloquer la marche de l’Iran vers la possession d’un engin nucléaire capable d’atteindre sa cible : suspension de toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche, le développement, et la construction de nouvelles installations ; suspension de toutes activités liées à la construction d’un réacteur de recherche modéré à l’eau lourde ; accès immédiat sur demande de l’AIEA à tous les sites, équipements, personnes et documents permettant de vérifier le respect par l’Iran des décisions du Conseil de sécurité et de résoudre toutes questions en suspens concernant les « éventuelles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien ; ratification rapide du Protocole additionnel à l’accord de garanties passé entre l’Iran et l’AIEA ; interruption de toutes activités liées à des missiles balistiques susceptibles d’emporter des armes nucléaires. Au vu des circonstances dans lesquelles ces résolutions étaient adoptées, il y avait peu de chances de voir les Iraniens se plier à de telles injonctions, qualifiées de « mesures destinées à établir la confiance », qui les auraient obligés à abandonner pratiquement toutes leurs ambitions nucléaires et balistiques.

Le second but était d’un tout autre ordre, et d’une certaine façon peu cohérent avec le premier. Il visait à pousser les Iraniens vers la table de négociation, ainsi qu’il apparaît dans la formule retrouvée dans toutes les résolutions en question, exprimant « la conviction » que l’obéissance de l’Iran « favoriserait une solution diplomatique négociée ». Le Conseil de sécurité exprimait également sa disposition, si l’Iran suspendait ses activités d’enrichissement et de retraitement, à suspendre en retour au moins une partie de ses sanctions, de manière à « faciliter des négociations de bonne foi » et « d’atteindre rapidement un résultat mutuellement acceptable ». Comme on le sait, cette négociation a bien fini par se nouer, mais par des voies radicalement différentes, les Occidentaux ayant finalement renoncé à exiger que l’Iran interrompe toutes ses activités nucléaires sensibles avant d’entrer sérieusement en discussion. L’on peut donc considérer que ce second objectif aura été pleinement atteint dès qu’un accord global, espérons-le en phase finale de mise au point, entrera en vigueur, rendant ainsi caduque cette dimension des résolutions du Conseil de sécurité.

Bien entendu, leur première dimension, celle concernant l’imposition de « mesures destinées à établir la confiance », reste en place. La confiance étant par nature un sentiment difficile à cerner, nous entrons là dans un processus à long terme, sinueux, réversible, dont l’issue n’est que faiblement visible. Un tel processus est aussi malaisément compatible avec le fonctionnement en « tout ou rien » du Conseil de sécurité : une fois ses résolutions levées, elles n’ont aucune chance de pouvoir être rétablies. D’où l’hésitation de l’Occident à s’engager de façon irréversible. Et nous savons tous que les sanctions sont généralement plus faciles à adopter qu’à effacer, car elles tendent à créer dans l’intervalle leurs propres logique et dynamique. Elles donnent naissance à de nouveaux équilibres, à de nouveaux intérêts, ne serait-ce que parmi les personnes chargées de les gérer, qui consacrent tant d’énergie à leur mise en œuvre. Que l’on se souvienne de l’exemple fameux de l’embargo général imposé par les Alliés à l’Allemagne durant la Première guerre mondiale, resté en vigueur plusieurs mois après l’Armistice, qui a donc inutilement prolongé les souffrances de la population et attisé son amertume.

Les pays négociant avec l’Iran sont-ils prêts à tirer les leçons de l’Histoire ? La levée des sanctions du Conseil de sécurité apparaît actuellement comme une sorte de nœud gordien. Ce nœud devrait être tranché, sinon immédiatement après la signature d’un accord global avec l’Iran, du moins à l’issue d’une période relativement brève d’observation de la détermination avec laquelle Téhéran commencera à mettre en œuvre sa part d’obligations contenues dans « le Plan global d’action ». Ce vote du Conseil de sécurité pourrait être aussi opportunément lié à la ratification formelle par l’Iran du Protocole additionnel qu’il a signé en 2003, les deux gestes étant également irréversibles.


Ceci ne signifie pas que seraient abandonnées les demandes auxquelles l’Iran pourrait n’avoir pas entre temps pleinement répondu, par exemple sur la clarification des anciennes «dimensions militaires éventuelles » de son programme nucléaire. Mais cela voudrait dire que ces demandes seraient désormais exclusivement traitées au niveau de l’AIEA. Et cela voudrait surtout dire que le Conseil de Sécurité, à la lumière des progrès atteints dans la mise en œuvre de l’accord, ne considérerait plus le cas iranien comme une « menace à la paix » selon les termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, sous l’égide duquel les résolutions en cause ont été adoptées : le seul chapitre autorisant l’emploi de mesures coercitives contre un État membre, en vue de « maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationales ».

publié par le site LobeLog (version anglaise) et par BBC Persian (version persane)

mercredi 7 mai 2014

Accord nucléaire avec l’Iran : dernière – dure – ligne droite ?

