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vendredi 15 avril 2016

Nuages sur l'accord nucléaire avec l'Iran

Boulevard Extérieur
L’accord nucléaire du 14 juillet entre l’Iran et le groupe de puissances dit P5+1 (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie, plus l’Allemagne) a été à juste titre salué comme un succès historique, fruit de plus de dix ans d’efforts diplomatiques. Mais ce sommet atteint, restent encore tous les périls de la descente, c’est-à-dire d’une mise en œuvre qui va durer de dix à quinze ans. 
Le pari de l’accord, c’est qu’au bout de ce temps, la confiance ayant été retrouvée quant aux pratiques et intentions nucléaires de l’Iran, celui-ci pourra être accueilli dans la communauté internationale comme un membre pleinement respectueux des normes de la non-prolifération. Mais pour cela, encore faut-il que toutes les parties s’attachent, selon les termes mêmes de l’accord du 15 juillet, « à appliquer ce plan d’action de bonne foi, dans une atmosphère constructive fondée sur le respect mutuel, et à s’interdire toute action allant à l’encontre de sa lettre, de son esprit et de son intention. » Ce n’est pas à ce jour le chemin emprunté.

            Un inquiétant programme balistique


Côté iranien, la lettre de l’accord, depuis son entrée en vigueur le 16 janvier dernier, a été scrupuleusement appliquée, comme en témoignent les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, dotée à cette occasion de pouvoirs d’inspection hautement renforcés : les milliers de centrifugeuses en excédent ont été démantelées, l’essentiel du stock d’uranium faiblement enrichi a été transféré à l’étranger, le cœur du réacteur d’Arak a été rendu inutilisable par une coulée de béton. 
Mais à la marge de l’accord, les choses se gâtent. Car si l’accord est strictement limité à la question de la prolifération nucléaire, un lien manifeste existe entre celle-ci et la prolifération balistique. Or l’Iran développe avec opiniâtreté un programme de missiles suffisamment puissants pour pouvoir emporter un jour sur longue distance des têtes nucléaires, s’il était décidé d’aménager ces vecteurs à une telle fin. En octobre, puis en mars dernier, il a ainsi procédé à des essais de missiles confirmant sa volonté de disposer d’une capacité de dissuasion balistique à l’égard de tout pays du Proche et du Moyen-Orient.
Ce programme balistique est géré par les Pasdaran ou Gardiens de la révolution, ce corps d’élite politico-militaire, ne rendant des comptes qu’au Guide suprême, Ali Khamenei, et qui intervient lourdement dans le quotidien de la République islamique. Ses chefs n’ont pas fait mystère de leur réticence à l’égard du compromis avec des puissances hostiles que représentait à leurs yeux l’accord nucléaire. Ils ne veulent surtout pas qu’il puisse déboucher sur une détente internationale qui affaiblirait les ressorts du régime. 
Ils accompagnent leur programme balistique de mises en scène et d’une rhétorique agressives qui avivent encore les inquiétudes des observateurs extérieurs, donne des armes à tous ceux, aux États-Unis et ailleurs, qui verraient volontiers capoter l’accord nucléaire, et embarrasse lourdement le gouvernement du président Rohani. Mais c’est précisément l’un des buts recherchés dans l’affrontement qui se dessine de plus en plus visiblement entre d’une part les Pasdaran, gardiens de la pureté des idéaux de la révolution en même temps que de leurs intérêts très concrets dans une économie fermée, d’autre part un Président ayant fait de l’ouverture sur le monde extérieur l’axe directeur de son mandat.

