mardi 9 décembre 2008

Propos de crise

Trois citations de vieux messieurs, mais qui me paraissent bien dans l'air du temps (ils viennent tous du même endroit, mais ce n'est pas voulu...).

Otto von Bismarck (1815-1898) : "Le libéralisme va toujours beaucoup plus loin que ce que souhaitent ses propres partisans" .

Martin Luther (1483-1546) : "le monde est comme un paysan ivre sur son cheval. Tu peux le remettre en selle d'un côté, il glisse toujours de l'autre. Il veut appartenir au diable."

Albert Einstein (1879-1955) : "On ne peut pas résoudre les problèmes avec ceux qui les ont créés".

Mais pour changer de crèmerie, et faire honneur aux dames, voici un propos de Margaret Thatcher bien adapté aussi à notre époque :

"Je hausse les impôts de tout le monde, je baisse les impôts des journalistes et les journalistes écrivent que les impôts baissent".

Allez, bon courage quand même!

mercredi 19 novembre 2008

Ils sont fous, ces socialistes!

Nous sommes un peu bizarres, nous les Français, et surtout les Français de gauche, et encore plus les membres du parti socialiste. Dans la plupart de l'Europe civilisée, un parti, quand le résultat des élections lui donne une chance de gouverner, regarde autour de lui quelles sont les autres formations avec lesquelles, au vu du choix des électeurs, il pourrait former une coalition. Il entre alors en négociations avec ces partenaires potentiels, se met ou ne se met pas d'accord en fonction de ce qu'il considère comme essentiel et accessoire dans son programme, de ce qu'il juge acceptable ou inacceptable chez les autres, et dans le cas favorable, met au point avec eux une coalition de gouvernement. Le processus peut prendre en effet quelques semaines, car chacun se bat pied à pied sur les points qui lui tiennent à coeur. Pendant ce temps, comme l'on est dans un monde civilisé, l'on fait confiance au gouvernement sortant pour gérer les affaires courantes.

Chez nous, si tout n'est pas réglé dans les trois jours suivant les élections sur la façon de gouverner et la formation des équipes ministérielles pour les années à venir, l'on se croit déshonoré, et en péril de subir les plus noirs complots. Chez nous, les socialistes, -pire encore- des annnées avant que les électeurs ne soient appelés aux urnes, nous avons l'ambition de décider pour eux de la meilleure des combinaisons pour accéder aux bienfaits d'un gouvernement conduit par nos chefs. L'on prétend donc leur expliquer pour qui ils seraient bien inspirés de voter, s'ils ne parviennent pas à voter pour notre parti lui-même.

Et c'est là que tout se complique! car l'on raisonne sur des formations dont personne ne sait ce qu'elles seront dans trois ou quatre ans, des formations dont on connaît à peine les intentions, et encore moins le poids parlementaire qu'elles pourront afficher au moment décisif, qu'elles se situent à droite ou à gauche de notre cher et grand parti.

Au fond, quelle outrecuidance, quelle condescendance pour le corps électoral! quelle ignorance du fait que le jour venu, celui-ci, comme il l'a fait en tant d'occasions passées, dosera à sa façon la combinaison des forces politiques auxquelles il souhaite confier son destin pour les années à venir.

Si nous croyons vraiment à la souveraineté du peuple, commençons par nous présenter humblement à lui pour ce que nous sommes, avant de pérorer sur nos hypothétiques alliances. Définissons clairement ce que nous voulons, nous et personne d'autre, et l'essentiel de que nous aspirons à réaliser le temps d'un mandat populaire. Et laissons au peuple le soin de nous répondre s'il souhaite que nous agissions seuls, ou alliés avec tel ou tel autre, qu'il saura bien nous désigner.

Les coalitions ont du bon. Elles obligent au compromis. Elles sont le plus sûr moyen de trier le réalisable des idées à l'emporte-pièce, conçues pour emporter les applaudissements des congrès. Elles renforcent les capacités de mettre en oeuvre les bons projets. Au fil de l'exercice du pouvoir, elles instaurent des contrepoids naturels aux tentations d'omnipotence. Enfin, elles se dissolvent d'elles-mêmes quand elles ont épuisé leurs vertus, obligeant en ce cas à retourner devant les décideurs en dernier ressort, c'est-à-dire devant les électeurs.

Sur un tel sujet, faut-il que nous nous fassions moucher par le jeune Besancenot? voilà ce qu'il inscrit dans les principes de son nouveau parti anticapitaliste : "Dans les institutions électives, nous soutiendrons toutes les mesures qui amélioreraient la situation des travailleurs et les droits démocratiques. Nous contribuerions à leur mise en oeuvre, si les électeurs nous en donnaient la responsabilité. Mais nous resterions fidèles à ce pourquoi nous luttons et ne participerions à aucune coalition contradictoire avec ce combat." Voilà, pris à la lettre, du solide bon sens. Voilà des propos de stratège aguerri dont nous devrions nous inspirer, plutôt que de prolonger nos stériles querelles.

mardi 28 octobre 2008

Sacré Marx, pas mal vu quand même!

"La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux...

Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes...


Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe.

A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations."

Sacré Marx (et sacré Engels)! pas mal vu quand même, quand on pense que que ceci figure dans le Manifeste du Parti communiste, paru en 1847. On comprend que ces derniers jours à la Foire du livre de Francfort, das Kapital ait figuré parmi les best-sellers.

D'autres passages ont évidemment moins bien vieilli. Marx et Engels d'ailleurs l'ont reconnu eux-mêmes dans leurs préfaces successives au Manifeste, mais en s'interdisant de retoucher un texte enchâssé dans un moment précis de l'histoire européenne. Marx, à la fin de sa vie, percevait bien la montée en Angleterre et en Europe d'une classe moyenne issue de la classe ouvrière. Celle-ci, au fur et à mesure de ses conquêtes sociales, pénétrait donc la bourgeoisie, comme la bourgeoisie avait auparavant investi la noblesse. Bien loin de voir se constituer une immense classe ouvrière indistincte face à une poignée de grands patrons de l'industrie, du commerce et de la finance, l'expansion et la consolidation de cette classe moyenne allait devenir, est sans doute aujourd'hui plus que jamais, l'enjeu central des mouvements politiques, et peut-être même de la marche de l'Histoire.

La fin de l'Histoire passerait alors par l'universalisation de la classe moyenne, et donc par la disparition de toutes les autres classes : non qu'il n'existerait plus de grandes entreprises, et donc de "grands patrons", mais ces grands patrons, loin de s'instituer en classe autonome d'oligarques, seraient issus de la classe moyenne, et amenés, par eux-mêmes ou par leur descendance, à y revenir. Non qu'il n'existerait plus de monde ouvrier ou de pauvres exploités, mais les membres de ce monde auraient le sentiment, appuyé sur la réalité, de pouvoir, soit en cohortes, par leur action collective, soit individuellement,du moins par leurs enfants, emprunter tôt ou tard "l'ascenseur social" les élevant à la classe moyenne.

Une préfiguration de tout ceci a été vécu, au fond, en France et en Europe pendant "les Trente glorieuses". Les grands managers avaient alors pour modèles Pierre Lefaucheux ou Louis Armand, et ne se vivaient pas encore en oligarques. Les ouvriers de Renault -qui s'en souvient encore?- glissaient leur casse-croûte dans des attaché cases. Avant, l'entre-deux-guerres avait vu, en sens inverse, fondre et se reprolétariser la classe moyenne : d'où la montée du fascisme et du nazisme.

Roosevelt, au contraire, avait travaillé à la reconstitution de la classe moyenne, comme l'avaient fait aussi, repartant à zéro, les gouvernements allemands de l'après-guerre. Mais récemment, avec la levée de tous les freins à la loi du marché, l'on a vu se profiler une nouvelle oligarchie, et la précarité s'étendre à nouveau aux classes moyennes. Celles-ci ont vu alors s'accentuer une tendance toujours présente à se fracturer entre une upper middle class composée majoritairement d'héritiers, aspirant à rejoindre les oligarques, et une lower middle class frôlant dangereusement la rechute dans le prolétariat : autant de phénomènes régressifs, aux conséquences encore imprévisibles, tant aux Etats-Unis qu'en Europe.

Dans cette vision des choses, le rôle de la Gauche serait alors d'oeuvrer à l'alliance du monde pauvre et de la classe moyenne en vue de pousser d'une part à la dissolution progressive du premier dans la seconde, d'autre part à l'expansion et à la cohésion croissantes de cette dernière. Cela a été le pacte implicite qui a permis la victoire du Parti socialiste de François Mitterrand. Le délitement rapide de ce pacte a marqué la fin de l'expérience. Ce sont les conditions d'un tel pacte qu'il faudrait aujourd'hui restaurer.

mardi 14 octobre 2008

La fin du communisme aurait-elle relancé la marche de l'Histoire?

Mon ami Marc Bressant vient de sortir un roman aux éditions de Fallois, La dernière conférence. On se souvient de son drôlatique premier roman, Mémoires d'un vieux parapluie, racontant l'histoire d'un président de la République s'ennuyant tellement dans son rôle qu'il finissait par mettre la clef sous la porte et disparaître sous d'autres cieux. La garde rapprochée du président d'alors avait cru discerner, bien à tort d'ailleurs, quelque ressemblance entre le héros du livre et leur idole. On ne badinait alors pas plus qu'aujourd'hui avec ce genre du choses et ceci n'avait pas simplifié la carrière du diplomate qui se cachait à peine sous le nom de plume précité, et qui cachait encore moins son ancrage à gauche. Mais comme on le sait, les coups les plus durs viennent de son propre camp.

La dernière conférence décrit de façon tout aussi amusée, et amusante, l'une de ces conférences Est-Ouest issues des accords d'Helsinki, qui commence au 1er octobre 1989 dans l'affrontement des deux Blocs et s'achève dans le joyeux désordre déferlant sur l'Europe au moment de la chute du Mur. Le héros du roman y apparaît d'abord sous les traits d'un diplomate désabusé avant de se prendre au jeu, au jeu de la conférence... et aussi aux jeux de l'amour. Ceux-ci lui coûteront d'ailleurs cher, mais l'on se situe déjà après la fin de l'histoire.

Ceux qui ont vécu l'époque dans les chancelleries et les ministères retrouveront cette étrange atmosphère où l'on entrait dans l'avenir à reculons : tout ce qui survenait paraissait incroyable, voire lourd d'incertitudes et de dangers. Le monde que l'on quittait paraissait au fur et à mesure que l'on s'en éloignait paré de vertus croissantes. Selon les termes employés par notre président de la République en 1996 devant ses ambassadeurs, il était "critiquable mais lisible". Que de nostalgie dans cette formule!

Pour revenir à la conférence de Marc Bressant et à nos interrogations sur la crise actuelle, voici un passage sortant de la bouche d'un diplomate tchèque :

"Une chose au moins est incontestable : de par notre existence et de par celle de nos chevaux de Troie comme vous avez si longtemps appelé les partis communistes qui existaient chez vous, nous avons été un paratonnerre contre la logique folle de votre système capitaliste. A cause de nous, vos gouvernements ont été obligés de mettre de plus en plus d'eau dans leur vin. Ils ont fini par donner des droits et du pouvoir d'achat aux travailleurs, et par imposer des limites aux exigences des entrepreneurs. Ce serait un peu exagéré de dire que vous nous devez vos "Trente Glorieuses", mais nous n'y sommes pas tout à fait pour rien...

Bon, très vite sans doute nous allons devenir vos clones. La perestroïka, le multipartisme en Pologne et en Hongrie, les manifestations chez moi, en RDA et jusqu'en Bulgarie – il faut le faire quand même! – sonnent la débandade. Le Mur est tombé sur le modèle socialiste tout entier.

Mais il faut que, vous aussi, vous le sachiez : il n'y aura plus désormais de statue du commandeur pour obliger vos capitalistes à faire la part du feu. Le monde va entrer de nouveau dans l'ère des Krupp, Wendel et autres Bata avec toutes les tribulations qui en résulteront, les crises genre 1930 et, comme l'a montré Lénine avec une clairvoyance qu'on ne saurait lui refuser, leurs inévitables corollaires, les guerres coloniales, européennes et autres."

