mardi 27 novembre 2007

Les chacals de Monsieur Poutine

Ça y est, Poutine a sauté le pas en qualifiant publiquement ses adversaires politiques de chacals, tournant autour des ambassades étrangères, en attente de fonds de l'Occident.

J'avais dans une précédente rubrique traité cette question du vocabulaire déshumanisant sur un mode plutôt léger, à propos de la façon dont Sarkozy traitait les fonctionnaires de "petits pois". Mais là, nous sommes devant l'un des marqueurs très significatifs de la tentation totalitaire, qui nous ramène aux mauvais jours des "vipères lubriques", terme visant dans les années 1930 les Trotskistes, des "hyènes capitalistes", voire des "hyènes dactylographes" et des "rats visqueux".

Poutine nous fait donc régresser dans le monde des signes de la société totémique, où l’individu se fond dans la tribu, elle-même dotée de tous les droits, et surtout du droit du plus fort, de l’animal dans lequel elle s’incarne. Et dans ce monde archaïque, les symboles jouent dans les deux sens : aux adversaires les animaux impurs, à soi et aux siens les animaux nobles : loups gris, panthères noires, tigres tamouls et autres. Mais se qualifier ainsi, et qualifier les autres, c’est bien dire que l’on entre dans un monde de combat sans règles, de combat d’animaux où tous les instincts sont mobilisés pour détruire l’adversaire.

Comment détruit-on des chacals ? on tire à vue, on les empoisonne, on les met en cage. C’est ce que l’on a fait à Anna Politkovskaïa, à Alexandre Litvinenko, et maintenant à Garry Kasparov. Pour les animaux nuisibles, il n’y a pas d’Etat de droit. Il y a en revanche des primes de capture et d’abattage. Quel est leur montant dans les officines de M.Poutine ?

mardi 20 novembre 2007

Un intéressant coup de téléphone

Avant de partir pour l'Iran je tombe sur cet extrait de l'allocution de notre Président aux Français des Etats-Unis, très significative de sa façon de fonctionner et de décider : méfiance à l'égard des fonctionnaires, confiance dans le cercle doré des amis fortunés.

Il s'agit en l'occurrence de la mise en place cet automne de la gratuité pour les élèves de classe de terminale dans les établissements français à l'étranger. Première étape d'une mesure promise en effet par le candidat au cours de sa campagne. Mesure qui n'était soutenue par personne, à droite comme à gauche. Car le bon sens conduisait à constater que la gratuité réservée à la fin du secondaire créait un effet de discrimination difficilement supportable entre niveaux scolaires, et aboutissait à dépenser de l'argent public pour un certain nombre de familles qui n'en avaient pas besoin. La mesure s'applique en effet sans plafond de ressources pour les familles, ni plafond des écolages pour les établissements.

Voici donc les propos du Président :

"Je vais vous parler très librement ... Il y avait tellement de choses à faire que j'étais presque au point de me laisser faire par la machine administrative qui m'avait dit : "naturellement votre engagement de campagne, c'est un engagement de campagne. Il faut l'oublier". "Eh bien, non. Vous allez voir, on va faire la même chose". Oui, c'était peut-être la même chose, mais cela coûtait beaucoup moins cher. Je me suis quand même dit, à un moment, que ce n'était pas tout à fait la même chose, "on va multiplier les bourses, vous allez voir, cela va arriver". Guy m'a téléphoné en me disant que je n'avais pas le droit de faire cela.

Je suis quand même heureux parce que la scolarité en terminale, c'est gratuit et c'est quand même quelque chose qu'il fallait et que j'avais promis. "

Qui est le fameux Guy dont le coup de téléphone a emporté la conviction du Président, contre l'avis de toutes les associations de parents d'élèves, de tous les syndicats d'enseignants, de l'administration des Affaires étrangères et de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger? car tous considéraient que le même argent serait plus utilement et équitablement distribué en abondant le niveau des bourses scolaires, tous niveaux confondus.

Il s'agit de Guy Wildenstein, Français tout à fait honorable, puisqu'il siège à l'Assemblée des Français de l'étranger. Il est aussi marchand d'art connu dans le monde entier, à la tête d'une immense fortune. L'a-t-il constituée à la force du poignet? non, il l'a héritée de son père, lui-même marchand de tableaux, qui avait fait l'essentiel de la réputation de la galerie Wildenstein.

