dimanche 21 décembre 2014

Minorités du monde 8. Les Indiens d’Amazonie

 La forêt amazonienne s’étend sur neuf pays et environ six millions de kilomètres carrés, dont cinq millions au Brésil. La partie nord est relativement préservée, la partie sud, en revanche, est de plus en plus exploitée à des fins agricoles et minières, ou encore pour l’extraction de bois, de gaz, de pétrole, et pour la production d’hydro-électricité. Dans cette vaste zone, environ 600 territoires, réunissant de l’ordre du million d’hectares, ont été répertoriés par le gouvernement fédéral brésilien comme territoires indiens. 

C’est là que vivent sur un mode tribal environ 700.000 Amérindiens répartis en quelque 200 communautés. Ils représentent une petite part des descendants des dix à quinze millions d’autochtones présents au Brésil à l’époque de la conquête européenne. L’immense majorité des descendants de ces derniers – pour ceux qui n’ont pas été massacrés ou décimés par les maladies – s’est fondue dans la population d’origine européenne et africaine et en a adopté les modes de vie.

Le souci de protection des Indiens dans leur mode de vie traditionnel est apparu au Brésil au début du XXème siècle. La première institution de cet objet, le Service de protection des Indiens (SPI), a imparfaitement rempli son rôle et a mal résisté à la pression constante d’appropriation de terres amazoniennes, notamment à l’époque de la dictature militaire. Celle-ci (parfois avec l’aide de la Banque mondiale), lance dans les années 1960 de grands projets d’intégration de la région dans l’économie moderne, notamment autour de la construction des 4.000 kilomètres de la route transamazonienne. 

A la suite d’un scandale portant sur ses façons d’agir : massacres, mises en esclavage, abus sexuels, corruption, expropriations…, le SPI est remplacé en 1967 par la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI), toujours en place aujourd’hui. En 1988, la nouvelle constitution du Brésil démocratique définit les droits des peuples autochtones. Le dispositif est très protecteur mais les moyens peinent à suivre. Le processus de cadastrage des terres protégées se fait lentement et donne lieu à de nombreux conflits. Beaucoup de colons et d’entreprises agissent en contravention ouverte avec les lois existantes. 

Faute d’une politique de protection drastique, la forêt amazonienne continue de reculer, au Brésil d’abord, mais aussi, et pour les mêmes raisons, dans les pays voisins. La construction en cours du grand barrage de Belo Monte sur l’un des affluents de l’Amazone est l’un des exemples les plus visibles des modifications apportées à l’écosystème et à l’ethnosystème amazoniens. Les communautés indiennes d’Amazonie sont pénétrées par le monde moderne, et la survivance de tribus isolées, vivant en autosuffisance de pêche, de chasse, de cueillette, d’agriculture sur brûlis, apparaît comme un phénomène de plus en plus marginal.

vendredi 21 novembre 2014

Les résolutions du Conseil de sécurité en travers d’un accord avec l’Iran ?

Une fois de plus, nous nous sommes peut-être piégés nous-mêmes en rédigeant les résolutions du Conseil de sécurité destinées à piéger l’Iran. La situation actuelle rappelle par certains aspects la période, autour de 1997, où la plupart des membres du Conseil de sécurité auraient aimé abroger, ou du moins amender, les sanctions adoptées contre le régime de Saddam Hussein dans la foulée de la guerre de 1991, car leurs effets commençaient à échapper à tout contrôle : corruption généralisée, chute dramatique de l’état sanitaire de la population irakienne. Mais il aurait fallu pour cela l’unanimité des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et cette unanimité était hors de portée. Le Président Chirac déclarait à cette époque : « nous voulons, nous, convaincre, et non pas contraindre. Je n’ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs. »

Nous n’en sommes pas à un point aussi dramatique concernant l’Iran. Mais au moment où il serait sans doute utile, pour conclure un accord global sur le programme nucléaire iranien, de pouvoir lever rapidement les sanctions introduites entre 2006 et 2010 par quatre résolutions du Conseil de sécurité, les négociateurs occidentaux paraissent avoir du mal à envisager un tel geste, et sembleraient plutôt enclins à repousser cette décision vers un lointain futur.

Ces sanctions du Conseil de sécurité, visant les activités militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran, ne sont pas celles qui font le plus mal. Les plus destructives sont plutôt les sanctions unilatérales adoptées par les États-Unis et l’Union européenne, dans la mesure où elles tendent à déstabiliser l’ensemble de l’économie et des échanges extérieurs de l’Iran. Mais les sanctions du Conseil de Sécurité comportent un « effet de pilori » que les Iraniens perçoivent à juste titre comme profondément humiliant. Elles constituent aussi le socle juridique sur lequel les sanctions européennes, notamment, ont été mises en place. Les Iraniens sont donc anxieux de les voir disparaître dès que possible, par la voie d’une décision du Conseil de sécurité refermant le dossier qu’il avait ouvert en 2006 et le renvoyant au forum qu’il n’aurait dû jamais quitter, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Mais les conditions inscrites dans ces résolutions pour leur levée sont en vérité écrasantes. De fait, leurs rédacteurs semblent avoir poursuivi deux buts simultanés. Le premier a été d’accumuler les exigences permettant de bloquer la marche de l’Iran vers la possession d’un engin nucléaire capable d’atteindre sa cible : suspension de toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche, le développement, et la construction de nouvelles installations ; suspension de toutes activités liées à la construction d’un réacteur de recherche modéré à l’eau lourde ; accès immédiat sur demande de l’AIEA à tous les sites, équipements, personnes et documents permettant de vérifier le respect par l’Iran des décisions du Conseil de sécurité et de résoudre toutes questions en suspens concernant les « éventuelles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien ; ratification rapide du Protocole additionnel à l’accord de garanties passé entre l’Iran et l’AIEA ; interruption de toutes activités liées à des missiles balistiques susceptibles d’emporter des armes nucléaires. Au vu des circonstances dans lesquelles ces résolutions étaient adoptées, il y avait peu de chances de voir les Iraniens se plier à de telles injonctions, qualifiées de « mesures destinées à établir la confiance », qui les auraient obligés à abandonner pratiquement toutes leurs ambitions nucléaires et balistiques.