Pas mal vu, non, en regard de ce que nous vivons depuis quelque temps?

mardi 30 septembre 2008

de l'amiante, de la faim, et du vent dans les éoliennes...

Mon ami l'éminent épidémiologiste Marcel Goldberg faisait remarquer que les risques de l'amiante n'ont vraiment commencé à intéresser les gens qu'au moment où des professeurs et des étudiants d'université, à Jussieu notamment, ont découvert qu'ils étaient insidieusement menacés par leur environnement. Jusque là, l'amiante ne tuait ou n'handicapait que des prolétaires, on le savait, mais les faiseurs d'opinion ne se sentaient pas concernés.

De même, les problèmes de la faim n'ont commencé à nous agiter, et surtout à émouvoir la Banque mondiale et bien d'autres spécialistes du développement, que lorsque la faim a commencé à toucher les gens des villes. La faim, on le savait bien, régnait déjà dans les campagnes du monde pauvre, mais il fallait des poussées de grandes famines pour déclencher des interventions humanitaires. Encore celles-ci ne résolvaient rien au fond. Car la faim dans les villages faisait partie, et fait encore partie, de l'ordre des choses.

La grande peur du nucléaire se nourrit aussi du sentiment général d'être menacé dans son quotidien par un ennemi invisible. Les risques statistiques, malgré les fuites deci delà de matières fissiles, et même malgré Tchernobyl, sont pourtant très faibles. Là où le nucléaire crée sans doute le plus de dommages, c'est dans sa partie amont, dans les processus d'extraction et de traitement du minerai d'uranium, mais là, l'on retrouve l'indifférence qui a longtemps entouré le sort des travailleurs de l'amiante. Et bien entendu, l'uranium tue infiniment moins que le charbon : officiellement, dix morts de mineurs par jour en Chine, et sans doute bien plus, si l'on considère le caractère informel de beaucoup d'exploitations.

Même les gentilles éoliennes qui nous fabriquent une énergie si propre, et qui rassurent notre mauvaise conscience quant au sort que nous préparons aux générations futures, posent aussi quelques problèmes : c'est qu'il faut d'abord les fabriquer, puis les insérer dans un milieu donné, enfin les entretenir. Les travailleurs espagnols d'une entreprise de réparation de pales d'éolienne ont été récemment très lourdement intoxiqués par les résines et les peintures qu'ils devaient utiliser. L'on ne manquera pas de voir un jour les inconvénients de l'énergie éolienne pour l'environnement quand elles seront plantées par centaines, peut-être par milliers, sur le plateau continental à proximité de nos côtes océaniques.

Question du même ordre en ce qui concerne les panneaux solaires. Les trois quarts de panneaux que s'apprête à installer l'Europe sur son territoire sont ou seront importés de Chine. Dans quelles conditions y sont-ils fabriqués? Lorsque l'on connaît le lourd ratio de production de CO2 des sources d'énergie chinoises, est-on bien sûr qu'au final le bilan de l'énergie ainsi produite sera aussi innocent qu'on le rêverait?

dimanche 14 septembre 2008

Un autre regard sur l'Afghanistan

Sarah Chayes est une talentueuse journaliste américaine qui a couvert l'entrée de la Coalition en Afghanistan, en particulier à Kandahar. Elle y est retournée pour y conduire une mission humanitaire et a séjourné pendant quelque deux ans dans cette ville pourtant réputée peu accueillante pour les Occidentaux. Elle en a rapporté un témoignage "La punition de la vertu", qui présente une réalité fort éloignée du discours simplifié sur "notre combat pour les valeurs" et contre "les barbares moyenâgeux et terroristes qui prennent les populations en otage". En voici un extrait éclairant. Je le livre en écho au décapant article publié il y a quelques jours par Christophe Jaffrelot dans "le Monde" sur le sens de notre engagement en Afghanistan.

"L'on m'a souvent demandé si nous avions le droit, nous Occidentaux, "d'imposer la démocratie" à des gens "qui pourraient tout simplement n'en pas vouloir" ou qui pourraient "n'y être pas prêts". Je pense, au moins pour ce qui concerne l'Afghanistan, que l'on a exactement inversé la question. De mes discussions avec des Anciens et avec beaucoup d'autres, j'ai constaté que les Afghans savent précisément ce qu'est la démocratie, même s'ils ne sont pas forcément capables de définir le terme. Et ils la réclament. Ils attendent de leur gouvernement ce que la plupart des Américains et des Européens attendent des leurs : des routes carrossables, des écoles pour leurs enfants, des médecins aux diplômes certifiés pour qu'ils n'empoisonnent pas les gens, un minimum de responsabilité publique des gouvernants, et de la sécurité, de la loi et de l'ordre. Et ils veulent réellement participer d'une certaine façon à forger le destin de leur pays.

Mais les Afghans ont reçu très peu de tout cela, grâce à des seigneurs de la guerre comme Gul Agha Shirzai, que l'Amérique a contribué à maintenir au pouvoir. La politique américaine en Afghanistan n'a pas imposé, elle n'a même pas encouragé la démocratie, comme le proclamait le gouvernement des Etats-Unis. Elle a au contraire barré la route de la démocratie. Elle a institutionnalisé la violence.

L'imprévisibilité déstabilise l'esprit humain. Il était clair, et les habitants de Kandahar le disaient sans ambages, que l'oppression des Taliban avait pesé plus lourdement sur eux que l'oppression qu'ils connaissaient à présent. Et pourtant, du temps des Taliban, il y avait un système : il y avait la loi et l'ordre. Il y avait une certaine version du Droit. L'on connaissait les règles car elles étaient explicites. Et quand on les respectait, si dures et intransigeantes qu'elles fussent, l'on était à peu près tranquille d'avoir la paix.

Maintenant, à les écouter, il n'y avait plus de loi. L'oppression était arbitraire. Elle frappait sans raison, et donc déstabilisait les gens. Peut-être le nombre d'incidents réels à Kandahar n'était-il pas si élevé. Il n'était certainement pas aussi élevé que du temps des Moujaheddin, et les habitants de Kandahar le reconnaissaient. Ils étaient reconnaissants à la présence américaine pour le calme relatif qu'elle avait apporté, assurant que si les soldats américains s'en allaient, le sang coulerait dans les rues comme la rivière Arghandab au moment du dégel. Mais l'imprévisibilité de ces incidents, leur aspect arbitraire, leur donnaient une capacité démesurée à déstabiliser les esprits.

Et les gens commençaient à se souvenir du temps des Taliban. Ils parlaient de la possibilité de circuler en auto dans Herat la nuit, libres de peur. Ils évoquaient ce temps où ils pouvaient laisser une liasse de billets enveloppée dans un châle en pleine rue, pendant qu'ils allaient acheter ailleurs des melons. Ils commençaient à évoquer avec nostalgie la paix des Taliban.

Ainsi, l'image un peu effacée des anciens Taliban commençait à se reconstituer, dans la tête des gens, comme une alternative. Pas attractive, certes, mais comme n'étant pas totalement hostile aux intérêts des gens non plus. Rien d'idéologique n'entrait dans le raisonnement. Leur pensée était pratique, et ils se souvenaient qu'ils avaient tiré des avantages pratiques de la loi des Taliban."

mercredi 3 septembre 2008

Avenir de l'action extérieure : un inquiétant discours

A l'occasion de la réunion annuelle des ambassadeurs, Bernard Kouchner vient d'exposer les changements qu'il va apporter à l'organisation et aux méthodes de son ministère.

Pour le traitement des "enjeux mondiaux", une nouvelle direction générale va être créée, pour l'essentiel par récupération des moyens de la direction générale de la coopération et du développement et de la direction économique. Jusque là rien à dire.

Cette nouvelle direction générale sera elle-même, selon le ministre, organisée en quatre pôles. C'est là que les choses pourraient se gâter.

Le premier pôle chargé de la "politique d'attractivité" devra mobiliser nos atouts en matière de recherche, de technologie, d'enseignement supérieur, d'expertise technique. Il assurera la tutelle d'un opérateur extérieur au ministère, regroupant une série d'organismes existants qui assurent d'une part l'accueil des étudiants et des stagiaires en France, d'autre part l'envoi à l'étranger de nos missionnaires et coopérants techniques. Ce regroupement d’opérateurs, en raison de l’hétérogénéité de leurs activités, n'apportera probablement pas la valeur ajoutée espérée : tout juste un échelon bureaucratique supplémentaire. Mais il y a plus sérieux.

"La diversité culturelle et linguistique" sera traitée dans le second pôle, qui assurera la tutelle d'une ou plusieurs nouvelles agences à créer. Si l'on en crée plusieurs, elles perdront vite, au rythme des réductions de crédits qui s'annoncent (-20% en 2009 pour notre action culturelle) toute visibilité. Privé de la coopération scientifique et technique (situé apparemment dans le premier pôle), ce second pôle traitera, quoi qu'en dise le ministre, de la culture au sens étroit du terme : diffusion de la langue française, création littéraire et artistique.

L'environnement, l'énergie et les ressources naturelles, la santé et l'éducation seront traités dans le troisième pôle, l'économie mondiale et les stratégies de développement dans le quatrième. Et là on a du mal à comprendre. Comment travailler sur la santé et l'éducation dans un pôle, sur le développement dans l'autre? D'autant que l'éducation relève tout aussi bien du deuxième pôle (coopération linguistique) sans oublier le premier (coopération universitaire). Comprenne, et surtout agisse, qui pourra...

Que devient dans cette affaire le réseau de nos services, centres et instituts culturels à l'étranger? Dans chaque pays, ces entités seront regroupées dans un"espace France". C'est une bonne (et ancienne) idée. Mais de qui dépendront-ils? Si les hommes restent attachés au ministère des affaires étrangères comme on croit le comprendre, et si les moyens d'agir sont donnés aux agences à créer, l'on va instaurer d'une part un réseau extérieur sans moyens, de l'autre des agences sans réseau extérieur. Bonjour les querelles de bureaux et de personnes, bonjour les dégâts.

Deux autres soucis.

Bernard Kouchner annonce la création d'une direction de la prospective associant à son travail "les meilleurs représentants de l'université, des think tanks et de la société civile". Fort bien. Mais un peu ingénument, il annonce aussi que cette direction sera "le correspondant des services français dédiés au renseignement, pour ce qui concerne leurs activités d'analyse". Il y a lieu de craindre que nos chercheurs et universitaires n’accepteront pas d'être ainsi instrumentalisés.

Dernière inquiétude : l'annonce, au nom de la citoyenneté européenne, "d'un plan de transformation profonde de notre réseau consulaire européen". Déjà, indique le ministre, la suppression de consulats en Espagne et en Italie "a été saluée par le président de la Commission européenne comme un geste profondément européen". Et Bernard Kouchner insiste : " Il faudrait le faire partout. Nous allons le faire partout." Là, l'on pourrait en arriver danser plus vite que la musique. Tant que nous n'aurons pas d'état civil européen, tant qu'un fonctionnaire allemand ou grec ne pourra pas délivrer un passeport à un Français, tant qu'il faudra porter secours à un compatriote âgé ou malade en Ecosse ou en Irlande du Nord, nous aurons besoin de consulats, et de vrais consulats, pas de ces consulats dits "d'influence", fantômes de consulats, qui n'aident plus personne et qui d'ailleurs, privés de tous moyens, n'influencent plus personne.

jeudi 14 août 2008

A propos des Jeux de Pékin

Je commente rarement l'actualité à chaud, laissant cela aux professionnels. Mais je ne résiste pas au besoin d'exprimer mon effarement devant la façon totalement franco-centrée dont la télévision et la radio rendent compte depuis déjà près d'une semaine du déroulement des Jeux olympiques.

Nous n'ignorons rien des joies ou des déceptions, c'est selon, qui accompagnent chaque médaille passée à portée de nos athlètes. Les commentaires pleuvent et se répètent sur toute discipline, si modeste soit-elle, où nous avons brillé, ou même failli brillé. Rien ne nous est épargné des tourments de Laure Manaudou, encouragée en direct, devant la France entière, par notre ministre de la jeunesse et de sports.

