samedi 22 mars 2014

Auto-détermination et droit international sous les Tropiques


En 1841, l’Île de Mayotte, qui compte alors environ 3.000 habitants, est cédée par le sultan Andriantsoly à la France contre une rente viagère personnelle de 1.000 piastres. Les trois autres iles de l’archipel des Comores, la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli, sont plus tard placées sous protectorat et directement gérées par la France à partir de 1912, à la suite de la conquête de Madagascar.

En 1946, les quatre îles de l’archipel des Comores sont pour la première fois placées sous administration unifiée. Elles sont dotées en 1957 d’une assemblée territoriale élue.

A la suite de l’élection en 1972 aux Comores d’une assemblée favorable à l’indépendance, une loi du 23 novembre 1974 prévoit l’organisation d’une consultation des populations de l’archipel. Prudemment, la loi prévoit que dans un délai de six mois après la proclamation des résultats, le Parlement français sera « appelé à se prononcer sur la suite qu’il estimera devoir donner à cette consultation ». A même époque, deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, en date des 14 décembre 1973 et 13 décembre 1974, demandent à la France « de garantir l’unité et l’intégrité territoriale de l’Archipel des Comores ». La France ne prend pas part au vote de la première résolution, la seconde est adoptée sans vote.

La consultation a lieu le 22 décembre 1974. Sur 175.000 inscrits, 163.000 prennent par au vote, 154.000 votent pour l’indépendance. Toutefois, à Mayotte, sur 16.000 inscrits, dont 12.400 votes exprimés , 4.300 seulement font le choix de l’indépendance, 8.100 électeurs expriment le souhait de demeurer attachés à la France.

Le 6 juillet 1975, devant les hésitations de la France, le président du gouvernement des Comores proclame unilatéralement l’indépendance du pays. Le détachement de la Légion étrangère présent aux Comores (environ 200 hommes) se replie sur Mayotte.

Le 12 novembre 1975, l’Assemblée générale des Nations Unies, sur proposition du Conseil de sécurité, admet les Comores comme membre de l’ONU, en rappelant que le nouvel État inclut bien les quatre îles de l’archipel. La France ne prend pas part au vote.

Le 31 décembre 1975, une loi détache la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli de la République française et organise une nouvelle consultation de la population de Mayotte. Cette loi, déférée par l’opposition au Conseil constitutionnel, est déclarée par celui-ci conforme à la Constitution.

Le 28 janvier 1976, le Président des Comores saisit d’urgence le Conseil de sécurité des Nations Unies du projet de consultation de la population de Mayotte.

Le Conseil de sécurité aborde l’affaire des Comores le 4 février. Le représentant de la France déclare au Conseil que la consultation qui doit avoir lieu à Mayotte « découle d’une scrupuleuse application du principe d’auto-détermination ». Le 6 février, un projet de résolution déposé par la Tanzanie, le Bénin, la Guyane, la Libye et le Panama demande à la France de renoncer à son projet de consultation. Le projet recueille 11 voix favorables, 3 abstentions et le veto de la France. La résolution est donc repoussée. Pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, la France a utilisé seule son droit de veto.

La consultation des Mahorais a lieu le 8 février 1976. Sur 21.000 inscrits, 18.000 prennent par au vote, 17.800 choisissent de demeurer au sein de la République française.

Le 24 décembre 1976, une loi érige Mayotte en collectivité territoriale de la République française. Jusqu’en 1994, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte chaque année (sauf en 1978) une résolution demandant à la France de restaurer l’unité et l’intégrité territoriales des Comores. Chaque fois, la France vote contre, soit seule, soit en compagnie de Monaco.

Une loi organique du 21 février 2007 confère à Mayotte le statut de collectivité d’Outre-Mer.

Le 29 mars 2009, les Mahorais sont invités à se prononcer sur l’accès de l’île au statut de département français. Sur 71.000 inscrits, 43.800 prennent part au vote. Le nouveau statut est adopté par 41.000 électeurs. Le 7 décembre 2010, deux lois organisent la transformation de Mayotte en département français. Cette transformation intervient le 31 mars 2011.

dimanche 16 mars 2014

La gouvernance de l'économie de marché mondialisée

(Après un long sommeil, je réactive ce petit blog avec la parution d'un article, que je crois important, de mon ami Georges Le Guelte, paru récemment dans "La Croix". Je publierai aussi prochainement de petites chroniques sur "les minorités du monde" qui, je l'espère, pourront vous intéresser. Bonne lecture à toutes et tous!)


