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jeudi 18 juin 2020

L’Iran, le nucléaire, et les autres : l’Accord de Vienne dans la tourmente

(publié le 17 juin 2020 par le site Orient XXI)

Depuis deux ans, depuis la sortie des États-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne, dit aussi JCPOA, l’Administration américaine guette les signes d’un effondrement de l’économie iranienne, prélude à la mise à genoux de la République islamique. Les plus acharnés y croient encore, persuadés que le garrot des sanctions progressivement resserré sur les personnes, les institutions et les entreprises produirait les effets d’un blocus. Il les a produits en effet, mais sans atteindre le but ultime recherché. Certes, l’Iran n’exporte pratiquement plus de pétrole, mais la part des hydrocarbures dans son produit intérieur brut a régulièrement diminué sur longue période, n’atteignant aujourd’hui que 15%. L’économie a donc d’autres ressorts, d’autres ressources, et dispose de la masse critique d’une population de 80 millions d’habitants. Certes, cette population souffre. Récemment, le pays a connu à deux reprises des manifestations violentes, mais celles-ci n’ont jamais vu la jonction décisive des classes populaires et des classes moyennes, aucun leader charismatique n’y a émergé, elles ont pu être matées sans états d’âme par le Régime.

La fureur des États-Unis contre l’Accord de Vienne

La frustration de Trump et de ses partisans tourne donc à l’exaspération. Sachant qu’il serait suicidaire d’aller à la guerre à la veille de l’élection présidentielle, ils s’en prennent à présent à l’Accord de Vienne lui-même, avec l’idée de le réduire en miettes. Peu importe les conséquences. On aurait cru l’Accord protégé par la volonté des six participants restants, Iran compris, de continuer à l’appliquer, protégé aussi par son adossement à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en approuvant tous les termes. Cette résolution présentée par les États-Unis eux-mêmes, a été parrainée et adoptée le 20 juillet 2015 par les quinze membres du Conseil dans la foulée de la conclusion de l’Accord. Mais cette construction était fragile. D’abord parce que le JCPOA lui-même était rédigé, à la demande des Américains, comme une simple déclaration commune d’intentions. Un accord en bonne et due forme aurait dû être ratifié par le Congrès, où l’Administration d’Obama ne détenait pas de majorité. Ensuite, parce que la résolution du Conseil de sécurité était tournée, là encore à la demande des Américains, de façon à ne rendre en aucune façon obligatoire, au sens de la Charte des Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord par les participants et par tous les États-membres de l’ONU. C’est ainsi que Trump a pu s’en extraire par une simple décision.

Ceci fait, le JCPOA a néanmoins continué sa route, clopin-clopant, avec l’allure d’une bête blessée, reproche vivant à ceux qui l’avaient quitté. Les Iraniens ont d’abord veillé à en respecter scrupuleusement les termes, ce qu’ont attesté les rapports trimestriels des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Et ceci malgré l’incapacité des Européens, des Russes et des Chinois à les récompenser par des échanges commerciaux réguliers. L’action dissuasive des sanctions américaines, l’empire du dollar sur les règlements en devises, ont en effet découragé les entreprises susceptibles de travailler avec l’Iran.

