Serge Michel est le journaliste suisse à qui nous devons l'inoubliable "Bondy Blog"(Seuil, 2006). Après l'embrasement des banlieues provoqué en 2005 par le ministre de l'intérieur que nous savons, il s'était fait envoyer par son magazine "l'Hebdo" de Lausanne à Bondy (93), y avait loué un appartement, y avait séjourné plusieurs semaines, puis organisé une noria d'autres journalistes du même magazine pour décrire au jour le jour, comme des correspondants en terre lontaine, le monde étrange (mais aussi familier) qui l'entourait : monde inconnu des Français, à commencer par la presse française. Serge Michel racontait alors comment ses amis journalistes parisiens lui avouaient n'avoir jamais pensé à franchir le Périphérique pour aller explorer les terres inconnues qui se trouvaient au-delà.
Le voilà maintenant installé à Dakar. Il n'a rien perdu de sa curiosité et vient de publier avec Michel Beuret, chez Grasset, un livre sur Pékin à la conquête du continent noir : "la Chinafrique". A lire absolument par ceux qui s'intéressent à cette autre banlieue, proche puis grande banlieue, qu'est l'Outre-Méditerranée. Les deux auteurs, s'aidant du photographe Paolo Woods, ont circulé dans une douzaine de pays de la région, allant de l'Algérie à l'Angola. Ils en ramènent un étonnant tableau de la pénétration chinoise, de son ampleur, de ses multiples formes, de ses méthodes qui la font souvent réussir là où tant d'autres se sont découragés (pas toujours quand même, à lire l'abandon, du jour au lendemain, de la reconstruction d'une ligne de chemin de fer en Angola).
Et nos auteurs sont aussi allés en Chine. Ils se sont rendus à Yiwu, ville parfaitement inconnue de la province du Zhejiang, où se trouve le plus grand marché de pacotille en gros du monde, qui inonde de jouets, de plastiques, de copies en tous genre la terre entière : 34.000 boutiques, 320.000 produits référencés, 3.400 tonnes de fret quotidien. Ils sont allés à Chongqing, en Chine centrale, la plus grande ville de la planète, avec 31 millions d'habitants, par où transitent beaucoup de ces paysans et ouvriers qui vont tenter leur chance dans ce nouveau Far West qu'est pour eux l'Afrique.
Ils ont aussi assisté au sommet Chine-Afrique de Pékin, en 2006, réunissant autour du Président Hu Jintao une litanie de 48 dirigeants africains venus rendre hommage à l'Empereur, un empereur qui les arrose de bienfaits, et en a annoncé de plus grands encore.
Est-ce à dire que l'Afrique va devenir chinoise, mieux et plus profondément qu'elle n'a été anglaise ou française? Un échec n'est pas exclu, estiment nos auteurs. Mais il s'agit encore de politique fiction. Serge Michel et Michel Beuret concluent ainsi : "Pour nous qui avons parcouru l'Afrique chinoise en tous sens, le seul véritable échec de la Chine, s'il faut en voir un, c'est peut-être qu'elle se banalise en Afrique après avoir incarné le partenaire providentiel et fraternel, capable de tous les miracles. A certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s'enlisent, ses scandales de corruption et quoi qu'elle en dise, son mépris, parfois, pour la population locale."
"Pour le reste, la Chine a pris les besoins africains à bras-le-corps et posé enfin les bases d'un développement avec des dizaines de projets d'infrastructures sans lesquels rien ne se fera jamais, en particulier les voies de communication et la production d'électricité. Petit à petit, le message passe que l'Afrique n'est pas condamnée à la stagnation. La Chine n'est pas désintéressée, bien sûr, et personne ne prête plus attention à son discours sur l'amitié, mais les efforts qu'elle déploie pour atteindre ses objectifs offrent à l'Afrique un avenir inconcevable il y a seulement dix ans..."
"...Du coup, la balle est dans le camp des dirigeants africains. Ils ont désormais les moyens de leurs ambitions : jamais un bailleur de fonds n'avait avancé des sommes pareilles, sans condition, sans tutelle. Seront-ils à la hauteur, pour utiliser ces fonds plutôt que pour doubler la taille de leur parc immobilier en France? A Pékin, lorsque le président chinois Hu Jintao a prononcé les montants exorbitants qu'il s'apprêtait à mettre à disposition de l'Afrique, quelqu'un à côté de nous a murmuré : "à présent, il va falloir que nos chefs se montrent sages, très sages."
