jeudi 30 mai 2019

Crise du nucléaire iranien : encore temps d’éviter le pire


(article paru le 27 mai 2019 dans "la Croix")

Les dernières attaques de Washington contre l’accord nucléaire de 2015, dit JCPOA, visent pour la première fois le cœur du dispositif. Elles menacent en effet d’interdire à l’Iran d’exporter l’uranium légèrement enrichi et l’eau lourde qu’il produirait au-delà des plafonds fixés par le JCPOA. De plus, le Département d’État demande à l’Iran « de mettre fin à toutes ses activités sensibles… y compris l’enrichissement de l’uranium. » Nous revoilà à la case départ, en 2003, quand John Bolton, déjà lui, harcelait les Européens pour qu’ils obtiennent de Téhéran l’acceptation de la fameuse formule « zéro centrifugeuse ». Les chances étaient égales à zéro. Elles le sont encore aujourd’hui.

Primum non nocere

Les partenaires de l’Iran restés dans le JCPOA après le départ américain (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Chine, Russie) doivent d’abord désamorcer toute tension. Inutile de parler d’« ultimatum  quand le Président Rouhani annonce qu’il va revenir sur certains engagements faute d’un allègement rapide des sanctions américaines. C’est plutôt un appel au secours.

L’Iran doit aussi faire un effort. Pour se protéger des dernières menaces américaines, il peut rediluer en uranium naturel l’uranium enrichi excédentaire qu’il ne pourrait plus exporter. De même pour son eau lourde excédentaire, qui pourrait être rediluée en eau ordinaire. l’Iran n’a aucun besoin d’accumuler, avec ses centrifugeuses obsolètes, d’importantes quantités d’uranium légèrement enrichi dont il n’a pas d’usage à court terme. Mieux vaudrait se concentrer, comme le permet le JCPOA, sur la mise au point de centrifugeuses plus performantes. Et au lieu de relancer la construction du réacteur à uranium naturel auquel il a renoncé en adhérant au JCPOA, il ferait mieux d’inciter ses partenaires à accélérer la construction du réacteur de remplacement qu’ils lui ont promis.

Vers une sortie de crise ?

Mais l’essentiel du problème est à Washington, où s’entend la volonté d’en découdre. La tension monte dans le Golfe persique. Les Européens peuvent-ils modifier le cours des choses ? Ils ne convaincront pas les États-Unis de réintégrer le JCPOA, ni les Iraniens de le renégocier. Mais ils peuvent mettre à profit l’aspiration de Donald Trump à démontrer son « art du deal » par un arrangement avec Téhéran, si possible avant l’élection présidentielle de 2020. Un accord limité ferait l’affaire, s’il profite à l’Amérique et réduit le risque iranien de prolifération. Les Européens ont là un rôle d’« honnête courtier » à jouer.

Ce que les Américains peuvent donner

Washington pourrait, par exemple, ne plus bloquer la vente à l’Iran d’avions commerciaux, qui avait été autorisée par le JCPOA. Avant la sortie américaine de l’accord, Boeing et Airbus avaient commencé à négocier la livraison d’une centaine d’avions chacun. La relance de cette affaire bénéficierait à l’Iran, dont la flotte a été mise à mal par de longues sanctions, mais aussi à Boeing, qui vit une passe difficile. La perspective de milliers d’emplois nouveaux dans l’industrie aéronautique serait bienvenue en année électorale américaine. Et l’économie européenne y gagnerait aussi.

Mais pour acheter des avions, il faut des dollars. Les Américains pourraient donc desserrer leurs sanctions sur le pétrole iranien. La tension baisserait sur les marchés internationaux et le prix de l’essence aux pompes américaines baisserait aussi : encore un point utile à la veille d’élections.

Pour payer des avions, il faut enfin un système bancaire. Il serait donc logique de desserrer aussi les sanctions sur les banques iraniennes, une fois l’Iran en conformité avec les normes internationales sur le financement du terrorisme.

Ce que les Iraniens peuvent donner

Que pourraient offrir les Iraniens en échange ? Sur le dernier point, l’adoption de normes anti-terroristes fait polémique à Téhéran. Au Guide de débloquer la situation. Mais ce ne serait pas assez pour les Américains.

