mardi 19 novembre 2013

Une leçon de diplomatie

Si les ministres des affaires étrangères des pays concernés par la négociation nucléaire avec l’Iran étaient restés chez eux plutôt que de se précipiter à Genève le 8 novembre dernier, la dernière réunion aurait aisément pu être présentée comme un succès. A la fin de la session, les deux négociateurs en chef, Catherine Ashton pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, Abbas Araqchi pour l’Iran, se seraient félicités en un communiqué commun des importantes avancées engrangées, et exprimé l’espoir d’atteindre, au prix d’efforts supplémentaires, un accord complet en une ou deux réunions.

De fait, il n’est pas habituel que des ministres se joignent à une négociation complexe avant que l’accord à atteindre ne soit pratiquement finalisé. Un ou deux points peuvent être éventuellement laissés à leur appréciation, s’ils se situent bien à leur niveau, qui est politique et non technique. Mais tel n’a pas été le cas début novembre à Genève. Déjà Zarif, le ministre iranien, était dès le début sur place. Puis Kerry, le secrétaire d’État américain, a pris la décision de bouleverser l’agenda de sa tournée au Proche-Orient pour voler vers Genève. Mais à ce moment, le projet d’accord contenait encore des formules entre crochets, portant sur des points cruciaux.

Pourquoi donc un tel choix ? Peut-être a-t-il relevé de la seule initiative de John Kerry. Peut-être Catherine Ashton, ou la délégation américaine, ou les deux ensemble, l’ont-ils convaincu qu’il était temps pour lui de venir, l’accord étant proche d’être conclu. Dans tous les cas il y a eu erreur d’appréciation, alliée à un excès de confiance dans la capacité américaine à emporter la décision. Peut-être aussi l’accord avait-il été effectivement finalisé, mais les Français seraient revenus de façon inattendue sur leur soutien. Ceci aurait été une grave faute de comportement. Rien pour le moment n’est venu étayer cette hypothèse.

A partir de là, tout ne pouvait aller que de mal en pis. La simple annonce de l’arrivée de Kerry soulevait aussitôt une vague d’espoir faiblement étayé. Informés de la décision de Kerry, les ministres européens se sont crus obligés de courir à Genève, ne serait-ce que pour rester dans le jeu. Pressés par une foule de journalistes, les ministres présents étaient dans l’obligation de parler pour exister. La plupart d’entre eux se sont limités à des déclarations de tonalité optimiste. Seul Laurent Fabius a choisi la voie opposée. En rompant la règle de confidentialité qui avait été adoptée pour ces négociations, en laissant paraître son irritation devant la tournure des évènements, il devenu une sorte de paratonnerre, attirant la foudre de toutes les frustrations générées par le fossé existant entre les difficultés pratiques de la négociation et les attentes du public. Et l’arrivée au dernier moment des ministres russe et chinois n’y pouvait rien changer. La négociation a donc pris l’allure d’un échec.

S’il y a eu erreur du côté français, cela a été de se laisser enfermer dans le rôle d’empêcheur de tourner en rond. Ou était-ce, comme on l’a beaucoup écrit, un choix délibéré en faveur des intérêts français en Israël et dans la Péninsule arabique ? L’histoire le dira. Mais s’il s’agissait d’intérêts en cette affaire, la France aurait plutôt choisi de se positionner en meilleure amie de l’Iran, et plaidé à haute voix pour une rapide levée des sanctions. Car c’est là un marché de 75 millions de consommateurs, de loin le plus important de la région, privé par les sanctions de biens et d’équipements de pointe. C’est là que la France pourrait vendre du jour au lendemain au moins une ou deux centrales nucléaires et trois ou quatre douzaines d’Airbus. C’est là qu’elle pourrait à nouveau produire des centaines de milliers de voitures, reprendre l’exploitation de champs pétroliers et gaziers majeurs, et même contribuer à la remise à niveau d’un système de défense obsolète.


Revenons à la diplomatie. Dans le temps, lorsque des négociateurs désignés par leurs gouvernements respectifs parvenaient à un accord sur un texte commun, il était d’usage qu’ils y apposent leur paraphe. Ceci marquait la fin de la négociation. Il appartenait ensuite aux gouvernements concernés d’approuver ou de rejeter le texte, sans plus pouvoir le modifier. S’il était approuvé, il pouvait alors être signé, par exemple au niveau des ministres des affaires étrangères, dotés de pouvoirs permanents en matière de conclusion d’accords internationaux. Tout ceci se passait évidemment avant les téléphones portables et les avions gouvernementaux prêts à transporter les ministres d’un bout à l’autre de la planète. Mais les participants à la négociation nucléaire en cours auraient sans doute intérêt à garder en tête au moins l’esprit de ces procédures éprouvées. Ils pourraient en avoir besoin au long du rude parcours qui les attend. Car cette négociation complexe devra encore franchir de difficiles étapes, au-delà du premier accord qui pourrait être, avec un peu de chance, signé dans les jours prochains à Genève.

