Je reprends le fil de la réflexion sur l'avenir du Parti Socialiste en attaquant la première des questions qui nous barre en quelque sorte la route : devons-nous rejoindre la social-démocratie, c'est-à-dire dans l'esprit de ceux qui le recommandent, renoncer à tout projet global de transformation sociale?
Il va de soi qu'un social-démocrate n'a rien en soi d'un "social-traître". J'ose enfin avouer que je me sentais social-démocrate à l'époque du congrès d'Epinay. Mais alors, mieux valait raser les murs...
La social-démocratie allemande, d'ailleurs, donnait à son origine des leçons de Révolution aux socialistes français. Le terme n'a pris son sens actuel qu'en 1959, avec le Congrès de Bad Godesberg, lorsque la social-démocratie a abandonné toute référence au marxisme et à sa propre histoire. Mais à l'époque, le marxisme c'était le bloc soviétique, l'Allemagne divisée, l'écrasement de la révolution hongroise, le spectre de la guerre nucléaire. Et les Allemands n'osaient pas regarder leur histoire.
Aujourd'hui, ceux qui de l'extérieur de notre Parti nous poussent, bien sûr pour notre bien, à nous muer en sociaux-démocrates veulent avant tout nous arracher nos griffes. Ils dormiraient évidemment bien mieux si, reniant notre passé, nous pouvions proclamer que notre seule ambition est d'améliorer le monde existant, en prenant soin de ne pas trop déranger.
Mais notre histoire n'est pas celle du socialisme allemand, qui est une histoire malheureuse. La Révolution de 1848 qui rêvait d'unité et de progrès a échoué, et l'unité allemande s'est faite par "le fer et le sang", sous la conduite de hobereaux. Ce sont eux qui ont octroyé les premiers essais de suffrage universel. C'est Bismarck qui a instauré les grandes lois de sécurité sociale. La République de Weimar, si tourmentée, est née d'une défaite, et dans la lutte fratricide des sociaux-démocrates et des spartakistes. La paisible République de Bonn est elle aussi née d'une défaite, encore pire que la première. Elle a été portée sur les fonds baptismaux par l'Amérique. L'héroïque contribution de tant de sociaux-démocrates à la lutte contre le nazisme n'a servi à rien. Et les résistants communistes se sont retrouvés de l'autre côté du Rideau de fer.
Notre Histoire est toute autre. Bien sûr, elle est aussi parsemée de défaites, mais nos avancées politiques et sociales, depuis la prise de la Bastille, viennent de l'intérieur, d'élans populaires et révolutionnaires. Les grandes lois de liberté politique et de progrès social des premières décennies de la IIIème République sont certes produites par des majorités bourgeoises. Elles doivent néanmoins beaucoup à la volonté de dépasser le traumatisme de la Commune. Même cet échec n'a donc pas été inutile.
Le Front populaire est à la fois une victoire électorale classique, classiquement gérée, et un mouvement profond de grèves. Comme l'Allemagne, nous devons notre Libération à l'Amérique, mais la Résistance y a joué son rôle et la République, grâce à de Gaulle, se réinstalle sans avoir besoin d'administration étrangère. Mai 1968, ce n'est pas seulement des étudiants qui jouent à la Révolution, c'est dix millions de salariés en grève. Et la victoire de 1981 reste, en sus du résultat des urnes, un grand moment de ferveur populaire.
Jaurès expliquait que le socialisme était la réalisation dans leurs ultimes conséquences des idéaux de la République, tels qu'exprimés pour la première fois par la Révolution française. En ce sens, la devise Liberté, Egalité, Fraternité demeure notre horizon indépassable. Si l'on veut bien la prendre au sérieux, elle est toujours aussi chargée qu'à sa naissance de tension révolutionnaire.
Mais comme le disait Jaurès, "c'est en allant à la mer que le fleuve est fidèle à sa source". Et donc, il nous faut changer, il nous faut avancer, encore et toujours. Alors qu'on nous baptise, si on le veut, sociaux-démocrates. Mais qu'on ne nous coupe pas de notre passé.
...Et puisqu'on est avec Jaurès, voilà pour finir une gâterie en forme de citation : "...Par quelle porte sortirons-nous? Par la porte du passé ou par la porte de l'avenir? Du côté du couchant ou du côté du levant? Je sors du côté de l'avenir encore incertain, du côté du levant encore mal éclairé , je veux saluer, dès qu'elles commenceront à poindre au bas du ciel, plus belles toutes deux que l'étoile du matin, la Fraternité et la Justice".
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dimanche 23 septembre 2007
lundi 17 septembre 2007
Jusqu'où réformer le Parti socialiste? (1/4)
Je n'osais trop me lancer dans une réflexion que je craignais ringarde, mais à l'occasion de l'examen de conscience que suscite notre défaite, je vois ressurgir, en des termes à peine nouveaux, ce vieux débat qui agite le socialisme depuis sa naissance : réforme ou révolution? insertion dans l'existant pour mieux le transformer, ou au contraire concentration de toutes les forces pour le renverser? rassemblement du plus grand nombre ou au contraire mobilisation de minorités agissantes?
L'Histoire progressant d'une certaine façon en spirale, nous nous trouvons aujourd'hui à peu près dans le même type de situation que celle qui a précédé l'émergence de la SFIO au début du XXème siècle, ou qu'à l'époque de l'agonie de la même SFIO et de l'émergence du Parti Socialiste d'Epinay.