Les acteurs

A ce jour, les négociateurs des deux parties sur l’avenir du programme nucléaire iranien ont été d’une remarquable discrétion. Même à niveau politique, chacun a été étonnamment tranquille. Ceci est de bon augure. Trop d’occasions ont été gâchées dans le passé par des rafales de déclarations calibrées pour les opinions intérieures. Il faut spécialement féliciter ici Wendy Sherman, la négociatrice américaine, pour être parvenue à si peu en dire en tant de mots, et si aimablement, dans ses nombreuses réunions en off avec la presse.

L’association aux négociations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est d’une valeur inestimable. L’Agence apporte une expertise unique et certifie régulièrement la façon dont l’Iran s’acquitte de ses engagements. Elle contribue ainsi de façon décisive à la bonne progression des discussions.

De façon surprenante, les négociateurs iraniens apparaissent comme l’élément moteur du processus. Ils ont saisi l’initiative à l’occasion de la visite à New-York, en septembre dernier, du président Hassan Rouhani, et ne l’ont jamais abandonnée, donnant le rythme, fixant les objectifs. C’est le ministre iranien des affaires étrangères qui a proposé d’aborder dès le mois de mai la rédaction de l’accord final et de tenter d’aboutir à la fin juillet.

Ceci contraste plaisamment avec la lenteur et la rigidité jusque là manifestées du côté iranien, notamment à l’époque d’Ahmadinejad, mais aussi dans des circonstances beaucoup plus favorables, dans la période 2003-2005, alors que Rouhani conduisait lui-même la négociation. A cette époque, les diplomates iraniens qui se trouvaient en première ligne subissaient un lourd dispositif de contrôle freinant tous leurs mouvements. Tirant les leçons de l’expérience, Rouhani, aussitôt élu président de la République, a obtenu carte blanche du guide de la Révolution, Ali Khamenei, sur le pilotage du dossier nucléaire. Khamenei s’est réservé la définition des lignes rouges et la capacité d’émettre réserves et critiques, mais a jusqu’à présent soutenu l’équipe des négociateurs.

De fait, l’une des premières décisions de Rouhani a été de transférer la négociation du dossier nucléaire du Conseil suprême de sécurité nationale au ministère des affaires étrangères. Il a ensuite mis en place des circuits courts d’arbitrage et de contrôle et réuni une équipe de diplomates aguerris, parfaitement à l’aise avec les codes et les mœurs de leurs partenaires occidentaux. Ce dispositif a fait merveille. Il a mis aussi en relief la maladresse collective de l’équipe d’en face, formée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne (P5+1). Ceci s’est vu début novembre dernier, quand quatre ministres occidentaux des affaires étrangères se sont rués prématurément à Genève, semant la confusion devant des médias médusés. Mais comme le disait Foch : «  après avoir dirigé une coalition, j’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon… ».

Le fond des choses

Pour en arriver au cœur du sujet, un certain nombre de points en cette affaire semblent près d’être réglés. L’Iran est prêt à plafonner à 5% l’enrichissement de son uranium, et à limiter son stock d’uranium légèrement enrichi immédiatement réutilisable pour des enrichissements plus élevés, donc plus sensibles. L’usine d’enrichissement souterraine de Fordo, fort controversée, finira probablement en unité de recherche et de développement. Le réacteur de recherche d’Arak, actuellement en construction, pouvait dans sa configuration de départ générer à peu près dix kilogrammes de plutonium par an, soit assez pour une ou deux bombes. Ali Akbar Salehi, président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a laissé entendre que cette configuration pourrait être modifiée pour utiliser de l’uranium légèrement enrichi plutôt que de l’uranium naturel. Cela diviserait par un facteur allant de 5 à 10 la capacité plutonigène du réacteur. Et l’Iran a déjà confirmé qu’il n’avait pas l’intention de se doter de l’unité de retraitement qui serait indispensable pour extraire du plutonium de qualité militaire des combustibles consommés dans le cœur de ses réacteurs.