Le traité de libre-échange en cours de discussion entre les Etats-Unis et l’Union européenne a pour objet de supprimer les obstacles aux échanges commerciaux entre les deux rives de l’Atlantique. Les droits sur l’entrée des marchandises en Europe étant très faibles, sauf pour les produits agricoles, les discussions porteront essentiellement sur l’assouplissement ou l’élimination des règles qui protègent la santé ou la sécurité de la population en interdisant la vente ou en limitant la consommation de certaines substances. Cela concerne surtout les denrées alimentaires, les médicaments, les insecticides, le tabac, les hydrocarbures, les armes etc.

Cependant, le traité aura de graves conséquences bien au-delà de ses aspects commerciaux. Sa signature marquera une profonde rupture dans l’évolution des institutions et de l’exercice du pouvoir. En effet, un an avant de rencontrer leurs interlocuteurs américains, les fonctionnaires de la Commission ont lancé une série de consultations avec les milieux d’affaires des deux côtés de l’Atlantique (US Chamber of Commerce, et Business Europe) pour savoir ce qu’ils attendaient de l’accord[1]. L’une des revendications des industriels concerne la façon dont le traité sera appliqué si, après son entrée en vigueur, l’une des deux parties modifie sa réglementation intérieure. Au lieu d’une renégociation du traité, ils demandent qu’une commission mixte, composée de responsables américains et européens de haut niveau, harmonise les normes applicables en Europe et aux Etats-Unis, pour les adapter à la situation nouvelle. En d’autres termes, après la conclusion du traité, c’est cette commission mixte qui définira les règles qui devront être respectées aux Etats-Unis, dans l’Union européenne, et dans tous les pays qui voudront y exporter leurs marchandises.

Les industriels veulent également pouvoir proposer à cette commission les textes qu’ils souhaitent voir adopter, et participer à ses délibérations. Les négociateurs européens semblent avoir déjà accepté qu’ils transmettent des projets de texte, tout en étant plus réservés sur leur participation aux débats. Il est cependant difficile d’imaginer que la commission mixte puisse longtemps examiner des projets d’amendement tout en refusant d’entendre le point de vue de ceux qui les défendent. Si le mécanisme voulu par les industriels est retenu, les règles applicables sur une grande partie de la planète pour tout ce qui concerne l’économie et la finance seront décidées, après la signature du traité, par une instance constituée de représentants de l’Administration américaine, de fonctionnaires européens n’ayant aucune responsabilité politique, et de représentants des actionnaires des entreprises transnationales.

C’est une étape supplémentaire vers une nouvelle forme de société, organisée pour et par les actionnaires des grandes firmes, et dont plusieurs éléments sont déjà en place. Au niveau inférieur, près de 6000 lobbyistes sont enregistrés à Bruxelles, pour tenter d’obtenir, des instances européennes, des décisions favorables aux entreprises qui les emploient. A un échelon plus élevé, « Business Europe » représente, auprès de la Commission, les intérêts de l’ensemble des milieux d’affaires. Au niveau supérieur, la Table ronde européenne, créée en 1983 avec le soutien de deux commissaires européens, rassemble les PDG d’une cinquantaine de grands groupes dont le siège est en Europe. Elle définit les objectifs à long terme communs aux grandes entreprises, et ses recommandations sont souvent entendues. Elle a ainsi vigoureusement soutenu le projet de traité de libre-échange américano-européen, et plus récemment elle s’est prononcée pour une amélioration de la compétitivité des entreprises européennes. Le mécanisme qui serait mis en place après la signature du traité de libre-échange aurait une tout autre portée, puisque les milieux d’affaires feraient partie de l’institution sensée représenter l’intérêt général et investie, pour cette raison, du pouvoir régalien d’édicter les lois.

Dans tous ces développements, la Commission européenne a largement collaboré avec les milieux d’affaires. Pourtant, rien dans l’évolution qui se dessine ne relève d’un quelconque complot. Les mécanismes envisagés par les grandes firmes et par la Commission européenne ne sont que la conséquence logique du fonctionnement d’une économie de marché de plus en plus mondialisée, ils ne font que traduire dans les institutions ce qui est déjà la réalité économique et sociologique. Le traité de libre-échange n’est au surplus qu’une étape. Une fois que les règles de vente et de consommation des produits seront uniformisées, une harmonisation de la fiscalité et de la protection sociale aux Etats-Unis et en Europe sera nécessaire pour que la concurrence ne soit pas faussée. Et pour qu’aucune des deux parties ne bénéficie d’une prime de change, une monnaie commune devrait être adoptée. La signature du traité n’est pas une fatalité, mais une fois qu’il sera conclu, il sera très difficile, voire impossible, de s’opposer au mécanisme qu’il aura enclenché.

Georges Le Guelte




[1] International New York Times, 9 octobre 2013, pages 16 et 19, “Business got an early say in EU trade talks” et “Business gets its voice heard in US-EU talks”.