Les choix transgressifs de l’Iran

Déjà en mai 2019, un an après sa sortie de l’Accord, l’Administration américaine, ne voyant aucun fléchissement du côté de Téhéran, portait un premier coup à l’architecture de l’Accord de Vienne. Elle met fin alors aux dérogations qui permettaient à l’Iran d’exporter ses productions d’uranium légèrement enrichi et d’eau lourde lorsque les stocks accumulés dépassaient les limites posées par l’Accord. Ces plafonds avaient été mis en place pour empêcher l’Iran de constituer des provisions importantes de deux matières pouvant contribuer à la production de l’arme nucléaire. Dès lors, l’Iran n’a d’autre choix, pour respecter le plafond de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, en vérité le plus critique en termes de prolifération, que d’arrêter tout ou partie de ses centrifugeuses, ou encore de rediluer son uranium légèrement enrichi au fur et à mesure de sa production. Mais il choisit une troisième voie, transgressive celle-là, en s’affranchissant de ce plafond, et donc en accumulant progressivement un stock d’uranium enrichi qui à ce jour, au bout d’un an, a été multiplié par huit. L’Iran précise toutefois qu’il n’a pas l’intention de sortir de l’Accord de Vienne et qu’il reviendra à une stricte application de l’accord dès que les autres parties lui permettront d’en tirer les bénéfices attendus. Et pour faire pression sur ses partenaires, toujours impuissants à contrer les menées de Washington, il donne de deux mois en deux mois de nouveaux coups de canif au JCPOA : franchissement du taux d’enrichissement maximal de l’uranium autorisé par l’Accord, qui passe de 3,67% à 4,5%, reprise des activités de recherche et de développement pour la mise au point de centrifugeuses plus performantes, relance de l’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, que l’Accord de Vienne avait mis en sommeil. Le JCPOA semble alors à l’agonie.

Une entourloupe à l’horizon

Mais en avril dernier, le Secrétaire d’État Mike Pompeo redonne du grain à moudre aux soutiens de l’Accord par une nouvelle provocation. Il déclare en effet vouloir absolument empêcher que soit prochainement levé l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran instauré par le Conseil de sécurité antérieurement à la conclusion du JCPOA, et que le Conseil s’était engagé par sa résolution de juillet 2015 à abolir en octobre 2020. Il annonce donc que les États-Unis vont prochainement présenter au Conseil un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment ces sanctions. Il annonce surtout qu’au cas où cette résolution serait rejetée -- hypothèse fort probable en raison notamment du soutien à l’Iran de la Russie et de la Chine, détentrices du droit de veto --, il n’hésiterait pas à faire jouer la clause dite de snap-back, contenue dans la résolution de juillet 2015, permettant à tout participant au JCPOA de rétablir par son seul vote tout ou partie des sanctions de l’ONU précédemment infligées à l’Iran.

Le raisonnement fait alors scandale. Il s’appuie en effet sur une entourloupe juridique, la résolution de juillet 2015 ne précisant pas expressément qu’un pays désigné comme « participant » au JCPOA, en l’occurrence les États-Unis, cesserait de l’être au moment où il se retirerait de l’Accord. La manœuvre paraît indigne d’un pays sérieux. Pourrait-elle néanmoins réussir ? Assistera-t-on à une révolte de tout ou partie des membres du Conseil de sécurité ? L’on en saura plus dans les semaines ou les mois à venir.

Haro sur les coopérations nucléaires avec l’Iran

Mais en attendant, Mike Pompeo, décidément acharné à poursuivre la destruction du JCPOA, remet fin mai le couvert. Il annonce que les États-Unis vont mettre bientôt fin aux dérogations, ou waivers, qui protégeaient des sanctions américaines la coopération instaurée par l’Accord entre l’Iran et ses partenaires pour réorienter certains projets nucléaires iraniens posant de sérieux risques de détournement à des fins militaires. C’est ainsi que l’Iran avait commencé à bénéficier d’une aide pour modifier les plans d’un réacteur de recherche en cours de construction près de la ville d’Arak de façon à réduire drastiquement sa production de plutonium. Or le plutonium offre la deuxième voie d’accès à la bombe aux côtés de l’enrichissement de l’uranium. Pompeo annonce aussi que les États-Unis empêcheront de fournir à l’Iran le combustible à base d’uranium enrichi à 20% nécessaire au fonctionnement du petit réacteur de recherche de Téhéran, vendu dans les années 1960 à l’Iran par les Américains eux-mêmes. À noter que Mike Pompeo n’a pas évoqué dans sa déclaration les quelque mille centrifugeuses du site enterré de Fordo qui devaient être réaffectées à d’innocentes activités de recherche et de production d’isotopes médicaux, la coopération internationale en cette affaire ayant été interrompue par la décision iranienne d’utiliser à nouveau ces centrifugeuses pour la production d’uranium enrichi.