jeudi 3 octobre 2013

Rouhani dans les mains de l'Occident

(dans son format original, article paru le 2 octobre dans "le Figaro")

Avec le passage du nouveau Président iranien à l’ONU, l’on vient de vivre à New-York une sorte de « folle semaine ». Le dégel amorcé avec la rencontre d’Hassan Rouhani et de François Hollande s’est accéléré au fil des discours et des rencontres, pour aboutir à une conversation téléphonique qualifiée d’historique entre Obama et Rouhani. Mais l’euphorie retombée, force est de constater que l’on n’a guère quitté le royaume des déclarations de bonnes intentions. Reste à entrer dans le vif des sujets, et donc du sujet nucléaire.

Et là, Rouhani a besoin d’un succès rapide. Il a été en effet élu sur la promesse de desserrer le garrot des sanctions mises en place dans ce contexte, qui étrangle la population iranienne. Mais Américains et Européens tiennent son sort entre leurs mains. Ou la négociation marque au plus vite des avancées visibles, les sanctions s’atténuent, l’économie repart. La popularité de Rouhani alors se consolide, et sa main se renforce en interne pour tenter d’apaiser les autres querelles de l’Iran avec le monde extérieur. Ou la négociation traîne en longueur, l’économie iranienne s’enfonce dans le marasme, la déception s’installe. Les factions conservatrices battues à l’élection présidentielle, mais toujours puissantes au parlement et dans l’appareil du régime, reprennent courage et entrent en guérilla contre le gouvernement. Rouhani affaibli, l’Iran repart sur une trajectoire de confrontation avec ses adversaires familiers : Occident, Israël, royaumes arabes...

Pour permettre à Rouhani de démontrer qu’il a fait le bon choix en pariant  sur l’ouverture, celui-ci a besoin d’une seule chose : que l’on reconnaisse à l’Iran le droit de continuer à utiliser la technologie de l’enrichissement de l’uranium, en échange de quoi Téhéran est prêt à donner toutes les garanties nécessaires pour rassurer le monde extérieur : contrôles internationaux renforcés, enrichissement plafonné à 5%. Ce taux, suffisant pour les usages industriels, reste loin des 90% nécessaires à une arme nucléaire.

Mais nous n’en sommes pas là. Comme Obama lui-même vient de le rappeler à la tribune des Nations Unies, Américains et Européens maintiennent leur exigence de voir Téhéran se plier aux injonctions du Conseil de sécurité, donc de suspendre ses activités d’enrichissement. Cette demande, on le sait depuis son adoption en 2006, est inacceptable pour l’Iran. Rouhani lui-même l’a dit peu après son élection. C’est lui, quand il était négociateur du dossier nucléaire, qui avait accepté de 2003 à 2005 une première suspension, sans rien obtenir en échange. Ses adversaires politiques le lui ont beaucoup reproché à l’époque, et jusqu' aujourd’hui. Une telle décision serait pour lui suicidaire.


En faisant avaliser par le Conseil une demande d’un intérêt limité, sauf à vouloir pousser l’Iran à un abandon définitif de l’enrichissement, nous nous sommes donc piégés nous-mêmes. Dans sa résolution, le Conseil de sécurité exprimait sa conviction qu’une telle suspension contribuerait à une solution diplomatique négociée. Cette exigence, en plombant la négociation, a produit tout le contraire. Le moment est venu de le constater. Et de façon plus générale, demander à Rouhani, comme on l’entend souvent, de faire « les premiers pas » sans dévoiler ce qu’il peut en attendre n’a guère de sens. Aucun responsable politique au monde ne se lancera dans des concessions significatives sans pouvoir annoncer le bénéfice qui en sera tiré. Espérons que ces éléments de bon sens seront pris en compte dans la négociation qui s’engage. Pour qu’il y ait progrès, les « premiers pas » doivent être faits de part et d’autre, et être simultanés.

samedi 7 septembre 2013

Syrie : à la guerre on paye comptant

Clauzewitz expliquait en substance qu’à la guerre il y a un moment où il faut payer comptant. Nous y sommes en Syrie. Trop longtemps, nous avons un peu étourdiment tiré des traites sur l’avenir, en annonçant d’abord la chute prochaine de Bachar el Assad (et donc en négligeant de soutenir les efforts de Kofi Annan pour bâtir une solution politique), en promettant ensuite de fournir aux rebelles des armes (que nous n’avons toujours pas fournies), en déclarant enfin que ne nous ne tolérerions jamais l’usage d’armes chimiques. Ces traites arrivent maintenant à échéance, et nous voilà bien ennuyés. On pourrait envisager de les repousser, mais elles nous reviendraient alors plus tard, avec des intérêts aggravés.