Comme la lettre volée d’Edgar Poe, la solution est sous nos yeux. Puisque l’Iran, en vertu du JCPOA, ne peut conserver plus de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, nul besoin de faire tourner les 5.000 centrifugeuses qu’autorise cet accord. 1.500 suffiraient amplement. À nouveau, l’intérêt de l’Iran n’est pas d’activer un maximum de centrifugeuses d’un modèle des années 1970, mais de développer un modèle plus performant pour le jour où le JCPOA arrivera à expiration. Téhéran peut arrêter sans frais les deux tiers de ses centrifugeuses tant que les Américains tiendront leurs propres promesses.

Un accord pragmatique est donc à portée. Donald Trump proclamerait avoir tiré de l’Iran plus qu’Obama, sans avoir rien donné qui n’était déjà dans le JCPOA. Rouhani dirait avoir obtenu un allègement des sanctions américaines sans obérer l’avenir du programme nucléaire. Si les Européens parvenaient à nouer tous ces fils, ils auraient désamorcé une sérieuse crise de notre époque.


lundi 13 mai 2019

TRUMP, l’IRAN ET LE MONDE DE L’OR NOIR


Le 22 avril, l’administration américaine a fait savoir qu’elle allait mettre fin aux exemptions qui épargnaient à huit pays grands consommateurs de pétrole iranien l’interdiction générale d’achat intervenue en novembre dernier suite au retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de Vienne. La décision est entrée en vigueur le 2 mai. Elle vise expressément à réduire à zéro des exportations essentielles à l’économie iranienne, et à convaincre ainsi Téhéran de céder sur toutes les exigences de Washington touchant au nucléaire, au balistique, aux droits de l’Homme, au rôle de l’Iran dans sa région. Témoignant d’une certaine fébrilité, elle a créé inquiétude et surprise. Mieux vaudrait pour tout le monde – Iraniens, cela va sans dire, mais aussi clients de l’Iran, et même Américains --, qu’elle ne produise pas ses pleins effets.

La fébrilité

Depuis quelque temps, émergeait à Washington la frustration de constater que le retour de ses sanctions, intervenu en deux vagues, août et novembre 2018, ne produisait aucun effet sur le gouvernement iranien. La population souffrait, s’agitait même, mais rien qui mette en péril la République islamique. Celle-ci maintenait sa posture de défi : pas question de négocier avec une Amérique qui avait trahi sa parole, avant qu’elle ne s’excuse et réintègre, précisément, l’accord de Vienne.

Cette absence de résultat, si elle se prolongeait, pourrait gêner Trump dans sa campagne pour sa réélection : à peine une année à ce jour. D’où l’idée d’augmenter la pression par une troisième vague de sanctions. Elle est en cours : inscription des Pasdaran sur la liste des organisations terroristes, durcissement des sanctions pétrolières, interdiction d’un certain nombre de transactions dans le domaine nucléaire, interdiction d’acheter et de vendre à l’Iran plusieurs types de métaux. Chacune de ses mesures a soulevé des objections de bon sens au sein même de l’administration américaine, mais les « faucons » l’ont emporté. Et pour faire bon poids, un porte-avions américain, l’Abraham-Lincoln, se dirige en ce moment vers le Golfe persique.

La surprise

Pour la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon, la Turquie, en particulier, la décision américaine de leur interdire tout achat de pétrole a produit un choc, alors que ces pays étaient en négociation pour la reconduction des exemptions dont ils avaient bénéficié. Le pétrole iranien est en effet essentiel pour eux. Ils ont des raffineries formatées pour traiter le pétrole lourd dont l’Iran est grand exportateur, leur adaptation à d’autres types de pétrole coûtera cher et représente un redoutable défi à si bref délai. Quant aux condensats, pétroles ultra-légers, dont l’Iran est également exportateur, la Corée du Sud, en autres exemples, qui en est grand acheteur, pourra certes s’approvisionner ailleurs, notamment aux États-Unis, mais, au vu de la distance, à un coût bien plus élevé. L’affirmation de Donald Trump, selon laquelle le marché mondial suppléerait aisément au tarissement des exportations iraniennes, laisse donc subsister de sérieux problèmes pour les clients au premier chef concernés.