Mais à côté de tout cela, qu'avons-nous vu des superbes exploits d'autres athlètes, chinois, américains, sud-coréens? sans parler des Allemands, Italiens et autres, en somme des autres Européens? ou encore de nos amis francophones? nous en apercevons effet quelques-uns lorsque les uns ou les autres affrontent l'un de nos sportifs nationaux. Mais en dehors de cela, rien : pas une image, et presque pas un mot.

Comment osons-nous à ce spectacle nous présenter comme les héritiers de Pierre de Coubertin? Où est dans tout cela l'esprit du sport, où est l'effort d'éducation du public en faveur de l'idéal olympique? en descendant d'un cran, où est le minimum de complicité francophone? et comment croire, à la façon dont nous ignorons les meilleurs athlètes de notre continent, que nous présidons en ce moment l'Union européenne?

mardi 12 août 2008

Retour sur la réforme constitutionnelle

Loin de la Géorgie, loin des sujets brûlants du jour, un petit retour à tête reposée sur la réforme constitutionnelle.

Les commentateurs de cette réforme ont célébré l'apparition dans notre paysage politique du référendum d'initiative populaire. La lecture du texte adopté par le Congrès de Versailles révèle un dispositif beaucoup plus ambigu, qui laisse au Parlement, s'il le souhaite, le dernier mot en la matière.

Selon les nouvelles dispositions de l'article 11, l'initiative appartient d'abord aux parlementaires eux-mêmes. Il en faudra un cinquième, soit 184 députés ou sénateurs, pour déclencher la procédure. Il faudra ensuite que cette initiative soit soutenue par un dixième des électeurs, soit environ 4,5 millions de personnes.

Que se passera-t-il une fois cette immensité de signatures récoltée? Malgré toute l'énergie ainsi dépensée, le référendum n'est pas encore de droit. Il n'interviendra en effet que si le Parlement n'examine pas le texte dans un délai donné. C'est alors seulement que le président de la République aura à le soumettre au suffrage populaire.

On l'a donc compris, le Parlement peut rejeter le texte en question, qu'il examine comme une proposition de loi ordinaire. Il peut d'ailleurs aussi l'amender à sa guise. L'on voit que tout ceci demeure très contrôlé. La majorité parlementaire, et à travers elle le gouvernement et le président de la République disposent de tous les leviers utiles pour ne pas se laisser déborder. Ils veilleront, s'il le faut, à ce que la montagne des millions de signatures recueillies n'accouche que d'une souris, voire de rien du tout.

L'on est néanmoins tenté de saisir l'occasion pour remettre sur l'ouvrage les trois évolutions majeures de la vie politique que la récente réforme constitutionnelle a écartées (d'où la légitime colère du parti socialiste, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur l'opportunité de son vote négatif). Il s'agit du non-cumul des mandats, du blocage du mode d'élection des sénateurs (garantissant à la droite de toujours contrôler la chambre haute), enfin de l'introduction de la proportionnelle pour l'élection des députés.

Voilà un intéressant chantier offert au Parti socialiste pour démontrer qu'il n'a pas désarmé et qu'il est capable de mobiliser en faveur d'une réforme, d'une vraie réforme, de nos institutions. Au moins sur le thème du non cumul d'un mandat de parlementaire avec un autre mandat, et sur celui de la proportionnelle, il devrait être rejoint par de nombreux Français très au-delà de son électorat et du clivage droite-gauche.

Il serait donc intéressant de voir arriver une proposition de loi sur ces trois sujets, portée par des millions d'électeurs, et de voir aussi comment la majorité, le gouvernement, le président de la Républiques réagiraient: oseraient- ils bloquer une telle demande? une chance s'offrirait peut-être alors de réintroduire par la fenêtre les réformes essentielles pour l'évolution de notre vie politique au nez desquelles la droite vient de claquer la porte.

dimanche 3 août 2008

Un Tintin suisse à la découverte de la Chinafrique

Serge Michel est le journaliste suisse à qui nous devons l'inoubliable "Bondy Blog"(Seuil, 2006). Après l'embrasement des banlieues provoqué en 2005 par le ministre de l'intérieur que nous savons, il s'était fait envoyer par son magazine "l'Hebdo" de Lausanne à Bondy (93), y avait loué un appartement, y avait séjourné plusieurs semaines, puis organisé une noria d'autres journalistes du même magazine pour décrire au jour le jour, comme des correspondants en terre lontaine, le monde étrange (mais aussi familier) qui l'entourait : monde inconnu des Français, à commencer par la presse française. Serge Michel racontait alors comment ses amis journalistes parisiens lui avouaient n'avoir jamais pensé à franchir le Périphérique pour aller explorer les terres inconnues qui se trouvaient au-delà.

Le voilà maintenant installé à Dakar. Il n'a rien perdu de sa curiosité et vient de publier avec Michel Beuret, chez Grasset, un livre sur Pékin à la conquête du continent noir : "la Chinafrique". A lire absolument par ceux qui s'intéressent à cette autre banlieue, proche puis grande banlieue, qu'est l'Outre-Méditerranée. Les deux auteurs, s'aidant du photographe Paolo Woods, ont circulé dans une douzaine de pays de la région, allant de l'Algérie à l'Angola. Ils en ramènent un étonnant tableau de la pénétration chinoise, de son ampleur, de ses multiples formes, de ses méthodes qui la font souvent réussir là où tant d'autres se sont découragés (pas toujours quand même, à lire l'abandon, du jour au lendemain, de la reconstruction d'une ligne de chemin de fer en Angola).

Et nos auteurs sont aussi allés en Chine. Ils se sont rendus à Yiwu, ville parfaitement inconnue de la province du Zhejiang, où se trouve le plus grand marché de pacotille en gros du monde, qui inonde de jouets, de plastiques, de copies en tous genre la terre entière : 34.000 boutiques, 320.000 produits référencés, 3.400 tonnes de fret quotidien. Ils sont allés à Chongqing, en Chine centrale, la plus grande ville de la planète, avec 31 millions d'habitants, par où transitent beaucoup de ces paysans et ouvriers qui vont tenter leur chance dans ce nouveau Far West qu'est pour eux l'Afrique.

Ils ont aussi assisté au sommet Chine-Afrique de Pékin, en 2006, réunissant autour du Président Hu Jintao une litanie de 48 dirigeants africains venus rendre hommage à l'Empereur, un empereur qui les arrose de bienfaits, et en a annoncé de plus grands encore.

Est-ce à dire que l'Afrique va devenir chinoise, mieux et plus profondément qu'elle n'a été anglaise ou française? Un échec n'est pas exclu, estiment nos auteurs. Mais il s'agit encore de politique fiction. Serge Michel et Michel Beuret concluent ainsi : "Pour nous qui avons parcouru l'Afrique chinoise en tous sens, le seul véritable échec de la Chine, s'il faut en voir un, c'est peut-être qu'elle se banalise en Afrique après avoir incarné le partenaire providentiel et fraternel, capable de tous les miracles. A certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s'enlisent, ses scandales de corruption et quoi qu'elle en dise, son mépris, parfois, pour la population locale."

"Pour le reste, la Chine a pris les besoins africains à bras-le-corps et posé enfin les bases d'un développement avec des dizaines de projets d'infrastructures sans lesquels rien ne se fera jamais, en particulier les voies de communication et la production d'électricité. Petit à petit, le message passe que l'Afrique n'est pas condamnée à la stagnation. La Chine n'est pas désintéressée, bien sûr, et personne ne prête plus attention à son discours sur l'amitié, mais les efforts qu'elle déploie pour atteindre ses objectifs offrent à l'Afrique un avenir inconcevable il y a seulement dix ans..."

"...Du coup, la balle est dans le camp des dirigeants africains. Ils ont désormais les moyens de leurs ambitions : jamais un bailleur de fonds n'avait avancé des sommes pareilles, sans condition, sans tutelle. Seront-ils à la hauteur, pour utiliser ces fonds plutôt que pour doubler la taille de leur parc immobilier en France? A Pékin, lorsque le président chinois Hu Jintao a prononcé les montants exorbitants qu'il s'apprêtait à mettre à disposition de l'Afrique, quelqu'un à côté de nous a murmuré : "à présent, il va falloir que nos chefs se montrent sages, très sages."

samedi 26 juillet 2008

SMS, prolifération et glissements progressifs vers le pire

"Quand je lis la presse, je tombe parfois sur des aberrations. Prenez cette affaire du SMS, c'est quand même extraordinaire. La personne qui prétend avoir ce SMS, on ne lui demande pas d'en apporter la preuve, et à moi on me demande de prouver que je ne l'ai pas envoyé. Cherchez l'erreur..." (Nicolas Sarkozy, le Point, 3 juillet 2008).

Cette erreur est bien connue en droit, en rhétorique et en logique. C'est le renversement indû de la charge de la preuve. La charge de la preuve incombe, sauf exception, à l'accusateur, et non à l'accusé ou au défendeur. A plus forte raison lorsqu'il s'agit de prouver l'inexistence de quelque chose, ce qui est la chose la plus difficile qui soit : par exemple, l'inexistence d'un SMS, ou encore l'inexistence du monstre du Loch Ness.

On se souvient de Rumsfeld en 2002, parlant de Saddam : "il est étonnant que certains veuillent nous faire assumer la charge de la preuve. Cette charge lui revient, c'est à lui de prouver qu'il a désarmé, qu'il ne pose plus de danger pour la paix et la sécurité".

Et aussi de Colin Powell devant le Conseil de sécurité : "le Conseil a placé sur l'Irak la charge de prouver qu'il obéit et désarme. Ce n'est pas aux inspecteurs de trouver ce que l'Irak s'est employé si longtemps à dissimuler. Les inspecteurs sont des inspecteurs, ce ne sont pas des détectives."

Le même raisonnement s'applique depuis quelques années à l'Iran. Après Américains et Britanniques, Angela Merkel, en 2007, déclarait ainsi devant l'Assemblée générale des Nations Unies :"le monde n'a pas à prouver à l'Iran que l'Iran est en train de fabriquer une bombe atomique. L'Iran doit convaincre le monde qu'il ne veut pas la bombe."

Quant à la Maison Blanche sa conviction reste entière. Il y a quelques jours encore, sa porte-parole, interrogée sur l'appartenance de la Corée du Nord et de l'Iran à "l'axe du mal" répondait :"Tant que ces pays n'auront pas abandonné leurs programmes nucléaires militaires de façon complète et vérifiable, je pense que nous les maintiendrons dans la même catégorie." Et le Sénateur Obama, de passage à Paris, n'est pas de reste :"l'Iran doit abandonner son programme militaire nucléaire."

Voici enfin Nicolas Sarkozy au début du mois, lors de sa conférence de presse commune avec Bachar el Assad, oubliant sans doute la mésaventure du SMS :"Le président Bachar Al Assad s'en tient à la déclaration des autorités iraniennes sur le fait qu'ils n'ont pas la volonté d'accéder à cette arme... Alors, nous demandons à la Syrie de convaincre l'Iran d'en apporter les preuves, pas les intentions, mais les preuves."

Mais n'a-t-on pas parfois le droit de transférer la charge de la preuve? Oui, selon la jurisprudence et la doctrine, lorsque l'accusation dispose déjà de fortes présomptions. Compte tenu de leur comportement passé et des graves soupçons qu'il avait fait naître, il était peut-être légitime de demander cela à l'Irak, et de le demander aujourd'hui à l'Iran.

Mais, sur ce premier glissement, surgit la question subsidiaire bien connue des logiciens et des juristes : où fixer le niveau des preuves demandées, et le délai acceptable pour les fournir? pour prouver l'inexistence du monstre du Loch Ness, suffit-il de démontrer la fragilité des témoignages de son existence, ou faut-il assécher le lac, et en combien de temps? C'est en plaçant volontairement la barre très haut, on s'en souvient, que les Américains se sont ouvert la voie de l'Irak.

Qu'en est-il de l'Iran? les déclarations de l'Agence internationale de l'énergie atomique selon lesquelles ses inspecteurs n'ont pas détecté à ce jour de détournement à des fins militaires de ses activités nucléaires n'ont pas effacé les préventions de l'Occident. Car, compte tenu de plusieurs zones d'ombre, l'Agence souligne en même temps qu'"elle n'est pas encore en position de déterminer la nature complète du programme nucléaire iranien". Et puis, pour en avoir le coeur net, il faudrait pouvoir passer au peigne fin un pays grand comme cinq fois la France. Seul un aveu de l'Iran permettrait, à vrai dire, de s'en sortir. Mais cet aveu ne veut pas venir.