En fonction du rythme de levée des sanctions, l’Iran semble aussi prêt à revenir à une mise en œuvre de facto du Protocole additionnel de l’AIEA, permettant un contrôle renforcé sur l’ensemble de ses activités nucléaires. De plus, il devrait être prêt à lancer la procédure de ratification de ce Protocole dès que le Conseil de sécurité se sera lui-même montré disposé à retirer de son agenda le dossier nucléaire iranien, lavant ainsi la cuisante humiliation infligée en 2006 à l’Iran, lorsqu’il avait voté sa première résolution sur le sujet.

Les points à régler

A ce jour, cinq points difficiles sont encore sur la table. Le plus ardu concerne le format de la capacité iranienne d’enrichissement. Le Plan commun d’action adopté en novembre dernier évoque la nécessité de définir à ce sujet « des paramètres correspondant à des besoins concrets, assortis de limites définies d’un commun accord portant sur l’étendue et le niveau d’enrichissement ». Mais l’Occident s’est plutôt concentré sur la question du breakout time, ou temps nécessaire pour acquérir assez d’uranium enrichi pour une première bombe, dans le cas où l’Iran déciderait de renier tous ses engagements. Ce délai a été évalué à environ deux mois dans l’état actuel du programme d’enrichissement iranien. D’où l’idée que pour rallonger significativement ce délai, l’Iran devrait ramener le nombre de ses centrifugeuses des 20.000 actuellement installées à 2, 4 ou 6.000.

Une telle réduction du nombre de ses centrifugeuses est clairement inacceptable pour l’Iran. Emboîtant le pas aux éléments les plus conservateurs du régime, le Guide suprême a récemment exclu tout marchandage sur les acquis de l’Iran en matière nucléaire. Heureusement, d’autres voies s’ouvrent pour apaiser les inquiétudes de l’Occident. D’abord, disposer d’assez d’uranium pour une bombe ne veut pas dire avoir la bombe. Il y a encore plusieurs mois de travail pour y arriver. Ensuite, l’on peut s’interroger sur la nécessité pour la communauté internationale de disposer de plus d’un ou deux mois pour répondre de façon appropriée à un évènement aussi attendu, aussi analysé, que la course de l’Iran vers la bombe. Si elle n’y parvient pas en deux mois, pourquoi réussirait-elle en six ? Troisièmement, ce fameux Breakout Time pourrait être aisément rallongé sans réduire le nombre actuel de centrifugeuses, simplement en obtenant de l’Iran qu’il emploie aussi vite que possible son uranium légèrement enrichi comme combustible de réacteur, ce qui le rendrait inutilisable pour des enrichissements supérieurs conduisant à la bombe. Sur ce point, l’alimentation du réacteur de recherche d’Arak en combustible à base d’uranium légèrement enrichi pourrait résoudre une bonne partie du problème.

Il est toutefois malheureux que les Iraniens aient fait jusque là aussi peu d’efforts pour identifier les « besoins pratiques » mentionnés, à leur initiative, dans l’accord de Genève. Le porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique a annoncé qu’un document détaillé était en cours d’élaboration à ce sujet, et serait soumis pour approbation au Parlement iranien, sans doute sous forme de loi de programmation nucléaire. Mais la durée d’un tel processus risque fort de s’étendre très au-delà du terme fixé à la négociation en cours.

Entre temps, nous savons que les Russes ont l’obligation de fournir pour encore huit ans le combustible à base d’uranium légèrement enrichi nécessaire à la centrale nucléaire de Bouchehr. Ce temps passé, ils résisteront à l’idée d’introduire dans cette centrale du combustible d’origine iranienne, la vente de combustible étant pour eux l’élément le plus profitable de leur contrat avec l’Iran. Ils agiront de même lorsqu’ils discuteront de la construction et de la gestion de nouveaux réacteurs en Iran. En tout état de cause, de tels réacteurs, ou des réacteurs venant d’ailleurs, ne seront pas opérationnels en Iran avant une décennie. Tout ceci pour dire que si un nombre de l’ordre de 20.000 centrifugeuses était finalement jugé acceptable par la communauté internationale, aucun « besoin concret » ne se dessine à l’horizon qui justifierait un relèvement de ce chiffre dans les années à venir.