            De lourdes sanctions toujours en vigueur


Du côté américain, les choses ne vont pas mieux. Là encore, la lettre de l’accord a été respectée, les sanctions qui y sont énumérées ont bien été levées, mais à ses marges, toutes les sanctions hors de portée de l’accord, car prises pour des raisons étrangères à la lutte contre la prolifération nucléaire, restent en vigueur. Ce sont, pour beaucoup, des sanctions votées par le Congrès à l’époque Clinton pour punir l’Iran de son soutien au terrorisme et de ses atteintes aux droits de l’homme, et quelques-unes prises encore récemment par le président Obama lui-même. 
Sauf certaines exceptions, dans le domaine aéronautique civil notamment, ou dans des secteurs à dimension humanitaire tels que l’agro-alimentaire et le médical, ces sanctions-là interdisent toujours aux entreprises américaines de frayer avec l’Iran. Jusque là, rien de très gênant, même au contraire, pour les entreprises étrangères, en particulier européennes, qui souhaitent revenir ou prendre pied dans le pays. Mais elles vont de fait bien plus loin, en interdisant à qui que ce soit à travers le monde toute affaire dans lequel un seul citoyen américain serait impliqué, toute affaire aussi où se retrouveraient des institutions ou des individus figurant sur une liste noire, en particulier les fameux Pasdaran, toute affaire enfin qui amènerait une circulation de dollars entre l’Iran et un quelconque correspondant extérieur. De telles règles aboutissent à rendre extraordinairement complexe le montage de la moindre transaction avec l’Iran, et en réalité, à l’interdire.
De fait, les banques européennes, traumatisées par les amendes cuisantes subies récemment par quelques-unes des plus importantes d’entre elles, refusent de bouger. La plus grande partie des projets européens concernant le marché iranien sont donc au point mort, ainsi que le retour en Iran de la plupart des fonds iraniens détenus à l’étranger et gelés par les sanctions, s’élevant à plusieurs dizaines de milliards de dollars, que l’accord nucléaire avait en principe débloqués.
Cette situation a déjà entraîné une vive protestation du Guide de la Révolution qui, pour une fois au moins, n’a pas tout à fait tort de s’en prendre aux États-Unis en les accusant « de tout faire pour priver l’Iran des bénéfices de l’accord ». Il a aussi, non sans raison, exprimé la crainte que la prochaine administration ne se considère pas liée par les engagements de l’administration actuelle. 
Obama a paru d’abord sensible à la critique, en annonçant d’une part la recherche d’un certain assouplissement aux sanctions en vigueur, en mettant d’autre part le Congrès en garde contre le vote de nouvelles sanctions. Il a été sur ce point ouvertement soutenu par David Cameron, alerté sur la situation par les entreprises britanniques. 
L’on ne sait ce que font les Français ou l’Union européenne. Mais aux dernières nouvelles, l’administration du président Obama hésiterait encore à toucher aux sanctions en vigueur, de peur sans doute d’entraîner une violente réaction du Congrès. Et demeure en tout état de cause l’incertitude sur le résultat des prochaines élections américaines. Même si Hillary Clinton l’emportait, celle-ci, dans sa campagne, a manifesté l’intention d’appliquer a minima l’accord avec l’Iran, ce qui pourrait présager de longues difficultés.

            Remettre l’accord sur ses rails


Nous en sommes là aujourd’hui, et cet aujourd’hui est hautement préoccupant, surtout si l’on songe aux quinze années encore à parcourir. Il faut espérer qu’il s’agit là de ratés de démarrage, que le bon sens triomphera, que personne ne se hasardera donc à casser un accord dont la rupture provoquerait à coup sûr la relance de la prolifération au Moyen-Orient. Mais il est vital de démontrer dans les quelques mois qui restent avant l’élection présidentielle américaine et les remises en cause qu’elle pourrait entraîner, que la confiance est en train de renaître et que l’accord roule sur de bons rails. 
Sans attendre, des inflexions sont nécessaires : du côté iranien en renonçant aux aspects provocateurs de son programme balistique et à son exploitation à des fins politiciennes, du côté américain en cessant d’entraver l’ouverture économique attendue avec anxiété par la population iranienne. Celle-ci, devant l’absence de résultats, commence à se demander si l’Iran n’a pas conclu « un marché de dupes ». La consolidation d’un tel sentiment serait évidemment désastreuse pour la suite. Il y va en cette affaire de l’avenir de l’expérience Rohani, que l’Europe, les États-Unis et bien d’autres, notamment au Moyen-Orient, ont tout intérêt à voir réussir.