Nous nous préparons donc à frapper Assad et à négocier avec celui que nous aurons frappé. C’est le sens des propos de Laurent Fabius au Sénat : « Nous voulons à la fois sanctionner et dissuader, répondre à cette atrocité pour éviter qu’elle ne se reproduise. Nous voulons aussi montrer à M. Bachar Al-Assad qu’il n’a pas d’autre solution que la négociation » et plus loin « La sanction n’est pas en contradiction avec la négociation politique, elle en est la condition. En effet, au nom de quoi peut-on penser que le dictateur Bachar Al-Assad reverra sa position et se rendra à la table des négociations si aucune sanction ne répond aux exactions abominables qui ont été commises ? ». Reste à convaincre Assad de venir négocier une sortie de crise dont nous avons toujours dit qu’il devait être exclu. Et de convaincre aussi l’opposition armée de venir négocier avec Assad, ce qu’elle a toujours refusé. Ce n’est pas le plus simple à régler de la lourde addition que nous avons accumulée.


mercredi 19 juin 2013

Nouvelle donne à Téhéran


L'étonnante victoire de Hassan Rouhani à l’élection présidentielle du 14 juin met en lumière trois succès.
 

D'abord, pour les Occidentaux, le succès des sanctions. Leur effet sur la population a clairement ajouté à son mécontentement et à ses frustrations, et donc à son soutien à un candidat affichant sa volonté d’un changement de comportement de l’Iran à l’égard du monde extérieur. Beaucoup parmi les auteurs des sanctions, aux États-Unis ou en Europe, en attendaient un changement de régime. Il ne s'est pas produit mais l'élection de Rouhani représente certainement un changement d’époque pour la république islamique.

Cette élection est aussi un succès pour le régime. On le disait sclérosé, incapable d'évoluer et de prendre en compte les aspirations de sa population. Le Guide de la révolution et son entourage, comme les Pasdaran qui forment désormais l'ossature du système, ont démontré leur capacité à tirer les leçons du soulèvement de 2009, généré par des élections truquées. Une fois le processus électoral encadré au départ par la sélection de huit candidats loyaux au système, le cœur du régime a su laisser passer au bon moment une grande bouffée de démocratie. Il obtient de ce comportement un nouveau bail en termes de crédibilité, et peut-être même de légitimité, tant aux yeux de la population que du monde extérieur.

L’élection est enfin et surtout un succès pour le peuple iranien, qui a manifesté son irrépressible aspiration à la démocratie, à la modernité, et à la normalisation de la relation de l'Iran avec le monde. Cette aspiration a été en grande partie déçue par la présidence de Khatami, et écrasée sous la présidence d'Ahmadinejad. Elle est réapparue intacte avec l'élection de Hassan Rouhani. Elle ne fera que se développer.

Ces constats faits, où va-t-on ?

Beaucoup de commentateurs ont dit et disent encore qu'il n’y aura pas de grands changements, à la suite de cette élection, le guide suprême étant le seul décideur. Les choses ne sont pas si simples. Khamenei détermine certainement les grandes orientations, les limites à ne pas dépasser, mais dans le cadre ainsi fixé, laisse des marges de manœuvre, souvent importantes, au Président de la république et à son gouvernement, même en politique extérieure, même en matière nucléaire. Et il peut se laisser convaincre d’évoluer.

Dans le domaine nucléaire, précisément, rappelons que Rouhani a été le pilote de la négociation du côté iranien de 2003 à 2005. C'est lui qui a convaincu Ali Khamenei d’interrompre, fin 2003, le programme nucléaire militaire conduit de façon clandestine par les Pasdaran : Ceci parce que l'ennemi principal de l'Iran, Saddam Hussein, était éliminé et que l'on savait enfin qu'il n'y avait pas de programme irakien d'armes de destruction massive. Et aussi en réponse au geste de bonne volonté des Européens qui avaient décidé d'entrer en négociation avec l'Iran. L'interruption de ce programme clandestin, qu’il a conduite avec énergie, contre de redoutables obstacles, a depuis été attestée par la communauté américaine du renseignement, puis par l'Agence internationale de l'énergie atomique. L’on peut se dire qu'avec le même homme aujourd’hui à la tête du gouvernement iranien, les risques d'une relance d’un programme nucléaire militaire paraissent très faibles.

Encore faut-il que les négociateurs américains et européens aient pleinement conscience de la chance offerte par cette nouvelle donne à Téhéran. Rouhani a dit vouloir une résolution rapide de la crise nucléaire et une levée aussi rapide que possible des sanctions. Si les Occidentaux y voyaient un aveu de faiblesse et pensaient tenir désormais l'Iran à leur merci, ils ruineraient l’occasion d'une sortie de crise. Déjà, ils avaient refusé leur confiance au président réformateur Khatami, voulant ne voir en lui que la façade avenante d’un régime dissimulateur et hostile. Cette attitude l’avait beaucoup affaibli, et l’on a eu ensuite Ahmadinejad. Il serait dommage de répéter cette erreur.

