Un chercheur iranien mêlé au nucléaire vient encore d’être assassiné samedi dernier par des tueurs circulant à motocyclette, alors qu’il allait prendre son enfant à la sortie d’une maternelle. Sa femme a elle-même été blessée dans l’attentat. Deux scientifiques iraniens du nucléaire ont été exécutés par des méthodes comparables, l’un en janvier, l’autre en novembre 2010. Un autre scientifique avait été blessé à cette dernière date, ainsi que les femmes des deux hommes visés. Ce dernier, Fereidoun Abbasi, est depuis devenu le patron de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique. En 2007 déjà, un chercheur iranien lié au nucléaire était mort d’une mystérieuse intoxication. Notons que les attentats de 2010 et 2011 ont tous eu lieu sur la voie publique, à proximité des domiciles des victimes. Les tueurs disposaient donc de leurs adresses privées.
Ali Mohammadi, tué en janvier 2010, était professeur de physique nucléaire. Il représentait son pays au sein du projet Sesame, placé sous l’égide de l’UNESCO, visant à installer en Jordanie un accélérateur de particules conjointement géré par les pays de la région. Majid Shahriari, tué en novembre de la même année, travaillait sur le même projet. Ont-ils au cours de leurs séjours à l’étranger imprudemment laissé traîner leurs adresses et celles de leurs amis ?
Ces assassinats ciblés ne semblent pas avoir soulevé d’émotion hors d’Iran. Il ne s’agit pourtant pas là de représailles visant des auteurs ou instigateurs d’attentats, comme on a pu le voir dans la bande de Gaza ou avec l’assassinat en 2008 à Damas d’Imad Moughniyeh, responsable, entre autres forfaits, de la mort en 1983 à Beyrouth de 300 soldats américains et français. L’on peut en ces cas accepter l’idée que celui qui a pris l’épée périsse par l’épée. Mais les victimes iraniennes, sans parler de leurs femmes, n’étaient pas des tueurs. Présume-t-on de leur participation à un programme militaire clandestin, ce qui serait, en effet, une façon de forger, sinon de manier, l’épée ? La chose n’est pas avérée. Pour les scientifiques dont on connaît un peu le parcours, leurs travaux paraissent plutôt éloignés de l’ingénierie de l’arme nucléaire.
Au-delà de cette interrogation morale, il va de soi que de telles pratiques nourrissent des haines inexpiables. L’on est, bien entendu, persuadé à Téhéran qu’Israël et les États-Unis sont derrière ces assassinats. L’on relève le silence de la communauté internationale, pourtant prompte à réagir lorsque l’Iran est en cause. Rien de ceci ne favorise la recherche de solutions négociées, ni une plus grande ouverture de l'Iran aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Au contraire, tout va dans le sens la consolidation de la rancœur et de la méfiance, avec au bout du chemin le risque de montée de crise et de conflit ouvert. Est-ce bien là le but recherché ?
(paru le 27 juillet dans lemonde.fr)
6 commentaires:
Ton article soulève des problèmes.
Nous savons tous que l'Iran et ses annexes (Liban, Syrie, Gaza, Irak, Afghanistan, etc. ) ont choisi depuis de nombreuses années une guerre semi-secrète assez féroce (explosion du centre Juif en Argentine avec de très nombreux morts). Faut-il s'étonner alors que d'autres pays utilisent ces moyens à leur tour avec infiniment moins de victimes puisqu'elles sont ciblées ?
Tu fais passer les Iraniens pour des anges, ce qu'ils ne sont pas.On sait aussi de quelle manière ils ont éliminé leurs adversaires politiques en Iran et à l'étranger. On peut donc dire aussi, à l'inverse de toi, que l'assassinat de ces savants est une forme de dissuasion qui limitera à l'avenir l'action iranienne à l'étranger et les forcera à pactiser. C'est une forme de guerre froide préférable à la guerre chaude!
Tu as raison, les deux attentats de Buenos-Aires (1992 l'ambassade d'Israël, 1994 le centre de la communauté juive) sont d'horribles affaires. Bien que tout n'ait pas été élucidé, l'on peut dire sans risque de se tromper qu'ils ont été conduits par la cellule d'Imad Mughniyeh, le Libanais qui faisait le lien entre le Hezbollah et les Pasdaran. Je cite d'ailleurs Mughniyeh dans mon papier comme l'auteur des attentats de 1983 à Beyrouth ayant tué 300 Américains et Français. J'aurais pu également citer les attentats de Buenos-Aires parmi les "autres forfaits" que j'évoque. Je me suis personnellement beaucoup réjoui de son assassinat récent à Beyrouth. Si c'est bien le Mossad qui a fait le coup, on peut le féliciter!