Le second but était d’un tout autre ordre, et d’une certaine façon peu cohérent avec le premier. Il visait à pousser les Iraniens vers la table de négociation, ainsi qu’il apparaît dans la formule retrouvée dans toutes les résolutions en question, exprimant « la conviction » que l’obéissance de l’Iran « favoriserait une solution diplomatique négociée ». Le Conseil de sécurité exprimait également sa disposition, si l’Iran suspendait ses activités d’enrichissement et de retraitement, à suspendre en retour au moins une partie de ses sanctions, de manière à « faciliter des négociations de bonne foi » et « d’atteindre rapidement un résultat mutuellement acceptable ». Comme on le sait, cette négociation a bien fini par se nouer, mais par des voies radicalement différentes, les Occidentaux ayant finalement renoncé à exiger que l’Iran interrompe toutes ses activités nucléaires sensibles avant d’entrer sérieusement en discussion. L’on peut donc considérer que ce second objectif aura été pleinement atteint dès qu’un accord global, espérons-le en phase finale de mise au point, entrera en vigueur, rendant ainsi caduque cette dimension des résolutions du Conseil de sécurité.

Bien entendu, leur première dimension, celle concernant l’imposition de « mesures destinées à établir la confiance », reste en place. La confiance étant par nature un sentiment difficile à cerner, nous entrons là dans un processus à long terme, sinueux, réversible, dont l’issue n’est que faiblement visible. Un tel processus est aussi malaisément compatible avec le fonctionnement en « tout ou rien » du Conseil de sécurité : une fois ses résolutions levées, elles n’ont aucune chance de pouvoir être rétablies. D’où l’hésitation de l’Occident à s’engager de façon irréversible. Et nous savons tous que les sanctions sont généralement plus faciles à adopter qu’à effacer, car elles tendent à créer dans l’intervalle leurs propres logique et dynamique. Elles donnent naissance à de nouveaux équilibres, à de nouveaux intérêts, ne serait-ce que parmi les personnes chargées de les gérer, qui consacrent tant d’énergie à leur mise en œuvre. Que l’on se souvienne de l’exemple fameux de l’embargo général imposé par les Alliés à l’Allemagne durant la Première guerre mondiale, resté en vigueur plusieurs mois après l’Armistice, qui a donc inutilement prolongé les souffrances de la population et attisé son amertume.

Les pays négociant avec l’Iran sont-ils prêts à tirer les leçons de l’Histoire ? La levée des sanctions du Conseil de sécurité apparaît actuellement comme une sorte de nœud gordien. Ce nœud devrait être tranché, sinon immédiatement après la signature d’un accord global avec l’Iran, du moins à l’issue d’une période relativement brève d’observation de la détermination avec laquelle Téhéran commencera à mettre en œuvre sa part d’obligations contenues dans « le Plan global d’action ». Ce vote du Conseil de sécurité pourrait être aussi opportunément lié à la ratification formelle par l’Iran du Protocole additionnel qu’il a signé en 2003, les deux gestes étant également irréversibles.


Ceci ne signifie pas que seraient abandonnées les demandes auxquelles l’Iran pourrait n’avoir pas entre temps pleinement répondu, par exemple sur la clarification des anciennes «dimensions militaires éventuelles » de son programme nucléaire. Mais cela voudrait dire que ces demandes seraient désormais exclusivement traitées au niveau de l’AIEA. Et cela voudrait surtout dire que le Conseil de Sécurité, à la lumière des progrès atteints dans la mise en œuvre de l’accord, ne considérerait plus le cas iranien comme une « menace à la paix » selon les termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, sous l’égide duquel les résolutions en cause ont été adoptées : le seul chapitre autorisant l’emploi de mesures coercitives contre un État membre, en vue de « maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationales ».

publié par le site LobeLog (version anglaise) et par BBC Persian (version persane)

lundi 17 novembre 2014

Les deux strophes retrouvées du poème "le Lac"


L'on se souvient, dans le poème « le Lac »,  de l'un des plus beaux crescendos de la littérature française :

« ...Aimons donc, aimons donc! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive,
il coule et nous passons! »

Mais il y a ensuite deux strophes montant encore plus haut. Lamartine n'a pas osé les publier à l'époque. Elles mériteraient d'être réinsérées dans les recueils de poésie. Les voici :

« Elle se tut, nos coeurs, nos yeux se rencontrèrent;
Des mots entrecoupés se perdaient dans les airs;
Et, dans un long transport, nos âmes s’envolèrent
Dans un autre univers.