Reste la question syrienne. Rouhani aura, en tous cas dans l’immédiat, moins d’emprise sur ce dossier que sur le dossier nucléaire, car l’affaire syrienne est entièrement tenue par les Pasdaran. Mais sa dimension diplomatique pourrait être récupérée par un gouvernement qui aurait, contrairement à celui d’Ahmadinejad, quelque crédibilité sur le plan international. Quel que soit le caractère apparemment irréconciliable des positions et des interventions de part et d’autre, entre Russie et Occidentaux, entre Iran et pays du Golfe, il y a au moins un élément de convergence dans la vision d’une sortie de crise : le cheminement ordonné vers des élections ouvertes, contrôlées par la communauté internationale. Mais pour espérer progresser, encore faut-il que l’Iran soit considéré comme un interlocuteur, et non plus comme un adversaire infréquentable. L’arrivée d’un nouveau président à Téhéran offre en particulier à la France l’occasion d’évoluer sur ce point en acceptant la participation de l’Iran aux négociations multilatérales en cours. C’est une occasion à ne pas laisser passer.

(paru sur le site http://www.diploweb.com/)

lundi 13 mai 2013

Irak-Iran, la leçon des sanctions


Saddam Hussein, en 1990, n’avait pas compris qu’avec la chute du Mur, le monde avait changé. Il pensait que l’URSS allait le protéger de l’Amérique après son invasion du Koweït, et a payé cher cette erreur. Outre les coûts de la guerre perdue de 1991, l’Irak, en raison du lâchage soviétique, s’est vu infliger par les Nations Unies un régime de sanctions internationales d’une ampleur et d’une dureté encore inégalées à ce jour.

Le 6 août 1990, quatre jours après l’invasion du Koweït, le Conseil de sécurité adopte, avec l’accord de ses cinq membres permanents, la résolution 661 instaurant un embargo généralisé sur toutes importations et exportations d’Irak, comme sur tous mouvements financiers. Elle prévoit toutefois une soupape de sûreté humanitaire avec la création d’un dispositif plus tard baptisé« pétrole contre nourriture », mais celui-ci ne se mettra en place qu’en 1996, en raison de la résistance irakienne. Après la libération du Koweït, la résolution 687, adoptée le 3 avril 1991, à nouveau avec l’accord des cinq membres permanents, lance un programme de recherche et de destruction de toutes armes atomiques, biologiques et chimiques, ainsi que des missiles d’une portée supérieure à 150 kilomètres. Deux jours plus tard, la résolution 688 condamne la répression des populations civiles, notamment des Kurdes, et fonde le fameux « droit d’ingérence humanitaire ». Allant encore au-delà des décisions du Conseil de sécurité, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France mettent en place deux zones d’interdiction de survol, l’un dans le nord, dès avril 1991 pour protéger les Kurdes, l’autre dans le Sud l’année suivante pour protéger les populations chiites.

Au fil des années, le prix économique, social, sanitaire, payé par la population irakienne du fait de l’embargo soulève des interrogations croissantes de la part de l’opinion internationale. Les organisations humanitaires chiffrent en centaines de milliers les décès provoqués, notamment dans la population infantile. L’on se souvient de Jacques Chirac déclarant en 1997, au sommet de la francophonie à Hanoï : « Nous voulons, nous, convaincre et non pas contraindre. Je n'ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs ». A noter qu’en 1996, la France se retire de l’opération d’interdiction de survol au nord de l’Irak, et qu’elle se retire en 1999 de la même opération au sud. Entre temps, l’Irak, qui se plie difficilement aux contrôles internationaux prévus par la résolution 687, connaît en décembre 1998 une vague de frappes ciblées déclenchée par les États-Unis, en principe pour mettre à mal ses capacités de fabrication d’armes de destruction massive, mais surtout pour ébranler le régime. Celui-ci, malgré tout, tient toujours. Il faudra une nouvelle guerre, en 2003, pour le faire tomber.