La décision américaine apparaît ainsi à tout le monde comme une sorte de « pousse-au-crime », et du côté iranien, renaissent les déclarations évoquant la possibilité de sortir définitivement du JCPOA, ou même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il est clair en tous cas dès à présent que l’Iran ne laissera pas passer une nouvelle humiliation au Conseil de sécurité sans une réaction de première grandeur. Et l’une des réactions possibles à cette nouvelle vague de punitions pourrait être de reprendre sur son sol l’enrichissement d’uranium à 20%, auquel avait mis fin l’Accord de Vienne. L’on se rapprocherait alors dangereusement des hauts enrichissements à visée militaire.

Les timidités de l’Europe

Comment ont réagi à ces attaques américaines les autres partenaires du JCPOA ? Les Russes ont été jusqu’à présent les plus clairs pour condamner les derniers projets américains. Les Chinois, empêtrés dans bien d’autres querelles avec les États-Unis, sont restés plus discrets, mais ne manqueront pas le moment venu d’agir comme les Russes. Quant aux Européens, ils n’ont pas encore officiellement indiqué comment ils réagiraient au cas où les Américains pousseraient leurs projets au Conseil de sécurité. Peut-être comptent-ils sur les Russes et les Chinois pour les bloquer. À ce jour, seul Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, a marqué publiquement sa désapprobation de la mise en œuvre de la procédure de snap-back par les États-Unis. En ce qui concerne le retour des sanctions contre les activités nucléaires iraniennes bénéficiant d’une coopération internationale, les trois Européens participant au JCPOA – Allemand, Britannique et Français -- ont inauguré la formule d’une déclaration commune « regrettant profondément »’la décision américaine, déclaration émise toutefois, non par les ministres avec le Haut représentant de l’Union européenne, mais par les porte-parole de leurs administrations respectives. Façon de se défausser sur des fonctionnaires subordonnés de la responsabilité de de mettre en cause les États-Unis.

Ceci augure mal de la volonté européenne de poursuivre malgré les sanctions américaines une coopération fort utile pour la non-prolifération. Elle pourrait pourtant continuer, au moins en mode dégradé, dans la mesure où elle est sans doute portée par une majorité d’entreprises de service public, peut-être mieux à même de résister aux sanctions, dans la mesure aussi où un certain nombre d’activités de coopération pourrait ne pas se traduire en flux financiers, cible principale des sanctions, mais en soutiens pratique et intellectuel. Osera-t-on ainsi finasser ? Rien n’est moins sûr.

Encore au moins cinq mois de crise

Et puis, la suite dépend aussi du comportement de l’Iran. Celui-ci est en ce moment en délicatesse avec l’AIEA, car lui refusant l’accès à deux sites non déclarés, suspectés d’avoir abrité des activités ou des équipements nucléaires clandestins, et refusant aussi de s’expliquer sur la découverte en un autre site par les inspecteurs de l’Agence de particules d’uranium d’un type introuvable dans la nature, donc témoignant d’une activité humaine. Si le conflit ne se résout pas, l’affaire pourrait en principe atterrir sur la table du Conseil de sécurité, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran.

Tout laisse donc augurer dans les mois à venir de relations chahutées en matière nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, mais aussi entre l’Iran et ses partenaires du JCPOA, enfin entre ces derniers et les États-Unis. Sans oublier l’AIEA, vouée à naviguer dans une mer semée d’écueils. À ceci s’ajoutent les tensions politiques dans le Golfe persique, et les tensions encore plus graves parcourant le Proche-Orient. Israël, mais aussi l’Arabie saoudite, restent en embuscade pour favoriser tout ce qui pourrait déstabiliser l’Iran. C’est donc un chemin chaotique que la diplomatie internationale va devoir parcourir jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dont il faut espérer qu’elle débouchera sur de plus souriantes perspectives.

vendredi 21 novembre 2014

Les résolutions du Conseil de sécurité en travers d’un accord avec l’Iran ?