Nous ne pûmes parler : nos âmes affaiblies
Succombaient sous le poids de leur félicité;
Nos coeurs battaient ensemble et nos bouches unies
Disaient : Eternité!

Temps jaloux, se fait-il ...etc... »


Là, vraiment tout est dit !

dimanche 9 novembre 2014

Minorités du Monde 7. Les Rohingyas de Birmanie

Les Rohingyas forment une minorité d’environ 800.000 membres au sein des 55 millions d’habitants du Myanmar, ancienne Birmanie. Située à l’extrême ouest du pays, leur principale région de peuplement, la province de Kachin, est au contact du Bangladesh. Comme les Bangladeshis, les Rohingyas sont de langue et de type indo-européens, ainsi que de religion musulmane, ce qui les distingue de la grande majorité des Birmans, bouddhistes, ainsi que de langue et de type sino-tibétains.

La plupart des Rohingyas ont été encouragés à migrer du Bengale, densément peuplé, à l’époque de la colonisation britannique, pour aller occuper des terres agricoles disponibles dans la Birmanie voisine, également sous domination britannique. Leur présence n’a jamais été vraiment acceptée par la majorité de la population et la classe politique birmanes, qui tendent à les considérer comme des immigrants n’appartenant pas à la nation birmane. Tandis que se développaient à l’époque de l’accès à l’indépendance de la Birmanie des mouvements de rébellion armée parmi les Rohingyas, l’armée birmane a commencé à mener des opérations visant à terroriser les populations et à les renvoyer vers le Bangladesh. Cette situation perdure à ce jour. La dernière campagne militaire d’envergure a été lancée en 2012, à la suite d’affrontements violents entre Rohingyas et Bouddhistes, entraînant le déplacement de plus de cent mille personnes. Des opérations de contre-guerilla appuyées sur le quadrillage du territoire et des déplacements de populations se poursuivent à ce jour dans la province de Kachin. Le processus de transition vers la démocratie amorcé en 2010 par le régime militaire birman n’a donc pas entraîné de progrès significatif pour la minorité rohingya.

Soumis à des persécutions constantes relevant du « nettoyage ethnique », beaucoup de Rohingyas cherchent à quitter leur pays, souvent par la mer, sur des embarcations de fortune. Mais leur principale destination, le Bangladesh, répugne lui-même à les accueillir, ce qui a abouti à la constitution de vastes camps de réfugiés. Le dossier est suivi de près par le secrétariat général des Nations Unies, par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que par l’Organisation de coopération islamique. Mais rien ne laisse entrevoir à ce jour de solution, ou même d’apaisement significatif, à cette crise profonde et durable, lourde de désastres humanitaires. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) s’est intéressé au cas des réfugiés Rohingyas au Bangladesh dans un rapport de mission publié en 2011 (pp.141 à 156).


Négociation avec l’Iran : vu dans la boule de cristal

Mercredi dernier 5 novembre, John Kerry est venu voir à Paris Laurent Fabius, manifestement pour répondre à ses questions sur le « document-cadre » récemment présenté par les Américains aux Iraniens «en vue de répondre à leurs besoins énergétiques pacifiques ». Deux jours auparavant, Barack Obama, au cours d’une conférence de presse, avait fait allusion à ce document qui doit beaucoup ressembler à un avant-projet d’accord. Fort probablement, Kerry a aussi demandé à Fabius son aide pour obtenir, au rythme opportun, la suspension ou la levée des sanctions de l’Union européenne à l’égard de l’Iran. Mais le motif principal de son déplacement a été de s’assurer que le ministre français ne renouvellerait pas son esclandre du 9 novembre 2013 à Genève, lorsqu’il avait publiquement qualifié de « marché de dupes » le projet d’accord négocié entre Américains et Iraniens qui venait d’être découvert par les autres membres du groupe P5+1 (membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne). Cette fois-ci, Kerry ne prend aucun risque et tient soigneusement au courant son homologue français des derniers développements de la négociation entre Iran et Amérique.

Vendredi 7 novembre, Catherine Ashton a de son côté réuni à Vienne les directeurs politiques du groupe P5+1 pour un tour d’horizon des récents contacts des uns et des autres avec les Iraniens. A nouveau, il s’est agi de vérifier que chacun disposait du même niveau d’informations et était bien d’accord sur la dernière tournure des évènements.

Hier samedi 8 novembre, John Kerry et Sergei Lavrov ont eu un entretien bilatéral à l’occasion de la réunion à Pékin de la réunion du forum de l’APEC (coopération économique Asie-Pacifique). Kerry a sans aucun doute voulu vérifier une dernière fois que la Russie était prête à accepter pour un temps sur son sol et à incorporer dans des éléments combustibles destinés au réacteur de Bouchehr l’essentiel de l’uranium légèrement enrichi produit par les Iraniens. Cette opération doit permettre de rallonger le fameux « breakout time », ou temps de course à la bombe, nécessaire pour accumuler assez d’uranium enrichi pour la confection d’un premier engin nucléaire. Elle doit en conséquence mieux faire accepter au Congrès américain et au gouvernement israélien la présence sur le sol iranien de quelques milliers de centrifugeuses. Kerry est conscient du fait que la pleine coopération des Russes sur ce point est cruciale pour parvenir à un accord, et, là encore, ne veut prendre aucun risque.