Comment les sanctions actuelles à l’égard de l’Iran se comparent-elles à cette histoire ? Tout d’abord, la posture de la Russie, État successeur de l’URSS, et aussi celle de la Chine, ont changé. Sans doute en raison de l’évolution de leur vision du monde depuis 1990. Mais sans doute aussi parce qu’il n’y avait pas au départ de l’affaire iranienne de violation aussi claire, aussi massive, de la Charte des Nations Unies que dans l’affaire irakienne, où l’on avait vu l’agression par un pays membre d’un autre pays membre. La Russie et la Chine ont donc refusé cette fois-ci de cautionner un embargo allant au-delà de l’objet du litige, c’est-à-dire des domaines nucléaire, militaire et balistique. Ces sanctions-là n’ayant eu qu’un faible pouvoir de persuasion sur l’Iran, les États-Unis et l’Union européenne ont convenu d’avoir recours à des sanctions supplémentaires, de type unilatéral, qui ont interdit tous les échanges dans le domaine pétrolier, et progressivement tari les flux financiers entre l’Iran et le monde extérieur. Et pour rendre ces sanctions encore plus efficaces, les États-Unis ont adopté un dispositif de punition des tiers qui refuseraient de s’y plier. Cette pratique, dite parfois de « sanctions secondaires », était naguère vigoureusement combattue par l’Union européenne. Elle a, cette fois-ci, tacitement admis que Washington fasse pression sur de nombreux pays, notamment asiatiques, pour qu’ils réduisent fortement leurs achats de pétrole à l’Iran, ou encore interrompent leurs transactions monétaires avec Téhéran, hormis en monnaie locale. Malgré sa coopération, l’Union européenne a néanmoins subi, comme tout un chacun, les pressions de l’Administration et du Congrès américains, par exemple pour interdire aux banques iraniennes l’accès à ses services bancaires centralisés.

La nouvelle architecture de sanctions ainsi élaborée souffre d’une légitimité moindre que celle du dispositif irakien, qui était entièrement couvert par des résolutions du Conseil de sécurité. Les grands clients pétroliers de l’Iran : Chine, Japon, Inde, Corée du Sud… ne réduisent leurs achats que dans la mesure nécessaire pour éviter des représailles des États-Unis. Les exportations iraniennes de pétrole ont certes diminué de moitié. Mais elles s’appuient sur un baril vendu entre 80 et 100 dollars, alors que le même baril a rarement  franchi les 30 dollars de 1979, début de la révolution islamique, à 2005, date de l’élection d’Ahmadinejad à la présidence. En outre, une partie du pétrole iranien est sans doute revendue sous d’autres pavillons. Et un certain nombre de banques suffisamment exotiques pour échapper aux contrôles américains parviennent, contre rémunération appropriée, à faciliter les échanges de l’Iran avec le monde extérieur.

Certes, le rial iranien s’est dévalué des deux tiers face au dollar, mais il était jusqu’alors, pour des raisons de prestige, largement surévalué. Sa valeur actuelle correspond à la vérité du marché. Ce rééquilibrage a eu de sérieux effets inflationnistes. Il offre en revanche des marges de compétitivité inédites aux industries iraniennes, jusque là étouffées par les productions asiatiques, et à terme l’opportunité d’accroître la part des exportations non-pétrolières dans la balance commerciale du pays. Cette dévaluation n’est donc pas entièrement négative.

Bien entendu, la population iranienne souffre durement des sanctions, et aussi de la gestion économique désastreuse de son gouvernement, comme naguère la population irakienne. Les importations de type humanitaire, nourriture et produits de santé, échappent en principe à l’embargo, mais la complexité des procédures permettant de faire jouer cette disposition les rendent à peu près impraticables, sauf cas exceptionnel, comme lorsque Cargill, le géant américain de l’agro-alimentaire, trouve intérêt à vendre des céréales à l’Iran. Tout bien pesé, le choc des sanctions est moins brutal qu’il ne l’a été dans le cas irakien. La taille de la population  ̶ 75 millions contre une vingtaine de millions pour l’Irak au tournant du siècle  ̶  joue à elle seule un rôle d’amortisseur. Et les taux d’autosuffisance de l’économie iranienne, tant sur le plan agricole qu’industriel, sont clairement supérieurs, malgré de graves lacunes, à ceux de l’économie irakienne du temps de Saddam Hussein.

Mais cette population iranienne serait-elle moins résignée à subir le prix de la politique de son gouvernement que les sujets de Saddam ? Le régime, pour sa part, est-il prêt, si elle se soulevait, à se montrer aussi impitoyable que naguère le maître de Bagdad, ou aujourd’hui celui de Damas ? Cette population a durement subi le choc de la répression associée aux élections truquées de 2009. Elle n’est pas prête à défier à nouveau le système. Quant au régime, il n’osera peut-être pas, pour l’élection présidentielle qui s’annonce, manipuler de façon aussi grossière le scrutin que la fois précédente. L’un dans l’autre, l’on ne voit pas se profiler la crise interne qui pourrait déstabiliser la République islamique au point de l’obliger, pour assurer sa survie, à céder dans son bras de fer avec l’Occident.

Car ce bras de fer est là pour durer un certain temps. La dernière séance de négociation sur le dossier nucléaire, début avril à Almaty, a révélé un écart encore très important entre les positions des deux parties, même s’il y a eu des progrès dans la qualité des échanges. Une avancée décisive paraît dans l’immédiat hors de portée, d’autant que l’Iran va être maintenant absorbé jusqu’à l’été par le déroulement de son élection présidentielle.