Pour les marchés aussi, cela a été la surprise. Les cours ont monté à l’annonce de la décision américaine, puis sont retombés. Mais il n’est pas certain qu’à moyen terme les marchés restent aussi placides que l’espère Washington. Or toute hausse en 2020 du coût de l’essence à la pompe aux États-Unis jouerait négativement pour la réélection de Donald Trump. Certes, dans les sous-sols, et dans les réserves des uns et des autres, les ressources sont là, mais s’ajuster aux besoins de chaque pays, type de pétrole par type de pétrole, sans rupture d’approvisionnement ni hausse de coûts insupportables, est une autre affaire, surtout dans une période d’incertitude générée par les crises libyenne et vénézuélienne.

L’inquiétude

Il y a d’abord et avant tout l’inquiétude des Iraniens, voués à de nouvelles et dures privations. Il y a l’inquiétude de tout le monde à l’idée que cette montée de tension pourrait conduire à un conflit ouvert qui embraserait le Golfe persique. Disons quand même que les navires de guerre américains ne vont pas commencer à arraisonner les tankers iraniens sur toutes les mers du monde. L’idée que le détroit d’Ormouz pourrait faire l’objet d’un blocus -- acte de guerre en droit international --, soit des Américains soit, en représailles, des Iraniens, ne vaut que pour les éditoriaux, ou les escalades verbales. Les sanctions de Washington sur le pétrole ne s’appliquent pas aux flux physiques mais aux transactions financières. C’est par ce biais que peuvent être mis en quarantaine et punis dans leurs intérêts aux États-Unis les clients de l’Iran et les banques qui leur apportent leur concours. C’est déjà hautement dissuasif.

Il y a enfin l’inquiétude de tout le monde, Américains compris, à la perspective de sérieux à-coups sur les marchés. Trump a indiqué que les grands producteurs arabes, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, lui avaient donné l’assurance qu’ils combleraient l’effacement du pétrole iranien. Mais l’Arabie saoudite est restée dans l’expectative. Elle juge en effet qu’elle a été dupée lors de l’entrée en vigueur des sanctions américaines contre l’Iran en novembre dernier. Pour répondre à une demande de Trump, elle avait aussitôt augmenté sa production. Mais les exemptions américaines ensuite intervenues ont provoqué un excédent d’offre sur les marchés, et donc une chute des cours. L’Arabie saoudite ne veut pas être à nouveau instrumentalisée. Elle attendra la réunion plénière de l’OPEP, les 25 et 26 juin prochain, pour tenter d’élaborer une réponse coordonnée (mais pas unanime puisque l’Iran en fait partie, et fera entendre sa voix).

Jusqu’où s’appliqueront les sanctions américaines ?

Déjà dans la période précédente, de 2012 à 2015, les Iraniens avaient mis en place des dispositifs élaborés de contournement des sanctions américaines, alors appuyées par des sanctions européennes. Ils les ont réactivés depuis novembre dernier et vont, bien entendu, chercher à les perfectionner. Pour l’essentiel, ces dispositifs consistent d’abord à offrir de fortes réductions de prix pour convaincre les clients potentiels de braver les sanctions. Ils consistent ensuite à effacer l’origine iranienne de ce pétrole en combinant la réduction de la traçabilité des tankers iraniens par la coupure de leurs liaisons satellitaires, le transfert discret de leur cargaison sur des navires d’autres nationalités ou dans des installations portuaires non surveillées, enfin le maquillage des documents d’accompagnement. Quant aux paiements, ils peuvent se faire par accords de troc, en monnaies exotiques, en liquide, ou encore en métaux précieux. En ce qui concerne la Turquie voisine, les choses sont encore plus faciles. Certes, tout ceci ne peut couvrir qu’une partie des ventes de l’Iran, peut-être un quart ou un cinquième. Les Iraniens dont les exportations de pétrole ont déjà été réduites de 30 à 50% depuis le retour des sanctions, doivent donc se préparer à de nouvelles réductions.

