mercredi 27 juillet 2011

Assassinats en série

Un chercheur iranien mêlé au nucléaire vient encore d’être assassiné samedi dernier par des tueurs circulant à motocyclette, alors qu’il allait prendre son enfant à la sortie d’une maternelle. Sa femme a elle-même été blessée dans l’attentat. Deux scientifiques iraniens du nucléaire ont été exécutés par des méthodes comparables, l’un en janvier, l’autre en novembre 2010. Un autre scientifique avait été blessé à cette dernière date, ainsi que les femmes des deux hommes visés. Ce dernier, Fereidoun Abbasi, est depuis devenu le patron de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique. En 2007 déjà, un chercheur iranien lié au nucléaire était mort d’une mystérieuse intoxication. Notons que les attentats de 2010 et 2011 ont tous eu lieu sur la voie publique, à proximité des domiciles des victimes. Les tueurs disposaient donc de leurs adresses privées.

Ali Mohammadi, tué en janvier 2010, était professeur de physique nucléaire. Il représentait son pays au sein du projet Sesame, placé sous l’égide de l’UNESCO, visant à installer en Jordanie un accélérateur de particules conjointement géré par les pays de la région. Majid Shahriari, tué en novembre de la même année, travaillait sur le même projet. Ont-ils au cours de leurs séjours à l’étranger imprudemment laissé traîner leurs adresses et celles de leurs amis ?

Ces assassinats ciblés ne semblent pas avoir soulevé d’émotion hors d’Iran. Il ne s’agit pourtant pas là de représailles visant des auteurs ou instigateurs d’attentats, comme on a pu le voir dans la bande de Gaza ou avec l’assassinat en 2008 à Damas d’Imad Moughniyeh, responsable, entre autres forfaits, de la mort en 1983 à Beyrouth de 300 soldats américains et français. L’on peut en ces cas accepter l’idée que celui qui a pris l’épée périsse par l’épée. Mais les victimes iraniennes, sans parler de leurs femmes, n’étaient pas des tueurs. Présume-t-on de leur participation à un programme militaire clandestin, ce qui serait, en effet, une façon de forger, sinon de manier, l’épée ? La chose n’est pas avérée. Pour les scientifiques dont on connaît un peu le parcours, leurs travaux paraissent plutôt éloignés de l’ingénierie de l’arme nucléaire.

Au-delà de cette interrogation morale, il va de soi que de telles pratiques nourrissent des haines inexpiables. L’on est, bien entendu, persuadé à Téhéran qu’Israël et les États-Unis sont derrière ces assassinats. L’on relève le silence de la communauté internationale, pourtant prompte à réagir lorsque l’Iran est en cause. Rien de ceci ne favorise la recherche de solutions négociées, ni une plus grande ouverture de l'Iran aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Au contraire, tout va dans le sens la consolidation de la rancœur et de la méfiance, avec au bout du chemin le risque de montée de crise et de conflit ouvert. Est-ce bien là le but recherché ?

(paru le 27 juillet dans lemonde.fr)

vendredi 8 juillet 2011

une rencontre avec Otto de Habsbourg

J'ai rencontré il y a une quinzaine d'années Otto de Habsbourg, fils du dernier empereur d'Autriche et roi de Hongrie, mort à l'âge de 98 ans après avoir été mêlé à l'histoire de notre continent depuis les drames des années 1930 et 1940 jusqu'aux décennies de la construction européenne. Je l'avais trouvé fort sympathique.

C'est en particulier l'auteur d'une réplique restée célèbre. Alors qu'on parlait devant lui d'un match de foot Autriche-Hongrie, il avait répondu : "ah oui, contre qui?"

Lors de notre conversation à table, la conversation était venue sur l'avant-guerre, il avait évoqué deux ou trois souvenirs. Même si tout ceci paraît bien loin aujourd'hui, j'éprouve le besoin de les rapporter pour que s'en conserve encore un peu la mémoire.

Ainsi, sur les attitudes respectives de la France et de l'Angleterre face à Hitler:"Entre les deux guerres, les Français se sont plutôt bien comportés et se sont efforcés de contrer la montée du nazisme. Les Anglais, en revanche, ont tout fait pour s'acquérir les grâces de l'Allemagne. En 1937 ou 1938, ils ont envoyé un ministre à Berlin pour demander aux Allemands ce qu'ils attendaient pour annexer l'Autriche, et, comme ils semblaient n'avoir pas compris, ils ont envoyé le Prince de Galles pour répéter le même message. C'est vraiment étonnant que personne ne parle de cela. Il y a des documents décrivant tous ces épisodes. Je les ai lus personnellement en 1945, en Autriche".

L'autre concerne le début de la guerre sur le front ouest : "Un groupe d'officiers allemands anti-nazis est parvenu à faire passer à l'État-major français l'essentiel du plan allemand de percée à travers les Ardennes et en direction de Sedan. Ces documents ont été transmis par un réseau jésuite, auquel j'étais associé. Mais l'État-major français ne nous a pas crus. Dommage, le cours de la guerre aurait pu être changé...".

Ce qui amène à saluer la force morale de ces officiers dans ce choix difficile contre la discipline, contre leur patriotisme, et mettant en péril la vie de leurs propres soldats. Même s'il n'était pas simple d'être résistant pour un Français, c'était encore plus compliqué pour un Allemand. Et pourtant, environ 100.000 résistants allemands ont été exécutés par le régime nazi ou sont morts dans les camps, chiffre du même ordre que le nombre de morts dans la résistance française. Non, il n'y a pas eu que des nazis en Allemagne.