Ainsi couvert sur ses arrières après ses entretiens avec Fabius et Lavrov, Kerry peut rencontrer aujourd’hui dimanche 9 novembre à Oman son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, pour deux jours d’entretiens en compagnie de Catherine Ashton. Ceci devrait permettre d’arrêter tous les paramètres du prochain « Plan global d’action ». L’accord de Lavrov étant acquis sur le transfert et le traitement de l’uranium légèrement enrichi iranien, le nombre de centrifuges dont l’activité serait autorisée dans les années à venir ne devrait plus poser grand problème. Le dernier obstacle concernerait alors le calendrier de suspension et de levée des sanctions. Après sa conversation avec Fabius, et avec l’appui de Catherine Ashton, Kerry devrait être en mesure de mettre en valeur la disposition de l’Union européenne à lever ou à suspendre à délai assez rapproché un ensemble significatif de ses propres sanctions. Quant aux sanctions américaines, il ne lui sera pas difficile de convaincre son interlocuteur que la seule solution réaliste, s’il veut conclure, comme il le dit, sans plus tarder, est d’accepter le principe d’un accord qui n’aurait pas besoin de la ratification du Congrès. Le Président américain agirait alors par décrets et, autant que nécessaire, par exemptions (« waivers ») aux sanctions votées par le Congrès. Les choses iraient ainsi jusqu’à la fin de son mandat, Obama laissant à son successeur la responsabilité de proposer au Congrès de lever ses sanctions contre l’Iran. Kerry pourra plaider que si l’accord a été entre temps fidèlement appliqué à la satisfaction des deux parties, il sera pratiquement impossible à quelque président et quelque Congrès que ce soit de détruire un tel acquis et de prendre le risque d’un saut dans l’inconnu.


Dans la foulée de cette rencontre trilatérale une rencontre est prévue à Oman au niveau des directeurs politiques entre l’Iran et le groupe P5+1. Elle doit permettre de tirer les conclusions de la rencontre ministérielle venant de s’achever et de collationner tous les éléments de l’accord final. Après un délai d’une semaine laissant aux négociateurs le temps de consulter leurs capitales respectives et d’informer autant que de besoin les observateurs intéressés au premier chef : Directeur général de l’AIEA, Secrétaire général de l’ONU, Arabie Saoudite, Israël… les membres du P5+1 et l’Iran prévoient de se retrouver à Vienne le 18 novembre, juste une semaine avant la date-butoir du 24 novembre fixée à la négociation. Ce temps devrait suffire à procéder aux derniers réglages du « Plan global d’action ». Les négociateurs pourront alors inviter leurs sept ministres des affaires étrangères, plus Catherine Ashton, à rallier Vienne pour procéder – enfin ! – à la signature de l’accord.

(version française de l'article paru sur le site Lobelog : http://www.lobelog.com/iran-nuclear-talks-reading-the-tea-leaves/) 

jeudi 2 octobre 2014

Minorités du monde 6. Les Eskimos du cercle arctique

Les Eskimos sont les descendants de populations semi-nomades de chasseurs-pêcheurs rattachées au rameau mongol, venues au fil des millénaires de Sibérie orientale en traversant le détroit de Behring à la recherche de gibier. Ils se répartissent en deux branches linguistiques principales : les Inuits, soit environ 100.000 personnes à peu près également établies entre le nord de l’Alaska, le Grand nord canadien, et le Groenland danois, et les Yupiks, population d’une vingtaine de milliers de personnes installées au sud de l’Alaska et pour quelques-unes encore en Sibérie. L’on peut encore y ajouter les quelque 2.000 autochtones des Îles aléoutiennes.

Les Eskimos subissent aux Temps modernes le sort de la plupart des populations aborigènes au contact des colonisateurs : décimation par les maladies importées, notamment la variole et la tuberculose, ravages de l’alcool, sédentarisation forcée et lente destruction des modes de vie traditionnels sous la pression des commerçants, des administrateurs et des missionnaires. La Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée à Londres en 1670, qui contrôle en particulier le commerce des fourrures dans tout l’ouest canadien et américain, joue un rôle important dans ce processus.

Au cours du XXème siècle, une lente prise de conscience s’opère quant au sort des Eskimos. Le film de Robert Flaherty, « Nanouk l’Esquimau » tourné au début des années 1920 dans le Grand nord canadien, est le premier grand documentaire de l’histoire du cinéma. En I955, l’ethnologue français Jean Malaurie publie « les derniers rois de Thulé » après plusieurs séjours en immersion totale dans des villages inuits du nord du Groenland. Ces deux hymnes à la survie de l’homme en milieu hostile et au respect de la nature contribuent à l’éveil de la sympathie du public envers les Eskimos.

Au Canada, après des décennies de querelles entre le gouvernement fédéral et les provinces, notamment le Québec, sur la gestion des peuples autochtones, marquées par des entreprises brouillonnes de délocalisations et de relocalisations, un territoire fédéral, le Nunavut (« notre terre »), est créé en 1999 comme pays des Inuits. D’une superficie de 2 millions de kilomètres carrés, il couvre l’ouest et le nord de la Baie d’Hudson. Sa capitale, Iqaluit (« les poissons »), située au sud de la Terre de Baffin, compte 7.000 habitants, dont 60% d’Inuits. L’ensemble du territoire regroupe 35.000 habitants.