Joue-t-il un rôle social positif, prend-il des risques importants, en promouvant de jeunes créateurs, en défendant l'art contemporain? non, son fond de commerce est la peinture du XVème au XIXème siècle. Son coeur de métier est donc purement spéculatif : il s'agit d'acheter le moins cher possible et de revendre le plus cher possible des artistes morts depuis longtemps, dont la célébrité a été faite par d'autres. Pour être complet, reconnaissons aussi qu'il est un généreux mécène.

Et ajoutons, pour revenir au coeur de notre sujet, qu'il réside à New-York et qu'il a fait toutes ses études au Lycée français de cette ville. A-t-il eu, a-t-il encore en classe terminale de ce célèbre établissement privé des enfants, ou des petits-enfants, ou des neveux, que sais-je? A vrai dire peu importe, mais le monde qu'il fréquente en a certainement. Il ne sont pas dans le besoin. Ils n'ont en particulier besoin ni de bourses, ni de gratuité de l'enseignement. Ce sont eux, cependant, qui ont forgé sur ce sujet la conviction de notre Président.

vendredi 16 novembre 2007

carnets de voyage : la France à Kaboul

Pour ceux que cela pourrait intéresser, voici le compte-rendu, pour les membres de Français du Monde-ADFE, de mon voyage à Kaboul dans le cadre de la campagne pour des élections partielles à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de New Delhi.

Grâce à l'obstination de nos amis d'Islamabad - merci à Valérie et à Faqir Khan! -, nous arrivons avec Paul Graf à embarquer mardi sur le vol humanitaire des Nations Unies, petit avion à hélices de 20 places. En une heure de vol paisible, nous voici à Kaboul, aussitôt pris en charge par l'Ambassade de France.

Arrêt au cimetière des Européens, où nous nous recueillons sur les très modestes tombes des Français et de bien d'autres qui, du XIXème siècle à ces derniers mois, ont donné leur vie à ce pays. En traversant la ville poussiéreuse, encore stigmatisée par plus de vingt années de guerre, nous passons par le quartier des nouveaux puissants du jour, barons de la politique et de la drogue, où se pressent des dizaines de villas toutes neuves, plus kitsch les unes que les autres, au murs couleurs pastel, avec colonnades, frontons et escaliers extérieurs massifs, marbres et stucs ostentatoires.

L'ambassade se trouve au coeur du quartier diplomatique et gouvernemental, lourdement protégé par barbelés, sacs de sable et chicanes. Datant des années 1960, elle a, elle aussi, souffert de temps difficiles. C'est néanmoins, avec ses massifs de roses et sa grande pelouse arborée, un vrai havre de paix. Une dizaine de policiers français, visiblement aguerris, assurent sa sécurité et veillent, avec trois voitures blindées, à la protection des déplacements sensibles.

Mais ce qui frappe en parlant aux uns et aux autres, c'est la faiblesse des moyens humains. Quelques agents à peine pour couvrir non seulement l'évolution de la situation intérieure, mais aussi l'international, l'économique, le consulaire, la coopération. La petite équipe a un moral d'acier, indispensable pour ne pas sombrer dans un environnement extraordinairement difficile.

Tous sont profondément motivés et de la plus haute qualité. Il le faut pour maintenir à flot notre image, alors que des pays aux intérêts proches des nôtres, Grande-Bretagne, Allemagne ou Canada, sans parler des Américains, ont su adapter leurs effectifs aux enjeux, et disposent de moyens sans comparaison avec les nôtres. Ici, comme en d'autres endroits difficiles, Paris demande de faire plus avec moins, et se montre faiblement réactif. Dans des circonstances de ce type, pourquoi ne parvient-on pas à réorienter, au moins pour un temps, quelques agents de postes paisibles et bien pourvus afin de renforcer nos équipes?

Il y a évidemment nos cinq coopérants, conduits par notre ami Michel Ouliac, auprès des deux lycées de tradition française, Malalai pour les filles, Esteqlal pour les garçons : 7.000 élèves au total, avec l'ambition pour notre part d'enseigner à terme en français à partir de la classe de seconde au moins les matières scientifiques, et de diriger les meilleurs éléments vers notre enseignement supérieur. Deux beaux établissements, construits en leur temps par la France. Ils ont eux aussi souffert de l'intervention soviétique et de la guerre, non seulement dans leurs murs, mais encore bien plus par la dispersion du corps enseignant francophone, qu'il faut patiemment reconstituer et motiver. Ils ont néanmoins, avec notre soutien, déjà restauré leur image et leur force d'attraction.