Autre point difficile, celui de la recherche et du développement dans le domaine nucléaire. L’Ouest souhaiterait voir l’Iran renoncer à toute activité de ce type, notamment dans le domaine de la centrifugation. A nouveau, le Guide suprême et les Conservateurs ont tracé là une ligne rouge. De fait, les ingénieurs iraniens travaillent à la mise au point de modèles de centrifugeuses d’un rendement pouvant atteindre jusqu’à quinze fois celui du modèle primitif actuellement utilisé. Là, une solution simple a été suggérée par Salehi : plutôt que de définir pour l’ensemble des activités d’enrichissement iraniennes un plafond en nombre de centrifugeuses, qui pourrait être contourné par l’utilisation de centrifugeuses plus performantes, les parties à l’accord devraient fixer ce plafond en unités de travail de séparation (UTS), l’équivalent des chevaux-vapeur en matière nucléaire. Ainsi l’introduction des centrifugeuses plus performantes qui pourraient être mises au point réduirait à due proportion le total des centrifugeuses autorisées.

Un troisième sujet difficile concerne les recherches en cours de l’AIEA sur les « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien. Des demandes d’accès répétées à des installations et à des personnes suspectes sur la base des résolutions du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et du Conseil de sécurité ont été repoussées ou esquivées par l’Iran. En fait, dans le fil des évaluations de la communauté américaine du renseignement, il est largement admis par les experts que le programme iranien de mise au point d’une bombe a été arrêté fin 2003 avant d’avoir atteint son but. Dix ans ont passé, ce programme s’enfonce donc peu à peu dans l’histoire. Mais les gens qui s’y sont impliqués ont dû se faire promettre une certaine forme d’immunité en échange de leur acceptation de l’interrompre, d’où la difficulté à faire la pleine lumière sur le sujet. En des occasions du même genre, comme en Égypte, en Corée du Sud ou à Taïwan, l’AIEA a accepté de ne pas divulguer le détail des découvertes de ses inspecteurs, une fois assurée de la cessation et de la neutralisation de ces programmes. Une formule du même genre mériterait d’être explorée dans le cas iranien.

Le quatrième point tourne autour des missiles balistiques iraniens. L’Occident souhaite les inclure dans la négociation comme source de préoccupation identifiée par le Conseil de sécurité, mais cette perspective a été aussitôt rejetée par l’Iran. Il faut ici comprendre que Téhéran a accepté de négocier sur son programme nucléaire comme programme civil, placé sous l’égide du Traité de non prolifération (TNP). Des négociations sur des missiles relèvent d’un tout autre monde, celui de la défense et du désarmement, où les négociations sont par définition collectives, à l’exception des mesures unilatérales imposées à des nations vaincues. S’il y a une solution ici, c’est par l’affirmation de l’intention des parties d’œuvrer à l’ouverture d’une négociation collective sur le niveau et la distribution des missiles balistiques dans la région, avec l’idée d’amener les participants à rejoindre le Code international de conduite contre la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye.

Le dernier point, peu mis encore en lumière, mais pas le moins difficile, concerne la durée de l’accord général sur lequel la négociation est supposée déboucher. Selon les termes du Plan commun d’action ouvrant la voie à cet accord, celui-ci, une fois pleinement mis en œuvre pour la durée de toutes ses dispositions, devra laisser la place au régime de droit commun applicable aux membres du TNP. L’Iran serait alors relevé de tous ses engagements spécifiques, tels que la limitation de ses activités d’enrichissement. Bien entendu, les contrôles de l’AIEA sur l’ensemble du programme iranien, relevant d’un accord à durée illimitée, demeureraient. Mais pour passer ainsi d’un régime d’exception au régime de droit commun, la communauté internationale s’attendra à être pleinement rassurée sur la nature pacifique du programme iranien. Pour en arriver là, la conduite générale du régime iranien et la qualité de ses relations avec le monde extérieur joueront un rôle au moins aussi important que l’état de son programme nucléaire. Mais ce genre de considération ne peut être mis par écrit dans un accord. Les Iraniens insisteront probablement sur une durée maximale de cinq ans. L’Occident, pour sa part, verrait bien ce régime de contraintes spéciales indéfiniment prolongé. Il faut espérer, si des solutions ont été trouvées sur tous les autres points en suspens, qu’une forte pression s’exercera pour dégager un compromis sur ce point ultime, afin de boucler la négociation.

dimanche 28 novembre 2010

Piètres stratèges

Notre président, pour justifier le dispositif de défense anti-missiles récemment adopté par l’OTAN, évoque le tir d’un missile iranien dont il serait "souhaitable que l’on puisse l’intercepter". Certes! Iranien ou autre, personne n’a envie de recevoir un missile sur la tête. Ce qui paraît moins clair, c’est l’enchaînement de circonstances qui conduirait un pays quelconque à envoyer -un missile- sur l’Europe. De deux choses l’une : ou ce pays hostile possède un arsenal sérieux, c’est-à-dire au moins une centaine de missiles, et l’on ne voit pas pourquoi il n’en tirerait, s’il est fâché, qu’un, ou même cinq ou six, pour subir ensuite de dures représailles. Ou il ne possède que quelques missiles, et là encore, on ne voit pas pourquoi il viderait son stock pour aller marcher sur la queue d’un tigre nucléaire en allant provoquer l’Europe ou l’Amérique.