En Alaska, Inuits et Yupiks sont d’abord traités à l’instar des populations amérindiennes des États-Unis. En 1971, le Congrès américain leur verse en compensation des malheurs infligés une indemnité d’un milliard de dollars et leur remet la propriété d’environ 178.000 kilomètres carrés (soit le dixième de la superficie totale de l’Alaska). Les ressources de ces territoires sont gérées par des sociétés dont les Eskimos sont au départ les seuls actionnaires. Ceci n’a pas éteint leurs revendications, souvent liées à la découverte en 1968 de très importantes réserves de pétrole dans l’extrême-nord de l’Alaska. Si leur sort s’est amélioré, ils se situent toujours dans les catégories les plus défavorisées de la population américaine.


Quant au Groenland et ses Inuits, après une longue période de statut colonial, il est rattaché en 1950 au Danemark comme territoire autonome. Cette autonomie s’est consolidée au fil des années, tandis que s’étendaient les bienfaits de la social-démocratie. Ses 56.000 habitants, dont 88% d’Inuit, pour partie métissés, disposent d’un parlement de 31 membres, d’un gouvernement, d’une capitale de 16.000 habitants, Nuuk (« le cap »), d’un drapeau et d’un hymne national. Conformément à la volonté de ses habitants, désireux de protéger leurs ressources de chasse et de pêche, le Groenland n’appartient pas à l’Union européenne. Le gouvernement central danois n’y exerce plus de responsabilités que pour les affaires étrangères et la défense. Le Groenland pourrait un jour s’orienter vers la pleine indépendance. Les Inuits seraient alors enfin les citoyens d’un pays souverain où ils seraient majoritaires.

samedi 23 août 2014

L’Irak n’est pas mort, il peut sortir plus fort de la crise actuelle

Les spéculations vont bon train en ce moment à propos de l’émergence d’entités nouvelles : kurde, chiite, sunnite, sur les ruines de l’Irak, État somme toute artificiel puisque né d’un découpage de l’empire ottoman au profit de deux puissances coloniales, la France et l’Angleterre.

C’est négliger la force du fait national, qui parvient à prendre racine sur les terrains les plus improbables, dès que les sociétés concernées accèdent à la modernité. Certes, l’époque contemporaine a connu le démantèlement de la Yougoslavie, mais il est le fait de la résilience de plus vieilles nations qu’elle, Croate et Serbe. Rien de tel en Irak, même chez les Kurdes, qui, avec leurs frères turcs, syriens et iraniens, peuvent être qualifiés de proto-nation, mais dont l’unité virtuelle reste traversée d’importantes fractures tribales et linguistiques.

C’est négliger aussi la force du fait démocratique que l’on voit à l’œuvre à Bagdad. Pour la quatrième fois, le peuple irakien s’est exprimé dans des élections législatives, d’abord pour élire une assemblée constituante en janvier 2005, puis pour élire son parlement en décembre 2005, en 2010 et 2014, en privilégiant chaque fois un peu plus les hommes et les programmes au détriment des réflexes communautaires. La constitution a été respectée pour la formation des gouvernements qui se sont succédés, elle l’a été cette fois-ci encore avec, comme prévu, l’élection du président du parlement, puis l’élection du président de la République, enfin la désignation par ce dernier d’une personnalité chargée de former un gouvernement. Le Premier ministre sortant s’est incliné sous l’effet d’une dynamique parlementaire et d’opinion, appuyée par la communauté internationale. Le fait démocratique l’a donc clairement emporté. Il appartient désormais au paysage irakien.

Et le futur Premier ministre sait qu’il ne parviendra à gouverner qu’en recréant de la cohésion et du respect mutuel entre les trois grandes communautés formant le tissu de l’Irak : Arabes chiites, Arabes sunnites, et Kurdes. Les principaux leaders spirituels et politiques de la communauté chiite, majoritaire dans le pays, ont compris que le temps de la revanche sur une longue période d’oppression devait prendre fin. La réintégration des Sunnites dans le jeu électoral dont ils se sont jusqu’à présent tenu éloignés, une répartition équitable des responsabilités et des ressources, notamment pétrolières, entre les trois communautés, associée à une plus grande autonomie régionale et locale, sont la clef du succès.

Certes, l’on voit bien aussi à l’œuvre les dynamiques centrifuges qui pourraient conduire au démantèlement de l’Irak : tentation d’indépendance des Kurdes, et menace de« l’État islamique », implanté dans l’ouest sunnite du pays après avoir conquis une partie de la Syrie.

Pour « l’État islamique », il y a de bonnes chances qu’il ne soit qu’un phénomène éphémère, tant il prend à rebours tout processus d’insertion durable dans son environnement. S’il rappelle quelque précédent, ce serait celui du mouvement millénariste du Mahdi ayant prospéré au Soudan dans les années 1880, avant d’être éliminé en 1898 par les troupes du général Kitchener. Si ce mouvement a tenu presque vingt ans, c’est en raison de l’absence sur place d’un contre-modèle en forme d’État et de l’indifférence des puissances tutélaires de la région. Rien de tel aujourd’hui en Irak. En revanche, pour ce qui concerne l’emprise de« l’État islamique » sur la Syrie, elle sera difficile à éradiquer tant que sera acceptée l’anarchie actuelle.