Alors, faute d'y voir clair sur le passé et le présent, l'on cherche au moins des garanties pour l'avenir. C'est un autre glissement. L'Iran doit s'engager, non seulement à ne pas se doter de la bombe, ce qui est en effet la moindre des choses, mais à ne pas détenir les moyens qui lui permettraient de l'acquérir. On lui demande donc de renoncer à la technologie de la centrifugation, qui peut en effet déboucher sur l'acquisition d'uranium hautement enrichi, à capacité explosive.

Mais l'Iran considère qu'il serait alors entraîné très au-delà des obligations du Traité de non-prolifération, les seules qu'il se reconnaisse. Et donc il se rebiffe. Les pressions multiples exercées sur lui depuis maintenant cinq ans paraissent inopérantes. D'où l'ultime glissement, qui est la tentation de faire justice soi-même, de trancher le noeud gordien en détruisant les installations nucléaires iraniennes. Mais comment détruire des installations clandestines, que par définition l'on ne connaît pas? Il faudra donc se rabattre sur les installations régulièrement déclarées auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique, et où aucune infraction n'a été relevée par ses inspecteurs. Cette éventualité n'est pas en cet instant sur le devant de la scène, mais peut à tout moment y revenir. Et voilà comment – pressions d'un côté, dérobades de l'autre –, l'on en vient des deux côtés à "se préparer au pire"...

mercredi 16 juillet 2008

Volontaires internationaux : vers une relance du dispositif?

Une bonne nouvelle, au moins au niveau des intentions, nous arrive du secrétaire d'Etat à la coopération : Alain Jouyandet vient d'annoncer le projet de tripler le nombre de volontaires internationaux sur le continent africain en réorganisant profondément le dispositif actuel. Il indique aussi sa volonté de mieux mobiliser qu'aujourd'hui les retraités récents prêts à apporter leur expérience à l'étranger. A l'horizon 2012, 15.000 coopérants devraient ainsi être à l'oeuvre sur le terrain en Afrique.

Il était temps, huit ans après la loi de 2000 qui a créé les volontaires internationaux pour remplacer les volontaires du service national, disparus avec le service obligatoire.
En effet, malgré une première réforme par la loi en 2005, le dispositif est aujourd'hui nettement sous-utilisé. Ceux qui en ont tiré le meilleur parti ont été les entreprises : 5.500 volontaires à leur service en 2007. Du côté des administrations, 1.000 volontaires servent actuellement à l'étranger pour le ministère des affaires étrangères et 200 environ auprès du ministère des finances, pour l'essentiel dans les missions économiques.

Viennent enfin les volontaires de solidarité internationale, envoyés sur le terrain par des organisations non-gouvernementales. La première de ces ONG est l'Association française des volontaires du progrès, d'ailleurs subventionnée à 50% par le ministère des affaires étrangères. L'on compte environ 2.000 volontaires de solidarité internationale à travers le monde.

Mais enfin, par rapport à tous les autres, ces volontaires de terrain sont en minorité, ce qui est vraiment dommage. Les entreprises utilisent fort naturellement leurs volontaires en fonction de leurs objectifs économiques, et l'administration trop souvent dans des emplois de confort (cuisiniers, maîtres d'hôtel dans les ambassades), ou de bouche-trous dans différents services, notamment culturels : beaucoup d'informaticiens gèrent ainsi les parcs d'ordinateurs du réseau diplomatique, ou s'occupent des sites internet des ambassades et consulats. L'administration dispose de cette façon d'une main-d'oeuvre d'appoint à bon marché. Mais on est vraiment très loin des objectifs initiaux de formation et d'ouverture au monde par le service apporté aux autres : ce devrait être cela, le "co-développement"!

Reste maintenant à traduire les intentions en actes. Nous regarderons de près la montée en puissance du dispositif. Mais saluons dès à présent la chance qui s'ouvre de voir renaître, sous une forme rénovée, cette coopération "à la française", appuyée sur un réseau dense d'assistants techniques proches des populations, que l'indifférence et les restrictions budgétaires avaient presque entièrement laminée au fil des ans.

P.S. Sans attendre, un chiffre intéressant : les volontaires de solidarité internationale, coopérants de terrain, donc, comptent aujourd'hui plus de femmes (55%) que d'hommes (45%). Bravo les filles!

mercredi 2 juillet 2008

pauvreté et inégalité des revenus en Europe

Une petite plongée dans les statistiques rafraîchit souvent les idées. En matière d'inégalité des revenus et de pauvreté, le service Eurostat de la Commission européenne nous offre l'occasion de comparaisons intéressantes.

Où en sommes-nous, par exemple, en matière de pauvreté? Le taux de pauvreté monétaire évalue le nombre de ménages, dans un pays donné, dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian (médian, pas moyen, c'est-à-dire le montant de revenu en dessus et en dessous duquel les ménages de ce pays se répartissent également). Dans la France de 2006, ce taux est de 13%. C'est aussi celui de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Finlande. Disons tout de suite que le taux moyen pour l'Union européenne est de 16%. Qui fait mieux que nous? les Pays-Bas, et aussi la République tchèque, avec 10%. Qui fait beaucoup moins bien? la Grèce avec 21%, l'Italie et l'Espagne avec 20%, mais aussi la Pologne, la Roumanie et le Royaume-Uni avec 19%. Où en sont nos amis irlandais? à 18%, en compagnie du Portugal.

Ce taux est évidemment fondé sur les revenus réels des ménages, donc après transferts sociaux (à noter que les pensions de vieillesse et de survie sont classées hors transferts sociaux). Peut-on évaluer le risque de pauvreté avant ces transferts? Oui. Pour la France, au lieu des 13% constatés après transferts, nous en serions à 25% (pas très loin de la moyenne européenne, à 26%): soit 12 points d'écart. Il en est à peu près de même pour l'Allemagne. L'Espagne, l'Italie seraient à 24%, soit 4 points seulement d'écart, ce qui révèle la faiblesse de ces transferts. L'écart tombe à 2 points pour la Grèce. Il s'élève à 11 points en Grande-Bretagne, et à 15 points en Irlande.

Dernier indice intéressant : l'inégalité de répartition des revenus, définie comme le rapport en un pays donné entre les revenus perçus par les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres. La moyenne européenne est de 4,8. La France situe à 4, comme la Slovaquie, pas très loin de l'Allemagne, à 4,1 et de la Belgique, à 4,2. Qui fait mieux que nous? le Danemark et la Slovénie, à 3,4 , mais aussi la Suède et la République tchèque à 3,5, la Finlande à 3,6, l'Autriche à 3,7 et les Pays-Bas à 3,8. Qui fait nettement moins bien? la Lettonie à 7,9, le Portugal à 6,8, la Grèce à 6,1, l'Italie à 5,5, la Grande-Bretagne à 5,4, l'Espagne à 5,3. Quant à l'Irlande, elle se situe à 4,9.

Tout ceci nous autorise-t-il à pousser un cocorico? nous faisons un petit peu mieux que la moyenne, c'est vrai, en termes de pauvreté et d'inégalité de revenus. Mais rien quand même d'ébouriffant : donc juste un petit cocorico, pas de quoi réveiller le quartier...

vendredi 20 juin 2008

aide française à l'Afghanistan : du discours à la réalité

L'on se souvient des récents propos du Président de la République, en direction des dirigeants des pays de l'OTAN, en direction aussi des Français, pour expliquer que l'effort militaire de la France en Afghanistan, qui allait s'accroître, devait être vu comme l'un des éléments de l'effort global visant à la reconstruction du pays. C'est ce qui lui permettait de dire le 24 avril dernier à la télévision :"nous sommes aux côtés des Afghans" et à trois reprises "ce n'est pas la guerre".

Quoi que l'on pense du reste, l'on s'était donc réjoui d'entendre notre président annoncer à la dernière réunion des donateurs à Paris, le 12 juin, un doublement de l'aide française. A y regarder de plus près, le geste semble néanmoins plus que modeste. Depuis 2002, l'aide totale française à l'Afghanistan s'élèverait à 113 millions. A la Conférence de Paris, nous venons d'annoncer un engagement de 107 millions d'euros pour la période 2008-2010, soit 36 millions d'euros par an.

C'est quand même très peu : 107 millions sur trois ans, c'est 0,5% de l'aide promise le 12 juin par la communauté internationale sur la période. Si l'on est sceptique sur la réalité de ces promesses, prenons pour exemple le Canada qui a déjà dépensé fin 2007 plus de 600 millions de dollars en Afghanistan, et compte en 2011 avoir doublé ce chiffre. Notre effort est faible aussi à l'égard du coût de notre engagement militaire, que notre ministre de la défense évalue à 139 millions d'euros pour 2008, hors financement des prochains renforts. Ces 36 millions d'euros d'aide que nous serions prêts à dépenser par an sont enfin sans doute bien moins que ce que l'armée américaine dépense en un seul jour pour sa guerre en Afghanistan.

Certes, pourrait-on dire, la France contribue à l'aide de l'Union européenne, qui a déboursé un milliard d'euros sur la période 2002-2006, et qui compte en dépenser 640 de plus entre 2007 et 2010. Or nous finançons environ 17% de ces montants. Mais l'Allemagne, également gros contributeur, à près de 19%, et la Grande-Bretagne dans une moindre mesure, autour de 10%, parviennent à faire un effort d'aide bilatérale beaucoup plus significatif que nous en Afghanistan : l'Allemagne a promis de verser 420 millions d'euros entre 2008 et 2010, soit quatre fois plus que nous, et la Grande-Bretagne 1,2 milliard de dollars sur cinq ans, soit en moyennne annuelle cinq fois plus que nous.

Comment, dans ces conditions, prendre au sérieux le propos de notre Président au Sommet de l'OTAN du 3 avril dernier : "L’enjeu essentiel pour nous, c’est la reconstruction"? L'on a le droit d'être économe. L'on a le droit de penser qu'une part importante de l'aide déversée sur l'Afghanistan n'atteint jamais ses destinataires. Mais qu'on nous épargne alors ces doctes conseils sur les moyens de faire accéder les Afghans, et les Afghanes, aux bienfaits de la civilisation.

jeudi 5 juin 2008

DGCID : le silence des agneaux?

Pour ceux qui s'intéressent à l'avenir du ministère des affaires étrangères, et en particulier de sa Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), qui gère l'action culturelle de la France au sens le plus large, voici un petit billet d'humeur que je lance comme une bouteille à la mer.

Entre les exercices de "révision générale des politiques publiques" et de rédaction d'un Livre blanc sur l'avenir du ministère des affaires étrangères lancés par le gouvernement, entre cabinets et réunions d’arbitrages, se poursuit la vente à la découpe de la DGCID. Certes, après presque dix ans d’existence, il était temps de tout remettre à plat. Tout change et le modèle d’une Régie, empêtrée dans toutes les contraintes d’une administration centrale, n’était plus tenable pour gérer de façon réactive, et dans un monde hautement compétitif, l’action culturelle et la coopération internationale de la France.

Mais pourquoi faut-il que la réflexion des décideurs s’oriente vers les plus mauvaises solutions possibles : une dispersion des fonctions d’opérateur de la DGCID en deux ou trois agences, peut-être plus, et une gestion des personnels culturels confiée à une Direction générale de l’administration qui les a toujours considérés comme une population de second rayon, comparée aux agents du « cœur de métier » diplomatique ?

Tout ceci, semble-t-il, par crainte de créer une Agence trop puissante pour être aisément contrôlée. En organisant la dispersion, l’on faciliterait l’exercice de la tutelle. En gardant la gestion directe des personnels culturels, on s’assurerait de leur soumission hiérarchique.

Mais comment ne pas voir qu’en agissant ainsi, l’on est en train d’installer sur deux parallèles d'une part des agences parisiennes, dotées certes de moyens d’action mais sans réseau, d'autre part un réseau mondial de services et centres culturels et de coopération, mais sans moyens ?


