mardi 13 septembre 2016

"Unis contre l'Iran nucléaire", une bien curieuse organisation


(paru le 9 septembre sur le site "Boulevard extérieur")

Par une fuite dans la presse [1], les Français ont récemment découvert qu’une organisation américaine, United Against Nuclear Iran (UANI), menait une campagne d’intimidation auprès de grandes sociétés françaises intéressées par le marché iranien. Dans les lettres adressées à ces sociétés, UANI souligne tous les risques liés à une présence en Iran, et annonce son intention de dénoncer les sociétés qui bénéficieraient d’argent public américain tout en faisant des affaires avec l’Iran. Quelle est cette organisation qui poursuit l’Iran de sa vindicte après l’accord de Vienne de juillet 2015, mettant fin en principe à la crise nucléaire iranienne ?
Deux hommes sont à l’origine d’UANI : l’un, Mark D. Wallace, avocat et brièvement diplomate, son principal fondateur et depuis son directeur général, l’autre, Thomas Kaplan, homme d’affaires et mécène, son principal financier. Tous deux sont très liés, Mark Wallace figurant parmi les dirigeants de plusieurs des sociétés d’investissement et de commerce contrôlées par Thomas Kaplan, notamment Tigris Financial Group et Electrum Group.

            Un diplomate d’occasion

Mark Wallace, d’abord avocat à Miami et proche de Jeb Bush, gouverneur de Floride, conseille son frère, George W. Bush, lors de l’élection présidentielle de 2000 au moment clé de la vérification des votes de l’Etat de Floride. Après la victoire de ce dernier grâce à une décision de la Cour suprême, il entre dans l’administration fédérale, puis fait partie des dirigeants de son équipe de campagne lors de sa réélection en 2004. Il participera aussi à la campagne de John McCain en 2008, battu par Barack Obama.
Wallace se pare volontiers du titre d’ambassadeur, ayant en effet été nommé fin 2005 ambassadeur auprès des Nations Unies, non comme chef de la mission américaine, mais comme adjoint responsable des questions administratives et financières de l’ONU. Il travaille alors en parfaite harmonie avec l’ambassadeur chef de mission, John Bolton, néoconservateur connu pour son style abrupt et ses vues radicales, et mène avec lui une politique agressive de pression sur le Secrétariat des Nations Unies. Bolton entrera plus tard au Conseil consultatif de l’UANI. Wallace ne s’entend pas avec le successeur de Bolton, Zalmay Khalilzad, beaucoup plus modéré, et démissionne début 2008.

           Un nid de « faucons »

C’est alors qu’il fonde l’association « American Coalition against a Nuclear Iran », plus connue sous le nom de « United against Nuclear Iran ». Le principal organe collégial de l’organisation, le Conseil consultatif, agrège d’anciennes figures du monde de la défense et du renseignement, américaines mais aussi britannique, allemande, israélienne, et plusieurs anciens ministres de différents pays, dont l’Espagnole Ana Palacio, passée à l’histoire pour avoir, en qualité de ministre des affaires étrangères, donné instruction à ses ambassades d’attribuer à l’ETA les attentats islamiques du 11 mars 2004 à Madrid. On y trouve encore une figure connue de la diplomatie américaine au Proche-Orient, Dennis Ross, réputé très proche d’Israël. Ce conseil est actuellement présidé par Joseph Lieberman, ancien sénateur démocrate, fervent avocat de la relation spéciale entre les Etats-Unis et l’Etat hébreu.

            « Un homme de la Renaissance »