Curieusement, l’éminent expert en affaires stratégiques, Bruno Tertrais, reprend aussi dans l’édition du Monde du 19 novembre cette hypothèse de tir d’un missile, qui pourrait être "accidentel ou non autorisé". Pour un tir accidentel, l’on sait que tout missile, ne serait-ce que pour la sécurité de ses propriétaires, est doté d’un dispositif de destruction en vol. Quand au tir non autorisé, on peut toujours imaginer qu’une équipe de gens mal intentionnés s’empare d’un missile balistique et le mette à feu. Mais c’est quand même une opération qui demande de prendre le contrôle d’un site de tir, de mettre la main sur les codes adéquats et de disposer de dizaines de personnes bien formées. Cela se voit dans les bandes dessinées, mais reste clairement hors de portée des terroristes du monde réel, d’el Qaeda à l’ETA.

Sur la base d’arguments aussi désinvoltes, la mise en place de ce bouclier anti-missiles va quand même mobiliser des milliards de dollars sur au moins une dizaine d’années. Il faudra ensuite entretenir le système. Et même arrivé à maturité, il ne pourra répondre qu’à un spectre étroit d’hypothèses. Il serait en effet saturé par une frappe massive, telle qu’on l’imagine dans un holocauste nucléaire. Il ne vise en outre que les seuls missiles balistiques, passant donc par l’espace extra-atmosphérique, et sera en particulier impuissant face à des missiles dits de croisière, volant à basse altitude.

Cette menace de frappe d’un nombre limité de missiles balistiques sur les forces ou les territoires de l’Occident mérite-t-elle une telle priorité ? Rappelons que Condoleezza Rice, le jour même du 11 septembre 2001, s’apprêtait à prononcer un discours sur l’importance de la défense anti-missiles pour la protection des États-Unis. Elle a dû le rempocher. Mais elle s’insérait, il est vrai, dans une longue file de défenseurs du concept. Il faut reconnaître à l’Amérique de la suite dans les idées. Cela fait cinquante ans, un président après l’autre, que ses administrations investissent dans la mise au point d’un tel dispositif, insensibles aux nombreux déboires subis dans la mise au point de projets successifs. L’on voit à l’œuvre une machine militaro-industrielle apparemment impossible à arrêter.

Mais le réseau extraordinairement complexe de moyens de commandement, de communication, de détection et d’interception qui va se mettre en place entre l’Europe et l’Amérique, à terre, sur mer et dans les airs, représente en tous cas une magnifique machine à intégrer. C’est ce que l’OTAN était du temps de la Guerre froide, qu’il n’est plus depuis la chute de l’empire soviétique, et qu’il va donc redevenir. La menace toute proche de l’Armée rouge à ses frontières obligeait à disposer d’états-majors, de planifications et de moyens opérationnels à bref délai, donc intégrant à un haut degré les forces armées des pays membres de l’Alliance. Même les forces françaises, en dépit de notre décision politique de retrait, s’étaient à petit bruit insérées dans le dispositif, en assumant le rôle essentiel de réserve générale vouée à monter sur tout point du front risquant de céder.

Tout ceci s’est délité après la chute du Mur, et l’OTAN est devenu une sorte de coordination assez lâche, de réservoir de moyens, cherchant à se rendre utile au gré des circonstances: Bosnie, Kossovo, Irak, Afghanistan. Mais tout change à présent: la nouvelle menace balistique ainsi invoquée appelle des temps de réaction -de l’ordre de la minute- encore plus courts que la vieille menace soviétique, et donc des dispositifs hautement intégrés, dans lesquels un ordinateur tapi quelque part en Amérique sera probablement le vrai décideur. Et l’OTAN accédera enfin au statut d’alliance globale: hyper-intégrée pour la défense de son territoire, mais aussi, très au-delà des termes de l’accord qui l’a fondée, prête à se projeter partout dans le monde au nom de l’idée qu’elle se fait de ses valeurs, de ses intérêts et de sa sécurité.