Comment ne pas voir que ces agences succédant à la DGCID seront, prises une à une, en dessous du pouvoir séparateur de l’œil dans un environnement où il s’agit de tenter d'exister aux côtés de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement ? Comment ne pas voir que sera ainsi brisé le continuum de toutes les activités de coopération – culturelle, scientifique, technologique, de bonne gouvernance... – qui convergent vers le développement humain ?

Notre ministère a-t-il perdu à ce point confiance en lui-même qu’il se juge incapable d’exercer le pilotage stratégique d’une agence puissante, cohérente, dotée à la fois des moyens et des personnels nécessaires, occupant en matière de coopération et de francophonie tout le terrain laissé libre par les deux agences déjà existantes, l’Agence française de développement (AFD) d’une part, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) d’autre part ?

Il suffirait pourtant qu’il se dote précisément d’une Direction générale du développement humain, traitant avec la hauteur de vues nécessaire de la diversité culturelle, du développement politique, économique et social, de la protection de l’environnement, de la régulation du marché mondial et des droits de l’Homme. Une telle direction, à condition qu’elle se dote de moyens d’évaluation et d’analyse adéquats, aurait toute la légitimité et toute l’autorité pour assurer la tutelle politique, non seulement de l’agence héritière de la DGCID, mais aussi de l’AFD et de l’AEFE.

Là, l’on aurait enfin les moyens d’une action extérieure cohérente, bien mieux qu’en se voyant octroyer la présidence ou le secrétariat de tel conseil ou comité que l’on nous fait en ce moment miroiter. Car le « cœur de métier » de la diplomatie de demain, ce sera, et de façon de plus en plus pressante, l'organisation de la société internationale pour lutter contre la faim, contre le réchauffement climatique, contre l’oppression, contre la pauvreté matérielle et culturelle. Le ministère des affaires étrangères va-t-il passer à côté ?

mercredi 28 mai 2008

petite chronique du Soudan

Curieux comme le fait de passer quelques jours seulement dans un pays vous donne accès à une compréhension que mille pages de lectures ne vous apporteront jamais. Ou mieux, comme ils donneront le souffle de la vie aux pages que vous lirez sur ce pays après en être rentré.

Bien sûr, en quelques jours l'on n'a pas tout compris. Mais on a eu au moins accès à un premier niveau de vérité, qu'il appartient ensuite d'approfondir. Car ces quelques jours, par l'air, la lumière, les odeurs et les couleurs, l'allure des rues, des maisons et des gens, vous font accéder, même brièvement, à une expérience globale, mobilisant tous les sens et tous les affects, à la différence de l'approche analytique de la lecture, ou même de l'approche fragmentée de la photo et du cinéma.

Et donc, quand on a eu un tel contact, comme on voit tout de suite dans les récits, dans les romans où ce que l'on a visité apparaît, que l'auteur est vraiment allé à tel ou tel endroit, ou qu'il s'est simplement inspiré de récits de géographes et de voyageurs!

Tout ceci pour parler un peu du Soudan, où je viens de passer précisément cinq jours, d'ailleurs sans être sorti de Khartoum et de la ville voisine d'Omdurman, sur l'autre rive du Nil. Ceci sur la recommandation de l'ambassadrice, qui jugeait la campagne peu sûre à quelques jours des combats qui avaient conduit à la défaite dans les rues d'Omdourman d’une colonne de combattants du Mouvement pour la justice et l'égalité, de tendance islamiste, venue du Darfour à l’issue d’une chevauchée d’un millier de kilomètres.

C'est grâce au Nil d'ailleurs que les insurgés, montés sur des pick-up Toyota, n'ont pu atteindre le coeur du pouvoir à Khartoum, faute de parvenir à franchir les ponts qui les auraient conduits sur l’autre rive. Et c’est ainsi que nous avons pu visiter sur un grand terrain vague d’Omdurman l’exposition des dépouilles des vaincus : carcasses de véhicules calcinés, pour l’essentiel, fièrement présentées à la population locale par l’armée victorieuse.

En vrac, pour ceux qui seraient prêts à s'intéresser à ce pays lointain.

C'est d'abord, en superficie, le plus grand pays d'Afrique, cinq fois la France, juste un peu plus grand que le Congo ex-Zaïre. Il compte 40 millions d'habitants (15 millions en 1970), dont sept dans l'agglomération capitale (paraît-il la plus chaude du monde…).

C'est un pays où s'est joué au XIXème siècle, et où se joue encore, une sorte de "Grand jeu" entre puissances tutélaires de la région : Angleterre, France, Etats-Unis, Russie, et Chine aujourd'hui. Sans parler du rôle de l'Egypte, évidemment fort attentive à tout ce qui concerne le débit du Nil, question vitale pour elle. Grand jeu dont l'échiquier croise monde arabe et monde noir, Islam et chrétienté, pasteurs et sédentaires, anglophonie et francophonie. Grand jeu dont les enchères sont brusquement montées avec la découverte de pétrole en plein coeur du Soudan, entre Nord et Sud. Grand jeu dont il n'est pas exclu qu'il débouche un jour sur un éclatement du pays.

Côté Darfour, il n'est pas inutile de mettre l’actualité en perspective en se souvenant de l'histoire conflictuelle de cette province. Royaume indépendant jusqu’à la fin du XIXème siècle, rattaché seulement en 1899 au Soudan anglo-égyptien, et encore de façon fort théorique, puisque son Sultan se rallie à l’Empire Ottoman durant la Première guerre mondiale et se révolte contre les Anglais. Et avant la crise actuelle qui commence en 2003, il y avait déjà eu les durs affrontements des années 1983-1988, là encore sur fond de sécheresse et de famine.

Côté sud, l’on attend maintenant avec anxiété l’application de l’accord de 2005 entre Sud et Nord, qui prévoit un référendum d’autodétermination en 2011. Sera-t-il mieux appliqué que l’accord de paix de 1972, qui tentait de mettre fin à une guerre civile née dès 1955, à la veille de l’indépendance du Soudan ? Rappelons, là encore, l’ancienneté de la volonté d’autonomie sudiste, appuyée sur la politique anglaise qui avait donné dès 1919 un statut particulier aux provinces du Sud, chrétiennes et animistes, avec pour objectif avoué de les protéger des Arabes musulmans.

Et la communauté française dans tout cela? on la retrouve dans les ONG, dans les organisations internationales, mais aussi dans l'exploitation d'une mine d'or, dans le pétrole, à l'université, dans la recherche, en particulier dans l'archéologie où elle joue un rôle éminent. Il y a encore beaucoup à découvrir sur la Nubie, ce vaste pays lié à l'Egypte, qui lui a d'ailleurs donné une dynastie de pharaons noirs. Il y a, bien entendu, l'école française et les services de l'ambassade, sans oublier l'antenne de Juba, dans le grand Sud, où la diplomatie se fait sous la tente, et parfois dans la boue.

Loin de Fachoda, loin des armées du Mahdi qui régnèrent quinze ans sur le pays avant d’être défaites par Kitchener, loin de Gordon resté seul dans Khartoum assiégé pour ne pas abandonner ceux qui lui faisaient confiance, et tué à coups de lances sur le seuil de son modeste palais de torchis, nous voilà au centre culturel français. Bâtiment bien fatigué, moyens fort comptés, mais peu importe tant il est plein à toute heure d’une jeunesse avide d’apprendre, avide de se rencontrer, et de parler d’autre chose que des angoisses du présent. Et quand il annexe la rue qui le borde pour un grand concert en plein air, comme nous l’avons vécu lors de notre passage, là, c’est vraiment la fête !

samedi 10 mai 2008

Kant, Pompidou et quelques autres...

Je pars en mission pour une douzaine de jours en Egypte et au Soudan, et l'inspiration me manque. Espérons qu'elle reviendra au fil de mes rencontres là-bas! Dans cette attente, et pour ne pas perdre le contact, quelques citations qui m'ont bien plu, glanées deci delà :

Kant

"Depuis le début de l'humanité, je ne crois pas qu'il y ait eu un seul acte motivé par le pur sentiment du devoir."

Pompidou

"Il ne suffit pas d'être un grand homme, encore faut-il l'être au bon moment."

Confucius

"Occupez-vous d'abord des hommes, ensuite du monde des esprits. Le Ciel peut attendre."

Boccace

"Il vaut mieux avoir fait, et regretter, que de ne pas avoir fait, et regretter."

Cocteau

"Paris, cette ville où l'on vous demande de tout faire, et où l'on vous insulte dès que vous faites quelque chose."

Bismarck

"S’il doit y avoir une révolution, mieux vaut la faire plutôt que d’en être victime."

A bientôt!

vendredi 2 mai 2008

Les mini-jupes de Kaboul

L'Iran au plus fort du régime taliban a accueilli près de deux millions d'Afghans. C'était alors le pays au monde qui avait sur son sol le plus grand nombre de réfugiés étrangers. Avec la chute de ce régime, l'Iran a naturellement poussé les Afghans à rentrer chez eux. Il y a eu de fortes résistances, car beaucoup s'étaient intégrés dans leur pays d'accueil. Les oppositions les plus tenaces sont venues des femmes. Pour elles, l'Iran était un paradis! elles sortaient à peu près à leur guise dans la rue, et se promenaient à visage découvert. Leurs maris avaient appris à les aider à la maison, à faire les courses avec elles, et même à porter les paquets! et leurs filles allaient à l'école... Dans les familles qui sont finalement rentrées, de nombreux drames se sont déclenchés, précisément du côté des femmes qui ne supportaient pas, soit de retrouver leur mode de vie antérieur, soit, pour les plus jeunes, de devoir s'adapter à des contraintes qu'elles n'avaient jamais subies et qui leur paraissaient insupportables.

Cette oppression très réelle des femmes (qui s'étend d'ailleurs en Afghanistan bien au-delà de la seule zone contrôlée par les Talibans) justifie-t-elle, comme ont tenté de nous en convaincre récemment notre Président et notre Premier Ministre, l'intervention en cours? "Femmes martyrisées" a dit le Président à Bucarest. "En 1996, une femme afghane est condamnée à avoir le pouce tranché pour avoir porté du vernis" a rappelé le Premier Ministre à l'Assemblée nationale. Régime "moyen-âgeux" auquel nous n'avons rien à dire, a souligné le Président à la télévision. Nous nous battons pour des valeurs, a bien insisté le Premier Ministre, pas pour du pétrole. C'était déjà à peu près les arguments de Georges Marchais lorsqu'il justifiait l'intervention soviétique en Afghanistan par le "droit de cuissage" encore pratiqué par un "régime féodal".

En somme, et tout ce que nous avons récemment entendu y converge, nous ne sommes pas engagés dans une guerre, -c'est bien ce qu'a dit le Président de la République à la télévision- mais dans un combat civilisateur. Hélas, le discours répandu, jusque dans ses accents les plus martiaux -"est-ce qu'on se couche?"- se situe par un malheureux hasard dans le droit fil du discours colonialiste le plus éculé. Déjà la conquête de l'Algérie était une "pacification", "un combat pour la civilisation". Déjà la guerre d'Algérie, la deuxième, celle du XXème siècle, n'avait pas le droit d'être appelée une guerre. L'on combattait une poignée de rebelles tenant une population en otage. C'est exactement ce que Nicolas Sarkozy a expliqué à Hamid Karzai lorsqu'ils se sont retrouvés au sommet de l'OTAN : "nous faisons la guerre à une bande de terroristes qui qui ont pris le contrôle de votre pays, nous ne faisons pas la guerre aux Afghans."

Mais alors il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Mission civilisatrice? chiche, mais on ne "civilise" pas une population en quatre ou cinq ans. Du temps d'avant les Talibans, rappelait je ne sais qui avec une certaine nostalgie, l'on pouvait voir des mini-jupes à Kaboul. Si c'est l'accès à ce type de droit que nous visons, et pour toutes les femmes afghanes, il n'est plus possible de dire, comme le Président : "nous devons mettre le paquet, et ensuite rentrer chez nous". Organisons-nous pour rester là au moins une génération, et si possible deux ou trois. Mettons le paquet, pour parler comme notre Président, pour une colonisation, une vraie colonisation, comme au bon vieux temps.

jeudi 17 avril 2008

Donner tort à Malthus

La population mondiale a franchi en 2000 le cap des 6 milliards, et devrait atteindre les 7 milliards vers 2015. Dans les 25 dernières années elle a augmenté de 2,5 milliards d’habitants, chiffre de la population mondiale totale en 1950. Le cap du milliard d’habitants sur notre planète a sans doute été franchi vers 1830. Il a fallu un siècle pour le doubler. Malgré le ralentissement de la fécondité dans un nombre important de pays, il devrait y avoir à peu près 8 milliards d’habitants sur la terre en 2030 et près de 9 milliards en 2050.

