mardi 28 octobre 2008

Sacré Marx, pas mal vu quand même!

"La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux...

Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes...


Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe.

A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations."

Sacré Marx (et sacré Engels)! pas mal vu quand même, quand on pense que que ceci figure dans le Manifeste du Parti communiste, paru en 1847. On comprend que ces derniers jours à la Foire du livre de Francfort, das Kapital ait figuré parmi les best-sellers.

D'autres passages ont évidemment moins bien vieilli. Marx et Engels d'ailleurs l'ont reconnu eux-mêmes dans leurs préfaces successives au Manifeste, mais en s'interdisant de retoucher un texte enchâssé dans un moment précis de l'histoire européenne. Marx, à la fin de sa vie, percevait bien la montée en Angleterre et en Europe d'une classe moyenne issue de la classe ouvrière. Celle-ci, au fur et à mesure de ses conquêtes sociales, pénétrait donc la bourgeoisie, comme la bourgeoisie avait auparavant investi la noblesse. Bien loin de voir se constituer une immense classe ouvrière indistincte face à une poignée de grands patrons de l'industrie, du commerce et de la finance, l'expansion et la consolidation de cette classe moyenne allait devenir, est sans doute aujourd'hui plus que jamais, l'enjeu central des mouvements politiques, et peut-être même de la marche de l'Histoire.

La fin de l'Histoire passerait alors par l'universalisation de la classe moyenne, et donc par la disparition de toutes les autres classes : non qu'il n'existerait plus de grandes entreprises, et donc de "grands patrons", mais ces grands patrons, loin de s'instituer en classe autonome d'oligarques, seraient issus de la classe moyenne, et amenés, par eux-mêmes ou par leur descendance, à y revenir. Non qu'il n'existerait plus de monde ouvrier ou de pauvres exploités, mais les membres de ce monde auraient le sentiment, appuyé sur la réalité, de pouvoir, soit en cohortes, par leur action collective, soit individuellement,du moins par leurs enfants, emprunter tôt ou tard "l'ascenseur social" les élevant à la classe moyenne.

Une préfiguration de tout ceci a été vécu, au fond, en France et en Europe pendant "les Trente glorieuses". Les grands managers avaient alors pour modèles Pierre Lefaucheux ou Louis Armand, et ne se vivaient pas encore en oligarques. Les ouvriers de Renault -qui s'en souvient encore?- glissaient leur casse-croûte dans des attaché cases. Avant, l'entre-deux-guerres avait vu, en sens inverse, fondre et se reprolétariser la classe moyenne : d'où la montée du fascisme et du nazisme.

Roosevelt, au contraire, avait travaillé à la reconstitution de la classe moyenne, comme l'avaient fait aussi, repartant à zéro, les gouvernements allemands de l'après-guerre. Mais récemment, avec la levée de tous les freins à la loi du marché, l'on a vu se profiler une nouvelle oligarchie, et la précarité s'étendre à nouveau aux classes moyennes. Celles-ci ont vu alors s'accentuer une tendance toujours présente à se fracturer entre une upper middle class composée majoritairement d'héritiers, aspirant à rejoindre les oligarques, et une lower middle class frôlant dangereusement la rechute dans le prolétariat : autant de phénomènes régressifs, aux conséquences encore imprévisibles, tant aux Etats-Unis qu'en Europe.

Dans cette vision des choses, le rôle de la Gauche serait alors d'oeuvrer à l'alliance du monde pauvre et de la classe moyenne en vue de pousser d'une part à la dissolution progressive du premier dans la seconde, d'autre part à l'expansion et à la cohésion croissantes de cette dernière. Cela a été le pacte implicite qui a permis la victoire du Parti socialiste de François Mitterrand. Le délitement rapide de ce pacte a marqué la fin de l'expérience. Ce sont les conditions d'un tel pacte qu'il faudrait aujourd'hui restaurer.

mardi 14 octobre 2008

La fin du communisme aurait-elle relancé la marche de l'Histoire?

Mon ami Marc Bressant vient de sortir un roman aux éditions de Fallois, La dernière conférence. On se souvient de son drôlatique premier roman, Mémoires d'un vieux parapluie, racontant l'histoire d'un président de la République s'ennuyant tellement dans son rôle qu'il finissait par mettre la clef sous la porte et disparaître sous d'autres cieux. La garde rapprochée du président d'alors avait cru discerner, bien à tort d'ailleurs, quelque ressemblance entre le héros du livre et leur idole. On ne badinait alors pas plus qu'aujourd'hui avec ce genre du choses et ceci n'avait pas simplifié la carrière du diplomate qui se cachait à peine sous le nom de plume précité, et qui cachait encore moins son ancrage à gauche. Mais comme on le sait, les coups les plus durs viennent de son propre camp.

La dernière conférence décrit de façon tout aussi amusée, et amusante, l'une de ces conférences Est-Ouest issues des accords d'Helsinki, qui commence au 1er octobre 1989 dans l'affrontement des deux Blocs et s'achève dans le joyeux désordre déferlant sur l'Europe au moment de la chute du Mur. Le héros du roman y apparaît d'abord sous les traits d'un diplomate désabusé avant de se prendre au jeu, au jeu de la conférence... et aussi aux jeux de l'amour. Ceux-ci lui coûteront d'ailleurs cher, mais l'on se situe déjà après la fin de l'histoire.

Ceux qui ont vécu l'époque dans les chancelleries et les ministères retrouveront cette étrange atmosphère où l'on entrait dans l'avenir à reculons : tout ce qui survenait paraissait incroyable, voire lourd d'incertitudes et de dangers. Le monde que l'on quittait paraissait au fur et à mesure que l'on s'en éloignait paré de vertus croissantes. Selon les termes employés par notre président de la République en 1996 devant ses ambassadeurs, il était "critiquable mais lisible". Que de nostalgie dans cette formule!

Pour revenir à la conférence de Marc Bressant et à nos interrogations sur la crise actuelle, voici un passage sortant de la bouche d'un diplomate tchèque :

"Une chose au moins est incontestable : de par notre existence et de par celle de nos chevaux de Troie comme vous avez si longtemps appelé les partis communistes qui existaient chez vous, nous avons été un paratonnerre contre la logique folle de votre système capitaliste. A cause de nous, vos gouvernements ont été obligés de mettre de plus en plus d'eau dans leur vin. Ils ont fini par donner des droits et du pouvoir d'achat aux travailleurs, et par imposer des limites aux exigences des entrepreneurs. Ce serait un peu exagéré de dire que vous nous devez vos "Trente Glorieuses", mais nous n'y sommes pas tout à fait pour rien...

Bon, très vite sans doute nous allons devenir vos clones. La perestroïka, le multipartisme en Pologne et en Hongrie, les manifestations chez moi, en RDA et jusqu'en Bulgarie – il faut le faire quand même! – sonnent la débandade. Le Mur est tombé sur le modèle socialiste tout entier.

Mais il faut que, vous aussi, vous le sachiez : il n'y aura plus désormais de statue du commandeur pour obliger vos capitalistes à faire la part du feu. Le monde va entrer de nouveau dans l'ère des Krupp, Wendel et autres Bata avec toutes les tribulations qui en résulteront, les crises genre 1930 et, comme l'a montré Lénine avec une clairvoyance qu'on ne saurait lui refuser, leurs inévitables corollaires, les guerres coloniales, européennes et autres."

Pas mal vu, non, en regard de ce que nous vivons depuis quelque temps?