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dimanche 3 août 2008
mercredi 16 juillet 2008
Volontaires internationaux : vers une relance du dispositif?
Une bonne nouvelle, au moins au niveau des intentions, nous arrive du secrétaire d'Etat à la coopération : Alain Jouyandet vient d'annoncer le projet de tripler le nombre de volontaires internationaux sur le continent africain en réorganisant profondément le dispositif actuel. Il indique aussi sa volonté de mieux mobiliser qu'aujourd'hui les retraités récents prêts à apporter leur expérience à l'étranger. A l'horizon 2012, 15.000 coopérants devraient ainsi être à l'oeuvre sur le terrain en Afrique.
Il était temps, huit ans après la loi de 2000 qui a créé les volontaires internationaux pour remplacer les volontaires du service national, disparus avec le service obligatoire.
En effet, malgré une première réforme par la loi en 2005, le dispositif est aujourd'hui nettement sous-utilisé. Ceux qui en ont tiré le meilleur parti ont été les entreprises : 5.500 volontaires à leur service en 2007. Du côté des administrations, 1.000 volontaires servent actuellement à l'étranger pour le ministère des affaires étrangères et 200 environ auprès du ministère des finances, pour l'essentiel dans les missions économiques.
Viennent enfin les volontaires de solidarité internationale, envoyés sur le terrain par des organisations non-gouvernementales. La première de ces ONG est l'Association française des volontaires du progrès, d'ailleurs subventionnée à 50% par le ministère des affaires étrangères. L'on compte environ 2.000 volontaires de solidarité internationale à travers le monde.
Mais enfin, par rapport à tous les autres, ces volontaires de terrain sont en minorité, ce qui est vraiment dommage. Les entreprises utilisent fort naturellement leurs volontaires en fonction de leurs objectifs économiques, et l'administration trop souvent dans des emplois de confort (cuisiniers, maîtres d'hôtel dans les ambassades), ou de bouche-trous dans différents services, notamment culturels : beaucoup d'informaticiens gèrent ainsi les parcs d'ordinateurs du réseau diplomatique, ou s'occupent des sites internet des ambassades et consulats. L'administration dispose de cette façon d'une main-d'oeuvre d'appoint à bon marché. Mais on est vraiment très loin des objectifs initiaux de formation et d'ouverture au monde par le service apporté aux autres : ce devrait être cela, le "co-développement"!
Reste maintenant à traduire les intentions en actes. Nous regarderons de près la montée en puissance du dispositif. Mais saluons dès à présent la chance qui s'ouvre de voir renaître, sous une forme rénovée, cette coopération "à la française", appuyée sur un réseau dense d'assistants techniques proches des populations, que l'indifférence et les restrictions budgétaires avaient presque entièrement laminée au fil des ans.
P.S. Sans attendre, un chiffre intéressant : les volontaires de solidarité internationale, coopérants de terrain, donc, comptent aujourd'hui plus de femmes (55%) que d'hommes (45%). Bravo les filles!
Il était temps, huit ans après la loi de 2000 qui a créé les volontaires internationaux pour remplacer les volontaires du service national, disparus avec le service obligatoire.
En effet, malgré une première réforme par la loi en 2005, le dispositif est aujourd'hui nettement sous-utilisé. Ceux qui en ont tiré le meilleur parti ont été les entreprises : 5.500 volontaires à leur service en 2007. Du côté des administrations, 1.000 volontaires servent actuellement à l'étranger pour le ministère des affaires étrangères et 200 environ auprès du ministère des finances, pour l'essentiel dans les missions économiques.
Viennent enfin les volontaires de solidarité internationale, envoyés sur le terrain par des organisations non-gouvernementales. La première de ces ONG est l'Association française des volontaires du progrès, d'ailleurs subventionnée à 50% par le ministère des affaires étrangères. L'on compte environ 2.000 volontaires de solidarité internationale à travers le monde.