Malthus prédisait que la population mondiale dépasserait les capacités agricoles de la planète au milieu du XIXème siècle. Il s’est lourdement trompé. Il a été répondu au défi de l’expansion démographique mondiale par l’expansion des surfaces cultivées, les progrès du machinisme, des engrais artificiels, puis de la génétique. Tout ceci a formé la « révolution verte » qui a permis, par exemple, à l’Inde de démentir les prédictions qui, au moment de son indépendance, lui annonçaient une irrémédiable famine dans les vingt années à venir. Il y a eu enfin les progrès de la conservation des denrées et du transport sur longue distance qui ont permis aux fermiers du Middle West ou aux éleveurs de poulets européens de nourrir à des prix défiant toute concurrence, et notamment la concurrence locale, les populations d’Afrique ou d’ailleurs. Ou encore aux pêcheurs du monde entier de venir ratisser de leurs chaluts les fonds côtiers de l’Afrique.

Mais la progression des rendements tendra à se ralentir, à l’image des records d’athlètes que l’on voit approcher de l’absolu physiologique. Et durant les trente dernières années la surface mondiale des terres arables est restée stable : autour de 1,5 milliards d’hectares. Si de nouvelles surfaces ont été dédiées à l’agriculture en Amérique latine et en Russie, cette expansion a été compensée par l’urbanisation de l’Europe et de l’Asie. Dans les dix dernières années, 8 millions d’hectares cultivés ont ainsi disparu en Chine, soit les deux tiers de toute la surface arable de l’Allemagne. Et l’urbanisation va évidemment s’étendre. Nous venons tout récemment de franchir le seuil de 50% de la population mondiale vivant dans des villes. En 1950, le chiffre n’était que de 30%. Tout ceci sans parler des effets, encore difficilement évaluables, du réchauffement climatique.

L’homme, on le sait, résout les problèmes au moment où ils se posent. Il est quand même étonnant que l’on n’ait pas vu plus vite celui-là approcher. La Banque mondiale, qui veille à s’entourer des meilleurs économistes du monde, vient d'avouer n'avoir consacré que 12% de ses prêts à des projets agricoles en 2007, contre 30% dans les années 1980. Et elle souligne que 4% seulement de toute l’aide publique au développement va aujourd’hui à l’agriculture. Ce qui ne l'empêche pas d'expliquer ensuite doctement aux pays en difficulté comment s'y prendre pour s'en sortir. Que d’étourderie chez de si beaux esprits ! A qui donc se fier ?

A ces données structurelles s’ajoute pour expliquer l’actuelle flambée des prix agricoles la vague spéculative sur les matières premières. En 2000, nous avons vécu l’affaissement boursier de la bulle internet. Le 11 Septembre a ajouté au marasme mondial. Fuyant la bourse, l’argent de la spéculation, gonflé des dollars créés par les déficits historiques américains, s’est dirigé vers l’immobilier. Las, celui-ci à son tour connaît la crise des subprimes : mille milliards de dollars partis en fumée…. Méfiance envers les valeurs boursières, méfiance envers la pierre, que reste-t-il ? les matières premières, bien sûr, l’or, les métaux, le pétrole, les produits agricoles, dont la pénurie alimente aujourd’hui la spéculation.

Phénomènes structurels et phénomènes conjoncturels se combinent donc aujourd’hui pour nourrir la crise. Ce ne sont pas les lois du marché qui vont permettre d'en traiter les racines. Comment mettre en place, aux échelles nationale, régionale, mondiale, des politiques volontaristes à la hauteur du défi? comment empêcher qu'avec l'approfondissement prévisible de la crise ne se développe, au moins dans les pays les plus touchés, la tentation de confier ces politiques volontaristes à des régimes autoritaires? Des bonnes réponses à ces questions dépend notre capacité à ne pas devoir donner, certes avec deux siècles de retard, raison à Malthus.

dimanche 6 avril 2008

petite lueur venue d'Iran

Bonne nouvelle venant d'Iran! Quelques lecteurs fidèles se souviennent peut-être qu'en juillet dernier (cf. articles des 20 et 30 juillet) plusieurs pays européens (la France, bonne dernière, et traînant un peu des pieds...) avaient protesté contre la récente lapidation en Iran d'un homme accusé d'adultère et avaient demandé que soit épargnée la femme arrêtée avec lui, croupissant depuis onze ans en prison et en instance d'exécution.

La presse iranienne vient de signaler que cette femme, Mokarrameh Ibrahimi, avait quitté la prison de Qazvin. Bien sûr, c'est une toute petite nouvelle. Bien sûr, ce n'est qu'une mince lueur dans une nuit profonde des droits de l'homme. Mais pour Mokarrameh, le pire a été évité.

Merci à ceux qui se sont mobilisés en cette occasion, en rappelant à l'Iran qu'il avait promis depuis déjà plusieurs années de ne plus mettre en oeuvre le supplice de la lapidation. Le message est passé. Ceci nous encourage à ne jamais baisser les bras.

jeudi 27 mars 2008

Réponse à "Nicolas, le Terrible et le Parti socialiste"

Je crois intéressant de diffuser la réponse à mon dernier papier que je viens de recevoir de mon ami Georges Le Guelte, fin connaisseur des affaires nucléaires et de prolifération.

"D'accord avec ton message sur le discours de Sarkozy à Cherbourg, bien que je sois moins indulgent que toi à son égard. La seule mesure nouvelle qu'il ait annoncée est en effet la réduction du nombre d'avions et de têtes. Pour le reste, il s'est contenté de gommer quelques-unes des élucubrations les plus ridicules du discours de Chirac le 19 janvier 2006, telles que l'idée d'inclure l'approvisionnement en hydrocarbures parmi les intérêts relevant de la dissuasion nucléaire.

En particulier pour ce qui concerne le désarmement, il se borne à reprendre le discours le plus traditionnel : nous avons donné l'exemple, et maintenant nous ne bougerons plus avant que les autres aient fait les mêmes gestes que nous. Comme position de négociation, c'est de bonne guerre, et il serait peu avisé, me semble-t-il, de faire du désarmement unilatéral sans rien demander aux autres. Mais comme tu le soulignes, j'aurais aimé qu'il réponde à Gordon Brown et le soutienne. Je crains qu'il ne le fasse pas plus lors de sa visite à la reine.

Cela dit, je regrette aussi qu'il redonne un intérêt au TICE (traité d'interdiction complète des essais) et à la convention d'interdiction de la production de matières fissiles militaires, deux traités qui n'ont aucun intérêt pour personne. Exiger qu'ils soient ratifiés par les autres pays avant d'accepter de nouvelles mesures de désarmement revient à dire que l'on refuse toute nouvelle négociation, puisqu'on sait très bien que le Sénat américain ne les ratifiera pas.

En revanche, mille fois d'accord avec toi sur le silence du PS, mais on pourrait en dire autant s'agissant de l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Que vont-elles y faire? Combattre le terrorisme-international-équipé-d'armes-de- destruction-massive-et-de-missiles-balistiques? Ou essayer de reconstituer une société? Et dans ce cas, les militaires ne devraient-ils pas être accompagnés de spécialistes civils de toutes sortes, y compris des ingénieurs pour construire des infrastructures collectives, etc...

Dans ma naïveté, je pensais que la décision d'envoyer de nouvelles troupes nous donnait un moyen de négocier sur les objectifs et le calendrier de l'OTAN en Afghanistan. Espère-t-on autre chose qu'une nouvelle invitation à déjeûner avec Bush? Sur ce sujet aussi, le PS aurait pu dire des choses, d'autant qu'à ma connaissance, il n'y a pas eu le moindre débat au Parlement sur le sujet. Si le PS n'est pas capable de dire quoi que ce soit sur la présence de troupes françaises en Afghanistan, du moins aurait-il pu exposer sa conception de la démocratie."

lundi 24 mars 2008

Nicolas, le "Terrible" et le Parti socialiste

Notre Président vient de s'exprimer à Cherbourg sur le format et l'avenir de notre force nucléaire. Il a aussi abordé les questions de désarmement.

Dans le fil de mesures prises par ses prédécesseurs, il a ainsi annoncé que le nombre d'armes, de missiles et d'avions de la composante aérienne de notre force de dissuasion serait réduit d'un tiers. Le nombre d'avions tombera donc à quarante. Il précise que la force française sera alors dotée au total de moins de trois cents têtes nucléaires. Elle en avait à peu près sept cents à la fin de la Guerre froide.

Il a aussi lancé quelques initiatives en matière de contrôle des arsenaux et de désarmement : invitation d'inspecteurs internationaux à constater le démantèlement des sites français de production de matières fissiles militaires (Pierrelatte et Marcoule), invitation à toutes les puissances dotées de l'arme nucléaire à adhérer au traité d'interdiction complète des essais et à démanteler leurs sites d'essais, invitation aux cinq puissances nucléaires militaires reconnues par le Traité de non prolifération à mettre au point des mesures de transparence, appel à l'élaboration d'un traité mettant fin à la production de matières fissiles militaires et moratoire immédiat sur leur production. D'autres idées ont été également lancées en matière de désarmement balistique.

Il faut sur ces différents points décerner à notre président un satisfecit, même si l'élève Sarkozy peut mieux faire. Dommage qu'il n'ait pas osé rejoindre Gordon Brown, qui s'est formellement engagé à faire ses meilleurs efforts pour présenter à la prochaine conférence d'examen du Traité de non prolifération nucléaire, en 2010, un dispositif de contrôle mutuel des arsenaux nucléaires ayant comme objectif affiché de parvenir un jour à leur démantèlement complet.

Non, ce qui est un peu triste en cette affaire c'est le silence de la gauche française, et notamment du Parti socialiste. Pourquoi, depuis qu'il est dans l'opposition, et notamment depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy, n'a-t-il pas présenté sa propre vision des choses? Où est passé le souvenir de sa longue tradition de soutien au désarmement? Où sont ses dirigeants et ses experts? Pourquoi n'avoir pas devancé les propositions de notre président alors que chacun savait qu'il allait prendre la parole sur ces affaires? Serions-nous à ce point satisfaits de nos victoires locales que nous ayons perdu toute ambition d'avoir des idées novatrices sur de grands sujets?

mardi 18 mars 2008

Les États malins dans la mondialisation

Dans la foire d'empoigne de la mondialisation, les pays qui s'en sortent le mieux sont encore ceux qui ont des Etats malins.

On a déjà vu dans la seconde moitié du XXème siècle comment les États d'Asie, Japon et Corée du Sud en tête, ont appuyé leur développement sur la protection féroce de leurs marchés intérieurs, tout ceci dans le non-dit d'ailleurs, puisqu'ils n'ont jamais mis en cause les règles d'ouverture à la concurrence prônées dans les vertueuses enceintes internationales. On voit encore aujourd'hui comment les pays les plus développés, États-Unis, Europe, Australie, protègent leurs agricultures, quitte à inonder le monde de surproductions entrant en concurrence avec les productions locales.

On a vu que les États qui ont le mieux résisté à l'éclatement de la bulle financière asiatique de la fin des années 1990 sont ceux qui ont pris soin d'ignorer les injonctions du FMI. A juste titre, puisque le FMI a reconnu, des années plus tard, qu'il avait prodigué en cette circonstance de mauvais conseils.

De même le catéchisme néo-libéral de la Banque mondiale, appuyé sur l'idéal de l'Etat minimum et la méthodologie des "ajustements structurels", a produit en Afrique des désastres économiques, par exemple avec le démantèlement de filières nationales de production cotonnière. Sur le plan social, on a vu aussi les conséquences négatives de l'affaiblissement des systèmes nationaux d'éducation sous l'effet du "dégraissage" des effectifs. Là encore, la Banque mondiale a fait acte de repentance, mais un peu tard...