Pour hâter le moment où la ruine et l’isolement économiques de l’Iran ne lui laisseraient d’autre choix que de céder, peut-on envisager de passer à un niveau de pression supérieur? François Hollande annonçait début mars : « La France prendra ses responsabilités pour que la pression continue, les sanctions soient aggravées, afin que les dirigeants iraniens se conforment à leurs engagements internationaux, aux résolutions du Conseil de sécurité». La difficulté est alors de discerner quelles sanctions décisives pourraient être ajoutées au dispositif existant. Car ces nouvelles sanctions ne pourront s’appuyer sur la légitimité des Nations Unies. Elles devront compter avec la faible motivation de la plupart des pays tiers à participer à une telle escalade, comme avec l’expérience, forcément croissante, de l’Iran en matière de contournement. Il n’est donc pas exclu que, comme dans le cas irakien, les sanctions ne parviennent pas à provoquer la rupture désirée.

D’où, comme naguère en Irak, la tentation du recours à la force. Mais Téhéran veille à ne pas donner à l’Amérique prétexte à y recourir, prenant soin de rester en deçà de la ligne rouge tracée par Barack Obama, à savoir le début de fabrication d’un engin nucléaire, ou même de celle tracée par Benyamin Netanyahu, à savoir l’accumulation d’un stock d’uranium enrichi à 20% suffisant pour obtenir à bref délai, au prix d’un enrichissement supplémentaire, la matière fissile d’une première bombe. Et l’administration américaine n’osera plus monter de toutes pièces un dossier comme celui qui a conduit à l’invasion de l’Irak en 2003. Pour bien marquer la différence avec cette époque, la communauté américaine du renseignement rappelle chaque année depuis 2007, au grand chagrin des néo-conservateurs désireux d’en découdre avec l’Iran, que la république islamique a interrompu fin 2003 son programme nucléaire clandestin et n’a pas, depuis, pris la décision de se doter de l’arme atomique.

Reste une troisième voie, celle d’une modification décisive des paramètres de la négociation pour sortir enfin de la crise. Cette modification ne pourrait alors se faire qu’autour d’une seule idée : la reconnaissance du droit de l’Iran à poursuivre ses activités d’enrichissement, en échange d’un encadrement et de contrôles suffisamment renforcés pour lui interdire, de fait, l’accès à la bombe. Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique, a dit récemment qu’il était favorable à une telle formule. Si l’on envisageait d’aller dans cette voie, l’initiative reviendrait plutôt au camp occidental, et de fait à Barack Obama, seul dirigeant en position de relancer la négociation sur de nouvelles bases. Les Européens se sont en effet mis d’eux-mêmes en retrait, faute d’imagination, faute de cohésion, faute de volonté politique.

dimanche 14 avril 2013

Protégeons l'armée (par Alfred Jarry)

En cette période de difficultés budgétaires croissantes pour nos armées, je tombe par hasard sur ce petit texte d'Alfred Jarry, paru dans la Revue blanche de mai 1901, sous le titre "Protégeons l'armée". Il garde des accents actuels, même si nous n'avons plus, comme le regretterait certainement Jarry s'il était parmi nous, de service militaire.

Si le zèle du ministre de la guerre ne se ralentit pas, d'ici fort peu de jours une certaine association de personnes en armes, bien connue sous le nom abrégé d'"armée", aura vécu : il est présumable en effet que, de suppression d'abus en suppression d'abus, il n'en restera plus rien. Il est temps que s'émeuvent de cette disparition imminente les antiquaires, les historiens, les folkloristes et les conservateurs de nos monuments nationaux. S'il est du ressort de ces fonctionnaires de veiller au bon entretien de la partie morte de l'armée, trophées de victoires ou reliques de défaites, dans des musées spécialement aménagés, il ne leur appartient pas moins d'en maintenir la partie vivante, la génération sous les drapeaux, dûment enclose dans d'autres locaux pareillement disposés à cet effet. Ainsi sera sauvegardée, présente et durable, la notion du militaire, indispensable au bonheur des hommes, parce qu'elle implique la notion du civil. C'est à cause d'elle que la plupart des familles françaises jugeraient incomplète l'éducation de leurs fils si elles ne les envoyaient, pendant un an ou trois, se livrer à des observations personnelles sur l'existence du soldat. Ils reviennent mûrs pour la vie bourgeoise et gratifiés du certificat de bonne conduite : comme quoi "ils ont servi leur patrie avec honneur et fidélité"; mais ils n'ont plus -enfin- sauf dans des limites n'excédant pas vingt-huit ou treize jours à la fois, à la servir.

vendredi 22 mars 2013

Iran nucléaire : négociateurs, encore un effort!


original de l'article adressé au Monde et publié le 19 mars

La négociation qui s’est récemment déroulée à Almaty entre l’Iran et ses six interlocuteurs, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne, a débouché sur une heureuse surprise. L'offre des Six s'est améliorée. Nous avons notamment renoncé à demander la fermeture de l’usine souterraine d’enrichissement de Fordo. Pas de regrets : les Iraniens, s'ils avaient démantelé le site, auraient été en droit de le rayer de la liste des installations soumises aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Dieu sait alors ce qu'ils auraient pu y faire! Nous avons aussi offert des allègements modestes de sanctions. Dans tout cela, l'Iran a bien voulu voir une avancée. Les parties se sont même accordées sur les dates de leurs prochaines rencontres. Autre bon signe, la première réunion à venir, prévue le 18 mars à Istanbul, se tiendra à niveau d'experts, ce qui offrira la possibilité de progresser dans la discrétion.