Mais enfin, par rapport à tous les autres, ces volontaires de terrain sont en minorité, ce qui est vraiment dommage. Les entreprises utilisent fort naturellement leurs volontaires en fonction de leurs objectifs économiques, et l'administration trop souvent dans des emplois de confort (cuisiniers, maîtres d'hôtel dans les ambassades), ou de bouche-trous dans différents services, notamment culturels : beaucoup d'informaticiens gèrent ainsi les parcs d'ordinateurs du réseau diplomatique, ou s'occupent des sites internet des ambassades et consulats. L'administration dispose de cette façon d'une main-d'oeuvre d'appoint à bon marché. Mais on est vraiment très loin des objectifs initiaux de formation et d'ouverture au monde par le service apporté aux autres : ce devrait être cela, le "co-développement"!
Reste maintenant à traduire les intentions en actes. Nous regarderons de près la montée en puissance du dispositif. Mais saluons dès à présent la chance qui s'ouvre de voir renaître, sous une forme rénovée, cette coopération "à la française", appuyée sur un réseau dense d'assistants techniques proches des populations, que l'indifférence et les restrictions budgétaires avaient presque entièrement laminée au fil des ans.
P.S. Sans attendre, un chiffre intéressant : les volontaires de solidarité internationale, coopérants de terrain, donc, comptent aujourd'hui plus de femmes (55%) que d'hommes (45%). Bravo les filles!
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jeudi 5 juin 2008
DGCID : le silence des agneaux?
Pour ceux qui s'intéressent à l'avenir du ministère des affaires étrangères, et en particulier de sa Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), qui gère l'action culturelle de la France au sens le plus large, voici un petit billet d'humeur que je lance comme une bouteille à la mer.
Entre les exercices de "révision générale des politiques publiques" et de rédaction d'un Livre blanc sur l'avenir du ministère des affaires étrangères lancés par le gouvernement, entre cabinets et réunions d’arbitrages, se poursuit la vente à la découpe de la DGCID. Certes, après presque dix ans d’existence, il était temps de tout remettre à plat. Tout change et le modèle d’une Régie, empêtrée dans toutes les contraintes d’une administration centrale, n’était plus tenable pour gérer de façon réactive, et dans un monde hautement compétitif, l’action culturelle et la coopération internationale de la France.
Mais pourquoi faut-il que la réflexion des décideurs s’oriente vers les plus mauvaises solutions possibles : une dispersion des fonctions d’opérateur de la DGCID en deux ou trois agences, peut-être plus, et une gestion des personnels culturels confiée à une Direction générale de l’administration qui les a toujours considérés comme une population de second rayon, comparée aux agents du « cœur de métier » diplomatique ?
Tout ceci, semble-t-il, par crainte de créer une Agence trop puissante pour être aisément contrôlée. En organisant la dispersion, l’on faciliterait l’exercice de la tutelle. En gardant la gestion directe des personnels culturels, on s’assurerait de leur soumission hiérarchique.
Mais comment ne pas voir qu’en agissant ainsi, l’on est en train d’installer sur deux parallèles d'une part des agences parisiennes, dotées certes de moyens d’action mais sans réseau, d'autre part un réseau mondial de services et centres culturels et de coopération, mais sans moyens ?
Comment ne pas voir que ces agences succédant à la DGCID seront, prises une à une, en dessous du pouvoir séparateur de l’œil dans un environnement où il s’agit de tenter d'exister aux côtés de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement ? Comment ne pas voir que sera ainsi brisé le continuum de toutes les activités de coopération – culturelle, scientifique, technologique, de bonne gouvernance... – qui convergent vers le développement humain ?
Notre ministère a-t-il perdu à ce point confiance en lui-même qu’il se juge incapable d’exercer le pilotage stratégique d’une agence puissante, cohérente, dotée à la fois des moyens et des personnels nécessaires, occupant en matière de coopération et de francophonie tout le terrain laissé libre par les deux agences déjà existantes, l’Agence française de développement (AFD) d’une part, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) d’autre part ?