Pour les Kurdes, l’indépendance pourrait être convaincante si le nouvel État et les frontières qu’il revendique étaient volontiers reconnus par ses voisins. L’on est loin du compte, et cela est vrai aussi des frontières qui devraient être tracées entre Arabes sunnites et chiites. Elles ne pourraient d’ailleurs être consolidées sans de lourdes « épurations ethniques ». Ceci sans même parler de la dévolution de Bagdad, à laquelle Sunnites et Chiites sont également attachés. Et puis, ce qui pourrait être le pays des Sunnites est un pays ingrat, désertique, de faibles ressources, dont le seul atout serait son contrôle en amont des eaux du Tigre et de l’Euphrate. Il a en fait besoin pour survivre de la solidarité des autres, et notamment des Chiites, sur les terres desquels se trouve le principal des ressources pétrolières.


Rien n’est sûr encore quant au redressement du pays, mais l’on assiste déjà à de petits miracles comme la coopération des Peshmergas kurdes et de l’armée gouvernementale tenue par les Chiites pour venir au secours des minorités chrétienne, yazidi, turkmène, persécutées par « l’État islamique », ou encore pour reprendre le contrôle du barrage de Mossoul. Surprise aussi de voir la France, qui refusait naguère obstinément de voir l’Iran participer à la conférence de Genève sur la Syrie, l’inviter nommément, par la voix de Laurent Fabius, à rejoindre une coalition internationale contre les jihadistes de « l’État islamique ». Sans doute sera-t-il invité à la conférence envisagée par François Hollande sur la sécurité de l’Irak. Miracle enfin de voir les États-Unis, l’Iran et l’Arabie saoudite, que tout opposait, se retrouver ensemble pour apporter leur soutien au Premier ministre désigné, Haïdar el Abadi, et au-delà de sa personne, à la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Ces mouvements sont de bon augure. S’ils débouchaient sur des résultats positifs, ils pourraient avoir des effets bien plus larges que sur le seul Irak. C’est la Syrie, c’est le Moyen-Orient qui pourraient en bénéficier.

(paru dans "le Figaro" du 23 août)

vendredi 8 août 2014

Minorités du monde 5. Les Kurdes Yazidis

Les Yazidis, Kurdes irakiens pour l’essentiel, forment une communauté religieuse de quelques centaines de milliers d’adeptes installés pour leur grande majorité dans des régions rurales autour de Mossoul. Mais de petites communautés, la plupart déclinantes, se retrouvent aussi dans les Kurdistans syrien et turc, ainsi qu’en Géorgie et en Arménie. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, une importante diaspora yazidi s’est dirigée vers l’Europe, en priorité vers l’Allemagne, où se retrouvent plusieurs dizaines de milliers de Yazidis, venus de Turquie puis d’Irak.

Le Yazidisme est une religion syncrétiste, combinant à un Islam de type soufi de nombreux éléments pré-islamistes, empruntés au Zoroastrisme et au Manichéisme. Elle se caractérise par ses rites de pureté, ses règles d’endogamie, la croyance en la métempsychose et l’organisation de la société en castes. Pour les Yazidis, un Dieu unique a créé le monde, puis l’a confié à un groupe de sept archanges, parmi lesquels domine Tawous e Malek, le Paon-Archange, qui règle le destin de l’humanité. Celui-ci est souvent assimilé à Satan par les observateurs extérieurs, ce qui explique la désignation des Yazidis comme des adorateurs du diable, et les persécutions qui s’en sont suivies.

Ceci a été vrai du temps de l’Empire ottoman, où la population Yazidi a subi de nombreux massacres, mais aussi dans la période récente, où les Yazidis ont été soumis à des arabisations forcées, à des conversions forcées à l’Islam, ainsi qu’à des déportations massives. En vue de consolider son contrôle de la région disputée de Mossoul, l’administration centrale irakienne a tenté de les intégrer aux Arabes, tandis que les responsables du Kurdistan s’efforçaient au contraire de les rattacher à la mouvance kurde. Mais d’un côté comme de l’autre, peu a été fait pour élever le niveau de vie et d’éducation de ces populations rurales, fortement défavorisées, d’où la tentation de l’exil. L’on se souvient de l’échouage volontaire sur les côtes du Var, en février 2001, d’un cargo portant plus de 900 Kurdes irakiens. Ils étaient pour la plupart Yazidis.


Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les Yazidis ont été aussi frappés par des attentats venant de groupes sunnites extrémistes. Ainsi, en 2007, quatre camions chargés d’explosifs ont simultanément été mis à feu dans deux villages yazidis en pleine période de festivités, faisant 400 morts. La création récente d’un « califat » islamique englobant notamment la région de Mossoul a entraîné pour eux, comme pour les Chrétiens et les Chiites, de nouveaux malheurs. C’est par milliers qu’ils ont abandonné leurs maisons, pour tenter de se réfugier en zone contrôlée par les Kurdes.

mardi 5 août 2014

Dans la négociation avec les Iraniens, soigner les Russes

Le dimensionnement à moyen terme du programme nucléaire iranien d’enrichissement est devenu le point crucial pour parvenir, ou non, à un accord entre le groupe des P5+1 (cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran d’ici au 24 novembre prochain, nouvelle date-butoir fixée à la négociation. Mais la dimension de ce programme dépend pour beaucoup de l’arrangement que Téhéran pourra trouver avec les Russes sur les modalités d’approvisionnement à long terme en combustible nucléaire des réacteurs construits avec leur aide : un premier réacteur nucléaire de 1000 mégawatts en activité sur le site de Bouchehr depuis 2012, deux autres réacteurs qui devraient suivre au même endroit, si les négociations en cours entre l’Iran et la Russie débouchent sur un succès.