Le meilleur signal de la décadence d'un mouvement politique est l'écart croissant entre son langage et sa pratique. Avec la SFIO de la guerre d'Algérie, où les Congrès se gagnaient encore en se drapant dans les principes du marxisme, le fossé était devenu un abîme.
Mais le même fossé, avouons-le, s'est rapidement creusé entre les programmes de gouvernement du Parti Socialiste d'avant 1981, qui prévoyaient sans état d'âme la rupture avec le capitalisme, et la réalité éminemment pragmatique de l'exercice du pouvoir par François Mitterrand.
Sous Jospin, ligotés par la cohabitation, tétanisés par la focalisation sur la conquête de la Présidence, nous n'avons plus osé avoir de doctrine. Il y avait la pratique, puis un ravin, puis plus rien. Tout devait se juger au bilan. Mal nous en a pris.
Et depuis, il n'y a même plus de fossé entre deux rives. Il n'y a plus de théorie, et nous voilà privés de pratique. Nous sommes sur des sables mouvants. La médiocrité conceptuelle du projet de notre Parti pour la dernière élection présidentielle en a été le signe. Sa rédaction avait pourtant été confiée à de beaux esprits. Mais l'on ne pouvait qu'être inquiet d'entendre au Congrès du Mans l'un des meilleurs d'entre eux, pourtant connu pour sa familiarité avec les milieux d'affaires et sa gestion fort classique du ministère de l'économie et des finances, se lancer dans des envolées qui semblaient annoncer le Grand Soir :
"Nous avons le devoir de changer la vie de ceux qui souffrent le plus... Nous mobiliserons les moyens de l’État, et lorsqu’il le faudra, nous imposerons des nationalisations temporaires... Nous voulons transformer en profondeur la société. Nous voulons l’extension du domaine du possible. Nous ne promettons pas le changement en cent jours, nous promettons le changement dès le premier jour et le changement jusqu’au dernier jour" etc. etc.
Là, nous revenions aux derniers jours de la SFIO!
Il est temps de reprendre notre marche. Mais avant de démarrer, trois questions nous barrent la route :
1. pour la doctrine, devons-nous rejoindre la social-démocratie, c'est-à-dire dans l'esprit de ceux qui le recommandent, renoncer à tout projet global de transformation sociale?
2. notre pratique peut-elle, doit-elle se résumer à la mise en oeuvre de réformes?
3. Enfin, sur la tactique, jusqu'où peut-on aller dans la volonté de rassemblement sans diluer notre propre identité?
Mieux vaut s'arrêter là pour ne pas vous fatiguer. Ces trois points feront donc l'objet de trois prochains articles.
L'Histoire progressant d'une certaine façon en spirale, nous nous trouvons aujourd'hui à peu près dans le même type de situation que celle qui a précédé l'émergence de la SFIO au début du XXème siècle, ou qu'à l'époque de l'agonie de la même SFIO et de l'émergence du Parti Socialiste d'Epinay.
Le meilleur signal de la décadence d'un mouvement politique est l'écart croissant entre son langage et sa pratique. Avec la SFIO de la guerre d'Algérie, où les Congrès se gagnaient encore en se drapant dans les principes du marxisme, le fossé était devenu un abîme.
Mais le même fossé, avouons-le, s'est rapidement creusé entre les programmes de gouvernement du Parti Socialiste d'avant 1981, qui prévoyaient sans état d'âme la rupture avec le capitalisme, et la réalité éminemment pragmatique de l'exercice du pouvoir par François Mitterrand.
Sous Jospin, ligotés par la cohabitation, tétanisés par la focalisation sur la conquête de la Présidence, nous n'avons plus osé avoir de doctrine. Il y avait la pratique, puis un ravin, puis plus rien. Tout devait se juger au bilan. Mal nous en a pris.
Et depuis, il n'y a même plus de fossé entre deux rives. Il n'y a plus de théorie, et nous voilà privés de pratique. Nous sommes sur des sables mouvants. La médiocrité conceptuelle du projet de notre Parti pour la dernière élection présidentielle en a été le signe. Sa rédaction avait pourtant été confiée à de beaux esprits. Mais l'on ne pouvait qu'être inquiet d'entendre au Congrès du Mans l'un des meilleurs d'entre eux, pourtant connu pour sa familiarité avec les milieux d'affaires et sa gestion fort classique du ministère de l'économie et des finances, se lancer dans des envolées qui semblaient annoncer le Grand Soir :
"Nous avons le devoir de changer la vie de ceux qui souffrent le plus... Nous mobiliserons les moyens de l’État, et lorsqu’il le faudra, nous imposerons des nationalisations temporaires... Nous voulons transformer en profondeur la société. Nous voulons l’extension du domaine du possible. Nous ne promettons pas le changement en cent jours, nous promettons le changement dès le premier jour et le changement jusqu’au dernier jour" etc. etc.
Là, nous revenions aux derniers jours de la SFIO!
Il est temps de reprendre notre marche. Mais avant de démarrer, trois questions nous barrent la route :
1. pour la doctrine, devons-nous rejoindre la social-démocratie, c'est-à-dire dans l'esprit de ceux qui le recommandent, renoncer à tout projet global de transformation sociale?
2. notre pratique peut-elle, doit-elle se résumer à la mise en oeuvre de réformes?
3. Enfin, sur la tactique, jusqu'où peut-on aller dans la volonté de rassemblement sans diluer notre propre identité?
Mieux vaut s'arrêter là pour ne pas vous fatiguer. Ces trois points feront donc l'objet de trois prochains articles.
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