mardi 12 juin 2012

Un conseil de classe à Mayotte


Une jeune amie  professeur de lycée à Mayotte m'envoie le témoignage qui suit sur son premier conseil de classe (les noms et certains détails ont été, bien entendu, changés). J'éprouve le besoin de le partager avec vous.

- Bon, nous arrivons à Fatima, les notes sont en baisse, que se passe-t-il ?
  
- Sa grossesse a été pénible et elle m’a envoyé un SMS pour m’avertir de son état, son accouchement a été compliqué. Voilà, ce n’est pas évident ! Elle vit en plus une situation très difficile sur le plan matériel.

Maintenant il s’agit de Zahra, qui a raté un stage à cause de sa grossesse.

- En effet, répond un professeur, elle m’a reproché de ne pas avoir planifié son stage en  fonction de sa situation. J’ai dû me déplacer sur son lieu de stage pour parlementer avec la responsable du magasin. Elle est autorisée à s’asseoir compte tenu de son état et il n’y a pas beaucoup de clients.

Une autre a encore accouché, il y a trois jours. Mais elle est prête à venir passer ses examens. Ce n’est plus avec le carnet scolaire qu’il faut composer, mais avec celui de la maternité.

Tous ces gosses, que vont-ils devenir ? Pour qui, pourquoi sont-ils nés ? C’est vrai qu’il n’y a rien à faire à Mayotte. Je n’ai pas vu une seule balançoire, le cinéma est fermé, cela permet de se construire des films dans la tête avec de mauvais acteurs et un scénario qui ne s’effacera jamais. Vos enfants iront de ruelle en ruelle à moitié nus, s’agripperont au salouva de votre mère qui, après s’être laissé charmer par les joies d’une maternité qu’elle revit, vous redonnera votre jouet. Et puis vous vous rendrez à l’hôpital en urgence car votre enfant n’aura pas assez mangé, et vous déclarerez que, à propos, vous n’avez plus vos règles. Alors le médecin vous hurlera au visage : « Tu n’arrives pas à t’occuper de ton enfant et tu en as déjà un dans le tiroir, écoute, si ton gosse n’a pas pris trente grammes d’ici trois jours, je déclenche un signalement à la DDASS ». Le lendemain, vous arriverez l’air penaud et le médecin pèsera l’enfant. Il aura pris ces fameux trente grammes et vous repartirez tranquille mais vous, vous aurez pris plus de trois cent grammes avec votre nouveau locataire pour un bail de neuf mois.

Bon, nous arrivons à Aicha. C’est très bien. Elle est allée jusqu’au bout malgré sa grossesse.

Aicha, c’est mon élève. J’ai découvert un ventre rond, bien dur. Je l’ai trouvé magnifique ce ventre, et nous avons devisé toutes les deux en classe. Vous avez bien compris que nous ne sommes pas au lycée tout en y étant, je ne sais pas trop où je suis depuis que je suis arrivée ici. Le lycée ici est un lieu de vie, salon de coiffure, lieu de flirt et plus si affinités, lieu de bagarre à cause des rivalités entre les villages, ou encore si une élève découvre que son gigolo possède « deux bureaux ». Elle est  rentrée radieuse de son congé maternité, je me suis hasardée à lui poser quelques questions :

- Et le papa ?

- Il va bien.

- Il travaille ?

- Non.

- Il a quel âge ?

- Cinquante ans.

- Tu es heureuse ?

-Oui !

Je pense qu’il faudra bientôt ouvrir une crèche au lycée, cela créera des emplois !

Je me revois en arrivant dans mes classes, devant accepter une élève au delà des délais. Sur son carnet de correspondance, était inscrite la mention : « Veuillez accepter cette élève  en classe de seconde » S’en est suivi une discussion.

- Que s’est-il passé ?

- J’ai fugué.

- Toute seule ?

- Non, avec mon ami.

- Mais cela peut être dangereux, tu peux tomber enceinte !

- C’est fait Madame, le bébé est là et je suis revenue chez mes parents.

- Et le papa ?

- Il est parti.

- Il connaît le bébé ?

- Non.

- Fais-moi plaisir, tu ne mets plus les pieds dans ma classe avec ce décolleté.

Le cours n’a plus cours, c’est dans la cour que l’on fait la cour. Sans rêves, sans poésie, sans chansons, sans caresses. Il faut faire vite, très vite.

Et te voilà, toi qui viens de te débarrasser de ta fille en l’envoyant à la Réunion chez une quelconque tante, tu pourras aller danser, et effacer de ta mémoire celui qui t’a déclaré son amour pour te duper. Un seul mot, et tu as craqué.  

Et toi Mohamed, tu m’as montré la photo de ta fille. Les parents de ton ex bien-aimée ne veulent plus te voir. Mais expliquez-moi, comment les bébés poussent à Mayotte comme des champignons ? Pas le temps d’enfiler un préservatif, m’as-tu dit ? Le préservatif, on le distribue pourtant comme un cachet d’aspirine à l’infirmerie. Mais rien de mieux que « la chair contre la chair », alors on n’en mettra pas. Et la pilule ? On t’a raconté après le passage des infirmiers scolaires qu’elle rendait stérile et que cela te compliquerait ta vie conjugale.

Je t’ai revu lors d’une épreuve et tu m’as déclaré que tu avais menti : la fille de la photo était l’enfant d’un ami, qui lors de vacances, dans sa générosité suprême, avait donné un héritier à sa dulcinée, mais aux Comores.

Dans les couloirs, des jeunes filles m’ont salué bruyamment. Elles sont toujours en train de hurler. Nous avons parlé ensemble au sujet de ces bébés, véritable calamité dans ce lycée.

- Mais Madame, l’une d’elles a rétorqué, dans notre classe en seconde pro, trois ont eu un bébé. L’une a bien réussi, elle a même obtenu des encouragements.

Bingo ! Les pères ont pris leurs jambes à leur cou.

Je ne parlerai pas de celles qui on avorté cette année, ni de celles qui sont abusées sexuellement, ni encore de celles qui se prostituent avec des Blancs en quête de chair fraîche. Grâce à leurs primes, ils trouvent que les tarifs sont très abordables, il faut lutter contre la vie chère.

Le conseil est terminé. Face à mon regard interloqué, les professeurs me répondent : « Si tu voyais le nombre de grossesses en seconde professionnelle, c’est une véritable hécatombe ! » Ah oxymore, quand tu nous tiens !