Il y a aussi notre centre culturel, animé avec une foi vibrante par Gabriel Buti. C'est une très belle structure : grand hall polygonal pour les expositions, salle de spectacle de 450 places, bien équipée, médiathèque à la chaleureuse ambiance. Avec de très modestes moyens de fonctionnement, heureusement démultipliés par beaucoup d'imagination, notre centre occupe une place hautement visible, unique en son genre, dans une ville à peu près privée de toute offre culturelle.

Et grâce à l'hospitalité de Michel et Roseline Ouliac, nous avons passé notre unique soirée avec une trentaine de Français (dont une bonne moitié de Françaises!) travaillant ici, soit pour des ONG, soit pour des institutions humanitaires de la famille des Nations Unies. Tous gens de qualité, clairement compétents dans leurs domaines respectifs, parlant avec ferveur de leurs projets, qu'il s'agisse de santé publique, de médecine d'urgence ou réparatrice, d'agriculture et de micro-développement, de lutte contre la drogue, d'adduction d'eau ou tout simplement de logistique associée.

Mais tous aussi se montrent inquiets quant à la pérennité de leurs programmes, alors que l'Afghanistan cède la place dans les médias internationaux à d'autres urgences humanitaires, telles que le Darfour, et que commence à apparaître la fatigue des donateurs. Là comme ailleurs, le secret du succès réside pourtant dans la capacité à maintenir notre aide sur longue durée, en la protégeant des fluctuations des modes, des aléas politiques et stratégiques.

Nous repartons par le même avion des Nations Unies en fin de matinée du mercredi, pour refaire un dernier point avec nos amis d'Islamabad, avant de prendre en début de soirée un bus sur Lahore, où nous arrivons à une heure avancée de la nuit. Quelques heures de sommeil, et départ le lendemain matin, Paul sur Téhéran, moi sur Paris. Mardi prochain, nous nous retrouvons en Iran pour poursuivre la campagne.

jeudi 15 novembre 2007

carnets de voyage : le Pakistan dans la tourmente

Une semaine de séjour, de longues conversations avec de fins connaisseurs de la région (notamment notre ami Georges Lefeuvre) et la lecture d'une presse écrite abondante, de haute qualité et étonnamment libre, conduisent à la conviction que ce pays de 170 millions d'habitants aborde une tourmente qui pourrait être l'une des pires de son histoire.

Le général-président Musharraf a récemment dissous la Cour suprême qui menaçait de le priver de son poste, et proclamé l'état d'urgence au nom de la lutte contre le terrorisme. La société civile a mal réagi à ce qu'elle considère comme l'instauration de la loi martiale, et Benazir Bhutto a pris la tête des protestations contre cette décision, en réclamant la tenue des élections législatives prévues pour le début de l'année prochaine. Les Etats-Unis, l'Europe, le Commonwealth font pression dans le même sens au nom de la défense des droits de l'Homme et de la démocratie.

Mais le retour à l'ordre et au calendrier constitutionnels n'a rien en soi de rassurant. Il rendrait en effet probable le retour de Benazir, icône en Occident, mais lourdement discréditée dans son pays par sa pratique clanique et corruptrice du pouvoir. Il paraît surtout douteux qu'elle puisse avec son parti, ou même en coalition avec d'autres qui ont, comme le sien, si souvent cédé aux Islamistes, faire face à la montée de l'insurrection talibane qui menace l'Etat pakistanais dans son existence même.

Car le Pakistan, en un effet de dominos, se trouve aujourd'hui déstabilisé par la persistance de la crise afghane. L'intervention américaine a en effet redonné à Ben Laden et à ses "Arabes", éléments importés dont la greffe n'avait pas vraiment pris du temps de la lutte nationale contre les Soviétiques, une nouvelle chance de créer le lien entre un jihad local, résistance séculaire des populations pachtounes contre tout envahisseur, et un jihad global. Ce jihad global qui cherche toutes les occasions, de la Tchétchénie à l'Irak, pour recréer, en opposition à la mondialisation déstructurante conduite par l'Occident, le Califat des origines, la grande communauté des Croyants.