mercredi 2 mars 2016

Iran, nouvelles perspectives


publié le 1er mars par 
Boulevard Extérieur
Comme il l’espérait, le Président Rohani sort clairement renforcé des élections qui viennent de se dérouler en Iran. Certes, il n’existe pas en ce pays de partis constitués, et un deuxième tour doit encore pourvoir au Parlement une soixante de sièges sur un total de 290. Les lignes restent donc encore floues entre le nombre définitif, s’il le devient jamais, de ses partisans et de ses adversaires. Mais la victoire de Téhéran, où la liste de « l’Espoir », coalition de réformateurs et de modérés, a remporté la totalité des trente sièges en jeu annonce une bascule des équilibres anciens quand les conservateurs, dits encore « principalistes », élus du temps d’Ahmadinejad, faisaient la loi au Parlement.
Certes, Téhéran n'est pas l'Iran, la province reste encore très pénétrée de traditions et de conservatisme. Mais même en province, beaucoup de villes ont voté en faveur de Rohani. Et celui-ci peut espérer l’appui des élus de communautés excentrées : Arabes, Kurdes, Baloutches, Turkmènes, Azéris de l’Ouest, qui, quelle que soit leur étiquette, restent sensibles aux efforts de reconnaissance de leur identité. Et il y a surtout au travers du pays beaucoup d’élus au label peu explicite, choisis d’abord sur des enjeux locaux. Ceux-là seront aisément convaincus d’appuyer le gouvernement s’ils ont le sentiment qu’il est le mieux placé pour apporter à leur circonscription développement et prospérité.

           L’émergence de conservateurs modérés

Et puis, même parmi les conservateurs, il y a une frange modérée, d’abord à l’écoute de la parole du Guide suprême, et conduite par le président du Parlement sortant, Ali Larijani, d’ailleurs élu à Qom. Ce groupe, sur instruction du Guide, a en particulier permis à Rohani d’obtenir, par un bon verrouillage de procédure, l’appui du Parlement lorsqu’il s’est agi d’approuver l’accord nucléaire de juillet dernier. Ces conservateurs modérés, en une prise de position déterminante pour l’avenir du gouvernement Rohani, ont ainsi fait le choix de l’ouverture de l’économie grâce à la levée des sanctions, contre le choix alternatif d’une « économie de résistance », pour partie autarcique, pour partie fondée sur la contrebande, et alimentée de produits chinois, russes, ou indiens, qui n’ont jamais fait rêver la population iranienne. S’ils veulent atteindre la prospérité espérée, ces conservateurs modérés devront forcément soutenir la politique économique du Président Rohani, notamment en ce qui concerne l’accueil des investissements étrangers dans des secteurs fortement dégradés : hydrocarbures, transports, environnement. Ils devront aussi accepter de desserrer, ce qui sera moins simple, l’emprise sur l’économie des conglomérats publics ou semi-publics tenus par les Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution, et par les grandes fondations pieuses.

            Les trois promesses

Rohani, au cours de son élection en 2013, a fait trois ordres de promesses : sortir de la crise nucléaire, qui empêchait tout progrès, relancer l’économie, donner de l’air à la société. La première est tenue. La deuxième va clairement devenir sa priorité jusqu’à la fin de son mandat présidentiel en 2017 afin de lui permettre sur de premiers résultats, même modestes, de se faire réélire. La troisième devra sans doute attendre qu’il puisse encore renforcer son autorité et sa légitimité au sein d’un régime compliqué, où des bastions cruciaux tels que le Pouvoir judiciaire, le Conseil des gardiens de la Constitution ou la hiérarchie des Pasdaran sont tenus par des conservateurs et des ultraconservateurs.
Des progrès significatifs en matière de libertés publiques ne sont sans doute pas à espérer avant le cours de son deuxième mandat, s’il y parvient jamais. Mais il est vrai aussi que la société iranienne évolue inexorablement, imperméable aux aléas de la politique, pour de plus en plus nous ressembler. C’était le cas même du temps d’Ahmadinejad, et le régime a compris qu’il ne pouvait pas aller trop loin en matière de manipulations politiques et d’étouffement des aspirations à l’ouverture. C’est ce qu’ont démontré les grandes manifestations de 2009, qui ont fini écrasées, mais qui lui ont fait très peur. Il est notable que les élections qui viennent de se dérouler et la Présidentielle de 2013, certes une fois éliminés les candidats qui inquiétaient le régime, se sont passées sans incident, sans soupçon de trucage. La République islamique en sort renforcée.