Ceci ne veut pas dire que protectionnisme et socialisme sont la garantie du développement. Le protectionnisme, quand il sert les intérêts d'oligarchies mondialisées, comme on les trouve en Amérique latine ou en Afrique, crée des niches de confort qui n'apportent rien au pays, bien au contraire. Quant au socialisme, quand il n'est que l'habillage de régimes populistes et autoritaires, il plombe lui aussi les chances de développement.

Non, tout démontre que les "success stories" du développement partent de l'analyse lucide des atouts et des handicaps d'un pays, puis de la définition de stratégies ad hoc, sans se laisser influencer par les bons apôtres extérieurs. Cet atout peut être ici une population industrieuse, ailleurs l'abondance de telle ou telle matière première ou source d'énergie, ailleurs encore le soleil et les plages qui permettront d'attirer les touristes, ou même le bon emplacement sur la carte du déplacement des gens et des marchandises. C'est en somme l'exploitation raisonnée du différentiel d'un pays donné dans le jeu mondial de la concurrence ou simplement, comme l'aurait dit Adam Smith, de la division du travail. C'est enfin la distribution astucieuse des fruits de la croissance, en vue d'injecter juste assez de prospérité parmi le plus grand nombre, tout en facilitant les nouveaux investissements, gages des résultats futurs.

Il y a quelques années, le discours à la mode portait sur l'affaiblissement des Etats face à la montée sur la scène internationale d'acteurs non-étatiques, des maffias aux ONG, en passant par les entreprises terroristes, mais aussi les régions et les territoires, dont la fédération devait en particulier construire l'Europe débonnaire du futur. Aujourd'hui, les Etats se trouvent plus que jamais au devant de la scène. Plus que jamais, notre avenir dépend d'eux. Simplement, leur caractère de droit divin, ou, ce qui est à peu près la même chose, leur sacralité historique, s'atténue au profit d'une logique de concurrence. Comme de vulgaires entreprises, ils sont jugés au résultat.

samedi 8 mars 2008

Byzance, le capitalisme financier et les téléphones portables

A Byzance, la classe dirigeante appuyait son pouvoir et son prestige sur la possession de grandes propriétés foncières. Pour les acquérir, elle chassait de leurs terres et expulsait vers les villes les petits exploitants qui formaient l'élément le plus solide de son armée, la base de sa défense, et même la base de sa société. L'on s'en rendait compte déjà à l'époque, l'on se lamentait devant l'affaiblissement de l'Empire qui en découlait. Mais rien ne semblait pouvoir arrêter cette évolution, et de fait rien ne l'a arrêté.

La façon dont le nouveau capitalisme financier a détruit le tissu économique et social qui a fait la force de l'Europe, et notamment une classe ouvrière profondément attachée à ses entreprises, rappelle très fortement la façon dont les paysans de Byzance ont été arrachés à leurs terres. Là aussi, chacun constate le résultat produit, se lamente de la fragilisation de nos nations et de nos sociétés , mais sans que personne ait pu mettre fin au phénomène. Les forces à l'oeuvre paraissent dépasser infiniment la capacité d'action de quiconque.

Avant cette désagrégation de la classe ouvrière, il y avait déjà eu la désagrégation du monde paysan dans l'ouest de l'Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Car c'était cela aussi, les "Trente glorieuses".

Assez curieusement, le bloc soviétique avait protégé de ces évolutions, par une sorte de glaciation, les pays qu'il recouvrait. Dans les années 1990 encore, la campagne polonaise ou la campagne roumaine était à peu près aussi peuplée qu'au Moyen-Âge, et présentait des tableaux dignes des Riches Heures du Duc de Berry. Je me souviens d'avoir demandé en Hongrie à un couple de paysans qui m'avaient fait entrer avec ma femme dans leur maison combien d'hectares ils cultivaient. "Deux...". "Mais c'est très peu!" disais-je. "Pas du tout" répondaient-ils, "cela nous donne déjà beaucoup de travail". Et de fait, leur intérieur, la table à laquelle ils nous avaient invités, respiraient une toute petite mais honnête aisance. Un immense dégel a dû déjà commencé à emporter tout ceci.

Dans notre monde déstructuré, chacun se présente de plus en plus comme un entrepreneur individuel, employeur de sa force de travail, s'efforçant de survivre en gérant au mieux son employabilité. Et la principale force de cohésion de l'ensemble, c'est l'échange. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder les réclames à la télé, où la marchandise qui vampirise ceux qui l'acquièrent paraît bien plus vivante que les acteurs-marionnettes qui s'y agitent pour pousser à la consommer.

L'échange devient donc le porteur du réel, et les personnes tendent à n'être plus que des terminaux ou des relais du monde de la communication. Dans ce monde nouveau, celui qui n'est plus irrigué en permanence par ce flux s'étiole et et disparaît, frappé par une sorte de mort civile. C'est ce qu'on verrait très vite si l'on pouvait faire tomber en panne d'un seul coup les téléviseurs, les ordinateurs branchés sur internet et tous les téléphones portables.

jeudi 28 février 2008

Du philosophe, du portefaix, de l'épagneul et du bouledogue

Désolé de mon silence de deux semaines, dû à une mission dans l'Océan indien, où j'ai joué à cache-cache avec un cyclone qui a brossé Madagascar et frôlé Maurice. De retour à Paris, je me replonge dans la lecture de "la richesse des Nations", publié en 1976 par l'Écossais Adam Smith, le père de la science économique moderne, comme l'est Montesquieu pour la science politique avec son "Esprit des lois", publié 18 ans plus tôt.

Le style est d'une clarté et d'une densité admirables, et le fond d'une belle lucidité sur la condition humaine. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ce passage :

"La différence des talents naturels entre individus est, en réalité, beaucoup moindre que la perception que nous en avons. Et les aptitudes très différentes qui semblent distinguer les gens de différentes professions, lorsqu'ils ont atteint leur maturité, est en de nombreux cas non pas tant la cause que l'effet de la division du travail.

La différence entre des types humains aussi dissemblables qu'un philosophe et un portefaix, par exemple, semble bien émerger non pas tant de la nature que des habitudes, des coutumes et de l'éducation. Lorsque l'un et l'autre sont venus au monde, pour les six ou huit premières années leur existence, ils étaient peut-être très semblables, et ni leurs parents ni leurs compagnons de jeux n'auraient pu distinguer de notable différence entre eux. A compter de cet âge, ou peu après, les voilà occupés par de très différentes activités. L'on commence alors à voir apparaître la différence des talents. Cette différence s'élargit par degrés jusqu'à ce que la vanité du philosophe l'amène à ne plus se reconnaître que quelques rares ressemblances avec l'autre.

Mais sans la disposition humaine à transporter, faire du troc, échanger, chaque homme devrait se procurer par lui-même toutes les nécessités et commodités de la vie. Tous auraient les mêmes tâches à accomplir , le même travail à faire, et il n'y aurait plus ces différences d'emploi qui seules autorisent les grandes différences de talent à se déployer.

Et cette disposition qui fait naître ces différences de talents si remarquables entre gens de différentes professions est la même qui rend ces différences utiles. Beaucoup de races d'animaux reconnus comme appartenant à la même espèce sont dotées par la nature de caractéristiques bien plus différenciées que celles que l'on voit entre les hommes avant l'intervention des coutumes et de l'éducation.

Par nature, un philosophe, en termes de talents et de capacités, n'est pas à moitié aussi distant d'un portefaix qu'un lévrier d'un épagneul, ou ce dernier d'un chien de berger. Mais ces différentes races d'animaux, pourtant tous de la même espèce, ne sont que peu utiles l'une à l'autre. La force du dogue ne tire aucun profit de la rapidité du lévrier, de l'intelligence de l'épagneul, ou de de la docilité du chien de berger. Les effets de ces différents talents et capacités, faute de la capacité ou de la disposition à échanger, ne peuvent se cumuler en un capital commun, et ne contribuent en aucune façon à améliorer les nécessités et commodités dont pourrait disposer l'espèce. Chaque animal est toujours obligé de se soutenir et de se défendre par lui-même, séparément et indépendamment, et ne tire aucun avantage de cette variété de talents dont son espèce à été dotée par la nature.

Entre les hommes au contraire, les talents les plus éloignés les uns des autres sont utiles l'un à l'autre. Les différents produits de leurs talents respectifs étant réunis en un capital commun par leur capacité générale à transporter, à faire du troc, à échanger, tout homme a une chance d'acquérir au moins une part du produit du talent des autres hommes".

samedi 9 février 2008

Le "eux ou nous " de Rama Yade

Rama Yade prend la défense dans le Monde du 5 février de "deux femmes d'honneur": Taslima Nasreen et Ayaan Hirsi Ali, toutes deux menacées par des intégristes musulmans. C'est bien. Elle nous invite à ne pas choisir "le parti de la prudence". Nous sommes, bien sûr, d'accord.

Et elle poursuit : "Alors que la main des terroristes ne tremble pas quand il s'agit de tuer, le monde occidental, lui, tremblerait-il désormais quand il s'agit d'affirmer ses valeurs de liberté, de justice, de solidarité? c'est pourquoi je propose que l'Europe fasse de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes une priorité partout dans le monde, y compris les pays musulmans".

Aucune raison, en effet, d'exclure les pays musulmans du bénéfice de cette initiative européenne. L'important est de voir par quelles méthodes Mme Rama Yade entend la conduire. Espérons qu'elle produira d'intéressantes propositions, notamment à l'occasion de la Présidence française.

Mais faut-il vraiment terminer en écrivant : "Nous sommes à un tournant civilisationnel. Ce sera eux ou nous"?

Si c'est cela le fond du raisonnement, nous n'irons pas très loin. Ou alors trop loin, car voilà notre ministre embarquée dans les théories à la Huntington sur le "choc des civilisations".

"Nous disons solennellement qu'il est crucial pour notre nation et ses alliés de gagner cette guerre. Nous combattons pour nous défendre nous-mêmes, mais nous croyons aussi que nous combattons pour défendre ces principes universels des droits de l'Homme et de la dignité humaine qui sont le plus bel espoir de l'humanité".

Voilà ce qu'écrivait en février 1962 une soixantaine d'intellectuels américains, dont Samuel Huntington, et aussi Francis Fukuyama, l'inventeur de "la fin de l'Histoire", à l'orée de la guerre d'Afghanistan.

Le combat pour les droits de l'Homme est un noble combat. Mais il n'autorise pas à raisonner en termes de "eux ou nous". Il ne peut à lui seul justifier des guerres où l'on laisserait à Dieu le soin "de reconnaître les siens" dans le mélange obligé de victimes innocentes et de méchants coupables.

dimanche 3 février 2008

la HALDE démolit la loi Hortefeux, les agneaux restent silencieux

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a adopté en décembre dernier une délibération fort critique sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration, dite "Loi Hortefeux". L'opinion était-elle fatiguée d'en débattre? curieusement, cette prise de position n'a reçu aucune publicité, ou presque. Tant mieux pour M.Hortefeux, dommage pour les intéressés. Et dommage pour la démocratie. Retenons néanmoins les principaux arguments de la HALDE, en espérant qu'ils pourront resservir.

Ainsi, sur le durcissement des conditions du regroupement familial : " ce durcissement impose aux étrangers souhaitant faire venir leurs proches des conditions de ressources qui écartent, de fait, les populations les plus vulnérables, tels que les malades et les personnes âgées... le regroupement familial, particulièrement crucial dans leur situation, ne leur sera pas ouvert".

La HALDE relève aussi la contradiction à considérer que le SMIC est suffisant pour vivre en France avec une famille, et à imposer aux étrangers de justifier de revenus plus élevés de 20% que le même SMIC pour pouvoir faire venir leurs proches. La discrimination ainsi créée est contraire aux principes du droit français. Est de même contraire au principe de non-discrimination une autre disposition de la loi imposant aux étrangers des conditions plus rigoureuses qu'aux Français pour le versement des prestations familiales.

La HALDE souligne également que l'obligation de suivre une formation préalable à la langue française avant de venir rejoindre en France un parent ou un conjoint constitue "une contrainte importante au regard de la liberté d'aller et venir, et surtout du droit fondamental de mener une vie familiale normale". Elle s'interroge sur le point de savoir si cette contrainte sera bien appliquée à toutes les situations (une jeune Américaine épousant un Français y sera-t-elle soumise, ou la famille d'un éminent scientifique étranger poursuivant des recherches dans notre pays?) et si cette formation sera bien disponible en tous lieux à un coût accessible.

