(dans son format original, article paru le 2 octobre dans "le Figaro")
Avec le passage du nouveau Président iranien à l’ONU, l’on
vient de vivre à New-York une sorte de « folle semaine ». Le dégel
amorcé avec la rencontre d’Hassan Rouhani et de François Hollande s’est
accéléré au fil des discours et des rencontres, pour aboutir à une conversation
téléphonique qualifiée d’historique entre Obama et Rouhani. Mais l’euphorie
retombée, force est de constater que l’on n’a guère quitté le royaume des déclarations
de bonnes intentions. Reste à entrer dans le vif des sujets, et donc du sujet
nucléaire.
Et là, Rouhani a besoin d’un succès rapide. Il a été en
effet élu sur la promesse de desserrer le garrot des sanctions mises en place
dans ce contexte, qui étrangle la population iranienne. Mais Américains et
Européens tiennent son sort entre leurs mains. Ou la négociation marque au plus
vite des avancées visibles, les sanctions s’atténuent, l’économie repart. La
popularité de Rouhani alors se consolide, et sa main se renforce en interne
pour tenter d’apaiser les autres querelles de l’Iran avec le monde extérieur.
Ou la négociation traîne en longueur, l’économie iranienne s’enfonce dans le
marasme, la déception s’installe. Les factions conservatrices battues à
l’élection présidentielle, mais toujours puissantes au parlement et dans
l’appareil du régime, reprennent courage et entrent en guérilla contre le
gouvernement. Rouhani affaibli, l’Iran repart sur une trajectoire de
confrontation avec ses adversaires familiers : Occident, Israël, royaumes
arabes...
Pour permettre à Rouhani de démontrer qu’il a fait le bon
choix en pariant sur l’ouverture,
celui-ci a besoin d’une seule chose : que l’on reconnaisse à l’Iran le
droit de continuer à utiliser la technologie de l’enrichissement de l’uranium,
en échange de quoi Téhéran est prêt à donner toutes les garanties nécessaires
pour rassurer le monde extérieur : contrôles internationaux renforcés, enrichissement
plafonné à 5%. Ce taux, suffisant pour les usages industriels, reste loin des
90% nécessaires à une arme nucléaire.
Mais nous n’en sommes pas là. Comme Obama lui-même vient de
le rappeler à la tribune des Nations Unies, Américains et Européens maintiennent
leur exigence de voir Téhéran se plier aux injonctions du Conseil de sécurité,
donc de suspendre ses activités d’enrichissement. Cette demande, on le sait
depuis son adoption en 2006, est inacceptable pour l’Iran. Rouhani lui-même l’a
dit peu après son élection. C’est lui, quand il était négociateur du dossier
nucléaire, qui avait accepté de 2003 à 2005 une première suspension, sans rien
obtenir en échange. Ses adversaires politiques le lui ont beaucoup reproché à
l’époque, et jusqu' aujourd’hui. Une telle décision serait pour lui
suicidaire.
En faisant avaliser par le Conseil une demande d’un intérêt
limité, sauf à vouloir pousser l’Iran à un abandon définitif de
l’enrichissement, nous nous sommes donc piégés nous-mêmes. Dans sa résolution,
le Conseil de sécurité exprimait sa conviction qu’une telle suspension
contribuerait à une solution diplomatique négociée. Cette exigence, en plombant
la négociation, a produit tout le contraire. Le moment est venu de le
constater. Et de façon plus générale, demander à Rouhani, comme on l’entend
souvent, de faire « les premiers pas » sans dévoiler ce qu’il peut en
attendre n’a guère de sens. Aucun responsable politique au monde ne se lancera
dans des concessions significatives sans pouvoir annoncer le bénéfice qui en
sera tiré. Espérons que ces éléments de bon sens seront pris en compte dans la
négociation qui s’engage. Pour qu’il y ait progrès, les « premiers
pas » doivent être faits de part et d’autre, et être simultanés.
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