Une fois de plus, nous nous sommes peut-être piégés nous-mêmes en rédigeant les résolutions du Conseil de sécurité destinées à piéger l’Iran. La situation actuelle rappelle par certains aspects la période, autour de 1997, où la plupart des membres du Conseil de sécurité auraient aimé abroger, ou du moins amender, les sanctions adoptées contre le régime de Saddam Hussein dans la foulée de la guerre de 1991, car leurs effets commençaient à échapper à tout contrôle : corruption généralisée, chute dramatique de l’état sanitaire de la population irakienne. Mais il aurait fallu pour cela l’unanimité des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et cette unanimité était hors de portée. Le Président Chirac déclarait à cette époque : « nous voulons, nous, convaincre, et non pas contraindre. Je n’ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs. »

Nous n’en sommes pas à un point aussi dramatique concernant l’Iran. Mais au moment où il serait sans doute utile, pour conclure un accord global sur le programme nucléaire iranien, de pouvoir lever rapidement les sanctions introduites entre 2006 et 2010 par quatre résolutions du Conseil de sécurité, les négociateurs occidentaux paraissent avoir du mal à envisager un tel geste, et sembleraient plutôt enclins à repousser cette décision vers un lointain futur.

Ces sanctions du Conseil de sécurité, visant les activités militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran, ne sont pas celles qui font le plus mal. Les plus destructives sont plutôt les sanctions unilatérales adoptées par les États-Unis et l’Union européenne, dans la mesure où elles tendent à déstabiliser l’ensemble de l’économie et des échanges extérieurs de l’Iran. Mais les sanctions du Conseil de Sécurité comportent un « effet de pilori » que les Iraniens perçoivent à juste titre comme profondément humiliant. Elles constituent aussi le socle juridique sur lequel les sanctions européennes, notamment, ont été mises en place. Les Iraniens sont donc anxieux de les voir disparaître dès que possible, par la voie d’une décision du Conseil de sécurité refermant le dossier qu’il avait ouvert en 2006 et le renvoyant au forum qu’il n’aurait dû jamais quitter, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Mais les conditions inscrites dans ces résolutions pour leur levée sont en vérité écrasantes. De fait, leurs rédacteurs semblent avoir poursuivi deux buts simultanés. Le premier a été d’accumuler les exigences permettant de bloquer la marche de l’Iran vers la possession d’un engin nucléaire capable d’atteindre sa cible : suspension de toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche, le développement, et la construction de nouvelles installations ; suspension de toutes activités liées à la construction d’un réacteur de recherche modéré à l’eau lourde ; accès immédiat sur demande de l’AIEA à tous les sites, équipements, personnes et documents permettant de vérifier le respect par l’Iran des décisions du Conseil de sécurité et de résoudre toutes questions en suspens concernant les « éventuelles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien ; ratification rapide du Protocole additionnel à l’accord de garanties passé entre l’Iran et l’AIEA ; interruption de toutes activités liées à des missiles balistiques susceptibles d’emporter des armes nucléaires. Au vu des circonstances dans lesquelles ces résolutions étaient adoptées, il y avait peu de chances de voir les Iraniens se plier à de telles injonctions, qualifiées de « mesures destinées à établir la confiance », qui les auraient obligés à abandonner pratiquement toutes leurs ambitions nucléaires et balistiques.

Le second but était d’un tout autre ordre, et d’une certaine façon peu cohérent avec le premier. Il visait à pousser les Iraniens vers la table de négociation, ainsi qu’il apparaît dans la formule retrouvée dans toutes les résolutions en question, exprimant « la conviction » que l’obéissance de l’Iran « favoriserait une solution diplomatique négociée ». Le Conseil de sécurité exprimait également sa disposition, si l’Iran suspendait ses activités d’enrichissement et de retraitement, à suspendre en retour au moins une partie de ses sanctions, de manière à « faciliter des négociations de bonne foi » et « d’atteindre rapidement un résultat mutuellement acceptable ». Comme on le sait, cette négociation a bien fini par se nouer, mais par des voies radicalement différentes, les Occidentaux ayant finalement renoncé à exiger que l’Iran interrompe toutes ses activités nucléaires sensibles avant d’entrer sérieusement en discussion. L’on peut donc considérer que ce second objectif aura été pleinement atteint dès qu’un accord global, espérons-le en phase finale de mise au point, entrera en vigueur, rendant ainsi caduque cette dimension des résolutions du Conseil de sécurité.