Quel uranium pour Bouchehr ?

L’idée de construire plusieurs réacteurs sur le site de Bouchehr est conforme à la pratique constante de l’industrie nucléaire, en raison des fortes économies d’échelle générées. Et l’Iran justifie ses ambitions controversées en matière d’enrichissement par son intention d’alimenter lui-même à terme les réacteurs construits avec les Russes. Il a déjà accumulé aujourd’hui neuf tonnes d’uranium légèrement enrichi, soit le tiers de la quantité nécessaire à un an de fonctionnement d’un réacteur du modèle de Bouchehr. Il a mis pour cela en œuvre à peu près 40.000 unités de travail de séparation (UTS, SWU en anglais, unité de mesure lointainement comparable aux chevaux-vapeur dans le domaine de l’enrichissement d’uranium). S’il maintient sa capacité actuelle de 10.000 UTS par an, correspondant aux quelque 10.000 centrifugeuses de première génération actuellement en activité, il lui faudra encore à peu près huit ans pour disposer d’un stock d’uranium légèrement enrichi assurant l’approvisionnement d’un réacteur du modèle de Bouchehr pour un an. Ceci conduit à une date proche de 2022, lorsqu’expirera le contrat en cours de fourniture de combustible par la Russie pour le premier réacteur de Bouchehr. C’est aussi autour de 2022, au mieux, que deux nouveaux réacteurs construits sur le même site devraient recevoir une première charge de combustible pour pouvoir commencer à fonctionner.

Mais l’utilisation effective pour Bouchehr du stock d’uranium légèrement enrichi détenu par l’Iran implique qu’il soit d’abord incorporé dans des éléments combustibles conformes aux normes russes. Ce qui nécessite l’accord de ces derniers, et même leur coopération active, tant que les Iraniens n’auront pas acquis le savoir-faire nécessaire. Cette coopération pourrait prendre dans un premier temps la forme de fabrication du combustible en Russie à partir d’uranium légèrement enrichi fourni par l’Iran, et dans un deuxième temps celle d’une aide russe à la construction et au fonctionnement d’une unité de fabrication de combustible en Iran même. Quant à l’introduction d’éléments combustibles élaborés en Iran dans un des réacteurs de Bouchehr, ceci nécessitera à nouveau l’accord formel et la coopération des Russes, qui retireraient autrement, à bon droit, leur garantie de sûreté à son fonctionnement.

Quelle sera l’origine du combustible avec lequel fonctionneront les trois réacteurs qui pourraient être en activité à Bouchehr, disons en 2022? Les Russes aimeraient qu’ils fonctionnent avec du combustible russe, car cela augmenterait et prolongerait beaucoup pour eux les bénéfices de l’opération. Téhéran aimerait alimenter avec du combustible iranien au moins le premier réacteur, pour justifier le développement de son programme d’enrichissement d’uranium (rappelons que les Iraniens, selon les termes de la négociation en cours avec le groupe P5+1, doivent démontrer que les capacités d’enrichissement dont ils souhaitent se doter correspondent bien à des « besoins pratiques »). Les Russes devront répondre au moins partiellement à l’attente des Iraniens s’ils veulent pouvoir leur vendre deux nouveaux réacteurs.

Les Russes poussés au compromis

En un tel cadre, le compromis pourrait être, par exemple, de confier aux Iraniens la fabrication du combustible pour le premier réacteur de Bouchehr, les Russes se chargeant de l’alimentation des deux autres réacteurs. Une autre formule serait de laisser les Iraniens produire un tiers ou un quart du combustible nécessaire aux trois réacteurs (une fois les réacteurs 2 et 3 dotés de leur première charge), les Russes se chargeant du reste. Ceci conduirait les Iraniens à devoir détenir autour de 2022 une capacité d’enrichissement de l’ordre de 90.000 à 120.000 UTS par an. Si l’on y ajoute les besoins de l’Iran en uranium enrichi pour ses réacteurs de recherche, l’on pourrait arriver à un chiffre de l’ordre de 100.000 à 130.000 UTS par an. Ce chiffre se situe nettement en dessous de la capacité de 190.000 UTS par an évoquée comme un but à moyen terme par Ali Akbar Salehi, vice-président en charge de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, et à sa suite par le Guide de la Révolution, mais il est possible que cet écart soit dû à des méthodes différentes de calcul. En tout état de cause, quand on sait qu’il faut à peu près 5.000 UTS pour obtenir l’uranium hautement enrichi nécessaire pour une bombe nucléaire à implosion, les variations de capacités dans toute zone supérieure à 100.000 UTS par an perdent de leur importance en termes de non-prolifération.