Une autre contradiction relevée par la HALDE : l'obligation de quitter le territoire français qui peut accompagner le non renouvellement ou le refus d'un titre de séjour n'a plus à être motivée. Or la loi de 1979 relative à la motivation des actes administratifs dispose que "doivent être motivées, en fait et en droit (...) les mesures qui restreignent l'exercice des libertés publiques ou, d'une manière générale, constituent une mesure de police".

la HALDE s'en prend enfin au fameux article sur les tests ADN pour en démontrer l'inanité. En effet, argumente-t-elle, ces tests de filiation maternelle ont été introduits pour pallier les carences et les fraudes marquant les états civils d'un certain nombre de pays d'émigration. Mais les demandes de regroupement familial émanent à 85% de pères de famille. Si l'état-civil du pays où se trouvent les enfants permet de tricher sur leur filiation maternelle, il permet tout aussi bien de fabriquer de faux actes de mariage... l'on n'est donc pas beaucoup plus avancé. Et quid du veuf qui veut récupérer ses enfants et les faire venir en France?

Oui, c'est bien dommage que la HALDE n'ait pas été consultée par le Gouvernement avant de faire voter son projet alors que la loi lui en faisait l'obligation pour un certain nombre de ses dispositions. La loi créant la HALDE prévoyait en effet qu'"elle est consultée par le gouvernement sur tout projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité." Mais peut-être le gouvernement de M.Sarkozy a-t-il estimé qu'il se trouvait exonéré de cette obligation dans la mesure où sa loi visait surtout à renforcer les discriminations et à lutter contre l'égalité?

samedi 26 janvier 2008

Une grande première : le chef de gouvernement d'un Etat nucléaire prend officiellement position pour un monde sans armes atomiques

Gordon Brown, Premier Ministre britannique, vient de déclarer lors d'un voyage à New-Delhi, dans un discours tout à fait officiel, que la Grande-Bretagne était prête à prendre la tête d'un processus de vérification et de démantèlement des arsenaux nucléaires destiné à aboutir à un monde sans armes atomiques.

Voici la traduction exacte de ses propos, que l'on peut retrouver à l'adresse suivante http://www.number10.gov.uk/output/Page14323.asp :

"Laissez-moi vous dire que la Grande-Bretagne est prête à utiliser son expertise en vue d'aider à déterminer les moyens nécessaires pour éliminer de façon vérifiable les ogives nucléaires. Et je m'engage à ce que dans le processus de préparation de la conférence d'examen du Traité de non-prolifération de 2010, nous soyons en première ligne de la campagne internationale visant à accélérer le désarmement parmi les Etats possesseurs de l'arme nucléaire, à prévenir la prolifération de la part de nouveaux Etats, et à atteindre en définitive un monde débarrassé d'armes nucléaires."

Déjà, une semaine auparavant, un groupe d'anciens dirigeants américains, conduits par Henry Kissinger et Georges Schultz, avait pris position dans le Wall Street Journal en faveur de la disparition programmée des arsenaux atomiques. Leur étude se terminait ainsi :

"D'une certaine façon, l'objectif d'un monde libéré des armes nucléaires est comme le sommet d'une très haute montagne. A partir du monde troublé actuel, nous ne pouvons même pas voir le sommet de la montagne. Il est tentant et facile de dire que nous ne pourrons pas l'atteindre. Mais les risques qu'il y a à continuer à descendre de la montagne, ou simplement à rester sur place, sont trop réels pour être ignorés. Nous devons tracer un chemin pour atteindre un niveau où le sommet de la montagne devient plus visible."

En ce début 2008, l'engagement pour la disparition des arsenaux nucléaires vient donc de franchir le seuil décisif séparant les utopies des perspectives concrètes. Ce ne sont plus de doux rêveurs qui prennent ainsi position. Ce sont des gens qui savent ce que gouverner veut dire. C'est surtout le chef de gouvernement d'un pays doté de la Bombe, et d'un pays proche de la France, qui vient de briser le tabou. Aurons-nous le courage de nous associer aux propos de Gordon Brown, de donner corps à son projet?

jeudi 24 janvier 2008

Dieu, le Pape, le Roi et notre Président

Le Président de la République a fait le choix d'étaler ses convictions religieuses aux yeux des Français, et même du monde entier, puisqu'il parle de Dieu et de ses prophètes dans ses déplacements à l'étranger, notamment auprès de fins connaisseurs, comme le Pape ou le Roi d'Arabie saoudite.

L'on est tenté de dire qu'il n'a pas été élu pour cela. "Dieu n'asservit pas l'homme, mais le libère" a-t-il assené à Riyad. C'est pourtant Dieu qui a conseillé au Président Bush, selon ses confidences télévisuelles, d'aller faire la guerre en Irak. C'est le même Dieu qui, à travers le Douzième Imam, encourage le Président Ahmadinejad à s'intéresser à l'énergie nucléaire et à "rayer Israël de la carte". Dieu sait (c'est le cas de le dire) ce qu'Il va souffler à l'oreille de notre Président. Espérons qu'en matière de restauration du pouvoir d'achat des Français, Il offrira à Nicolas Sarkozy des conseils plus pertinents, mutatis mutandis, que ceux qu'il glisse aux Présidents américain et iranien.

"Je respecte ceux qui croient au Ciel autant que ceux qui n'y croient pas" nous explique doctement Nicolas Sarkozy. C'est vraiment la moindre des choses pour le Président de tous les Français. "La France a besoin de catholiques" nous dit-il encore à Saint-Jean de Latran. Quel est le rapport? Soyons charitables, classons cela dans les propos de circonstance. En bord de mer, il est normal de dire que la France a besoin de marins-pêcheurs.

Á d'autres moments, l'on voit percer un inquiétant raisonnement en trois temps : 1° "je ne connais pas de pays dont l'héritage n'ait pas de racines religieuses" 2° "les racines de la France sont essentiellement chrétiennes" 3° "j'ai le devoir de préserver l'héritage d'une longue histoire". Et notre Président explique alors que "la République a besoin "d'hommes et de femmes qui espèrent". Il appelle en conséquence à considérer les religions "comme un atout".

Quelle purée! elle veut d'abord faire croire qu'on ne peut espérer qu'au travers des religions. Elle mélange surtout deux notions distinctes : les croyances, qui relèvent des convictions individuelles, même quand elles sont partagées, et les religions, qui sont des faits sociaux, pesant donc sur l'évolution des sociétés, notamment au travers de leurs Églises. A cette aune, l'action des Églises dans l'histoire de France et l'histoire du monde a-t-elle été "globalement positive"? Á chacun son idée, nous n'avons pas besoin du Président pour nous la dicter.

Comme il est rafraîchissant de revenir aux sources : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte." Ce sont les phrases clefs de la loi de 1905. Serions-nous capables d'écrire, et de faire voter, ces simples phrases aujourd'hui?

vendredi 18 janvier 2008

Rififi dans le détroit d'Ormouz

Il n'est peut-être pas inutile de revenir à tête reposée sur l'incident qui a opposé le 6 janvier dernier cinq vedettes iraniennes à trois navires de guerre américains dans le détroit d'Ormouz.

Le premier communiqué vient le lendemain de la marine américaine qui signale que de petits bateaux iraniens, appartenant vraisemblablement aux Pasdaran, ont "manoeuvré de façon agressive à proximité" de ses navires. Un film de l'incident est diffusé à la presse, il fait entendre la phrase captée sur le réseau commun de communication des navires en mer : "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes". Les porte-parole de la Défense américaine précisent que les navires iraniens ont jeté à la mer des "objets blancs, en forme de boîte" qui ont inquiété un moment les équipages américains. Le chef du comité des chefs d'état-major américain commente pour sa part l'incident en y voyant "un reflet des nouvelles tactiques iraniennes de guerre asymétrique".

Dans les jours qui viennent, l'affaire est évoquée à trois reprises par le Président Bush, et pour la dernière en Israël, en compagnie du Premier ministe Olmert. Le Président dénonce chaque fois la "provocation" du comportement des iraniens et les met fermement en garde contre toute répétition. L'affaire est également commentée par le Secrétaire à la défense américain, Robert Gates, qui souligne le caractère "imprévisible du gouvernement iranien" et la situation "volatile" de la région.

Dans le même temps, les Iraniens démentent toute attitude provocante, présentent leur action comme une action normale de contrôle de navires à proximité de leurs côtes, diffusent leur propre film de l'évènement, et accusent les Américains d'avoir falsifié la bande-son de leur film en y ajoutant la phrase "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes".

Tout ceci examiné, les deux films visionnés, quelles leçons tirer de l'affaire, quel jugement porter?

Première surprise, à l'examen des films : les navires iraniens sont de tout petits hors-bord de type civil, sans armement, sans même cabine couverte, du modèle utilisé par les vacanciers pour faire du ski nautique. Ils ont un équipage de trois personnes, et ne peuvent guère en avoir plus. A noter qu'ils n'arborent aucun pavillon, ni aucune immatriculation de type militaire.

Leur comportement autour des navires américains, au cours d'un épisode qui dure une vingtaine de minutes, pourrait être qualifié de "rodéo" ou encore "d'essaim de frelons". Ils restent néanmoins à distance respectueuse, jamais moins de deux cents mètres, selon les déclarations des Américains eux-mêmes.

Il est clair, et les Américains en ont finalement convenu, que la phrase menaçante "nous venons sur vous, vous allez exploser dans deux minutes" n'a pas été prononcée par les marins iraniens. Le ton de voix, l'ambiance sonore sont tout à fait différents des propos antérieurs, parfaitement ordinaires, visant à l'identification mutuelle des navires. Elle aurait, semble-t-il, été lancée sur les ondes par un mauvais plaisant extérieur. La chose est, paraît-il, assez courante car la fréquence radio de contact des navires en mer est accessible à tout le monde.

Quant aux objets non identifiés jetés à la mer, ils devaient être du type journal ou boîte de carton, et les premiers observateurs américains les ont rapidement jugés inoffensifs, puisqu'ils n'ont fait l'objet d'aucun signalement général.

Dans l'ensemble, c'est donc une petite affaire. Les équipages iraniens semblent avant tout avoir voulu "frimer" sous les yeux des Américains : comportement en effet irresponsable, et que l'on peut présumer d'initiative locale. Ce n'aurait été ni très méchant, ni dangereux, s'il n'y avait le souvenir des attentats contre l'USS Cole en l'an 2000, ayant fait 17 morts, et contre le pétrolier Limbourg, commis un an plus tard : tous les deux à Aden. Le premier a été mené par un commando-suicide monté sur un simple canot pneumatique, le second aurait été mené par un autre commando-suicide monté sur un petit navire de pêche. A la lumière de ces souvenirs, l'on peut souligner que les équipages américains ont fait preuve de sang-froid et de retenue. l'on ne voit, par exemple, sur aucune image de système d'armes braqué sur les navires iraniens, l'on n'entend rien allant en ce sens.

Le plus étonnant est la façon dont cet incident, somme toute modeste, a été amplifié par des déclarations de hauts responsables, et notamment du Président américain. Dont il a pu faire "la Une" de tous les journaux du monde, qui se sont longuement et gravement interrogés sur les intentions du gouvernement iranien et sur le risque de déclenchement d'un conflit de grande ampleur.

L'on ne peut manquer de penser à "l'incident de la baie du Tonkin", très ressemblant à celui-là, un peu plus sérieux quand même, puisqu'il y avait eu un tir d'arme légère ayant créé un point d'impact sur un navire américain. Mais c'est de ce point d'impact unique qu'a démarré la guerre du Vietnam.

L'inquiétant de cette affaire, ce n'est donc pas l'apparition sur scène d'une modeste allumette. Il y en a, il y en aura, d'autres. C'est évidemment que l'on puisse passer directement du frottement de l'allumette à l'explosion majeure. C'est le risque de voir des crises que chacun se flatte de contrôler prendre tout à coup, sous l'effet d'évènements imprévus, ou encore périphériques, des dimensions incontrôlables. Il faut certainement s'en souvenir dans le traitement de la crise nucléaire iranienne.