Bien entendu, leur première dimension, celle concernant l’imposition de « mesures destinées à établir la confiance », reste en place. La confiance étant par nature un sentiment difficile à cerner, nous entrons là dans un processus à long terme, sinueux, réversible, dont l’issue n’est que faiblement visible. Un tel processus est aussi malaisément compatible avec le fonctionnement en « tout ou rien » du Conseil de sécurité : une fois ses résolutions levées, elles n’ont aucune chance de pouvoir être rétablies. D’où l’hésitation de l’Occident à s’engager de façon irréversible. Et nous savons tous que les sanctions sont généralement plus faciles à adopter qu’à effacer, car elles tendent à créer dans l’intervalle leurs propres logique et dynamique. Elles donnent naissance à de nouveaux équilibres, à de nouveaux intérêts, ne serait-ce que parmi les personnes chargées de les gérer, qui consacrent tant d’énergie à leur mise en œuvre. Que l’on se souvienne de l’exemple fameux de l’embargo général imposé par les Alliés à l’Allemagne durant la Première guerre mondiale, resté en vigueur plusieurs mois après l’Armistice, qui a donc inutilement prolongé les souffrances de la population et attisé son amertume.

Les pays négociant avec l’Iran sont-ils prêts à tirer les leçons de l’Histoire ? La levée des sanctions du Conseil de sécurité apparaît actuellement comme une sorte de nœud gordien. Ce nœud devrait être tranché, sinon immédiatement après la signature d’un accord global avec l’Iran, du moins à l’issue d’une période relativement brève d’observation de la détermination avec laquelle Téhéran commencera à mettre en œuvre sa part d’obligations contenues dans « le Plan global d’action ». Ce vote du Conseil de sécurité pourrait être aussi opportunément lié à la ratification formelle par l’Iran du Protocole additionnel qu’il a signé en 2003, les deux gestes étant également irréversibles.


Ceci ne signifie pas que seraient abandonnées les demandes auxquelles l’Iran pourrait n’avoir pas entre temps pleinement répondu, par exemple sur la clarification des anciennes «dimensions militaires éventuelles » de son programme nucléaire. Mais cela voudrait dire que ces demandes seraient désormais exclusivement traitées au niveau de l’AIEA. Et cela voudrait surtout dire que le Conseil de Sécurité, à la lumière des progrès atteints dans la mise en œuvre de l’accord, ne considérerait plus le cas iranien comme une « menace à la paix » selon les termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, sous l’égide duquel les résolutions en cause ont été adoptées : le seul chapitre autorisant l’emploi de mesures coercitives contre un État membre, en vue de « maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationales ».

publié par le site LobeLog (version anglaise) et par BBC Persian (version persane)

mercredi 7 mai 2014

Accord nucléaire avec l’Iran : dernière – dure – ligne droite ?

Les acteurs

A ce jour, les négociateurs des deux parties sur l’avenir du programme nucléaire iranien ont été d’une remarquable discrétion. Même à niveau politique, chacun a été étonnamment tranquille. Ceci est de bon augure. Trop d’occasions ont été gâchées dans le passé par des rafales de déclarations calibrées pour les opinions intérieures. Il faut spécialement féliciter ici Wendy Sherman, la négociatrice américaine, pour être parvenue à si peu en dire en tant de mots, et si aimablement, dans ses nombreuses réunions en off avec la presse.

L’association aux négociations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est d’une valeur inestimable. L’Agence apporte une expertise unique et certifie régulièrement la façon dont l’Iran s’acquitte de ses engagements. Elle contribue ainsi de façon décisive à la bonne progression des discussions.