Prendre au sérieux le dilemme russe

La Russie pourrait certes choisir de ne pas répondre aux attentes de Téhéran en refusant de le laisser fabriquer même une partie du combustible de Bouchehr. Cela ferait l’ affaire des Américains et des Européens qui seraient heureux de priver l’Iran de tout argument pour se doter d’une capacité d’enrichissement significative. Mais Moscou prendrait alors le risque de ne jamais conclure le contrat de construction et d’approvisionnement de deux réacteurs supplémentaires pour Bouchehr, ce qui serait une grosse perte pour son industrie nucléaire.

Il suffirait en revanche que la Russie annonce être d’accord pour associer l’Iran à la fabrication du combustible nécessaire à Bouchehr pour valider les besoins en capacité d’enrichissement déclarés par Téhéran : 10.000 UTS par an pour six ou sept ans, puis montée en puissance à 100.000 UTS par an et au-delà. Il deviendrait alors très difficile pour les Occidentaux de convaincre l’Iran de se limiter pour très longtemps à l’exploitation de quelques milliers de centrifugeuses de première génération, correspondant à 4.000 ou 6.000 UTS, comme ils l’ont tenté avec tant d’insistance jusqu’à présent.

Décidément, force est d’admettre que les intérêts russes et occidentaux divergent sur cette question cruciale de la capacité iranienne d’enrichissement. Si les Américains et les Européens veulent préserver l’unité du groupe P5+1, il leur faudra donc être particulièrement attentifs au dilemme rencontré par les Russes dans leurs discussions commerciales bilatérales avec les Iraniens. Et ils devront, bien entendu, veiller à éviter toute interférence entre ce sujet et des sources de contentieux telles que l’Ukraine ou la Syrie.

(article paru en version française sur le site Boulevard extérieur http://www.boulevard-exterieur.com/Dans-la-negociation-avec-l-Iran-soigner-Moscou.html et en version anglaise sur le site Lobelog http://www.lobelog.com/when-negotiating-with-iran-mind-the-russians/)

dimanche 20 juillet 2014

Minorités du monde 4. Les Gagaouzes de Moldavie


Lorsque la Moldavie, territoire soviétique situé entre Roumanie et Ukraine, à majorité roumanophone, proclame son indépendance au début des années 1990, les Slavophones de Transnistrie, province de l’est au contact de l’Ukraine, font sécession et créent, avec le soutien de la Russie, un État séparé, non reconnu par la communauté internationale, mais toujours en place aujourd’hui. A la même période, au sud de la Moldavie, une autre communauté, celle des Gagaouzes, s’inquiète lorsqu’elle voit son pays adopter comme seule langue officielle le roumain, et proclame alors sur environ 10% du territoire de la Moldavie une « République socialiste soviétique de Gagaouzie ». Cette communauté est composée de Turcs chrétiens de confession orthodoxe, qui, contrairement à la majorité des Moldaves, craignent alors par-dessus tout un rattachement du pays à la Roumanie voisine qui les ferait disparaître dans un vaste ensemble roumanophone. Les fortes tensions qui s’installent entre les autorités centrales moldaves et les Gagaouzes ne s’apaisent que lorsque la Moldavie rejette en mars 1994 par référendum le projet d’une union avec la Roumanie. A la fin de l’année un statut spécial est accordé à la région gagaouze. Elle dispose de ses propres pouvoirs législatif et exécutif, d’une capitale, Comrat (30.000 hab.), d’un drapeau et d’une totale autonomie en matière de culture, d’éducation, de questions sociales et de finances locales. Sur les quelque 3,4 millions de Moldaves, la région en question regroupe au total 170.000 habitants, dont 80% de Gagaouzes.

Force est de reconnaître que l’inquiétude des Gagaouzes quant à une absorption de la Moldavie par la Roumanie ne s’est pas apaisée au fil des dix années écoulées. En février 2014, lors d’un référendum organisé par le gouvernement local mais non reconnu par le gouvernement central moldave, la quasi-unanimité des voix exprimés (avec 70% de participation) s’est prononcée en faveur de l’union douanière avec la Russie, contre l’intégration à l’Union européenne, et en faveur de l’indépendance de la Gagaouzie au cas où la Moldavie abandonnerait sa souveraineté. 

Mais d’où viennent ces fameux Gagaouzes ? Ce sont, sans guère de doute, les descendants de tribus turques qui, poussées par d’autres envahisseurs, se sont installées au Moyen-âge au sud du delta du Danube, et se sont alors converties au christianisme. Puis, encouragées par les Russes qui souhaitaient peupler le territoire récemment conquis et encore par endroits désert de la Bessarabie, elles ont migré vers le nord au début du XIXème siècle pour occuper leur habitat actuel. La région est pauvre, dotée de peu de réserves d’eau, et vit encore aujourd’hui pour l’essentiel d’agriculture, notamment de viticulture. Adossée au statut favorable qui lui a été accordée, la communauté gagaouze s’efforce à présent de conforter son identité par la mise en valeur de sa langue turque et de son histoire, et d’acquérir aussi un peu de prospérité. Mais les moyens lui manquent cruellement. Nous pouvons l’aider, et contribuer aussi à la rapprocher de l’Union européenne, en plaçant de temps en temps sur nos tables des vins gagaouzes.