L’autre personnalité clé d’UANI, bien qu’elle n’y occupe aucun poste, est Thomas Kaplan, qui finance à lui seul environ la moitié de son budget. Kaplan a fait fortune en investissant dans les métaux, notamment or et argent. Il est aussi, avec sa femme, un collectionneur d’art avisé, un ardent défenseur d’Israël, un militant de la cause des grands félins menacés. Il est enfin un philanthrope tourné vers la France, ayant notamment contribué à la récente création d’une librairie française sur la Cinquième avenue à New-York. En somme, « un homme de la Renaissance », si l’on en croit le discours qui a accompagné la remise de sa croix de chevalier de la Légion d’Honneur en avril 2014.
Dans sa réponse, le récipiendaire évoque son engagement face aux ambitions nucléaires de l’Iran, motivé par le souvenir du sort infligé aux Juifs par le nazisme, et citant UANI, s’exprime ainsi : « certes, UANI ne dispose pas de missiles Tomahawk ou de porte-avions, mais nous avons plus fait pour mettre l’Iran à genoux que n’importe quelle initiative privée et la plupart des initiatives publiques ». De fait, UANI, à même époque, obtient l’engagement de grandes compagnies, américaines, européennes, asiatiques, de rompre toute relation avec l’Iran. UANI se flatte aussi d’avoir obtenu en juin 2013 du président Obama un décret plaçant sous sanctions toute coopération avec l’industrie automobile iranienne, où les Français étaient très présents.
Dès février 2012, Peugeot avait déjà quitté l’Iran, où il contribuait à assembler près de 500.000 voitures par an, dans l’espoir de nouer un partenariat avec General Motors, elle-même sous pression d’UANI. Mais le décret de juin 2013, abrogé en 2016 après l’accord de Vienne, a mis en difficulté Renault, très actif en Iran. Au total, l’industrie automobile française, selon les représentants du secteur, a dû perdre en cette affaire au moins 5.000 emplois.

            Une amitié mal placée

A noter que Thomas Kaplan se trouve à ce jour éclaboussé par une méchante affaire de détournement d’argent d’au moins un milliard de dollars au détriment d’un fonds public malaisien voué au développement du pays. La justice américaine et la justice suisse sont en effet sur la piste d’un sulfureux playboy et homme d’affaires, se présentant aussi comme philanthrope, Taek Jho Low, qui est au cœur de ce scandale.
Or Thomas Kaplan a bénéficié de placements venant de Taek Jho Low, lui a offert un siège au conseil d’administration de sa société Electrum, et lui a apporté son soutien public dans un clip promotionnel pour sa société Jynwel Capital : on y voit ainsi Thomas Kaplan, après une poignée de mains prolongée avecTaek Jho Low, le présenter comme un partenaire de totale confiance (capture d'écran ci-jointe).

           Casinos et bombes atomiques

L’autre important mécène d’UANI, à hauteur d’à peu près le quart de son budget, est le milliardaire américain Sheldon Adelson, qui a fait sa fortune dans les hôtels de luxe et les casinos à Las Vegas, Macao et Singapour. Sheldon Adelson est un fervent soutien de Benjamin Netanyahou, notamment au travers du quotidien gratuit Israel Hayom, qu’il possède. Il condamne évidemment le « socialisme » d’Obama et apporte son appui à Donald Trump.
En ce qui concerne l’Iran, il s’est fait remarquer en octobre 2013, alors que se nouait la négociation avec Téhéran, en recommandant publiquement de procéder à un tir de semonce atomique dans le désert iranien, et de notifier à la République islamique qu’une seconde bombe serait envoyée sur Téhéran si elle ne se pliait pas aux exigences américaines.

            Secrets d’État

Reste à savoir s’il existe des complicités entre UANI et « l’État profond » américain : services de renseignement, néoconservateurs insérés dans l’administration et agissant en informateurs bénévoles… Un coin du voile a été brièvement soulevé lors d’un procès en diffamation et chantage qui a opposé de 2013 à 2015 un armateur grec, Victor Restis, à UANI. L’organisation accusait en effet Victor Restis de violer l’embargo américain, alors que celui-ci affirmait n’acheminer vers l’Iran que des produits agroalimentaires, exemptés de sanctions pour raisons humanitaires. Au fil de la procédure, les avocats de Victor Restis ont demandé au tribunal fédéral saisi de l’affaire d’ordonner à UANI de présenter les documents à la source de ses accusations. C’est alors qu’en un mouvement sans précédent, le Département de la Justice américain a demandé au tribunal d’écarter cette requête au nom de la protection du secret d’État. Le tribunal s’étant incliné, l’affaire a été classée sans que l’on en sache davantage sur les secrets à protéger. Mais cette intervention extraordinaire a laissé présumer qu’UANI avait accès à des informations privilégiées venant de l’appareil d’État américain, voire d’appareils d’État étrangers [2].