Mais, bien entendu, sur le fond, rien n'est fait. Chacun, sans jamais officiellement le reconnaître, sait bien le seul compromis possible : en bref, acceptation des activités d’enrichissement iraniennes, mais régulées, et plafonnées à 5% ; acceptation par l'Iran de contrôles internationaux renforcés et généralisés à l'ensemble de son territoire, de façon à couper toute voie d'accès à l'arme nucléaire ; au fur et à mesure de la mise en oeuvre de ce dispositif, levée des sanctions et finalement clôture du dossier au Conseil de sécurité. Mais de lourds obstacles nous séparent encore de ce point d'arrivée. Notamment l’incompréhension des ressorts du jeu iranien, mélange d'évitements et de blocages, qui irrite tant nos négociateurs.

Les Iraniens sont plus que fatigués des sanctions : les premières sanctions américaines ont déjà plus de trente ans ; les sanctions les plus récentes, auxquelles se sont joints les Européens, touchent à peu près à tout à travers le pétrole et les flux financiers, et font vraiment mal. Chacun a bien compris  à Téhéran, depuis déjà un certain temps, que la possession de la bombe créerait à l'Iran plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Et le jeu intérieur s'est simplifié. L'incontrôlable Ahmadinejad étant désormais marginalisé et tout en fin d'un mandat non renouvelable, Ali Khamenei, guide de la révolution, est aux yeux de tous seul maître du dossier nucléaire. Mais de ce fait, il se retrouve en première ligne, et joue en cette affaire sa stature et son infaillibilité. Or celles-ci ont déjà été sérieusement écornées au cours des soulèvements de 2009. Il ne laissera ses négociateurs progresser que s'il perçoit clairement une dynamique de succès.

Il nous faudrait donc commencer à exposer, même avec toutes les conditions associées, ce que nous voulons comme point d'arrivée. Or les Occidentaux hésitent encore. Les Français, en particulier, répètent que l’Iran doit avant toutes choses se plier aux injonctions du Conseil de sécurité, donc commencer par suspendre ses activités d’enrichissement. Mais selon les termes mêmes du Conseil, ces exigences sont formulées pour faciliter « une solution diplomatique négociée ». Tant que nos demandes seront martelées sans dire à quoi ressemble cette solution, Khamenei refusera de s'y intéresser.

Non, disent les partisans de « la fermeté », il devra les accepter, car l’embargo instauré mettra bientôt l’économie iranienne à terre et, si le régime ne cède pas, soulèvera la société. Encore une illusion. Cette économie est en très mauvais état et continuera à s’enfoncer. Mais le malheur du grand nombre fait le bonheur des habiles qui, par leurs positions et relations au sein du régime, sont parvenus à se brancher sur l’eldorado du contournement des sanctions. Dans une économie parallèle, l'argent coule à flot, ce qui exacerbe encore les luttes de factions au sein de la classe dirigeante à l'approche de l'élection présidentielle. Entre-temps, la classe moyenne affaiblie, atomisée, se replie sur des stratégies de survie individuelles et familiales. S’il y avait des tentatives de révolte, le régime les materait sans état d’âme, puisqu’il s’agirait, un fois de plus, d’un « complot de l’étranger ».

Faut-il agiter la menace de l'emploi de la force comme le font les Américains ? Ce discours vaut peut-être en politique intérieure, pour satisfaire le Congrès, mais n’émeut en rien le régime iranien. Il ne voit pas l’Occident faire les frais d’une troisième guerre du Golfe et de l’occupation d’un pays de 75 millions d’habitants. Quant à des frappes ciblées sur des sites nucléaires, peu importe. L’Iran millénaire n’est pas pressé. Il reconstruira ailleurs, et plus profond, les installations détruites. Considérant que l'agression dont il aura été victime l'autorise à se retirer du Traité de non prolifération nucléaire, il fermera ces nouveaux sites aux inspecteurs de l’AIEA. Nous ne serons donc pas plus avancés.