Les Pachtounes, rappelons-le, forment à peu près la moitié de la population de l'Afghanistan, mais sont au moins deux fois plus nombreux dans la zone Nord-Ouest du Pakistan. Pour eux, la frontière qui les sépare n'a aucun sens, elle ne devrait donc pas exister. Et les Islamistes réfugiés dans ce sanctuaire de montagnes s'associent désormais à cette aspiration pour détruire le Pakistan en tant qu'Etat. La proie est autrement plus appétissante que le maigre Afghanistan. C'est certainement pour eux un but en soi, désormais prioritaire. Et ce serait d'ailleurs le meilleur biais pour déloger les Occidentaux de Kaboul et faire tomber le régime qu'ils soutiennent.

Les militants pachtounes, ou Talibans, mènent en ce moment l'offensive pour étendre leur contrôle à toute la zone du Pakistan où leur communauté est majoritaire. Les derniers combats, où ils affrontaient des supplétifs pachtounes comme eux, donc faiblement motivés, leur ont laissé l'avantage du terrain. L'armée régulière se voit obligée de monter au front. Elle est composée majoritairement de Penjabis, ce qui risque d'exacerber les tensions inter-communautaires. Elle n'est pas formée à la contre-guerilla. Il n'est donc pas certain qu'elle fasse beaucoup mieux que toutes les armées du monde qui ont eu à affronter les Pachtounes sur leur territoire.

La mouvance islamiste où se rejoignent un solide fond pakistanais, mais aussi des Tchétchènes, des Ouzbeks et, bien sûr, les Arabes de Ben Laden, soutient cette offensive en portant le fer bien au-delà de la région pachtoune, dans l'ensemble du pays. Ce sont les attentats suicides comme celui de Karachi (140 morts) qui a marqué le retour d'exil de Benazir. C'est aussi la transformation spectaculaire de la Mosquée rouge d'Islamabad en fort retranché, qu'il a fallu réduire par de sanglants combats.

L'on discerne ici la stratégie bien connue qui vise à ajouter au combat frontal la démoralisation de l'arrière : meilleure façon de faire perdre à leur tour le moral aux troupes de première ligne. Or les Américains, dont les trois quarts de l'approvisionnement destiné à leurs troupes en Afghanistan passent par le Pakistan, ne peuvent tolérer l'effondrement de cet Etat. Et ils ne peuvent tolérer qu'un pays doté de l'arme nucléaire tombe entre les mains de fondamentalistes musulmans.

La scène est donc dressée pour une pénétration de l'armée américaine au Pakistan, en appui à l'armée nationale. Bush peut y voir l'occasion de jouer son va-tout avant de quitter la Maison blanche. Avec un peu de chance, il pourrait en effet remporter des succès au moins provisoires et qui sait, mort ou vif, capturer Ben Laden. L'armée pakistanaise, inquiète du défi des Talibans, fait de son côté passer le message qu'elle pourrait enfin accepter la coopération opérationnelle de l'armée américaine.

Mais il y a dans tout cela une part de fuite en avant. Comment l'opinion pakistanaise prendra-t-elle la présence américaine sur son sol? Talibans et Islamistes s'en trouveront-ils légitimés dans leur combat, verront-ils affluer de nouveaux adeptes? Comment par ailleurs combiner les impératifs de la lutte contre le terrorisme et la consolidation de la démocratie? et si l'Amérique en profitait pour à peu près au même moment frapper l'Iran? Alors de l'Euphrate à l'Indus, là où s'était joué le "grand jeu" d'Alexandre, l'on pourrait en 2008 voir monter les flammes d'une large zone de crise.

jeudi 8 novembre 2007

Afghanistan : la grande godille

Tout ceci aura été mis en valeur par les éditorialistes lorsque vous lirez ces lignes, mais je ne résiste pas à l’envie de mettre personnellement en parallèle quatre propos de Nicolas Sarkozy, émis en un délai de six mois.

6 mai 2007, " A vous de juger ", France 2

"Il était certainement utile qu'on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme, mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive… Il y a eu un moment donné pour aider le gouvernement de M. Karzaï, où il fallait faire un certain nombre de choix, et d'ailleurs le président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d'éléments. C'est une politique que je poursuivrai."

5 juin 2007, interview au New York Times

"Nous d’avons pas mission de rester la-bas indéfiniment, mais partir maintenant montrerait un manque d’unité avec nos alliés."