Il suffirait pourtant qu’il se dote précisément d’une Direction générale du développement humain, traitant avec la hauteur de vues nécessaire de la diversité culturelle, du développement politique, économique et social, de la protection de l’environnement, de la régulation du marché mondial et des droits de l’Homme. Une telle direction, à condition qu’elle se dote de moyens d’évaluation et d’analyse adéquats, aurait toute la légitimité et toute l’autorité pour assurer la tutelle politique, non seulement de l’agence héritière de la DGCID, mais aussi de l’AFD et de l’AEFE.
Là, l’on aurait enfin les moyens d’une action extérieure cohérente, bien mieux qu’en se voyant octroyer la présidence ou le secrétariat de tel conseil ou comité que l’on nous fait en ce moment miroiter. Car le « cœur de métier » de la diplomatie de demain, ce sera, et de façon de plus en plus pressante, l'organisation de la société internationale pour lutter contre la faim, contre le réchauffement climatique, contre l’oppression, contre la pauvreté matérielle et culturelle. Le ministère des affaires étrangères va-t-il passer à côté ?
Entre les exercices de "révision générale des politiques publiques" et de rédaction d'un Livre blanc sur l'avenir du ministère des affaires étrangères lancés par le gouvernement, entre cabinets et réunions d’arbitrages, se poursuit la vente à la découpe de la DGCID. Certes, après presque dix ans d’existence, il était temps de tout remettre à plat. Tout change et le modèle d’une Régie, empêtrée dans toutes les contraintes d’une administration centrale, n’était plus tenable pour gérer de façon réactive, et dans un monde hautement compétitif, l’action culturelle et la coopération internationale de la France.
Mais pourquoi faut-il que la réflexion des décideurs s’oriente vers les plus mauvaises solutions possibles : une dispersion des fonctions d’opérateur de la DGCID en deux ou trois agences, peut-être plus, et une gestion des personnels culturels confiée à une Direction générale de l’administration qui les a toujours considérés comme une population de second rayon, comparée aux agents du « cœur de métier » diplomatique ?
Tout ceci, semble-t-il, par crainte de créer une Agence trop puissante pour être aisément contrôlée. En organisant la dispersion, l’on faciliterait l’exercice de la tutelle. En gardant la gestion directe des personnels culturels, on s’assurerait de leur soumission hiérarchique.
Mais comment ne pas voir qu’en agissant ainsi, l’on est en train d’installer sur deux parallèles d'une part des agences parisiennes, dotées certes de moyens d’action mais sans réseau, d'autre part un réseau mondial de services et centres culturels et de coopération, mais sans moyens ?
Comment ne pas voir que ces agences succédant à la DGCID seront, prises une à une, en dessous du pouvoir séparateur de l’œil dans un environnement où il s’agit de tenter d'exister aux côtés de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement ? Comment ne pas voir que sera ainsi brisé le continuum de toutes les activités de coopération – culturelle, scientifique, technologique, de bonne gouvernance... – qui convergent vers le développement humain ?
Notre ministère a-t-il perdu à ce point confiance en lui-même qu’il se juge incapable d’exercer le pilotage stratégique d’une agence puissante, cohérente, dotée à la fois des moyens et des personnels nécessaires, occupant en matière de coopération et de francophonie tout le terrain laissé libre par les deux agences déjà existantes, l’Agence française de développement (AFD) d’une part, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) d’autre part ?
Il suffirait pourtant qu’il se dote précisément d’une Direction générale du développement humain, traitant avec la hauteur de vues nécessaire de la diversité culturelle, du développement politique, économique et social, de la protection de l’environnement, de la régulation du marché mondial et des droits de l’Homme. Une telle direction, à condition qu’elle se dote de moyens d’évaluation et d’analyse adéquats, aurait toute la légitimité et toute l’autorité pour assurer la tutelle politique, non seulement de l’agence héritière de la DGCID, mais aussi de l’AFD et de l’AEFE.
Là, l’on aurait enfin les moyens d’une action extérieure cohérente, bien mieux qu’en se voyant octroyer la présidence ou le secrétariat de tel conseil ou comité que l’on nous fait en ce moment miroiter. Car le « cœur de métier » de la diplomatie de demain, ce sera, et de façon de plus en plus pressante, l'organisation de la société internationale pour lutter contre la faim, contre le réchauffement climatique, contre l’oppression, contre la pauvreté matérielle et culturelle. Le ministère des affaires étrangères va-t-il passer à côté ?
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