mercredi 26 septembre 2012

Syrie, au milieu du gué


Dans les entreprises à hauts risques, comme la lutte menée par les insurgés syriens, appuyés par une  partie de la communauté internationale, pour renverser le régime d’Al Assad, l’on rencontre à un moment ou à un autre le sentiment d’être au milieu du gué : le courant est violent, le sol glisse sous vos pieds, l’ennemi vous mitraille de ses positions protégées, parviendra-t-on à atteindre l’autre rive ? A vrai dire, en ce genre de circonstance, il n’y a guère d’autre solution que de progresser. Mais l’observateur, en raison même de la sympathie qu’il éprouve pour ces combattants en situation difficile, en raison même de la position confortable d’où il s’exprime, en vient à se demander s’il a bien fait, s’il fait bien encore, d’encourager ceux qui sont en train de se sacrifier à prendre de tels risques – en mettant aussi en péril leur famille, leurs enfants, leurs quartier, leur village.

Un éditorialiste, dans le Figaro du 25 septembre, parlant de la Syrie, invite notre président « à cesser d’être « normal » pour remettre la France sur la carte du Monde ». Est-ce vraiment là le sujet ? Avant de se préoccuper de la place de la France, ne faut-il pas se préoccuper du conflit et de ses victimes ? Et voir s’il est possible, et comment, d’arrêter l’hémorragie ?

« Mais », va-t-on dire, « arrêter l’hémorragie maintenant, ce serait reconnaître à Assad sa victoire, ce serait conforter un régime cannibale, mis au ban des nations ». Peut-être, mais peut-être pas. Le retour au calme pourrait-il être aussi le prélude à un jeu politique plus ouvert, où se desserrerait l’emprise d’un clan sur le pays ? C’est ce à quoi a travaillé Kofi Annan, c’est ce à quoi travaille Lakhdar Brahimi. Il n’est pas sûr que l’on ait beaucoup fait, du côté occidental, pour les aider.

Face au dilemme : travailler à la paix, même imparfaite, même incertaine, ou pousser à l’exacerbation du conflit jusqu’à son épuisement, nous avons opté, Européens et Américains, pour la deuxième branche de l’alternative. Ayant choisi notre camp, nous avons évidemment condamné tous ceux –Chine, Russie, Iran- qui aidaient l’autre. Mais nous aidons aussi le nôtre.

Chacun donc, ouvertement ou clandestinement, directement ou indirectement, alimente la fournaise. À ce jeu, l’on peut craindre que chaque effort supplémentaire des uns soit compensé par un effort supplémentaire des autres. L’on a vu, en d’autres circonstances, comment ce type de comportement aboutissait à des issues où tous les combattants se retrouvaient à bout de forces, sans jamais pouvoir l’emporter l’un sur l’autre. Et si l’un quand même l’emportait, ce serait dans un tel champ de ruines qu’il n’y aurait plus de véritable vainqueur. Ce serait dans un tel chaos que tout retour à la normale se trouverait compromis pour des années. Ceci sans parler des évolutions incontrôlées qui pourraient embraser les pays voisins, déstabiliser la région, et punir des communautés entières n’y pouvant mais.

L’on a déjà vu les effets induits en Libye et jusqu’au Sahel par l’intervention à force ouverte de l’Occident en vue de faire chuter un régime honni, qui méritait en effet amplement de disparaître. Ces effets induits sont là pour durer. Notre non-intervention en Syrie pourrait-elle conduire à des résultats comparables ? Enfin, comme disait Talleyrand: «non-intervention, ce mot diplomatique et énigmatique signifiant la même chose qu’intervention ». Nous ne pourrons pas nous étonner, encore moins nous exonérer, de ce que sera la Syrie de demain. Il n’est pas interdit de commencer à réfléchir aux efforts, très concrets, auxquels nous pourrons être appelés pour la reconstruire. Pour répondre au souci de l’éditorialiste du Figaro, une bonne occasion s’offrirait  alors à la France de « tenir son rang ».