lundi 11 avril 2011

Côte-d'Ivoire : mise au clair

Résumons les faits. Laurent Gbagbo est né en 1945 d’un père sergent de police. Universitaire de profession, il s’affirme très tôt en leader syndicaliste et en opposant radical à Houphoüet-Boigny et à son parti unique. A ce titre, il est d’ailleurs emprisonné à deux reprises, d’abord pendant deux ans, ensuite pour quelques mois, avec sa femme et son fils, et cette seconde fois par Alassane Ouattara, alors Premier ministre d’Houphouët-Boigny. Exilé en France pendant trois ans dans les années 1980, il y lie de nombreuses amitiés au Parti socialiste. A la surprise générale, il est élu président de la République en 2000 contre le général Robert Guéï, qui s’était emparé de la présidence dix mois plus tôt, à la faveur d’un coup d’État contre le Président Henri Konan Bédié, successeur d’Houphouët-Boigny.

Alassane Ouattara, né en 1942 dans une famille aisée, économiste de formation, fait une brillante carrière entre le Fonds monétaire international et la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Il est pendant trois ans Premier ministre de Côte-d’Ivoire, jusqu’à la mort d’Houphouët-Boigny en 1993. Il se retrouve alors brièvement dans le même parti que Laurent Gbagbo. En raison d’une "ivoirité" contestée, il ne peut se présenter à l’élection présidentielle de 1995, remportée par Henri Konan Bédié, ni à celle de 2000, remportée par Laurent Gbagbo. Président depuis 1999 du Rassemblement des Républicains, parti s’affichant comme centriste, il est élu président de la République en 2010, éliminant Bédié au premier tour, Gbagbo au deuxième tour.

Guillaume Soro, né en 1972, appartient à la génération suivante. Il entre en politique par le syndicalisme étudiant et la gauche radicale, et croise à ce titre Laurent Gbagbo. Maltraité sous Bédié, il collabore un temps avec son successeur, Robert Guéï, mais bascule à nouveau dans l’opposition en se rapprochant d’Alassane Ouattara. On le retrouve en 2002 à la tête d’un mouvement de rébellion armée, et bientôt secrétaire général des Forces nouvelles qui contrôlent le nord du pays. En 2004, dans le cadre d’une "réconciliation nationale", il devient ministre de Laurent Gbagbo, puis Premier ministre en 2007, aux termes d’un accord entre celui-ci et les Forces nouvelles en vue de préparer des élections présidentielles. Il échappe sur cette période à plusieurs attentats, venant d’ailleurs d’autres rebelles. A la suite des élections de l’automne 2010, il est à nouveau nommé Premier ministre, et ministre de la défense, par le nouveau Président, Alassane Ouattara.

Un coup d’État a en effet été déclenché en septembre 2002 contre Laurent Gbagbo. S’appuyant notamment sur des soldats perdus, partant du Burkina Faso, du Mali, du Libéria, le mouvement rallie des populations excentrées qui se jugent discriminées et défavorisées, et c’est ainsi que les rebelles se retranchent dans la moitié nord de la Côte-d’Ivoire après avoir échoué à Abidjan. Des massacres ont lieu de part et d’autre. Alassane Ouattara, après avoir failli être assassiné à Abidjan, se réfugie à Paris. La France alors s’interpose, déploie la force Licorne, rejointe par des forces des Nations Unies. Le pays est coupé en deux.

En novembre 2004, les forces loyales à Laurent Gbagbo tentent de reconquérir le nord du pays, mais sans succès. C’est alors que neuf soldats français sont tués par un bombardement aérien sur la base de Bouaké. Un enchaînement de représailles et de manifestations entraîne la mort de dizaines d’Ivoiriens devant l’hôtel Ivoire d’Abidjan, tenu par les troupes françaises. Une vague de violences oblige à évacuer environ 4.000 Français.

Les élections présidentielles, retardées pendant cinq ans faute d’unité du territoire et de listes électorales fiables, se tiennent finalement à l’automne 2010. A l’encontre de la plupart des prévisions, Laurent Gbagbo, arrivé en tête au premier tour, est battu au deuxième par Alassane Ouattara, grâce au soutien de Konan Bédié, accordé au nom de la fidélité à l’héritage d’Houphouët-Boigny.

Cette victoire, reconnue par la communauté internationale, ne l’est pas par Laurent Gbagbo. Faute d’obtenir son retrait volontaire, les Forces nouvelles, qui contrôlent toujours le nord du pays et qui n’ont jamais désarmé, lancent au bout de quatre mois une offensive foudroyante qui les conduit en quelques jours dans Abidjan, et débouche sur la capture de Laurent Gbagbo.

Au passif de Laurent Gbagbo, les dérives de sa présidence telles que l’utilisation de milices populaires se livrant à de nombreux crimes et exactions, le recrutement de mercenaires, la pratique des enlèvements et des assassinats ciblés, comme celui du journaliste Guy-André Kieffer, le retour à la corruption et, bien entendu, le refus de reconnaître la victoire de son rival Ouattara en 2010.

A sa décharge, il n’a jamais été sincèrement reconnu comme un dirigeant légitime malgré une élection régulière en 2000 : ni en Côte-d’Ivoire par ceux qui s’attribuaient une vocation naturelle à succéder à Houphouët-Boigny, tels que Konan Bédié et Alassane Ouattara, ni à l’extérieur par les réseaux de la "Françafrique", auxquels il n’a jamais appartenu ni tenté d’appartenir, et encore moins par les élites internationales et les milieux d’affaires dont Ouattara est le familier. Visé par une tentative de coup d’État dès son élection en 2000, puis en 2002 par une rébellion qui s’emparait de la moitié du territoire, il n’a jamais pu exercer la plénitude de son mandat et s’est vécu, à juste titre, comme continuellement mis en cause et menacé. S’il a retardé de cinq ans la tenue des élections présidentielles, c’est que tout le nord du pays échappait à l’État central. Et le vote du nord, décisif dans la victoire de Ouattara, s’est déroulé sous le contrôle des Forces nouvelles. Celles-ci ont bénéficié en outre d’un important apport en armes et formation lorsqu’il s’est agi tout récemment de s’emparer de l’ensemble du pays. Elles ont encore bénéficié, au nom de la protection des civils, du soutien des forces françaises pour la capture de Laurent Gbagbo. Ce dernier, en somme, n’a jamais été mis en mesure de normalement gouverner.

Alassane Ouattara apparaît donc en vainqueur de cette longue tragédie… en attendant la montée en puissance de Guillaume Soro, véritable homme fort de la nouvelle configuration politique. Reste enfin la Côte-d’Ivoire à reconstruire, par une politique de réconciliation dont Ouattara et Soro devront démontrer qu’ils ont l’étoffe pour la conduire.