De façon surprenante, les négociateurs iraniens apparaissent comme l’élément moteur du processus. Ils ont saisi l’initiative à l’occasion de la visite à New-York, en septembre dernier, du président Hassan Rouhani, et ne l’ont jamais abandonnée, donnant le rythme, fixant les objectifs. C’est le ministre iranien des affaires étrangères qui a proposé d’aborder dès le mois de mai la rédaction de l’accord final et de tenter d’aboutir à la fin juillet.

Ceci contraste plaisamment avec la lenteur et la rigidité jusque là manifestées du côté iranien, notamment à l’époque d’Ahmadinejad, mais aussi dans des circonstances beaucoup plus favorables, dans la période 2003-2005, alors que Rouhani conduisait lui-même la négociation. A cette époque, les diplomates iraniens qui se trouvaient en première ligne subissaient un lourd dispositif de contrôle freinant tous leurs mouvements. Tirant les leçons de l’expérience, Rouhani, aussitôt élu président de la République, a obtenu carte blanche du guide de la Révolution, Ali Khamenei, sur le pilotage du dossier nucléaire. Khamenei s’est réservé la définition des lignes rouges et la capacité d’émettre réserves et critiques, mais a jusqu’à présent soutenu l’équipe des négociateurs.

De fait, l’une des premières décisions de Rouhani a été de transférer la négociation du dossier nucléaire du Conseil suprême de sécurité nationale au ministère des affaires étrangères. Il a ensuite mis en place des circuits courts d’arbitrage et de contrôle et réuni une équipe de diplomates aguerris, parfaitement à l’aise avec les codes et les mœurs de leurs partenaires occidentaux. Ce dispositif a fait merveille. Il a mis aussi en relief la maladresse collective de l’équipe d’en face, formée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne (P5+1). Ceci s’est vu début novembre dernier, quand quatre ministres occidentaux des affaires étrangères se sont rués prématurément à Genève, semant la confusion devant des médias médusés. Mais comme le disait Foch : «  après avoir dirigé une coalition, j’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon… ».

Le fond des choses

Pour en arriver au cœur du sujet, un certain nombre de points en cette affaire semblent près d’être réglés. L’Iran est prêt à plafonner à 5% l’enrichissement de son uranium, et à limiter son stock d’uranium légèrement enrichi immédiatement réutilisable pour des enrichissements plus élevés, donc plus sensibles. L’usine d’enrichissement souterraine de Fordo, fort controversée, finira probablement en unité de recherche et de développement. Le réacteur de recherche d’Arak, actuellement en construction, pouvait dans sa configuration de départ générer à peu près dix kilogrammes de plutonium par an, soit assez pour une ou deux bombes. Ali Akbar Salehi, président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a laissé entendre que cette configuration pourrait être modifiée pour utiliser de l’uranium légèrement enrichi plutôt que de l’uranium naturel. Cela diviserait par un facteur allant de 5 à 10 la capacité plutonigène du réacteur. Et l’Iran a déjà confirmé qu’il n’avait pas l’intention de se doter de l’unité de retraitement qui serait indispensable pour extraire du plutonium de qualité militaire des combustibles consommés dans le cœur de ses réacteurs.

En fonction du rythme de levée des sanctions, l’Iran semble aussi prêt à revenir à une mise en œuvre de facto du Protocole additionnel de l’AIEA, permettant un contrôle renforcé sur l’ensemble de ses activités nucléaires. De plus, il devrait être prêt à lancer la procédure de ratification de ce Protocole dès que le Conseil de sécurité se sera lui-même montré disposé à retirer de son agenda le dossier nucléaire iranien, lavant ainsi la cuisante humiliation infligée en 2006 à l’Iran, lorsqu’il avait voté sa première résolution sur le sujet.