Côté clients, les premières réactions ont été plutôt retenues. La Chine, l’Inde, la Turquie évaluent leur intérêt à résister à l’aune de leur relation globale avec l’Amérique. Le Japon, la Corée du Sud ne désespèrent pas d’obtenir des exemptions discrètes. Les Américains ne devraient pas s’interdire de faire quelques gestes, soit pour faire baisser la tension sur les marchés, soit pour obtenir des gestes en retour dans d’autres domaines : par exemple dans le cadre de leurs négociations commerciales avec la Chine. Rien n’est encore joué.
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Mais dans l’immédiat, l’urgence est ailleurs. Elle est dans ce qu’il faut bien appeler une rafale de provocations de l’Amérique, cherchant à pousser l’Iran à la faute : la première d’entre elles étant une sortie de l’accord de Vienne qui débriderait son programme nucléaire. Il deviendrait alors possible d’accuser la République islamique de relancer la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et donc de mobiliser à nouveau contre elle la communauté internationale. A vrai dire, le piège est assez grossier, à l’image de son principal instigateur, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale auprès de Donald Trump, connu pour ses outrances et sa brutalité. Le gouvernement d’Hassan Rouhani a vu où l’on voulait l’entraîner. Jusqu’à présent, il a choisi d’être intelligent pour deux, et même pour trois si l’on compte ses propres opposants prêts à en découdre avec l’Amérique. Dans l’autre crise que vient de déclencher l’administration américaine en s’en prenant au cœur des dispositions de l’accord nucléaire de Vienne, Rouhani a ainsi opté pour une réponse soigneusement calibrée, qui laisse du temps et de l’espace à la diplomatie. En cette passe difficile, il semble avoir fait sienne la formule chinoise : « un combat évité est un combat gagné ». Reste à espérer qu’il pourra s’y tenir.

(article paru dans Figaro Vox le 10 mai 2019)

samedi 4 mai 2019

MONSIEUR TRUMP ET LES PASDARAN


Il y a d’abord eu, le 8 avril, une déclaration du Président Trump annonçant son intention de placer les Gardiens de la Révolution islamique, ou Pasdaran, sur la liste des organisations terroristes dressée par son Département d’État ; puis le 15 avril, l’inscription effective de l’organisation sur cette liste, y compris sa filiale, le mouvement de jeunesse dit des Bassidji ou « mobilisés ». Voilà donc les Pasdaran en bonne compagnie, aux côtés du Hezbollah libanais, du Hamas et du Jihad islamique palestiniens, mais aussi avec leurs pires ennemis : Da’esh, el Qaida. Au moins ne croiseront-ils pas dans cet enfer leurs vieux adversaires, les Moudjaheddine du Peuple iraniens : inscrits sur cette liste en 1997, mais rayés en 2012, grâce à l’intense lobbying d’amis américains tels que John Bolton ou Rudy Giuliani, gravitant aujourd’hui autour de Donald Trump.
Donald Trump et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, ont tous deux souligné que les États-Unis qualifiaient pour la première fois d’organisation terroriste une institution d’État étranger, et rappelé que le régime iranien, par son usage systématique de la terreur, se différenciait fondamentalement de tout autre type de gouvernement. La décision de l’Administration visait à accroître encore la pression sur Téhéran pour le contraindre à mettre fin à ses agissements de hors-la-loi.

             De minces effets


En réalité, la mesure est, pour l’essentiel, symbolique. L’Organisation des Gardiens de la révolution et toutes ses succursales sont déjà sous sanctions américaines depuis huit à douze ans pour leurs entreprises terroristes, leur rôle en matière de prolifération nucléaire et balistique et leurs violations des droits de l’Homme. Elles sont d’ailleurs aussi sous sanctions européennes. Quant à l’État iranien lui-même, il est officiellement qualifié depuis janvier 1984 par le Département d’État de « soutien du terrorisme ».
La nouvelle mesure produit au plus deux effets. D’abord, tout membre de l’Organisation, voire ancien membre, et toute personne lui ayant apporté son soutien peut se voir interdire pour ce seul motif l’accès au sol américain, ou en être expulsé. Ce qui fait des millions de personnes, si l’on met dans le lot les fameux Bassidjis, sans oublier les étrangers. Mais, à vrai dire, depuis le « Muslim Ban » de Trump en février 2017, ce sont pratiquement tous les Iraniens qui sont interdits de territoire américain. Ensuite, l’échelle des peines pouvant frapper une personne physique ou morale apportant son soutien aux Pasdaran se trouve aggravée par la qualification d’action criminelle. Mais les peines antérieures, déjà fort lourdes, étaient pleinement efficaces, comme l’a démontré l’assèchement des échanges de tous genres avec l’Iran après le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de Vienne et le retour des sanctions américaines.