27 août 2007, discours aux Ambassadeurs

" Face à des crises internationales telles que celle de l'Irak, il est aujourd'hui établi que le recours unilatéral à la force conduit à l'échec ; mais les institutions multilatérales, qu'elles soient universelles, comme l'ONU, ou régionales, comme l'OTAN, peinent à convaincre de leur efficacité, du Darfour à l'Afghanistan. "

et curieusement, dans le même discours :

" Notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan... Mais nos actions en Afghanistan seraient vaines si, de l'autre côté de la frontière, le Pakistan demeurait le refuge des Talibans et d'Al Qaeda, avant d'en devenir, peut-être, la victime. Je suis convaincu qu'une politique plus déterminée de la part de toutes les autorités pakistanaises est possible et qu'elle est dans leur intérêt à long terme. Nous sommes naturellement prêts à les y aider. "

…Ce qui semble laisser entendre que l’on pourrait intervenir, non seulement en Afghanistan, mais aussi au Pakistan.

Enfin, le 7 novembre, devant le Congrès américain :

"Je vous le dis solennellement aujourd'hui : la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu'il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c'est l'avenir de nos valeurs et celui de l'Alliance atlantique."

Notons bien désormais que l’avenir de l’OTAN se joue entre Hérat, Kandahar et Kaboul…

Comprendra qui pourra. Ou faut-il comprendre que Nicolas Sarkozy tient à chacun, de l’électeur français au Congressman américain, le discours que celui-ci veut entendre ?

dimanche 4 novembre 2007

Triste naufrage

Lorsque l'on croit à l'importance de la coopération décentralisée et des interventions de la société civile dans les situations d'urgence et dans l'aide au développement, l'on ne peut qu'être abattu par l'affaire de l'Arche de Zoé. Le reportage télévisé du journaliste Marc Gamirian sur l'ensemble de l'opération, que vient de diffuser la chaîne M6, est accablant sur le comportement d'Eric Breteau, son chef de file. Les effets de ce désastre ne manqueront pas de se faire longuement sentir dans nos rapports avec les pays africains, dont la confiance a été fortement ébranlée. Comment en est-on arrivé là?

Les diplomates qui ont géré des situations de crise, avec leur afflux d'ONG humanitaires (j'ai pour ma part connu cela avec le tremblement de terre de Bam, en Iran, qui a tué en quelques secondes 30.000 personnes le lendemain de Noël 2003) savent toute l'importance du rôle de conseil, de coordination et d'appui d'une ambassade bien mobilisée et connaissant son terrain. Un certain nombre de volontaires débarque en effet avec plus de bonne volonté que de capacité à agir, du moins dans l'immédiat. Beaucoup demandent, parfois impérieusement, qu'on les aide à débloquer leur matériel de la douane ou à trouver des moyens locaux d'acheminement sur les lieux de l'opération. Souvent quelques conseils très simples de comportement, quelques mises en contact (par exemple pour trouver de bons guides et interprètes) leur permettent d'éviter de lourdes erreurs. Tous sont évidemment anxieux de démontrer leurs capacités dans un monde qui est, à sa façon, très concurrentiel quand il s'agit ensuite de l'emporter dans des appels à projets européens ou multilatéraux.

Et c'est très bien ainsi. Car les ONG, la société civile, ne peuvent pas tout faire. Et l'administration d'Etat non plus. C'est de leur bonne collaboration que peuvent sortir des opérations réussies, qu'il s'agisse d'humanitaire ou d'aide dans la durée au développement.

Dans le cas de l'Arche de Zoé, l'on voit que l'ambassade de France et l'armée française ont cru bien faire en apportant à cette équipe toute l'aide possible, d'autant qu'Eric Breteau leur a soigneusement dissimulé le but ultime de l'opération. Manifestement, comme disent les militaires, elles n'ont pas "percuté".

Mais ce but d'exfiltration des enfants était, lui, connu du cabinet de Rama Yade et des services parisiens, de même que les noms des responsables de l'association qu'ils avaient reçus à plusieurs reprises. L'Ambassade n'en aurait-elle pas été informée? Il est pourtant de règle, quand un service parisien est saisi d'une affaire de ce genre, d'alerter aussitôt l'ambassade concernée par télégramme, et vice-versa. Pour ce qui concerne la responsabilité du ministère des Affaires étrangères et européennes, c'est la question essentielle.

Si Rama Yade et ses collaborateurs n'ont pas répercuté l'information qu'ils détenaient, ils sont responsables. S'ils l'ont fait et que l'ambassade n'a pas correctement exploité l'information, c'est elle la responsable. Espérons que l'inspection demandée par le Premier Ministre fera la clarté au plus vite sur ce point crucial. Il y va de la bonne information des Français, et de la confiance qu'eux aussi peuvent faire, ou non, aux membres de leur gouvernement et à leur administration.