Les points à régler

A ce jour, cinq points difficiles sont encore sur la table. Le plus ardu concerne le format de la capacité iranienne d’enrichissement. Le Plan commun d’action adopté en novembre dernier évoque la nécessité de définir à ce sujet « des paramètres correspondant à des besoins concrets, assortis de limites définies d’un commun accord portant sur l’étendue et le niveau d’enrichissement ». Mais l’Occident s’est plutôt concentré sur la question du breakout time, ou temps nécessaire pour acquérir assez d’uranium enrichi pour une première bombe, dans le cas où l’Iran déciderait de renier tous ses engagements. Ce délai a été évalué à environ deux mois dans l’état actuel du programme d’enrichissement iranien. D’où l’idée que pour rallonger significativement ce délai, l’Iran devrait ramener le nombre de ses centrifugeuses des 20.000 actuellement installées à 2, 4 ou 6.000.

Une telle réduction du nombre de ses centrifugeuses est clairement inacceptable pour l’Iran. Emboîtant le pas aux éléments les plus conservateurs du régime, le Guide suprême a récemment exclu tout marchandage sur les acquis de l’Iran en matière nucléaire. Heureusement, d’autres voies s’ouvrent pour apaiser les inquiétudes de l’Occident. D’abord, disposer d’assez d’uranium pour une bombe ne veut pas dire avoir la bombe. Il y a encore plusieurs mois de travail pour y arriver. Ensuite, l’on peut s’interroger sur la nécessité pour la communauté internationale de disposer de plus d’un ou deux mois pour répondre de façon appropriée à un évènement aussi attendu, aussi analysé, que la course de l’Iran vers la bombe. Si elle n’y parvient pas en deux mois, pourquoi réussirait-elle en six ? Troisièmement, ce fameux Breakout Time pourrait être aisément rallongé sans réduire le nombre actuel de centrifugeuses, simplement en obtenant de l’Iran qu’il emploie aussi vite que possible son uranium légèrement enrichi comme combustible de réacteur, ce qui le rendrait inutilisable pour des enrichissements supérieurs conduisant à la bombe. Sur ce point, l’alimentation du réacteur de recherche d’Arak en combustible à base d’uranium légèrement enrichi pourrait résoudre une bonne partie du problème.

Il est toutefois malheureux que les Iraniens aient fait jusque là aussi peu d’efforts pour identifier les « besoins pratiques » mentionnés, à leur initiative, dans l’accord de Genève. Le porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique a annoncé qu’un document détaillé était en cours d’élaboration à ce sujet, et serait soumis pour approbation au Parlement iranien, sans doute sous forme de loi de programmation nucléaire. Mais la durée d’un tel processus risque fort de s’étendre très au-delà du terme fixé à la négociation en cours.

Entre temps, nous savons que les Russes ont l’obligation de fournir pour encore huit ans le combustible à base d’uranium légèrement enrichi nécessaire à la centrale nucléaire de Bouchehr. Ce temps passé, ils résisteront à l’idée d’introduire dans cette centrale du combustible d’origine iranienne, la vente de combustible étant pour eux l’élément le plus profitable de leur contrat avec l’Iran. Ils agiront de même lorsqu’ils discuteront de la construction et de la gestion de nouveaux réacteurs en Iran. En tout état de cause, de tels réacteurs, ou des réacteurs venant d’ailleurs, ne seront pas opérationnels en Iran avant une décennie. Tout ceci pour dire que si un nombre de l’ordre de 20.000 centrifugeuses était finalement jugé acceptable par la communauté internationale, aucun « besoin concret » ne se dessine à l’horizon qui justifierait un relèvement de ce chiffre dans les années à venir.