            Maturité et voie centrale

Et curieusement, la démocratie iranienne, si imparfaite, si bridée soit-elle, semble aller vers une sorte de maturité. Avec la possibilité de constitution d’un grand ensemble modéré, allant des réformateurs jusqu’aux conservateurs éclairés en passant par les partisans du président, l’on pourrait voir le jeu politique s’éloigner peu à peu des affrontements brutaux, clivants, qui ont marqué les débuts de la Révolution islamique, jusqu’aux présidences du réformateur Khatami et du populiste Ahmadinejad. Le régime entrerait ainsi dans des eaux plus apaisées, où l’esprit d’équilibre, de compromis, commencerait à pénétrer la sphère politique.
Certes, le meilleur n’est pas toujours sûr. Mais en ce sens, il est intéressant de mettre en lumière des propos récents de l’Imam Khamenei, tenus deux jours avant le premier tour de l’élection, où il s’exprimait ainsi : « modération est un joli terme, mais L’Islam ne parle pas ainsi… L’Islam recommande la voie médiane, moyenne… Ainsi nous avons fait de vous une communauté qui avance sur la voie du milieu, dit le Coran. Mais que signifie milieu en Islam ? Est-ce l’opposé de l’extrémisme ? Non c’est l’opposé de la déviation... La voie du milieu est la voie droite… Si vous déviez de cette voie droite, que ce soit à gauche ou à droite, ce n’est plus la voie du milieu. Ce n’est donc pas l’extrémisme qui va à l’encontre de la voie centrale, c’est la déviation. Bien sûr, sur une route, certains marchent vite, d’autres plus lentement. Mais aller vite n’est pas une mauvaise chose ! »

            L’autre élection

Un mot, pas le moindre, sur l’autre élection du vendredi 26 février : celle du Conseil des experts, assemblée de 88 docteurs de la loi, élue par la population pour huit ans, chargée, en cas de décès ou d’incapacité du Guide suprême, de pourvoir à son remplacement. Dans ce bastion du conservatisme, là encore la poussée des modérés a été forte, et au moins deux ultra-conservateurs emblématiques éliminés, notamment grâce à la discipline de vote des électeurs de Téhéran. Impossible de dire dans quel sens cette assemblée pourrait pencher le moment venu, car beaucoup de personnalités s’y considèrent comme indépendantes, et le Guide, qui a déjà 77 ans, cherchera à orienter sa succession vers quelqu’un qui lui ressemble. Mais nul doute que le jeu s’est ouvert sur un choix évidemment crucial pour l’avenir de la République islamique.

            Un rôle pour l’Europe

Et l’Europe dans tout cela ? Elle a une chance historique de revenir la première dans le jeu, car les Américains sont encore empêtrés dans de vieilles sanctions toujours en vigueur, concernant la lutte contre le terrorisme et l’appui aux droits de l’homme. Les Iraniens, clairement, nous attendent. Il nous faut donc soutenir Rouhani, éviter la répétition de l’erreur des années Khatami, durant lesquelles faute de prendre ce président réformateur au sérieux, nous avons contribué à l’élection d’Ahmadinejad. Et garder en même temps à l’esprit qu’il y a des baisers qui tuent, donc ne pas laisser croire qu’en poussant aux réformes, nous cherchons finalement à déstabiliser la République islamique, à entraîner Iran vers une sorte de « révolution de couleur ». Notre soutien, pour être efficace, a tout intérêt à être légitimiste, en faisant comprendre que nous souhaitons voir se rapprocher de nous, à leur rythme propre, toute la société, toutes les institutions iraniennes, sans y introduire de discrimination.

           Le nucléaire et au-delà

Pour être pris au sérieux, il est un sujet important sur lequel il va falloir nous investir : la bonne application de l’accord nucléaire. Car sans la bonne application de cet accord, et la confiance mutuelle qu’elle devrait progressivement susciter, l’Iran en reviendra à se replier lui-même. Nous pourrons alors dire adieu aux possibilités, certes encore ténues, de voir l’Iran jouer un rôle plus coopératif dans la solution des grandes crises qui agitent le Proche et le Moyen-Orient. Il est certain que nous veillerons scrupuleusement à la façon dont l’Iran s’acquittera de ses obligations nucléaires. Mais il faudra aussi étendre notre rigueur aux Etats-Unis car c’est là, à vrai dire, que résident à court terme les risques les plus sérieux de voir l’accord mis à mal : par la mauvaise volonté persistante du Congrès, ou par un nouveau président entraîné par ses déclarations électorales. L’Union européenne, partie à cet accord, doit donc se tenir prête à résister à toute tentative de l’administration américaine de ralentir par l’entretien d’un maquis juridique la fluide application de l’accord, et à plus forte raison de le casser. Garante à l’égard de toutes les parties, elle pourrait trouver là un rôle à sa mesure, et capitaliser sur la confiance recueillie pour avancer sur d’autres dossiers. Par exemple, la création d’un climat minimal de détente entre l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite, sans lequel aucune solution durable ne sera trouvée aux problèmes de la région.