Tout ceci compris, beaucoup de choses redeviennent possibles. Reagan, qui n’était pas un enfant de chœur, utilisait volontiers dans ses négociations sur le désarmement avec l’URSS la formule : « Trust, but verify ». « Trust » ne signifiait pas faire confiance, mais simplement offrir sa confiance, en échange de contrôles imparables et effectivement appliqués. Et cela avait marché. Avec l’Iran aussi, cet axiome est la clef du succès. Il est dans la tête du Président des Etats-Unis, qui l'avait évoqué dès 2009, lors de sa rencontre à Caen avec notre propre Président. Recevant tout récemment une délégation de la communauté juive américaine avant de se rendre en Israël, Barack Obama, interrogé sur la crise iranienne, a cité le traité sur la guerre de Sun Tzu : "construisez un pont d'or pour permettre à votre adversaire de battre en retraite".

Les Français, ces dernières années, se sont positionnés en fer de lance sur la question des pressions et des sanctions à l'égard de l'Iran, tant au Conseil de sécurité qu'au sein des instances européennes. Et, comme il se devait, nous en avons assumé sans murmurer les conséquences. Notre retrait  partiel du marché automobile iranien, auquel nous fournissions les éléments de plus de 500.000 véhicules par an, a fait perdre des milliers d'emplois à nos constructeurs et équipementiers. Total, Airbus, Alstom, Thales, Eurocopter, les banques françaises... se sont retirés d'Iran. Toute esquisse de coopération dans les domaines d'excellence que sont pour nous le nucléaire et le spatial est, à juste raison, devenue impensable. Nos échanges universitaires et de recherche se sont  à peu près taris, et nous avons fermé l’institut français de Téhéran, où des milliers d’Iraniens apprenaient notre langue. Personne ne peut donc nous reprocher de ne pas avoir amplement payé notre écot à la solidarité internationale face au jeu nucléaire iranien. Mais tout ceci aura un jour une fin. Il ne nous est pas interdit d'y contribuer. Ni de songer à nous protéger, le cas échéant, du risque toujours présent de "hors jeu".

dimanche 10 février 2013

L’avenir de l’Europe, sans grands hommes, et même sans vision


J’assistais récemment à une table ronde sur l’avenir de l’Union européenne, en présence, notamment, de Jacques Delors. Beaucoup attribuaient l’enlisement du projet européen à l’absence de vision, et à l’absence de grands hommes. Jacques Delors y rappelait son idée d’une « fédération d’États-nations ».

J’avoue mon scepticisme sur ce concept, qui, à vouloir réunir deux notions antagonistes, me paraît rejoindre la longue liste des formules du genre « l’indépendance dans l’interdépendance » et « le progrès dans la stabilité ».

Quant à l’absence de grands hommes, elle me remet en mémoire le propos de Brecht : « Malheureux les pays qui ont besoin de héros ! ».

Reste l’absence de vision. Je ne crois pas qu’on en manque sur l’avenir de notre continent. Il y en aurait même plutôt à revendre.

En revanche le sentiment de panne que nous éprouvons, amplement justifié, me paraît résulter du fait que nous nous trouvons à la jonction de deux cycles, l’un pratiquement achevé, l’autre à peine amorcé.

Le premier cycle, c’est celui de la marchandise, et de son support, les flux financiers. Il nous a fallu cinquante ans pour créer un espace économique à peu près unifié, doté de sa monnaie, monnaie de référence même pour ceux qui ne peuvent encore ou ne veulent l’adopter. Et dans le même temps nous avons ouvert cet espace sur l’extérieur. Un peu trop même au goût de certains, qui supportent mal les courants d’air glacés de la mondialisation. Mais enfin, que le résultat plaise ou non, l’essentiel du travail, au prix des efforts de deux générations, a été fait.

Le cycle tout juste amorcé est celui des hommes (et des femmes), et là, c’est encore plus compliqué. Il inclut d’abord leur liberté d’aller et venir, qui est peut-être la première des libertés, avant même la liberté de pensée (elles vont, à vrai dire, ensemble). Á cet égard, la création de l’espace Schengen a été un immense progrès. Ce qui se fait pour la circulation des étudiants n’est pas mal non plus. Mais restent trois grands chantiers, qui sont à peine, voire pas du tout, entamés : l’espace unique du droit du travail, celui de la protection sociale, celui de la fiscalité. Là, nous sommes au pied du mur, et l’on voit bien que deux générations ne seront pas de trop pour toucher au but. Il y faudra, bien entendu, beaucoup d’étapes intermédiaires et, sans doute, quelques crises pour faire sauter les points de résistance.

Quant à l’Europe de la défense, qui peine tant à émerger, il faut admettre qu’elle ne progressera que le jour où les Européens auront le sentiment d’avoir un bien commun à protéger : pas tant leur prospérité, car sa défense n’est pas une affaire d’armes létales. Non, plutôt ce qui relève de leur identité. 

Et là, pour construire cette identité commune, il faudra certes toujours des discours, mais surtout la volonté de lui donner des expressions concrètes, ce qui nous ramène aux trois chantiers précités : droit du travail, protection sociale, fiscalité. Pour les mener à bien, pas besoin de grands hommes, ni même de grande vision. Des gens déterminés, de la suite dans les idées, c’est déjà bien assez.