Autre point difficile, celui de la recherche et du développement dans le domaine nucléaire. L’Ouest souhaiterait voir l’Iran renoncer à toute activité de ce type, notamment dans le domaine de la centrifugation. A nouveau, le Guide suprême et les Conservateurs ont tracé là une ligne rouge. De fait, les ingénieurs iraniens travaillent à la mise au point de modèles de centrifugeuses d’un rendement pouvant atteindre jusqu’à quinze fois celui du modèle primitif actuellement utilisé. Là, une solution simple a été suggérée par Salehi : plutôt que de définir pour l’ensemble des activités d’enrichissement iraniennes un plafond en nombre de centrifugeuses, qui pourrait être contourné par l’utilisation de centrifugeuses plus performantes, les parties à l’accord devraient fixer ce plafond en unités de travail de séparation (UTS), l’équivalent des chevaux-vapeur en matière nucléaire. Ainsi l’introduction des centrifugeuses plus performantes qui pourraient être mises au point réduirait à due proportion le total des centrifugeuses autorisées.

Un troisième sujet difficile concerne les recherches en cours de l’AIEA sur les « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien. Des demandes d’accès répétées à des installations et à des personnes suspectes sur la base des résolutions du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et du Conseil de sécurité ont été repoussées ou esquivées par l’Iran. En fait, dans le fil des évaluations de la communauté américaine du renseignement, il est largement admis par les experts que le programme iranien de mise au point d’une bombe a été arrêté fin 2003 avant d’avoir atteint son but. Dix ans ont passé, ce programme s’enfonce donc peu à peu dans l’histoire. Mais les gens qui s’y sont impliqués ont dû se faire promettre une certaine forme d’immunité en échange de leur acceptation de l’interrompre, d’où la difficulté à faire la pleine lumière sur le sujet. En des occasions du même genre, comme en Égypte, en Corée du Sud ou à Taïwan, l’AIEA a accepté de ne pas divulguer le détail des découvertes de ses inspecteurs, une fois assurée de la cessation et de la neutralisation de ces programmes. Une formule du même genre mériterait d’être explorée dans le cas iranien.

Le quatrième point tourne autour des missiles balistiques iraniens. L’Occident souhaite les inclure dans la négociation comme source de préoccupation identifiée par le Conseil de sécurité, mais cette perspective a été aussitôt rejetée par l’Iran. Il faut ici comprendre que Téhéran a accepté de négocier sur son programme nucléaire comme programme civil, placé sous l’égide du Traité de non prolifération (TNP). Des négociations sur des missiles relèvent d’un tout autre monde, celui de la défense et du désarmement, où les négociations sont par définition collectives, à l’exception des mesures unilatérales imposées à des nations vaincues. S’il y a une solution ici, c’est par l’affirmation de l’intention des parties d’œuvrer à l’ouverture d’une négociation collective sur le niveau et la distribution des missiles balistiques dans la région, avec l’idée d’amener les participants à rejoindre le Code international de conduite contre la prolifération des missiles balistiques, adopté en 2002 à la Haye.

Le dernier point, peu mis encore en lumière, mais pas le moins difficile, concerne la durée de l’accord général sur lequel la négociation est supposée déboucher. Selon les termes du Plan commun d’action ouvrant la voie à cet accord, celui-ci, une fois pleinement mis en œuvre pour la durée de toutes ses dispositions, devra laisser la place au régime de droit commun applicable aux membres du TNP. L’Iran serait alors relevé de tous ses engagements spécifiques, tels que la limitation de ses activités d’enrichissement. Bien entendu, les contrôles de l’AIEA sur l’ensemble du programme iranien, relevant d’un accord à durée illimitée, demeureraient. Mais pour passer ainsi d’un régime d’exception au régime de droit commun, la communauté internationale s’attendra à être pleinement rassurée sur la nature pacifique du programme iranien. Pour en arriver là, la conduite générale du régime iranien et la qualité de ses relations avec le monde extérieur joueront un rôle au moins aussi important que l’état de son programme nucléaire. Mais ce genre de considération ne peut être mis par écrit dans un accord. Les Iraniens insisteront probablement sur une durée maximale de cinq ans. L’Occident, pour sa part, verrait bien ce régime de contraintes spéciales indéfiniment prolongé. Il faut espérer, si des solutions ont été trouvées sur tous les autres points en suspens, qu’une forte pression s’exercera pour dégager un compromis sur ce point ultime, afin de boucler la négociation.