            Le diable dans les détails


Côté américain, le projet a suscité l’opposition des bureaux du Département d’État et du Pentagone, conscients des risques de dérapage incontrôlé que pourrait générer un contact plus ou moins rugueux entre éléments armés, notamment dans les eaux ou l’espace aérien du Golfe persique. Trump est passé outre. Mais on peut faire confiance aux plus hauts gradés américains pour réduire les risques à près de zéro : depuis 2003 et le fiasco irakien, ils manifestent une aversion constante à toute idée de conflit avec l’Iran. Quant au Département d’État, il en est à préparer une série de directives pour que des officiels étrangers, des membres d’organisations non-gouvernementales ou même des hommes d’affaires ne se trouvent pas empêchés de pénétrer aux États-Unis pour avoir, entre autres exemples, serré la main d’un Pasdar.
Pour éviter toute escalade, on peut aussi faire confiance aux Pasdaran, fort conscients, malgré quelques rodomontades, de leur infériorité de moyens face à l’Amérique. Tout en développant des tactiques de combat du faible au fort, ils n’éprouvent aucune urgence à les mettre en œuvre. Ils démontrent d’ailleurs en Syrie leur capacité de « patience stratégique », selon l’expression de Barack Obama, en encaissant sans riposter les coups très durs que leur porte régulièrement l’aviation israélienne. Là, le seul but qui vaille est de parvenir à doter le Hezbollah libanais d’un arsenal de missiles de précision suffisamment nombreux, puissants et fiables pour tenir le territoire israélien sous leur menace. Alors, la donne au Moyen-Orient se trouverait radicalement changée. Mais y parviendront-ils ?

             Trois résultats collatéraux


La décision de Donald Trump a quand même produit à l’heure qu’il est trois résultats significatifs. Le premier a été de donner un coup de pouce à Benyamin Netanyahu en pleine campagne électorale. Dès l’annonce à Washington de la mesure, ce dernier a publiquement remercié le Président américain d’avoir ainsi répondu à une demande de sa part : façon de passer à l’électorat israélien le message qu’il avait le Président des États-Unis à sa main. À voir l’issue très serrée du scrutin, le geste de Trump a peut-être été décisif.
Le second résultat a été de déclencher en Iran un réflexe de solidarité nationale autour des Pasdaran. Oubliées les mises en cause de leurs façons d’agir, tant en Iran qu’à l’étranger. Les voilà transformés en cause sacrée. Le Président Rouhani, qui pourtant ne les aime guère, a déclaré que la décision de Trump était une « insulte à toutes les forces armées et plus largement au grand peuple iranien ». Les députés unanimes, conservateurs et réformateurs confondus, ont élaboré en urgence un projet de loi faisant miroir à la mesure de Washington en qualifiant de terroristes toutes les forces américaines stationnées au Moyen-Orient. Voilà donc les Pasdaran renforcés, légitimés comme jamais.
Le troisième résultat touche aux relations entre l’Europe et l’Iran. La désignation des Pasdaran comme organisation terroriste rend encore plus incertaine la mise du système bancaire et financier iranien aux normes du Groupe d’action financière (GAFI), organisation multi-gouvernementale qui traque à travers le monde le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Déjà beaucoup, au cœur du régime, mettent des bâtons dans les roues du gouvernement du Président Rouhani qui déploie son énergie à cette mise en conformité. La position des opposants se trouve désormais encore renforcée. Mais sans cette adhésion de l’Iran aux normes du GAFI, le dispositif de compensation dit INSTEX, en cours de montage, destiné à faciliter les échanges commerciaux entre l’Iran et l’Europe sans passer par le dollar, aura beaucoup de mal à fonctionner. Le piège est en train de se refermer sur la seule ouverture qu’avait imaginée l’Union européenne pour alléger, même à petite échelle, l’effet des sanctions américaines.
Comme l’écrivait naguère le grand humoriste iranien Ebrahim Nabavi, hélas depuis emprisonné puis exilé : « Heureusement que les Iraniens et les Américains ne sont pas les seuls habitants de la planète et que d’autres peuples existent, sinon il ne resterait rien de notre monde. »
article paru le 4 mai 2019 sur le site Boulevard Extérieur