Compte tenu des liens étroits entre Mughniyeh et l'Iran, l'on peut croire que l'Iran a été pour le moins informé, sans doute consulté, et peut-être commanditaire dans ces affaires. En ce dernier cas, le motif reste toutefois mystérieux, les services iraniens intervenant pour des motifs précis plutôt qu'au nom d'un "jihad global". On a dit en 1994 qu'ils auraient voulu punir les Argentins d'avoir laissé tomber leur coopération avec l'Iran dans le domaine nucléaire, mais cela ne me paraît pas très sérieux. Pour quel fait précis voulaient-ils alors punir Israël? Aucune "justification" n'a été donné à l'attentat de 1994. Pour celui de 1992 en revanche, le Jihad Islamique, organisation de Mughniyeh, a parlé de vengeance contre l'assassinat au Liban du secrétaire général du Hezbollah, Abbas Al Moussaoui (lui-même responsable de nombreux forfaits...).
Quoi qu'il en soit, loin de moi l'idée de présenter les membres du régime iranien comme des anges. Si c'est l'impression qui se dégage de mon papier, c'est raté! Mais à moins de tout mettre à la masse, et donc de considérer que ces universitaires iraniens assassinés étaient responsables des crimes de leur régime, force est de reconnaître que les Iraniens (peut-être parce qu'ils n'en sont pas capables...) n'ont jamais tenté de liquider de façon ciblée des universitaires israéliens, ou américains, ou européens, ou des responsables israéliens, américains ou européens, du nucléaire.
Quant à l'effet de ces assassinats - dissuasion ou au contraire excitation?- je penche plutôt, sans être sûr de moi, pour la seconde hypothèse. Il me semble en particulier difficile de liquider ainsi des scientifiques nucléaires et de demander dans le même souffle à l'Iran de laisser libre champ sur son territoire aux inspections de l'AIEA et de donner aux inspecteurs de l'AIEA accès à tous les gens travaillant dans le domaine du nucléaire. Là encore, il faut choisir...
On est un peu dans la même problématique avec les sanctions. Vont-elles mettre le régime à genoux ou facilitent-elles le travail du régime pour solliciter le soutien de la population? Autant j'approuve les sanctions ciblées contre les hiérarques du régime coupables de faits précis (je les juge à la fois justifiées moralement et efficaces), autant je réprouve les sanctions visant la population, qui n'est guère responsable de la situation actuelle.
Bon, rien n'est simple, mais crois bien que je suis aussi révulsé que toi par la longue litanie des crimes du régime iranien. Reste la question : "qui doit payer?"
J’ajouterai seulement que la nature politique du régime, non démocratique et agissant dans l’opacité et d’une manière criminelle, encourage ce genre d’opérations. Face au pouvoir de l’ombre, ce type d’action peut pousser le régime à faire attention à ce qu’il fait. J’aurais du aussi évoquer les prises d’otages des années 1980 avec notamment le fameux Mughniyeh comme “planificateur” des opérations et les Iraniens comme commanditaires.
Bref, l’Iran a une tradition terroriste qui ne se dément pas.
Dans le cas précis des savants, la population civile est peu touchée, ce qui n’est pas rien.
Reste le problème politique fondamental: quels sont les objectifs de ces assassinats ? Quels répercussions ont-ils ? Freinent-ils les opérations ou renforcent-ils la détermination des Iraniens ?
Dernier point enfin : on est dans un univers mental ou on est respecté si on est capable d’utiliser la violence et méprisé si on ne fait rien ...C’est peut-être triste mais c’est comme ça!
PS :Le film de Spielberg “Munich” a bien posé le problème moral.
Pour lui, pas question de tuer sans jugement. Le vengeur finit par prendre la figure de l’assassin.
"Il ne s’agit pourtant pas là de représailles visant des auteurs ou instigateurs d’attentats, comme on a pu le voir dans la bande de Gaza ou avec l’assassinat en 2008 à Damas d’Imad Moughniyeh, responsable, entre autres forfaits, de la mort en 1983 à Beyrouth de 300 soldats américains et français."
C'est vrai ça!
Depuis le temps, les Libanais du Sud et les Palestiniens auraient dû apprendre qu'ils devaient accepter de se faire tirer dessus comme des lapins sans réagir.
Et la civilisation occidentale ne leur demande même pas de remercier.
Qu'ils s'estiment satisfaits et apprennent les grandes valeurs démocratiques.
Non mais !
Bonjour, je relis l'article ainsi que les commentaires qui me sont revenus en mémoire au regard de l'affaire malheureuse du quadruple meurtre en Haute Savoie. Le chef de famille famille, d'origine irakienne, était-il lié de près ou de loin, par son activité ou son activisme aux troubles qui se déroulent au Proche Orient ?
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